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Des HOMMES ET DES PLANTES: La petite histoire des médecines nutritionnelles
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Des HOMMES ET DES PLANTES: La petite histoire des médecines nutritionnelles
Livre électronique341 pages4 heures

Des HOMMES ET DES PLANTES: La petite histoire des médecines nutritionnelles

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À propos de ce livre électronique

Cette troisième édition de l’histoire de la médecine nutritionnelle intègre
les plus récentes tendances et ses nouveaux horizons. À une époque
où les ouvrages sur la nutrition se multiplient, il est utile d’avoir une
perspective historique sur la médecine occidentale d’Hippocrate qui revient
en force aujourd’hui. Une vue d’ensemble sur cet art de guérison qui devint
progressivement une science permet de mettre en relief les travaux de tous
ces médecins qui ont soulagé et soigné d’abord par l’alimentation.
Les femmes et les hommes d’autrefois ne connaissaient pas les vitamines
et autres composants chimiques des aliments. Pourtant leur observation de
l’effet des aliments sur la santé les guidèrent souvent vers des traitements
qui soulagèrent ou guérirent les malades de ces sociétés préscientifiques.
Après un survol de la médecine nutritionnelle des Grecs à aujourd’hui, un
florilège de plusieurs fruits, légumes, condiments et vitamines situe l’origine
historique de leur usage médical. L’ail, la pomme, le laurier mais aussi le
chardon-marie, le lycopène, la rose et le resvératrol sont ici considérés selon
leurs aspects thérapeutiques reconnus par les traditions populaire et savante.
Une analyse du régime alimentaire méditerranéen et la présentation des
nouvelles disciplines que sont les «nutrathérapies» et les «nutraceutiques»
complètent cette troisième édition de l’histoire de notre médecine nutritionnelle
occidentale.
LangueFrançais
Date de sortie17 févr. 2017
ISBN9782897262686
Des HOMMES ET DES PLANTES: La petite histoire des médecines nutritionnelles
Auteur

Claude Gagnon

Claude Gagnon pratique l’aikibudo et le kobudo sous la direction de Me Raymond Damblant depuis plusieurs années. Il a publié des articles sur l’esprit du Budo et ses racines historiques. Son ouvrage sur l’histoire de la médecine nutritionnelle -Des Hommes et des plantes- vient de connaître une 3e édition.

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    Aperçu du livre

    Des HOMMES ET DES PLANTES - Claude Gagnon

    Du même auteur :

    Enquêtes au Proche-Occident, Longueuil, Le Préambule, 1983.

    L’Alchimie dans l’Europe naissante, Longueuil, Les Presses Philosophiques, 2007.

    Nouvelles Enquêtes au Proche-Occident, Longueuil, Les Presses Philosophiques, 2008.

    Préface

    J’ai rencontré Claude Gagnon lors d’un séminaire sur l’Histoire de l’âme en Occident, séminaire qu’il anime depuis 2008 au monastère des Dominicains. Il n’en fallait pas davantage pour que le personnage me soit sympathique et que j’accepte avec enthousiasme de lire son manuscrit sur la médecine nutritionnelle. Docteur en philosophie de l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal et diplômé en histoire des sciences de l’École pratique des Hautes Études de Paris, Claude Gagnon a participé à de nombreuses publications sur l’histoire de la médecine et ses aspects culturels fondamentaux. Il s’intéresse personnellement à la médecine nutritionnelle depuis 2005, a écrit dans le Canadian Journal of History of Science, Technology and Medicine et a participé au collectif sur l’Histoire de la médecine européenne de l’Université de Victoria. Flexivégétarien depuis 20 ans et féru d’arts martiaux, il pratique et enseigne l’aikibudo et le kobudo sous la direction d e maître Raymond Damblant depuis une vingtaine d’années.

