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Les plus grandes entreprises: Celles qui changèrent le monde
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Livre électronique323 pages7 heures

Les plus grandes entreprises: Celles qui changèrent le monde

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À propos de ce livre électronique

Nestlé, Ford, Siemens, Peugeot, Boeing, Dell, Honeywell… Qui connaît la vie d’Henry Ford, celle de William E. Boeing ou les inventions de Werner von Siemens ? Qui sait quelles furent les réalisations de ces grands ingénieurs qui devinrent de grands industriels ? Ceux qui, par leur créativité, leur travail et leur obstination ont vraiment changé le monde.

Plus profondément, peut-être, que tant de noms plus célèbres de l’Histoire, dont les accomplissements politiques, littéraires, artistiques, certes prodigieux, n’ont pas autant affecté la vie de tous les hommes ? Et si on nous répète, à longueur de journée, dans les médias, que l’économie domine le monde – pour le meilleur et pour le pire –, qui connaît les grandes entreprises qui dominent l’économie ?
Pour être un citoyen du monde, un « honnête homme » du IIIe millénaire, il faut connaître Beethoven et Shakespeare, certes, mais aussi Caterpillar et Toyota. Il faut avoir quelques idées sur Baudelaire et sur Picasso, bien sûr, mais aussi sur ArcelorMittal et Volkswagen. On trouvera, dans ce livre, la biographie des fondateurs des 50 plus grandes entreprises industrielles multinationales, ainsi qu’un résumé de l’histoire des formidables développements de leur empire. Sans érudition pesante, mais avec le souci d’aller à l’essentiel, voici l’histoire de la grande industrie chimique, de l’automobile, du pétrole, de l’avion, du téléphone, de l’ordinateur… Un regard original sur le monde de la science, de la technique et de l’industrie.

Un regard passionnant sur 50 grandes aventures humaines.

A PROPOS DE L'AUTEUR:

Jean C. Baudet est philosophe, historien des systèmes de pensée et écrivain. Il est l’auteur de très nombreux articles en revues ou journaux et d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels les neuf volumes d’une Histoire générale des sciences et des techniques, unique en langue française.

EXTRAIT :

1802 : DUPONT

L’histoire du monde industrialisé commence à l’extrême fin du XVIIIe siècle, quand l’Angleterre travaille, et améliore ses méthodes de production, et innove dans tous les domaines de la transformation de la matière brute en objets utiles, et quand la France est soumise aux abjections des foules hurlantes, aux discours fanatiques de dangereux réformateurs illuminés, et à la terreur des époques de bouleversements sociaux. L’Angleterre achève sa Révolution industrielle en voyant ses productions décupler et le spectre des famines s’éloigner, quand la France achève sa Révolution politique avec des slogans, des crimes et la fuite de son aristocratie.
Certes, il fallait abolir l’Ancien Régime – ce que l’Angleterre avait fait depuis longtemps, en limitant la puissance de ses rois, certes il fallait pour cela couper quelques têtes, mais fallait-il en
couper tant ? Fallait-il, le 8 mai 1794, couper celle d’Antoine- Laurent de Lavoisier, un des plus grands hommes que la France a connu, celui qui fonda la chimie moderne ?
LangueFrançais
Date de sortie2 mars 2015
ISBN9782390090502
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    Aperçu du livre

    Les plus grandes entreprises - Jean C. Baudet

    Baudet

    CELEBRATION DE LA CONSOMMATION EN GUISE DE PREFACE

    Ce matin, en entrant dans ma salle de bain, j’appuie sur un bouton, et la lumière fut. Je pousse (avec le pouce) un deuxième bouton, et j’entends les premières mesures du concerto pour clarinette de Wolfgang Amadeus Mozart. Je tourne légèrement la vanne du radiateur, et la température de ma salle d’eau monte légèrement, jusqu’à la douceur désirée. Pas encore tout à fait réveillé, je tourne encore deux robinets, l’un qui me donne de l’eau froide en abondance, l’autre qui fait jaillir de l’eau chaude à volonté.

    Sous l’action revigorante des jets d’eau, mon corps se réveille et mon esprit reprend son activité de conscience et de réflexion, interrompue par une nuit de sommeil. J’analyse ces merveilles. Une faible pression du pouce ou de l’index, et c’est le plaisir de la musique, la magie de la lumière immédiate et joyeuse. Un geste simple de la main droite, et je régule la température du local, je dispose d’eau froide et d’eau chaude.

