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Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l'alimentation végétale
Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l'alimentation végétale
Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l'alimentation végétale
Livre électronique399 pages4 heures

Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l'alimentation végétale

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À propos de ce livre électronique

À l’occasion d’un bon repas entre amis, annoncer qu’on fait une croix sur la viande, voire sur tous les produits d’origine animale, est la recette parfaite pour polariser la tablée. Notre rapport avec la nourriture est profondément culturel. Du véganisme au végétarisme en passant par le flexitarisme, les régimes végétaux bousculent les habitudes et les croyances derrière nos mœurs alimentaires, nous rappelant que chaque coup de fourchette pique aussi des enjeux autres que la santé. Rigoureusement documenté, Végécurieux invite tous ceux et celles qui s’intéressent à l’alimentation à mieux comprendre ce phénomène de société. Les angles évolutionnaire, nutritionnel, écologique et éthique sont décortiqués tour à tour, offrant une vue d’ensemble ancrée dans les connaissances scientifiques actuelles. En séparant le bon grain de l’ivraie, les sceptiques et les végécurieux de tout acabit pourront se forger une opinion plus éclairée — et peut-être réinventeront-ils même leur assiette pour le bien-être individuel et collectif.
LangueFrançais
Date de sortie14 sept. 2023
ISBN9782924847411
Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l'alimentation végétale
Auteur

Martin Quirion

En 2014, MARTIN QUIRION se lançait dans une audacieuse aventure : voyager et travailler en Allemagne, tout en apprenant la langue. Féru de sciences, ce traducteur diplômé de l’Université de Montréal s’intéresse à tous les sujets qui touchent de près ou de loin à l’alimentation végétale. Végécurieux est le premier ouvrage qu’il publie. L’auteur réside maintenant à Berlin avec sa famille.

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    Aperçu du livre

    Végécurieux - Martin Quirion

    Martin Quirion

    VÉGÉCURIEUX

    12 BOUCHÉES SCIENTIFIQUES POUR PRENDRE GOÛT À L’ALIMENTATION VÉGÉTALE

    ÉDITIONS
    CHÂTEAU D’ENCRE

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Végécurieux: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l’alimentation végétale / Martin Quirion.

    Autres titres: 12 bouchées scientifiques pour prendre goût à l’alimentation végétale | Douze bouchées scientifiques pour prendre goût à l’alimentation végétale

    Nom: Quirion, Martin, 1989 - auteur.

    Description: Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230057268 | Canadiana (livre numérique) 20230057276 | ISBN 9782924847404 | ISBN 9782924847411 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Végétarisme. | RVM: Végétarisme—Aspect moral. | RVM: Végétarisme—Aspect sanitaire—Ouvrages de vulgarisation. | RVM: Alimentation—Aspect de l’environnement—Ouvrages de vulgarisation.

    Classification: LCC TX392.Q57 2023 | CDD 613.2/62—dc23

    Édition: Lison Lescarbeau

    Révision: Nathalie Savaria et Dominique Stengelin

    Correction d’épreuves: Dominique Stengelin

    Mise en pages: Folio infographie

    Page couverture: Lison Lescarbeau et Patricia Gaury

    Photo de l’auteur: Alina Roxana Sion

    Visuel: Cepheia, Adobe Stock

    Dépôt légal — 3e trimestre 2023

    © 2023 Les Éditions Château d’encre inc.

    Tous droits réservés.

    Les Éditions Château d’encre inc.

    800-407, boulevard Saint-Laurent

    Montréal, Québec, Canada H2Y 2Y5

    www.editionschateaudencre.ca

    À la mémoire de Lucette.

    Et à Rémie.

    Deux étoiles brillantes qui se sont manquées de peu.

    Je n’ai pas de talent particulier. Je suis seulement passionnément curieux. L’important est de ne pas arrêter de poser des questions. La curiosité a sa propre raison d’exister.

    Albert Einstein

    Lisez, non pas pour contredire et réfuter, ni croire et tenir pour acquis, mais pour peser le pour et le contre, et réfléchir.