    L’auteur nous offre ici un livre extrêmement bien documenté qui allie le plaisir de la découverte, pour le dilettante, à celui de la consultation ou de la référence spécifique pour l’intervenant du milieu de la santé. À une époque où foisonnent les multiples avis diététiques, thérapeutiques et ésotériques, il est rassurant de discuter santé par le simple biais de la nourriture, celle, néanmoins, la plus judicieusement adaptée à notre condition d’être vivant. Car ainsi que l’adage le rappelle : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es… »

    Il est faux de prétendre que les médecins occidentaux ne soignent que par le biais de la pharmacopée industrielle et sont insensibles à l’importance de la nutrition. Très souvent, dans leurs cabinets, ils font l’apologie d’une alimentation saine avec ou sans suppléments nutritionnels, jumelée à la pratique d’une activité physique régulière. Mais le rythme fou de nos sociétés tertiaires a éloigné l’individu de la terre et des bienfaits fondamentaux d’une alimentation vivante et diversifiée. On « zappe » et court entre le micro-onde et les repas préparés surgelés, les « boosters » énergétiques et les orgies du « trop manger » pour combler le vide du « mal manger ». Les conséquences sur la santé globale des populations sont dévastatrices : il y a épidémie diabétique et dyslipidémique, d’obésité morbide, de troubles de l’humeur et troubles du sommeil, pour ne nommer que quelques-unes. On ne peut non plus passer sous silence les ramifications tentaculaires de cette immense industrie alimentaire qui tire des profits fabuleux d’une nourriture souvent toxique, de produits de piètre qualité, ou saturés d’additifs dont on commence à peine à mesurer l’ampleur des effets de leur consommation répétée sur la santé individuelle et collective. Ainsi donc, nul ne pourrait mettre en doute le bien-fondé d’un ouvrage qui met l’accent sur les aspects salvateurs d’une alimentation choisie, saine et variée.

    Cet ouvrage vous propose un menu alléchant : après une mise en bouche historique des fondements de la médecine depuis l’Antiquité à l’ère moderne, l’auteur nous transporte vers les coutumes et techniques de conservation alimentaire qui ont influencé les goûts et les modes culinaires à travers les siècles. Ce chapitre, truffé d’anecdotes savoureuses, saura vous divertir. En entremets : notion d’alchimie alimentaire, cette fascinante capacité d’un corps à produire plus d’un élément qu’il n’en absorbe. En plat de résistance : une émulsion des essentielles découvertes vitaminiques jointes aux propriétés antioxydantes d’aliments et de certains condiments. Pour dessert : la description physiologique de certaines hormones et quelques brèves descriptions d’entités pathologiques. In fine, Claude Gagnon poussera l’élégance à nous parler des propriétés de la lumière et de la rose… Alors, vraiment, n’êtes-vous pas déjà conquis ? Bref, voici un ouvrage délicieux et intelligent qui comblera tous les appétits : les plus voraces le liront d’un trait, les plus timides ou les plus hédonistes, le savoureront lentement. Chose certaine, il ne laissera personne sur sa faim…

    Alors, messieurs dames, la table est mise ! Je vous souhaite bon appétit.

    Nathalie de Grandpré, M.D

    Avant-propos

    La raison d’une « petite histoire »

    Depuis la première édition de mon essai, le paysage de la santé nutritionnelle, et plus précisément la médication par la supplémentation, a sensiblement évolué.

    Certaines « vieilles questions » comme celle de l’efficacité réelle de la vitamine C sur le rhume commun ont été réglées. Les méta-analyses de 2007 et de 2009 confirmaient et précisaient la découverte de Linus Pauling, malgré des décennies de scepticisme et de dénégations. De nouveaux suppléments s’ajoutent aux antioxydants et interviennent, telle la coenzyme10, sur les mitochondries de la cellule. Aussi, on redécouvre l’importance primordiale des intestins dans l’assimilation des aliments et par voie de conséquence, les probiotiques envahissent non seulement les pharmacies mais tout autant l’industrie des produits laitiers. La santé, en quelques années, est devenue une valeur vécue par une population grandissante ; le niveau de survie étant assuré, l’individu se préoccupe alors de sa longévité et de sa qualité de vie. La médecine nutritionnelle renaissante lui offre le meilleur et le pire pour assurer et prolonger cette longévité.