    Je vais arrêter ici l’évocation du début de ma journée, car ce livre n’est pas – rassurez-vous ! – une autobiographie. C’est bien mieux que ça, vous allez voir. Mais je dois commencer par me dire – et par vous dire – que, vraiment, la vie n’est peut-être pas si méprisable. Certes, tout en prenant plaisir à m’asperger d’eau tiède en écoutant Mozart, je n’oublie pas mes douleurs articulaires, je n’ignore pas que j’ai un point douloureux, dans le haut de la poitrine, qui me fait tousser, et je m’inquiète de savoir si mon prochain livre va paraître. Je me remémore certains instants de ma vie, et j’ai quelques souvenirs pénibles. Mais l’eau est à la température idéale, et Mozart sera toujours Mozart. Et la vie vaut peut-être la peine d’être vécue, avec l’eau courante, la lumière électrique et la radio.

    Comment, alors, lancer des cris haineux contre la « société de consommation » ? Comment est-il possible que des hommes – des « esprits » dans des corps – puissent avoir cette idée de dénigrer, de condamner même cette société de consommation, qui d’ailleurs n’a rien de nouveau, car si le Moyen Age ne connaissait ni l’électrotechnique, ni les ondes hertziennes, les seigneurs et les serfs de cette triste époque ne se privaient cependant pas, quand c’était possible, de consommer, ne serait-ce que du pain de seigle et des oignons. Car enfin, en connaissez-vous, des sociétés qui ne consommeraient rien ? Nos ancêtres de Cro-Magnon, et même nos ancêtres préhistoriques encore plus anciens, consommaient déjà, et produisaient déjà des déjections polluantes. Bien sûr, il peut paraître inutile de « consommer » la musique de Mozart, et j’aurais pu prendre ma douche sans radio. Mais alors, au fond, pourquoi prendre une douche ? N’est-ce pas humain (trop humain ?) de vouloir vivre, et de vouloir vivre agréablement ?

    Dans ce livre, je m’oppose à tous ces hommes et ces femmes qui se rassemblent en cortèges pour crier contre ceux qui produisent. J’évoquerai, au contraire, ceux qui ont produit, qui ont inventé, qui ont fait des plans et réalisé leurs idées novatrices, qui ont donné à l’Humanité l’eau courante et l’eau chaude à volonté, l’enregistrement des musiques et leur radiodiffusion, le chauffage central, et encore quelques autres biens de… consommation.

    J’évoquerai ces frères humains à qui nous devons ces merveilles dont, ingrats, nous ne nous émerveillons même plus, ces commodités dont, oublieux, nous ne nous souvenons pas qu’elles ont été inventées par des hommes et des femmes qui nous ressemblent.

    Certes, tout le monde ne jouit pas également de ces bienfaits de la technique, de la technologie et de l’industrie. Mais réfléchissez bien. Est-ce de la faute des industriels, des ingénieurs et des chercheurs s’il manque du riz au Bengladesh, s’il y a des SDF en France, s’il n’y a pas de manioc et de maïs pour tous dans certains pays africains ? Ceux qui produisent ne sont pas ceux qui distribuent et répartissent. Certes, il y a des malheureux dans le monde de l’électronique et de la biologie moléculaire et des matériaux plastiques. Mais à qui la faute ? A ceux qui produisent des marchandises (biens ou services) ou à ceux qui ne participent pas à l’effort de production ?

    Car, vous avez quand même dû le remarquer, ceux qui crient le plus férocement contre la société de consommation, ceux qui dénoncent avec la plus vive ardeur le bien-être de certaines populations et qui mettent en évidence la misère qui règne dans certains pays (nombreux, hélas), ceux qui vouent aux gémonies le capitalisme « impitoyable » et le « règne de l’argent », ceux qui en ajoutent en vociférant contre l’industrie qui pollue, que demandent-ils, en fait ? Ils demandent des allocations de chômage plus élevées, ils demandent des pensions de retraite plus substantielles, ils demandent de plus hauts salaires pour les « bas-salaires », ils demandent plus d’assistance financière aux pays sous-développés, bref, ils demandent de l’argent, toujours plus d’argent, pour permettre à plus de gens de consommer davantage !

    Inconséquence d’une certaine nature humaine ! Des courants de pensée envahissants s’attaquent aujourd’hui à la consommation, et à ceux – les industriels, les capitalistes – qui rendent cette consommation possible. Sans craindre la contradiction, ils condamnent les usines qui polluent, en oubliant que cette pollution « industrielle » est en fait due à la demande de produits par les populations. Quand une usine de jouets ou de sachets de café pollue, c’est parce qu’il y a des gens qui achètent des jouets et d’autres – ou les mêmes – qui achètent du café en sachets.