    Francis Bacon

    INTRODUCTION

    Manger est plus qu’un acte de subsistance. Les êtres humains ont le luxe de pouvoir personnaliser leur alimentation, et ce, pour une foule de raisons. Certains le font pour la santé, l’apparence physique ou la performance sportive, d’autres pour des motifs religieux, politiques ou philosophiques. Il en résulte que les pratiques alimentaires ne manquent jamais de susciter le débat.

    Le végétalisme ne fait pas exception à la règle. À une lettre près du végétarisme, qui exclut la consommation de viande, l’alimentation végétalienne pousse le concept plus loin. En effet, elle est dépourvue non seulement de chairs, telles que le bœuf, le poulet et le poisson, mais aussi de toutes les autres denrées d’origine animale, comme les œufs et les produits laitiers. Pour certains, cela relève de l’inconcevable. Pour d’autres, c’est d’ores et déjà leur quotidien. Même entre ces deux pôles, l’idée d’un régime strictement végétal s’écarte tellement de la norme qu’elle ne laisse personne indifférent.

    Transcender les considérations purement nutritionnelles y est aussi pour quelque chose. Car voilà, l’adoption du végétalisme s’inscrit souvent — mais pas toujours — dans une démarche éthique. Le véganisme est une philosophie qui prône un mode de vie bannissant tous les produits issus de l’exploitation animale tant dans l’alimentation que dans les vêtements, les accessoires, les cosmétiques, le divertissement, etc. Du point de vue de l’alimentation, il n’y a donc pas de distinction entre les régimes «végane» et «végétalien». L’argumentaire est le même: cette façon de s’alimenter serait bénéfique pour la santé et l’environnement. Les véganes se distinguent en accordant une place prépondérante à la considération éthique du bien-être animal.

    Le message trouve son public et la tendance ne fait que croître. Au supermarché comme au restaurant, à table comme dans les médias, on accorde de plus en plus de place aux produits végétaliens et aux échanges sur le véganisme. Même les hautes sphères gastronomiques emboîtent le pas. En mai 2021, le chef du restaurant new-yorkais Eleven Madison Park, l’un des meilleurs au monde comme en attestent ses trois étoiles Michelin, dévoilait son nouveau menu 100% végétal1.

    Cette tendance s’inscrit plus largement dans une transition progressive vers une consommation consciencieuse. Si le prix et la qualité des aliments restent des critères d’achat incontournables, les gens s’interrogent aussi de plus en plus sur les effets sur la santé, l’empreinte écologique, les emballages en plastique, les conditions des travailleurs, le bien-être des animaux d’élevage, etc. L’émergence du «tout végétal» a donc comme toile de fond cette prise de conscience des consommateurs.

    Or, le véganisme est un sujet épineux qui éveille les passions et polarise les opinions. Les discussions peuvent être houleuses et chargées d’émotions, parfois aux dépens de la logique et du respect de l’autre. Comment faire la part des choses sans s’enliser dans une guerre idéologique? 

    Végécurieux propose un tour d’horizon scientifique des divers enjeux soulevés par l’alimentation végétale sous toutes ses formes. La science se prête bien à la tâche de tracer un portrait représentatif des quatre facettes à considérer: l’évolution, la nutrition, l’écologie et l’éthique. Le tout se divise en douze chapitres — douze bouchées scientifiques riches en information à dévorer.

    Cet ouvrage s’adresse aux végécurieux de tous les horizons, bref, à quiconque souhaite se faire une idée éclairée sur les divers arguments qui circulent au sujet de ce véritable phénomène de société. À chacun de décider ensuite quels changements apporter à ses propres habitudes alimentaires. À tout le moins, vous comprendrez ce qui motive l’un de vos proches à prendre un virage végétal, comme ce fut d’ailleurs le cas pour moi au fil de mes recherches.

    Le mot d’ordre est la pensée critique. Comme l’a si bien formulé le regretté Carl Sagan, célèbre astrophysicien et vulgarisateur scientifique américain, il nous incombe de viser «un sain équilibre entre deux tendances: celle qui nous pousse à scruter de manière inlassablement sceptique toutes les hypothèses qui nous sont soumises et celle qui nous invite à garder une grande ouverture aux idées nouvelles».

    Sur ce, la table est mise. J’espère de tout cœur que ces bouchées scientifiques sauront nourrir vos réflexions et enrichir vos échanges. Bienvenue dans les rangs des végécurieux!

