L' ARGENT DE L'ETAT : POURQUOI ET COMMENT: Tome 2 : la dépense
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À propos de ce livre électronique
Le paradoxe des finances publiques, c’est la contradiction naturelle entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, que l’État a pour fonction de réconcilier. De là proviennent la demande sans cesse plus grande de services (jamais assez) et la réticence à contribuer davantage (toujours trop). Cela mène à pratiquer l’art du compromis et à prendre des décisions comme celles de l’équilibriste sur son fil de fer : chacune d’elles peut être fatale à la survie politique d’un gouvernement ou d’une administration.
Comment décide-t-on des finances publiques ? Après avoir traité du revenu dans un premier tome, l’auteur s’attaque maintenant, dans ce deuxième tome, aux dépenses publiques et à leurs conséquences. Il trace les grandes lignes du processus budgétaire en établissant une distinction claire entre les cheminements politique et administratif. Il dépeint le portrait de l’ensemble des dépenses des gouvernements et des administrations ainsi que leurs retombées budgétaires, financières et économiques. Il expose enfin le principe de reddition de compte et esquisse ce que devrait être l’éthique sous-jacente à la gestion des finances publiques. Conscient de la problématique des finances publi-ques actuelles, il cherche à mettre l’accent sur les décisions qu’il est possible de prendre.
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Aperçu du livre
L' ARGENT DE L'ETAT - Pierre-P. Tremblay
Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : 418 657-4399 Télécopieur : 418 657-2096 Courriel : puq@puq.ca Internet : www.puq.ca
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Tremblay, Pierre P., 1946-
L'argent de l'État : pourquoi et comment
Comprend des réf. bibliogr.Sommaire : t. 2. La dépense.
ISBN 978-2-7605-4411-6 (v. 2)
1. Finances publiques - Québec (Province). 2. Revenus de l'État - Québec (Province). 3. Politique fiscale - Québec (Province). 4. Finances publiques - Canada. 5. Revenus de l'État - Canada. 6. Politique fiscale - Canada. I. Titre. II. Titre : La dépense.
HJ795.Q8T73 2012 336.714 C2012-941610-X
Conception graphique Richard Hodgson
Image de couverture iStock
Mise en pages Interscript
Conversion au format EPUB Samiha Hazgui
Dépôt légal : 1er trimestre 2016
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
©2016 – Presses de l’Université du Québec Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 • Le processus budgétaire
L’étape d’élaboration de la politique budgétaire
L’état de la situation
Les consultations prébudgétaires
La négociation et la rédaction de la politique budgétaire
Les décisions sur les revenus et les dépenses
Les décisions sur les revenus
Les décisions sur les dépenses
La rédaction du discours du budget et du plan budgétaire
La confection des enveloppes budgétaires
La revue de programmes
La préparation des crédits budgétaires
Les crédits budgétaires et les livres des crédits
Le budget principal, le budget provisoire et le budget supplémentaire
L’étape d’autorisation
L’étape de la mise en œuvre
L’étape de la reddition des comptes
Chapitre 2 • Les dépenses publiques
Le concept de dépense
Le périmètre comptable : les dépenses consolidées
La finalité des dépenses publiques
Les déterminants des dépenses de l’État
Les diverses classifications des dépenses publiques
La classification par paliers de gouvernement et d’administration
La classification par grandes missions
La classification par catégories et supercatégories
Les nomenclatures budgétaires
Le budget objet
Le budget de productivité
Le budget à base zéro
Le PPBS
Les dépenses fiscales
Le coût des dépenses fiscales
La pertinence et l’efficacité des dépenses fiscales
Chapitre 3 • Le déséquilibre, le déficit, la dette et la décote
Une définition générale de la dette
La dette et les finances publiques
Le déséquilibre
Le déficit
La dette
Les principaux concepts de dette
La dette brute
La dette nette
La dette représentant les déficits cumulés
La dette du secteur public
Le rôle des concepts de dette
La cote de crédit
La structure de la dette
Les facteurs
Le terme et l’échéance de l’emprunt
Le taux d’intérêt
Le créancier
La devise monétaire
L’instrument financier
L’enjeu politique de la dette publique
Les 4D en conclusion
Chapitre 4 • Le contrôle et la vérification
Le contrôle et la vérification : pourquoi ?
Le contrôle et la vérification : quoi et comment ?
Le contrôle : nature et forme
La vérification : une forme particulière de contrôle
Le contrôle et la vérification : qui ?
Le contrôle et la vérification internes
Le contrôle et la vérification externes
La commission d’enquête
Quel bilan pour les systèmes de contrôle et de vérification ?