    Bref, je vais vous parler des producteurs et des progressistes, les vrais, ceux qui ne parlent pas du progrès, mais qui y apportent leur contribution.

    Je suis ainsi en opposition avec une certaine pensée dominante (qui aimerait bien devenir la pensée unique) qui dénigre les industriels, qui n’aime pas le travail des ingénieurs, mais dont on ne voit pas ce qu’elle mettrait à la place des usines. Revenir à la production artisanale, avec sept milliards d’hommes et de femmes ? C’est alors que la pollution exploserait ! Il est en effet bien connu que, pour un niveau de production donné, le système industriel, rationalisé, est nettement moins consommateur d’énergie et de matériaux, et beaucoup moins générateur de déchets que le système artisanal.

    Ce qui ne signifie pas que l’industrie actuelle est parfaite, loin de là. Elle peut encore améliorer ses procédés, et d’ailleurs elle s’y emploie, c’est pour chaque entreprise industrielle une question de survie économique.

    Je ne chante pas sans réserves la gloire des ingénieurs et des industriels ! Ce sont des humains qui se trompent parfois, qui ont des aspirations personnelles pouvant s’opposer au bien commun, qui succombent même, à l’occasion, à toutes sortes de tentations maléfiques. Bien entendu. Mais le bilan de leur activité, depuis la Révolution industrielle anglaise du XVIIIe siècle, me paraît tout de même, et largement, positif. C’est parce qu’il y eut des James Watt (le pionnier de la machine à vapeur), des Armand Peugeot, des Werner von Siemens, des Henri Nestlé, des Henry Ford, des William Boeing, et bien d’autres, que j’ai eu de la lumière, de l’eau courante et de la musique, dans ma salle de bain, ce matin. C’est aux industriels qui ont industrialisé le monde que je le dois.

    Cela vaut bien un livre, sans doute.

    CELEBRATION DE L’ENTREPRISE EN MANIÈRE D’INTRODUCTION

    J’ai donc décidé, après ma douche et un agréable petit déjeuner, de faire un livre. Consacré aux plus grandes entreprises industrielles de tous les temps, c’est-à-dire des XIXe et XXe siècles, puisque l’industrialisation date de l’extrême fin du XVIIIe siècle, résultat de la Révolution industrielle qui a changé du tout au tout le visage de l’Angleterre d’abord, puis des pays qui vont adopter, les uns après les autres, les méthodes anglaises industrielles de production : France, Belgique, Allemagne, Suède, Etats-Unis, et puis les autres, plus ou moins tardivement.

    Qu’est-ce que l’industrialisation ? Ce n’est rien d’autre que la production (de n’importe quoi, de n’importe quel bien ou service) rationnelle, c’est-à-dire organisée selon les indications de la raison, de la réflexion. L’industrialisation, c’est la production après avoir réfléchi.

    Il est curieux que cela ne soit arrivé qu’au XVIIIe siècle, alors que la raison avait été découverte déjà, par Thalès de Milet, à la fin du VIIe siècle avant notre ère. En réalité, il y eut déjà des débuts d’application de la raison à la production, chez les fabricants de poteries du quartier du Céramique dans l’Athènes classique, par exemple, ou, sous Louis XIV, avec les efforts de Colbert pour développer la production en France.

    Mais si les hommes ont compris que l’utilisation de la raison, de l’intelligence, pouvait faire progresser la géométrie (Pythagore de Samos), l’histoire (Hérodote), la médecine (Hippocrate, puis Galien), si même ils arrivèrent à théoriser l’utilisation de la raison en inventant la logique (Aristote) et en allant jusqu’à proposer le rationalisme comme théorie philosophique générale (Descartes, Kant, Hegel…), les hommes appliquèrent peu la raison aux productions matérielles, sans doute parce que les hommes instruits cultivaient un certain mépris pour le secteur productif. Au Moyen Age, il n’était pas question qu’un seigneur travaille, les métiers manuels étaient réservés aux serfs et aux manants. C’est toute une même mentalité qui sous-tend des sociétés pourtant aussi différentes que la Grèce de Périclès, la France de Philippe Auguste, celle de Louis XIV, et encore de Louis XV et de Louis XVI. Le gentilhomme ne veut pas s’abaisser aux activités industrieuses, et le bourgeois ambitieux veut devenir gentilhomme, c’est-à-dire ne plus devoir travailler.