    CHAPITRE 1

    OMNIVORE, MAIS ENCORE?

    «L’être humain est omnivore.» «La chasse fait partie de notre évolution.» «Manger de la viande est naturel.»

    Voilà trois affirmations qui viennent instinctivement à l’esprit lorsque le sujet des régimes végétaux s’invite à table. Dès lors, notre consommation de produits animaux s’impose comme une évidence. Après tout, la chair figure au menu depuis des temps immémoriaux!

    Certes, l’être humain est omnivore. Avec une alimentation mixte, nous siégeons aujourd’hui bien confortablement au sommet du règne animal. Bien sûr, notre omnivorisme signifie que nous pouvons manger chairs et végétaux, mais peut-on forcément en déduire que nous devons consommer des aliments d’origine animale? Peut-on vivre sans?

    Nos origines en tant qu’omnivores témoignent de nos facultés d’adaptation. La survie en nature nous a dotés d’un talent inouï pour ajuster notre régime au gré des circonstances. La chasse est devenue une composante clé de cette souplesse alimentaire. 

    On a envie de sauter à la conclusion qu’il est «naturel» de manger de la viande et d’autres produits animaux, et donc qu’il est «contre nature» de suivre un régime végétalien. Mais qu’entend-on lorsqu’on se prononce sur la naturalité d’un comportement? Il y a lieu de se demander si cette notion est pertinente pour l’alimentation d’un être humain moderne et, plus fondamentalement, dans quelle mesure notre passé évolutionnaire devrait orienter notre présent et notre avenir. 

    La science offre plusieurs pistes de réponses à toutes ces questions.

    Une catégorie fourre-tout

    Prenons comme point de départ nos cousins les grands singes, avec qui nous avons des ancêtres communs. Selon le séquençage de leurs génomes, le gorille, le bonobo et le chimpanzé partagent 98 à 99% de notre ADN1.

    Ces primates ont une alimentation très diversifiée, principalement composée d’une large gamme de végétaux, mais qui inclut aussi à l’occasion des insectes et de la viande. Les fruits occupent la place dominante dans leur régime, si bien qu’on classifie ces mammifères comme des frugivores non spécialisés, une sous-catégorie appartenant aux omnivores2.

    Certains experts théorisent que la consommation de fruits aurait mis en branle l’élargissement du cerveau qui caractérise l’évolution des primates. Comment? Les fruits fournissent plus d’énergie que les feuilles, tout en exigeant de meilleures aptitudes cognitives pour les dénicher. Le passage de folivores à frugivores aurait donc été une première étape cruciale que nos lointains ancêtres ont franchie3.

    La viande ne représente que 3% de l’alimentation du chimpanzé, notre cousin le plus proche. La deuxième espèce la plus apparentée à la nôtre, le bonobo, en consomme encore moins4. Pourtant, ce faible pourcentage suffit pour les ranger dans la classe des omnivores — un bon indicateur de l’élasticité du terme. 

    Délimiter les frontières entre omnivore, herbivore et carnivore représente une tâche plus ardue qu’on ne le pense. Les mammifères font l’objet d’innombrables études, mais les critères pour catégoriser leur alimentation ne sont pas standardisés. Puisque peu d’espèces se restreignent strictement aux végétaux ou à la chair, on se trouve à amalgamer des quasi-carnivores à des quasi-herbivores dans une catégorie fourre-tout bien que, concrètement, leurs régimes se situent aux antipodes.

    L’omnivorisme ne signifie pas viandes et végétaux à parts égales. Les proportions varient grandement d’une espèce omnivore à une autre. À l’intérieur de ce spectre, le frugivorisme non spécialisé, qui caractérise les grands singes, compte clairement parmi les quasi-herbivores5.

    Par ailleurs, l’omnivorisme, l’herbivorisme et le carnivorisme ne sont pas des états aussi définitifs que, disons, celui d’avoir le sang froid ou chaud. Lorsque les circonstances l’exigent au cours de leur évolution respective, certains animaux renouvellent leurs habitudes alimentaires au point de changer de catégorie. Le panda géant en est l’exemple le plus extrême. Sa physiologie lui vaut une classification taxonomique de carnivore, mais il se comporte en parfait herbivore avec son monorégime de bambou, cela depuis une transition alimentaire qui se serait opérée il y a près de 4,2 millions d’années6. À l’inverse, d’autres omnivores étaient autrefois des herbivores qui, à la longue, se sont ajustés à la consommation régulière d’aliments carnés.