    J’ai ajouté des sections correspondant à ces nouvelles voies offertes, ainsi qu’à des thèmes dans l’horizon de la nutrition. À cet égard, il convenait d’intégrer le régime alimentaire méditerranéen pour ses multiples vertus. J’ai aussi mis à jour les sections que j’avais faites, en intégrant les références et autres observations reçues des lecteurs. J’ignorais tout alors de la cure médiévale de Rudoph Breuss, l’ancêtre des jus de légumes, et j’ai appris comme tout le monde le degré d’intoxication inacceptable de certains produits de l’alimentation industrielle comme les poissons d’élevage. Il fallait aussi parler des nouvelles recettes « nutraceutiques » – comme celle du biochimiste Richard Béliveau – qui veulent être des alternatives aux « pharmaceutiques » traditionnelles.

    Sans vouloir faire de politique, j’ai constaté, encore une fois comme tout le monde, le danger d’une alimentation animale industrielle offerte sur le marché par la CAFO (Confined Animals Food Operation), critiquée sévèrement par la FDA (Food and Drug Administration), elle-même pas toujours fiable. Le drame de l’aspartame et de sa légalisation plus que critiquable explique l’intrusion de ce substitut de sucre qui fut un véritable poison dans notre alimentation récente. J’ai ajouté une annexe résumant les conditions plus que douteuses dans lesquelles s’est faite la libéralisation de l’aspartame par la FDA¹.

    J’ai également mis en annexe un texte qui concerne la philosophie des sciences, appliquée à l’histoire des doctrines médicales. Les doctrines médicales encadrent et enferment, comme des bouteilles de verre, nos choix thérapeutiques. Le philosophe Wittgenstein propose de comparer notre situation psychologique à celle d’une mouche prisonnière d’une bouteille. Il explique ainsi qu’il est fort difficile de se départir de ses préjugés et de pouvoir sortir de la bouteille de nos croyances. J’ai pensé que cette difficulté pouvait intéresser certains lecteurs. Car notre santé dépend de ce que nous en pensons puisque nous mangeons selon nos choix d’alimentation. Et nous faisons toujours ces choix selon nos connaissances et nos croyances².

    Comme dans presque tous les domaines de la vie et des professions, la présence des femmes dans l’histoire de la médecine nutritionnelle constitue un problème de recherche en soi. Si Catherine Kousmine est bien connue, beaucoup d’autres femmes devraient figurer dans une histoire de cette médecine. Mais dans ce domaine comme dans tant d’autres, les femmes n’avaient ni reconnaissance sociale ni académique de leurs contributions. Il va sans dire que les femmes ne pouvaient pas exercer la profession de médecin dans l’Antiquité, le Moyen Âge ou la période moderne jusqu’à tout récemment, à la fin du XIXe siècle. Ravalées au rang de sorcières et de magiciennes, les sages-femmes et apothicaires ont dû exercer leur art de guérison en secret, dans l’interdit et sans aucune tradition de transmission reconnue par leurs sociétés respectives. Madame Charlotte Thiroux d’Arconville, en plein XVIIIe siècle des Lumières, fut l’une des plus grandes chimistes de son époque ; mais elle dut publier ses recherches sur la putréfaction sous l’anonymat. C’est pourtant elle la première qui expliqua la putréfaction par l’effet combiné de l’eau et de l’air. Malgré cela, elle ne figure dans aucune histoire de la chimie ! Et qui connaît les travaux de la diététiste Lucie Randoin sur les « mutations » chimiques dans la technique du séchage des fruits ?  

    « On enseigne ce qu’on veut mieux comprendre », dit-on. Je n’ai pas fait autre chose en révisant cette troisième édition. J’ai évité les doctrines de panacées prétendant tout guérir avec un seul aliment ; et je n’ai pas considéré les différentes solutions miracles diététiques qui échappent à la vérification, comme les fleurs d’Edward Bach dont le choix thérapeutique est fondé sur sa seule intuition.