    Je ne vais pas approfondir cette réflexion historique pour chercher les causes de la Révolution industrielle. Pourquoi au XVIIIe siècle ? Pourquoi en Angleterre ? Pourquoi se propagera-t-elle vite en Allemagne, et lentement en Espagne et au Portugal ?

    Le fait est là, dans toute sa puissance de fait historique définitif. C’est en Angleterre, en quelques décennies, que l’on invente la machine à vapeur, que l’on met au point la métallurgie au coke (remplaçant le traditionnel et coûteux charbon de bois), que l’on construit des mécaniques plus ingénieuses les unes que les autres qui révolutionnent le filage, le tissage, toute l’activité textile, que l’on imagine et réalise le chronomètre portable, les chambres de plomb pour produire le vitriol en grandes quantités, le microscope achromatique, le ciment hydraulique, le chemin de fer, le bateau à vapeur, et bien d’autres dispositifs ingénieux et utiles.

    Toutes ces innovations, que l’on n’appelle pas encore « technologiques », sont le fruit de la réflexion, de l’intelligence, de l’esprit pourrait dire Hegel. C’est en réfléchissant à la façon dont la chaleur du charbon se transforme en mouvement du piston que James Watt améliore de façon spectaculaire la machine à vapeur, c’est en réfléchissant au fait qu’un navire a besoin de mouvement que William Symington invente le bateau à vapeur, c’est en réfléchissant aux gestes de l’ouvrier-tisserand que John Kay met au point la navette volante.

    Et la réflexion va conduire à quelques conclusions. D’abord, que la machine peut faire ce que l’homme ne peut pas faire : machinisme. Ensuite, que pour obtenir de plus grands bénéfices, il faut vendre plus, et donc produire plus : production de masse. Enfin, qu’il faut effectuer le travail en évitant les gaspillages de toutes sortes : organisation.

    Ceux qui, dans quelque domaine que ce soit, qu’il s’agisse de produire de la poudre à canon ou des outils en acier, parviendront à tirer parti de ces trois principes, ceux qui utiliseront des machines, qui produiront de grandes quantités et qui organiseront méthodiquement le travail, réussiront.

    C’est loin d’être facile. Ceux qui réussiront seront peu nombreux. Mais quels résultats spectaculaires !

    J’ai choisi de résumer l’histoire de cinquante entreprises qui me paraissent bien illustrer ce rapport entre la rationalité et l’industrialisation. Ce sont, d’abord, les entreprises les plus importantes du monde actuel, d’après le chiffre d’affaires. A peu près toutes ont un chiffre d’affaires qui dépasse 30 milliards de dollars par an. J’ai écarté les entreprises de service telles que les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de transport, car j’ai voulu me concentrer sur l’innovation technologique.

    Je me suis intéressé plus au départ qu’à l’arrivée, c’est-à-dire que l’on examinera surtout les origines de ces sociétés tellement immenses que, d’ailleurs, l’étude de leur situation actuelle demanderait des centaines de pages. Ce n’est pas en quelques phrases que l’on résume ce que fait, aujourd’hui, une firme comme Shell, dont le chiffre d’affaires est de l’ordre de 300 milliards de dollars, et qui occupe, dans le monde, quelque cent mille personnes !

    J’examinerai ces 50 entreprises dans l’ordre de leur apparition, pas toujours sous leur nom actuel. C’est donc un abrégé d’histoire des entreprises industrielles que je propose, mais j’ai voulu que chaque compagnie soit étudiée séparément, indépendamment des autres. Le lecteur pourra ainsi, s’il le désire, consulter uniquement les histoires des sociétés qui l’intéressent. Chaque chapitre, concernant une seule entreprise, est autonome.

    J’ai tenté d’élaborer une histoire plus complète de l’industrie au cours des XIXe et XXe siècles dans mon livre : De la machine au système – Histoire des techniques depuis 1800, Vuibert, Paris, paru en 2004.

    Il me faut vigoureusement insister sur le fait que mon travail est incomplet, que je n’ai pas tout dit ! Comment en serait-il autrement ? J’ai choisi, pour chaque entreprise étudiée, quelques faits qui me paraissent importants de son histoire. Il y a de l’arbitraire dans ces choix, mais j’ai essayé de mettre en évidence ce qui me paraît essentiel : le lien entre le dynamisme industriel des entrepreneurs et les possibilités d’activité nouvelle offertes par les progrès scientifiques. Car si l’industrie est fille de la raison, c’est en se mettant à l’écoute de la science qu’elle a produit ses accomplissements les plus extraordinaires.