    Ainsi, selon leurs antécédents évolutionnaires respectifs, certaines espèces omnivores possèdent un système digestif mieux adapté aux plantes ou à la chair. L’alimentation originale de l’être humain, en l’occurrence, ne fait pas l’objet de désaccords: notre lignée ancestrale était fortement herbivore au cours des 30 derniers millions d’années.

    Les vestiges de l’herbivorisme

    Notre système digestif ressemble suffisamment à celui des autres primates pour laisser croire que l’espèce humaine entrerait elle aussi dans la catégorie des frugivores non spécialisés7.

    Que nos intestins ne soient pas spécialisés est un grand avantage. Cela permet d’ingérer à la fois des aliments les plus digestes et indigestes, et donc de revoir son menu en fonction d’un changement d’environnement. Pendant des dizaines de millions d’années, cette flexibilité avantageait nos lointains ancêtres, qui se nourrissaient surtout de fruits, de noix et de feuilles, ainsi que d’une petite portion occasionnelle d’insectes, de grenouilles, d’oiseaux ou de souris8.

    En grande partie végétal, ce régime ancestral a jeté les fondements du système digestif des humains modernes. Formé de longs intestins et d’un petit estomac, il ressemble beaucoup à celui des singes actuels, qui sont tout à fait capables de digérer des petites quantités de viande. Les carnivores possèdent quant à eux un tube considérablement plus court et un estomac plus grand, ce qui accélère le transit9. Même la flore intestinale humaine s’apparente encore à celle des chimpanzés quelque 7 millions d’années après la divergence des deux espèces10.

    La transition vers la chasse et la consommation de viande s’est tout de même accompagnée de certains changements. Une modification génétique nous a notamment conféré la capacité à mieux métaboliser les matières grasses et le cholestérol que les autres primates. Un gorille qui suivrait le régime d’un amateur de viande dans un pays industrialisé verrait son espérance de vie d’environ 50 ans diminuée de moitié11.

    La disposition des deux parties de notre tube digestif constitue un autre trait distinctif. Le gros intestin des chimpanzés, des gorilles et des orangs-outans fait deux à trois fois la taille du petit intestin, tandis que l’humain présente le rapport inverse. La prédominance du petit intestin indique que nos ancêtres ont pris l’habitude de consommer des aliments riches en nutriments et en calories — dont la viande —, qui étaient plus faciles à digérer que les plantes fibreuses.

    Dans l’ensemble toutefois, notre passé évolutionnaire commun avec les autres primates fait en sorte que les ressemblances l’emportent. De l’anatomie digestive au transit intestinal en passant par les besoins nutritifs, ce que l’on sait sur nos cousins vient appuyer une recommandation maintes fois répétée: il faut manger des fruits et des légumes en plus grande quantité et variété12.

    Dans le grand ordre des choses, l’ajout de la viande au régime de nos ancêtres est un jalon évolutionnaire assez récent. Avant ce point de bascule, ceux-ci ont subsisté grâce aux végétaux pendant des millions d’années. Cela se reflète aujourd’hui dans les traits de l’anatomie humaine. Les carnivores ont des griffes, des dents acérées, refroidissent leur corps en haletant et produisent leur propre vitamine C; les herbivores ont des mains ou des sabots, des dents plates pour broyer, transpirent pour réguler leur température corporelle et obtiennent leur vitamine C à partir de leur alimentation13.

    Or, comme le cas du panda géant l’illustre, rien n’oblige l’anatomie et le comportement à concorder parfaitement. Les vestiges anatomiques de notre herbivorisme ne font pas le poids contre l’écrasante et évidente suprématie de notre espèce. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous sommes des omnivores plus que fonctionnels. Nous détenons la capacité à digérer des quantités appréciables de viande.

    La question de la nécessité, cependant, reste ouverte. Puisque nos lointains parents nous ont légué un système digestif mieux adapté aux végétaux, un régime avec peu ou pas de produits animaux n’est peut-être pas aussi farfelu que l’on pourrait croire.