    Le problème nutritionnel de notre monde moderne n’est plus celui des temps anciens ; il ne s’agit plus de survivre mais bien de vivre le plus longtemps possible, mais sans perte de qualité de vie. La nutrition – et ses vertus apaisantes et curatives – remet en pleine actualité le principe d’Hippocrate identifiant le médicament à l’aliment. L’histoire de cette synonymie jusqu’à nos jours est un filon de connaissances et de pratiques peu connues. À défaut d’une grande Histoire, j’ai essayé de reconstituer, tant bien que mal dans une petite Histoire, un filon traversant les différentes époques de notre médecine et de nos habitudes alimentaires.

    Claude Gagnon Juillet 2016


    1 Voir l’annexe 5 ci-dessous.

    2 Voir l’annexe 6 ci-dessous.

    Introduction

    La civilisation occidentale est tributaire, dans ses mœurs, de plusieurs cultures antiques, telles la juive et la grecque, qui tantôt se composent et tantôt s’opposent. Et il y a des racines plus profondes encore, qui sont communes à plusieurs cultures de l’Antiquité. Par exemple, le calendrier et l’astrologie d’origine chaldéenne orientent beaucoup de rites et de médecines depuis les temps anciens. Dans cet axe des origines, de multiples influences occultes ou inconnues marquent encore notre alimentation dite moderne.

    Avec le décalage des siècles et des millénaires, notre conduite souvent s’embrouille de références magiques ou insensées. Nous croyons encore, par exemple, qu’il nous faut manger certaines substances comme la mélasse pour satisfaire nos besoins en fer et devenir plus forts, mais nous ne croyons plus pour autant aux vertus aphrodisiaques du cuivre. Pourtant, on a longtemps cru que Vénus était présente dans le persil, par l’intermédiaire du cuivre, comme Mars dans les épinards. Quoi qu’il en soit, le persil contient autant de fer que de cuivre (respectivement 0,016 et 0,015 parties par milliards) ; nous pouvons donc déguster nos taboulés en toute quiétude ; nous ne croyons ni à Mars ni à Vénus et, de toute manière, nous ne consommons pas ou peu d’épinards amers et de mélasse verte ; tout cela est trop amer !

    Les astres dans le ciel comme les métaux dans nos assiettes influencent pourtant nos humeurs. Nous oscillons sans le savoir entre le déterminisme astrologique et le déterminisme alimentaire. Les journaux reproduisent fidèlement cette oscillation : après la météo et l’horoscope, on peut lire une chronique culinaire contenant des prescriptions sur les tendances actuelles dans l’alimentation. Le seul aspect évident, hélas, de cette conduite culturelle généralisée est son incohérence : nous vagabondons d’un type d’alimentation à un autre, mangeant « chinois » un soir, déjeunant à l’anglaise et lunchant à l’européenne. Nous migrons compulsivement d’un type alimentaire à un autre, en croyant bien fermement que ce donjuanisme gastronomique n’aura aucun impact sur notre organisme et encore moins sur nos humeurs ou notre façon de penser. Nous ne croyons plus, contrairement à la rémanence encore présente dans plusieurs cultures de l’Orient, que l’on est littéralement et substantiellement ce que l’on mange !

    Pourtant, dans le Larousse gastronomique³, encyclopédie classique et vivante de notre alimentation occidentale, les philosophes réunis par Courtine rapportent l’essentiel de l’histoire de cette alimentation et de sa frange imaginaire. Selon un docteur suédois, la viande de bœuf donne de l’audace alors que la viande de mouton rend mélancolique et la viande de porc, pessimiste. Pour avoir de l’esprit, les œufs sont souverains et pour conserver la mémoire, rien ne vaut la moutarde. Si vous voulez vraiment développer votre esprit, mangez des noix, des amandes et des figues sèches, mais méfiez-vous des pommes de terre qui alourdissent, etc. Voilà notre problème formulé ici. Il consiste moins à manger n’importe quoi qu’à manger de tout sans croire à rien alors que l’alimentation traditionnelle, orientale comme occidentale, s’articulait autour des vertus et des aliments.