    On pourra prendre le présent ouvrage comme une suite de notices sur ces compagnies qui font une grande partie de notre existence quotidienne : Shell, Nestlé, Sony, Microsoft et 46 autres, que l’on appelle parfois les « multinationales ». On pourra le voir comme une étude des conséquences socio-économiques du rationalisme. Mais c’est aussi un hommage soutenu aux ingénieurs et aux industriels qui ont façonné un monde qui n’est certes par le « meilleur des mondes », mais qui est tout de même nettement plus agréable que le monde de Louis XIV, de Philippe Auguste, ou que celui de Jules César.

    1802 : DUPONT

    L’histoire du monde industrialisé commence à l’extrême fin du XVIIIe siècle, quand l’Angleterre travaille, et améliore ses méthodes de production, et innove dans tous les domaines de la transformation de la matière brute en objets utiles, et quand la France est soumise aux abjections des foules hurlantes, aux discours fanatiques de dangereux réformateurs illuminés, et à la terreur des époques de bouleversements sociaux. L’Angleterre achève sa Révolution industrielle en voyant ses productions décupler et le spectre des famines s’éloigner, quand la France achève sa Révolution politique avec des slogans, des crimes et la fuite de son aristocratie.

    Certes, il fallait abolir l’Ancien Régime – ce que l’Angleterre avait fait depuis longtemps, en limitant la puissance de ses rois, certes il fallait pour cela couper quelques têtes, mais fallait-il en couper tant ? Fallait-il, le 8 mai 1794, couper celle d’Antoine-Laurent de Lavoisier, un des plus grands hommes que la France a connu, celui qui fonda la chimie moderne ?

    Il importe de bien se figurer qu’à cette époque, il y a à peine un peu plus de deux siècles, le monde était fort différent du nôtre, et que le monde « civilisé », au sens le plus exigeant du terme, c’était l’Angleterre, c’était la France, et c’était quelques principautés d’Europe de moindre importance, comme les principautés d’Allemagne ou d’Italie. Une république commençait, faiblement, à se faire connaître dans ce petit monde de la civilisation : les Etats-Unis d’Amérique du Nord. En dehors de cet Occident, il y avait une première zone, très vaste et fort peuplée, de pays qui avaient parfois un glorieux passé, comme la Chine ou l’Inde, ou qui sortaient à peine du Moyen Age, comme la Russie, mais qui étaient assez loin derrière le niveau de vie et la puissance économique et militaire des deux Grands (France et Angleterre), et puis il y avait une seconde zone, très hétérogène, formée de vastes régions d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, où les populations étaient encore dans un état de développement qui n’atteignait même pas celui du Moyen Age européen. Ces vastes régions étaient ignorées des Anglais et des Français, où étaient soumises à leur juridiction. On y trouvait des peuplades vivant encore avec les mythes et les pratiques de l’Age de la Pierre.

    C’est donc en 1799 que notre histoire commence. Il y a déjà de grandes entreprises en Angleterre, évidemment, et la France possède de nombreuses et parfois prestigieuses manufactures. Mais aucune de ces entreprises d’il y a deux cents ans n’a perduré jusqu’aujourd’hui. Sauf une, qui à vrai dire ne va exister que dans trois ans (en 1802), dont voici l’histoire fortement simplifiée.

    En 1799, un jeune aristocrate français, né à Paris en 1771, arrive à Rhode Island, en Amérique. Il a fui la France où la chasse aux aristocrates n’est pas encore terminée, et il espère une vie meilleure dans l’ancienne colonie anglaise. Il s’appelle Eleuthère Irénée du Pont de Nemours. Il arrive en Amérique avec son père Pierre. Eleuthère n’est pas un gentilhomme oisif. Il a notamment collaboré avec Lavoisier à la Régie des Poudres et Salpêtres, dont le chimiste était un des régisseurs. Il sait donc comment fabriquer de la poudre noire, la poudre à canon, et il constate rapidement que la poudre que l’on trouve en Amérique est de qualité médiocre. Le 21 avril 1801, Eleuthère et son père fondent une petite entreprise, à New York, pour la production et le commerce de poudre à canon. Premiers essais puis, le 25 août 1802, le fils fonde la société E.I. du Pont de Nemours à Wilmington, dans le Delaware, toujours pour la production de poudre. C’est le début de la société Du Pont (on écrit souvent DuPont) qui occupe aujourd’hui 60 000 personnes, et qui a apporté au monde quelques-uns des plus extraordinaires matériaux de synthèse.