    Diversifier pour survivre

    Outre les grands singes, un autre groupe fait l’objet d’études destinées à mieux comprendre notre passé. Afin de récolter des indices sur la vie nomade de nos ancêtres, les anthropologues s’intéressent aujourd’hui aux rares tribus qui chassent et cueillent encore pour se nourrir. 

    On se sert depuis longtemps de ces chasseurs-cueilleurs modernes comme une référence en la matière. Bien entendu, ils usent de techniques plus perfectionnées que les anciens humains. Ils sont aussi de plus en plus reconnus comme des populations contemporaines à part entière, écologiquement et culturellement distinctes les unes des autres. Toujours est-il que l’étude de telles tribus nous offre un aperçu unique sur les moyens de subsistance en milieu sauvage sans le moindre apport de l’agriculture14.

    À quoi ressemble leur mode de vie? Leur alimentation se révèle moins riche en calories et plus généreuse en fibres, en vitamines et en minéraux que celle des pays industrialisés. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle n’est pas faible en glucides. Ces groupes font également beaucoup d’activité physique, pouvant parcourir entre 8 et 16 kilomètres par jour. Ils conservent donc une excellente forme cardio-respiratoire, même à un âge avancé. Ce qui fascine plus que tout chez les chasseurs-cueilleurs contemporains, c’est la rareté des maladies chroniques si courantes en Occident, par exemple les troubles cardiaques, le diabète, l’hypertension et le cancer. C’est pour cette raison qu’ils sont en quelque sorte devenus des modèles de santé publique15.

    Il faut considérer la possibilité qu’un avantage génétique leur confère une protection spéciale, mais les groupes qui s’installent en milieux urbains et adoptent le mode de vie occidental ne tardent pas à afficher la même prévalence élevée d’obésité et de maladies chroniques16.

    Ces constats ont mené à une théorie. Notre alimentation se serait trop radicalement transformée en considérant que l’être humain d’aujourd’hui partage sensiblement la même constitution que ses ancêtres du Paléolithique*. Nos gènes actuels ne se seraient pas encore ajustés aux denrées agricoles et encore moins à la malbouffe industrielle. Bref, la civilisation aurait devancé l’évolution17.

    C’est là que le fameux «régime paléolithique» entre en jeu. Ce dernier consiste à suivre une alimentation fidèle à celle des chasseurs-cueilleurs. Il est recommandé de manger beaucoup de viande, de poisson et d’œufs, ainsi que des légumes, des fruits frais et des noix. Toutefois, tout ce qui date des temps postpaléolithiques est à proscrire, y compris les céréales, les légumineuses, les produits laitiers, les sucres raffinés et les aliments transformés18.

    Est-ce que le régime paléolithique propose une interprétation représentative de la manière dont nos ancêtres s’alimentaient? On se doute bien que celui-ci se bute à certaines incohérences, la plus évidente étant le contraste irréfutable entre un milieu sauvage et la vie urbaine. Dans le premier cas, il faut chasser pendant des heures pour pouvoir procurer de la viande à sa famille. Dans l’autre, on passe à la boucherie ou on commande un steak au restaurant. En outre, la viande issue d’un animal en liberté risque de se différencier de celle d’une bête abattue dans des condi-tions domestiquées et, surtout, industrielles. Les chasseurs-cueilleurs ne s’en tiennent pas non plus à la chair; ils se régalent de tous les morceaux comestibles, incluant les organes, la moelle osseuse et parfois même le tube digestif19.

    Les paléontologues et les anthropologues confirment que l’affaire est loin d’être aussi simple que les promoteurs du régime paléolithique le prétendent. Nous savons que l’alimentation des tribus nomades encore actives varie beaucoup d’un endroit à l’autre. Un régime unique pour englober l’ensemble des habitats dans lesquels ces populations vivent aujourd’hui — sans même parler de tous ceux de nos ancêtres — est trop simpliste20.