    Le docteur Catherine Kousmine, l’une des autorités en médecine nutritionnelle moderne, résumait ainsi la situation de l’Occident au XXe siècle :

    Après bien d’autres auteurs, j’ai rappelé dans cet ouvrage la désastreuse évolution que le genre humain a subie du fait de la modification des mœurs nutritionnelles sous l’influence des techniques modernes. Le seul but poursuivi par les industries alimentaires est, semble-t-il, de présenter au public de grandes quantités de denrées, qui se gardent et se vendent bien. Certains de ces aliments se conservent longtemps même à l’air, sans protection, car ils n’attirent plus les prédateurs comme le font les produits naturels. Des substances indispensables à la vie ayant été détruites, insectes et autres destructeurs ne sont plus attirés par eux, car ces êtres savent d’instinct que de tels nutriments ne leur sont pas favorables. L’usage exagéré qu’a fait, depuis plus de cent ans, l’homme de cette nourriture dénaturée a provoqué chez lui l’apparition de maladies dégénératives, dont actuellement, sous des formes et à des degrés divers, tous sont atteints ⁴.

    La célèbre femme médecin n’a cessé de préciser dans le détail la dégénérescence nutritionnelle de l’alimentation moderne : « Les aliments qu’il avale ont déjà été tués trois fois : par l’agriculture anti-biologique, par le raffinage industriel et par les chaînes de conservation hypo ou hyperthermique. De tels aliments saturés de conservateurs et d’antioxydants, vidés de leurs diastases (enzymes), de leurs vitamines et de leurs oligo-éléments, ne sont plus capables de régénérer les énergies vitales de l’être humain »⁵.

    La vision de Catherine Kousmine a fait l’objet de multiples travaux scientifiques et a donné naissance à plusieurs associations⁶. Elle est assurément la première autorité médicale à avoir déploré ouvertement – et à plusieurs reprises – la perte de l’agriculture biologique au cours du XIXe siècle. En effet, la crise de l’agriculture moderne est désormais bien connue et se résume à une transformation chimique des engrais naturels, au milieu du XIXe siècle, en ajoutant de l’acide sulfurique aux matières premières. Malgré la résistance de quelques-uns, les engrais de plus en plus chimiques envahissent irréversiblement les terres de toute l’Europe. Comme le résume Jean Boulaine : « L’adjonction d’acide sulfurique aux matières premières, os et minerais divers, est pratiquée dès 1817 et devient commune à partir de 1840 (Liebig). Seuls Jean-Baptiste Dumas et Jean-Baptiste Boussingault s’obstineront à prôner la pulvérisation, en se moquant des industriels. À partir de 1880, l’emploi puis l’industrie des superphosphates se répandent rapidement et la France récupère son retard, ce qui ne sera vraiment effectué qu’après la Première Guerre mondiale »⁷.

    Ce diagnostic dramatique, prononcé par la célèbre femme médecin, se confirme encore davantage aujourd’hui. Les procédés fallacieux des industriels de l’alimentation se sont multipliés et diversifiés, et la santé de tous est plus que jamais compromise. Car cette mauvaise alimentation offerte par les marchands a engendré non seulement des maladies de dégénérescence, mais aussi d’autres problèmes dits « nutritionnels », dont l’obésité morbide qui a atteint un stade épidémique dans le monde.

    Or l’obésité ne serait pas réductible à un simple gavage alimentaire à répétition. Dans un article incontournable, Pierre Aimez a jeté les bases, il y a quelques années, d’une « psychopathologie de l’alimentation quotidienne » ⁸. Cet essai est troublant et l’on mesure les conséquences mais aussi les causes psychologiques de la malnutrition qui viennent s’ajouter aux causes matérielles du marché alimentaire dénoncées par Kousmine.