    Le 3 novembre 1803, Eleuthère est naturalisé américain. Plus question de revenir en France. Il y a de quoi s’occuper en Amérique !

    Eleuthère Irénée du Pont de Nemours meurt en 1834, à Philadelphie, d’un arrêt cardiaque, mais sa compagnie lui survit. Les fournitures de poudre à l’Armée et à la Marine des Etats-Unis sont régulières, et l’entreprise se développe tout au long du XIXe siècle, restant dans les mains des descendants du fondateur, diversifiant ses productions. On se doute que la guerre de Sécession fut l’occasion de bonnes ventes.

    En 1914, l’entreprise est devenue une des grandes entreprises américaines, dirigée maintenant par Pierre Samuel du Pont de Nemours. A cette époque, une entreprise du secteur automobile en pleine expansion, la General Motors, dont nous parlerons plus loin, connaît des difficultés financières, et Pierre Samuel décide d’investir dans l’entreprise pour la sortir de ses difficultés. En 1915, il entre dans le conseil d’administration de l’entreprise automobile. Il en deviendra d’ailleurs président.

    Le rapprochement entre la société chimique et l’entreprise de construction automobile n’est pas que financier. Les ingénieurs des deux compagnies se rencontrent, et des projets communs naissent, les deux sociétés prospèrent, en basant de plus en plus leur développement sur la recherche technique.

    Je ne vais pas signaler tous les événements qui ponctuèrent la vie de la compagnie Du Pont, mais je signale qu’en 1928 elle engage un chimiste, Wallace H. Carothers, né en 1896 à Burlington.

    Un chimiste allemand, Hermann Staudinger, venait, en 1926, de montrer que certaines substances pouvaient, dans certaines conditions expérimentales, produire des molécules géantes, qu’il a proposé d’appeler des « macromolécules ». Une macromolécule résulte de la « polymérisation » ou réunion d’un grand nombre de petites molécules, ou « monomères ». Les macromolécules sont aussi appelées polymères. On trouve des polymères dans la nature : caoutchouc, cellulose, protéines. Mais l’on peut aussi produire des polymères « synthétiques » en laboratoire, et c’est ce qui intéressait la firme Du Pont. Elle pensait, à juste titre, que l’on pourrait, par polymérisation, obtenir des substances toutes nouvelles, avec des propriétés intéressantes pouvant peut-être conduire à des produits que l’on pourrait commercialiser. Et Carothers, justement, était un spécialiste des polymérisations.

    En 1930, General Motors et Du Pont fondent une joint-venture, c’est-à-dire une entreprise avec des fonds venant des deux compagnies, la Kinetic Chemical Company. Rien à voir avec les macromolécules. Les chimistes de Du Pont avaient découvert que certains dérivés chlorés ou fluorés des hydrocarbures offraient d’excellentes caractéristiques pour servir de liquides réfrigérants. Ils n’étaient pas toxiques et présentaient les propriétés thermodynamiques idéales pour la réfrigération, où l’on utilisait par exemple de l’ammoniac, très toxique. Sous le nom commercial de Freon, Du Pont envisageait de vendre ces nouveaux produits aux fabricants d’installations frigorifiques, notamment à la Frigidaire Corporation, fondée en 1919. Si les commerciaux parlaient de Freon, les chimistes appelaient ces produits miracles des chloro-fluoro-carbures (en français) ou chloro-fluoro-carbons (en anglais), ou encore CFC. On ignorait totalement, ce que l’on sait maintenant, que ces CFC libérés dans l’atmosphère attaquent la couche d’ozone qui protège la Terre des rayons ultraviolets du Soleil.

    Jusqu’à cette découverte dans la seconde moitié du XXe siècle, la production de CFC se révélera très rentable. Les CFC étaient utilisés dans l’industrie du froid, mais servaient aussi de gaz propulseur pour les aérosols.

    En 1930, soit deux ans à peine après son entrée dans les laboratoires de recherches de Du Pont, Carothers découvre une macromolécule intéressante, qu’il obtient par polymérisation du chloroprène. Le chloroprène est un liquide incolore, très volatil, dont la molécule contient quatre atomes de carbone, cinq atomes d’hydrogène et un atome de chlore. La polymérisation donne du polychloroprène. C’est une substance très semblable au caoutchouc, mais nettement plus

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