    Les proportions d’aliments carnés et végétaux fluctuent en fonction des climats et des saisons. Plusieurs tribus contemporaines rigoureusement étudiées se nourrissent en grande partie de végétaux, soit de 50 à 80% de leur régime21. Nombre de ces populations qu’on érige comme des modèles de santé publique, dont les Hadza et les Chimanes en Afrique, obtiennent jusqu’à 80% de leurs calories sous forme de glucides, beaucoup plus que ce que les adeptes du régime paléolithique prescrivent. La majorité de ces glucides proviennent de légumes peu ou pas transformés22.

    Il est de coutume pour les chasseurs-cueilleurs de consommer une partie de ces glucides sous forme de miel, l’un des aliments ayant la plus grande densité énergétique qu’on puisse trouver dans la nature et très convoités par les peuples nomades qui habitent des régions favorables aux abeilles. Chez les Hadza en Tanzanie, tous les membres de la tribu participent à la collecte et en mangent une quantité substantielle, à hauteur de 15% de leur apport calorique. Lorsqu’on leur demande de classer en ordre de préférence les cinq catégories principales qui composent leur alimentation, le liquide doré arrive systématiquement au premier rang, surclassant même la viande23.

    Si prisée soit-elle, la chair n’occupe pas la place prépondérante qu’on imagine. Un Hadza qui part en quête de gros gibier revient les mains vides 97% du temps, et ce, bien qu’il tire avantage d’outils qui n’étaient pas à la disposition de générations lointaines, comme des arcs aux flèches empoisonnées. Ce sont en réalité les cueilleurs — les femmes, les enfants et les aînés — qui assurent la subsistance de base de leur famille immédiate en récoltant des fruits, des baies et des légumes racines. En fait, si le chasseur Hadza se mettait lui aussi à la cueillette, il procurerait davantage de calories à sa cellule familiale24.

    Les Inuits et d’autres groupes vivant en régions arctiques font exception à la règle. En raison du climat froid et donc peu propice à la végétation, ils se nourrissent quasi exclusivement de phoques, de baleines, de narvals, de poissons et de caribous, les proportions variant d’une saison à l’autre.

    La supposée bonne santé des Inuits est parfois avancée pour faire valoir les bienfaits d’une alimentation centrée sur la viande. Or, cette hypothèse repose sur des données scientifiques fragiles, notamment des statistiques de mortalité discutables. L’ensemble des preuves pointent plutôt vers l’affirmation contraire: les Inuits présentent une mortalité cardiovasculaire élevée25. La rudesse des conditions arctiques a aussi exercé une pression sélective au fil des générations, de sorte que des adaptations génétiques et physiologiques aident ces peuples à mieux tolérer ce type de régime aujourd’hui26.

    Ce qu’il faut en retenir, c’est que nous sommes des créa­­tures tenaces et opportunistes depuis que nos ancêtres ont diversifié leur alimentation pour survivre. Même assujettis au plus inhospitalier des climats, ils ont réussi à trouver de quoi subsister pour se reproduire. Nul doute que la souplesse de l’omnivorisme a contribué à l’ascension de notre espèce et continue d’assurer l’autosuffisance des chasseurs-cueilleurs contemporains en milieu sauvage. Mais cela suffit-il pour conclure à une nécessité pour les citoyens des pays industrialisés de consommer des aliments d’origine animale aujourd’hui?

    La tentation de répondre par l’affirmative se fonde sur la notion que notre consommation de produits animaux serait tout à fait naturelle. L’argument de la naturalité est toutefois compliqué par le fait que l’humanité habite désormais des milieux qu’elle a façonnés pour se mettre à l’abri des forces de la nature, améliorer sa qualité de vie et optimiser son confort.

    Mais avant de s’interroger sur le caractère particulier de notre présent, mettons d’abord en contexte notre omnivorisme en explorant comment nos ancêtres ont délaissé l’herbivorisme en premier lieu.


    * Période entre l’apparition des premiers outils en pierre il y a 3,3 millions d’années et la fin de la dernière période glaciaire il y a environ 13𧄀 ans.

    CHAPITRE 2

    L’ÉVOLUTION VERS UN MENU VARIÉ

    En 1859, Charles Darwin a publié L’Origine des espèces. À l’époque, on expliquait les origines de la vie par la création soudaine et divine de tous les êtres sur Terre. Sans renier l’existence de Dieu, Darwin cherchait à intégrer les principes de la science au cadre religieux qui prédominait. Il a proposé que la vie — après être apparue au gré d’un créateur divin — a évolué selon les lois naturelles de la mutation, de la variation et de la sélection. Si sa théorie a été perçue comme un affront à la religion, elle a aussi suscité de l’hostilité au sein de la communauté scientifique1.