    Pierre Aimez propose d’expliquer la gloutonnerie caractéristique de l’homme moderne par plusieurs causes d’ordre psychologique et notamment par une confusion entre le désir propre à l’appétit et le besoin alimentaire réel. La sensation conséquente du gavage est généralement perçue comme un bien-être et la mise en appétit est interprétée comme une souffrance. Besoin de se nourrir et désir de grignoter sont confondus ; le désir propre à l’appétit prend la forme d’une anxiété, alors qu’aucun désir de plaisir, par définition, ne devrait être ressenti comme une douleur !

    Aux poisons de l’alimentation industrielle s’ajoute donc une déviation toute psychologique qui ne cesse de rechercher un « orgasme alimentaire » à jamais insatisfait. Seule une révolution dans notre façon de vivre notre fonction nutritive peut guérir de telles maladies. C’est en ce sens que la connaissance de la médecine nutritionnelle, de son histoire et de ses bienfaits indéniables, peut aider à accomplir cette révolution dans notre façon de nous nourrir. Les différentes diètes et les différents régimes proposés sont inutiles et sans aucun résultat si la conscience n’est pas attentive à l’enjeu en cause.

    Cet enjeu promet et garantit, nous le savons désormais, une longévité de la vie mais aussi une qualité de vie, de même qu’un maintien de l’activité nécessaire au vécu de cette qualité. Longévité, qualité et activité sont trois horizons inclusifs de guérison à la portée de tout organisme humain qui donne une priorité dans ses valeurs à sa façon de se nourrir. L’antique paradigme d’Hippocrate est plus actuel que jamais : il faut que nos aliments soient nos médicaments, que nos médicaments soient nos aliments pour que notre vie s’améliore !

    L’histoire de la médecine nutritionnelle est méconnue. Avec l’invasion de la chirurgie dans l’acte médical depuis trois siècles et celle de la chimie dans la pharmacie depuis le Suisse Paracelse, la médecine nutritionnelle, qui remonte pourtant à l’Antiquité, a été grandement marginalisée. On a progressivement oublié qu’il est possible de guérir par l’alimentation.

    L’essai qui suit vise à redécouvrir les bienfaits du régime alimentaire considéré comme médicament. Providentiellement, toute une tradition médicale suisse puis européenne préserva les acquis de la médecine nutritionnelle et la développa. Plusieurs théories médicales nutritionnelles apparurent dans l’Occident moderne. L’académie médicale actuelle, depuis longtemps privée de la pratique des prescriptions alimentaires, est bien mal placée pour évaluer et juger cet art de guérir. Il ne s’agit pas de compiler et de comparer les bienfaits des innombrables diètes offertes dans notre monde contemporain : plusieurs ouvrages de synthèse existent déjà. Il s’agit plutôt de questionner sérieusement les fondements et les résultats de la médecine nutritionnelle en essayant de respecter le contexte historique ainsi que la validité des principes de celle-ci.

    La médecine fut d’abord un art dans la préhistoire, mais elle acquit dans la majorité des civilisations un statut scientifique sous forme d’une tradition de recettes qui résistèrent au temps, car elles avaient prouvé leur efficacité. La santé est une valeur primordiale pour chaque individu et les différentes communautés d’individus réservèrent bien logiquement un statut social privilégié à celui qui pouvait les guérir ou les soulager. La tradition médicale était transmise et protégée autant sinon davantage que les traditions des autres sciences.

    Les recettes de guérison par les plantes et fruits que nous mangeons quotidiennement reposaient presque toujours sur des mythes expliquant les vertus du monde végétal. L’Antiquité ne connaît évidemment pas les fondements nutritionnels des organismes ; les vitamines ne seront découvertes qu’au début du XXe siècle. Il ne faut pas s’étonner que plusieurs vertus curatives attribuées aux aliments aient eu un halo magique. Il faut donc prendre en compte cette mythologie pour interroger les diètes de l’Antiquité et du Moyen Âge. Il est fascinant de voir qu’ignorant tout des explications de notre biologie moderne, les Anciens aient pu soigner par les plantes en invoquant des raisons ou des causes qui nous paraissent sans fondements mais qui étaient néanmoins opérantes !

    La médecine est une science et, comme telle, elle propose de multiples modèles explicatifs. Ces modèles, comme les recettes empiriques, sont discutables. On a soigné pendant plus de deux mille ans les nombreuses manifestations de la dépression mélancolique en se référant à une humeur, la bile noire qui, contrairement au sang ou à la bile jaune, n’existait tout simplement pas ⁹ ! Le regard médical se situe toujours à l’intérieur d’une grille de classification. Et comme les vertus magiques des plantes, ces grilles de classification et d’explication doivent également être interrogées.

    À l’image des autres chapitres de l’histoire humaine, la médecine scientifique s’est développée sans progrès linéaire et continu, avec des stagnations, des hypothèses savantes et dangereuses, des échecs et des reculs, avec des découvertes irréversibles et autant de catastrophes pour d’innombrables patients. Les médecines les plus fantaisistes fleurirent et eurent leur part de tradition malgré le fondement fort discutable de leurs principes. Pour évaluer et juger de la recevabilité des différents modèles médicaux, le modèle de « falsifiabilité » proposé par le philosophe Karl Popper est facilement applicable à toute théorie scientifique qu’elle soit de nature médicale ou non ¹⁰. Selon le philosophe Popper, une théorie donnant lieu aux « mêmes résultats » en dépit des changements apportés aux conditions d’expérience ne doit pas être considérée comme vraie, car les résultats doivent précisément pouvoir varier et être observés selon différentes variables. À titre d’exemple, la théorie de la polarité formulée par le docteur Randolph Stone en 1945 ne peut être validée, car on ne peut en falsifier les résultats : le fluide supposé qui traverse le corps n’est observable d’aucune façon objective. Par contre, la théorie du rôle significatif que jouent certains nutriments tels que les vitamines et minéraux dans le processus de guérison a été validée avec le recul du scorbut et du béribéri.

    Les chapitres qui suivent explorent une antique médecine semi-mythique qui semble être désormais corroborée par les plus récents acquis de la biologie. On n’explique pas autrement l’engouement croissant pour les suppléments nutritionnels de toute sorte. Dans ce foisonnement de produits, de régimes alimentaires amaigrissants et de suppléments pour la longévité, une place spéciale sera réservée à la théorie néguentropique du physicien français Louis Kervran ¹¹. En effet, sa théorie « alchimique » de la nutrition, dont la validité et la falsifiabilité sont toujours en discussion, pourrait permettre d’expliquer comment les différents nutriments sont fondamentalement reliés à la survie de notre organisme et à notre combat contre son vieillissement. Si jamais la théorie alchimique de Kervran devenait suffisamment vérifiable, nous pourrions comprendre davantage le rôle insoupçonné des aliments dans la qualité de notre santé et dans la guérison des différentes maladies de dégénérescence qui grugent littéralement la durée de notre vie.

    L’antique médecine nutritionnelle brille à nouveau à l’horizon de notre fin de vie. Une « finale » allongée, harmonisée avec une meilleure qualité de vie et le maintien d’une certaine activité pour chacun de nous est aujourd’hui pensable et, déjà, en partie réalisable.


    3 R. J. Courtine et coll., Larousse gastronomique, Paris, Librairie Larousse, 1960.

    4 Catherine Kousmine, Soyez bien dans votre assiette jusqu’à 80 ans et plus, Paris, Tchou, 1980, p. 283.

    5 Site http://www.latabledesintolerants.com/p/interview-du-docteur-kousmine.html. Entrevue publiée en juillet 2011.

    6 Site  http://www.solvida.org/les-associations/index.html

    7 Site http://afes.fr/afes/egs/EGS_13_2_boulaine.pdf

    8 Pierre Aimez, « Psychopathologie de la vie quotidienne », in Communications, n° 31 (1999), pp. 93-105.

    9 Galien, De la bile noire, Paris, Gallimard, 1998. La bile noire, autrement appelée « humeur mélancolique », constitua, durant des siècles, l’essence du diagnostic médical pour expliquer une vaste gamme de comportements : apathie, indolence, perte d’appétit, langueur, etc. Il faut noter

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