    L’hypothèse darwinienne a résisté à l’épreuve du temps. Elle est encore aujourd’hui la pierre angulaire de notre compréhension de l’évolution des espèces animales2. Lorsque des scientifiques comme le Britannique Thomas Henry Huxley ont appliqué ce modèle à l’humain, des liens de parenté avec d’autres primates ont été considérés pour la première fois. La succession de découvertes fossiles a confirmé qu’Homo sapiens provient d’une longue lignée évolutionnaire. Ainsi est née la paléoanthropologie, une discipline qui combine paléontologie (l’étude des fossiles d’êtres vivants) et anthropologie (l’étude de l’être humain).

    Les paléoanthropologues étudient les fossiles, les fragments d’os, les empreintes et les artéfacts, et sont donc bien positionnés pour fournir une rétrospection des plus précises sur l’alimentation. Auparavant, ils devaient se contenter d’établir par inférence les régimes du passé en comparant des crânes et des dents à ceux des animaux contemporains. Depuis le début des années 1980, les microscopiques traces d’usure sur l’émail dentaire offrent des indices plus concrets. Une décennie plus tard, l’analyse de tissus squelettiques est venue fournir un aperçu supplémentaire, donnant la possibilité aux chercheurs de retracer l’activité photosynthétique à l’origine du carbone alimentaire. Ces diverses avenues ont permis à la paléoanthropologie de déterminer avec confiance les tendances alimentaires de nos ancêtres3.

    Grâce aux technologies modernes à leur disposition, les paléoanthropologues parviennent aussi à examiner la structure de l’ADN des fossiles et à découvrir des liens de parenté avec l’être humain d’aujourd’hui. Ces analyses génétiques donnent encore raison à Darwin: l’arbre généalogique de l’espèce humaine est parsemé de branches qui s’entrecroisent et recèle encore de nombreux mystères à élucider4.

    L’ensemble des données indique que le succès du genre Homo reposait sur la même caractéristique que les chasseurs-cueilleurs contemporains, c’est-à-dire la flexibilité alimentaire dans des environnements imprévisibles. Le consensus scientifique est que la viande figurait systématiquement au menu au cours des deux derniers millions d’années. Bon nombre d’experts de la paléoanthropologie sont d’avis qu’elle a joué un rôle crucial dans le phénomène de l’hominisation, le processus évolutif qui a progressivement transformé les anciens primates en humains modernes5.

    L’avantage principal de la chair réside dans le fait qu’elle fournit plus d’énergie que les plantes. La grande densité énergétique de la viande aurait permis à Homo erectus de tirer profit d’un surplus calorique stimulant l’augmentation de son volume cérébral et pavant la voie à l’essor de l’intelligence humaine telle qu’on la connaît6.

    Est-ce que la chair est la seule responsable? Historique­ment, la plupart des théories la plaçaient au centre de la saga de l’évolution humaine. L’anthropologue australien Raymond Dart — qui a découvert l’un des premiers fossiles d’ancêtres humains en Afrique en 1924 — a popularisé l’idée des hommes préhistoriques qui chassaient les bêtes dans la savane africaine. Dans les années 1950, il les décrivait comme des créatures carnivores assoiffées de sang7.

    On brosse désormais un portrait beaucoup plus nuancé de notre passé et du rôle évolutionnaire que la viande y a joué. Les nouvelles découvertes fossiles, les avancées technologiques et le perfectionnement des méthodes font état d’une histoire complexe et multifactorielle. Sans pour autant remettre en question la contribution clé de la viande dans le régime de nos ancêtres, l’ensemble des preuves portent à croire qu’elle n’est pas à l’origine d’un changement majeur au fil de l’hominisation8.

    De charognards à chasseurs

    Les paléoanthropologues utilisent le terme «hominine» pour désigner l’humain moderne ainsi que toutes les espèces éteintes qui nous étaient apparentées à partir de la divergence génétique avec les chimpanzés.

    L’histoire des

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