Chapitre 5 • L’éthique de l’État budgétaire
Le problème budgétaire : réalité et perception
L’État, le marché et la richesse
Le citoyen, le contribuable et l’État
La pression fiscale ou le poids des contributions à l’État
Le devoir citoyen et le devoir de l’État budgétaire
Les indispensables appartenance et solidarité
L’éthique de l’État budgétaire
Le legs d’Adam Smith
Un financement basé sur l’éthique
Annexe 1
Extraits du Rapport du Comité d’étude sur la comptabilité du gouvernement
Les grandes réformes comptables du gouvernement du Québec
La réforme de 1970 : le concept de la Dette nette
La réforme de 1977 : les régimes de retraite
La réforme de 1986 : la consolidation des entreprises commerciales
Évolution des normes comptables pour le secteur public et leur application
Annexe 2
Extraits du document de soutien à la production du rapport annuel de gestion 2011-2012
Quelques conseils de rédaction
Garder à l’esprit l’objectif du rapport annuel de gestion
Simplifier la présentation de l’organisation en éliminant les renseignements non essentiels à la compréhension des résultats
Mettre en évidence l’information pertinente
Privilégier un langage facilement compréhensible
Privilégier un langage inclusif lorsque c’est possible
Privilégier les tableaux et les graphiques
Dépôt à l’assemblée nationale
Diffusion
Annexe 3
Extraits du manuel du Fonds monétaire international sur la transparence des finances publiques
Code de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques (2007)
Définition claire des attributions et des responsabilités
Processus budgétaires ouverts
Accès du public à l’information
Garantie d’intégrité
Lexique
Bibliographie
Introduction
Ce deuxième tome est consacré à la dépense publique. Il se veut la suite logique et la contrepartie du premier qui traitait du revenu. Il arrive dans ce contexte particulier où, un peu partout en Occident, les dépenses de l’État sont dans le collimateur des gouvernements et des organismes qui les observent. Depuis la fin des trente glorieuses avec la remise en question du keynésianisme et de l’interventionnisme de l’État à la faveur du paradigme néolibéral¹ est apparue la problématique de la gestion, voire de la réduction des dépenses de l’État et des programmes qu’elles financent. La crise financière et économique de 2007-2008 a propulsé à l’avant-scène le thème de l’austérité, et ce, même si de manière générale, les dépenses publiques des économies avancées continuent d’augmenter d’année en année et de budget en budget.
En écrivant ces lignes, nous pensons au peuple grec qui a rejeté, par référendum et de façon massive, le dernier plan d’aide proposé par les créanciers du pays, soit la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. Il a de ce fait provoqué une crise sociale, politique et économique qui affecte l’État grec et l’ensemble de l’Union européenne. Ce plan de sauvetage, dit d’austérité ou d’« aide en échange de réformes », était d’après les créanciers un moyen d’éviter à la Grèce d’entrer en défaut de paiement de sa dette. Le programme proposé fait suite à plusieurs plans de même nature qui, depuis 2009, visaient à régulariser la situation financière du pays². Ces plans se sont notamment traduits par des réductions radicales des dépenses publiques, d’importantes hausses de taxes à la consommation, des gels de salaires dans la fonction publique, l’augmentation de l’âge de la retraite et la diminution des avantages liés à la retraite. La situation du pays demeure et demeurera critique à maints égards : le PIB a décliné de 25 % depuis 2008, le taux de chômage y avoisine les 28 % et la dette représente 177 % du PIB³.
Plus près de nous, au Québec, le gouvernement libéral élu en 2014 a décidé, peu après son arrivée au pouvoir, de procéder à un redressement des finances publiques afin de rétablir l’équilibre budgétaire, évoquant que le maintien du statu quo limiterait « notre liberté de choix⁴ » en matière de finances publiques. Pour y parvenir, le gouvernement du Québec s’est engagé à réduire le déficit en le faisant passer de 3,1 milliards de dollars (2013-2014) à 2,350 milliards de dollars (2014-2015), puis à l’éliminer au cours de l’exercice 2015-2016. La politique de rigueur, selon le vocabulaire choisi par le premier ministre, s’est depuis traduite par un gel d’embauche dans la fonction publique, une hausse de taxe sur les produits d’alcool et de tabac, la réduction de la croissance des dépenses à 1,8 % (comparativement à 3,6 % au cours de l’année précédente), une hausse de tarif dans les garderies, des coupes en éducation ainsi qu’une réforme de la gouvernance régionale qui supprime certaines structures toujours jugées pertinentes par les intervenants du milieu⁵. Face aux orientations gouvernementales, un mouvement de contestation, chapeauté par la Confédération des syndicats nationaux (CSN) dans le collectif Refusons l’austérité, s’est donné pour objectif de sensibiliser la population aux effets de la politique gouvernementale et de tout mettre en œuvre pour tenter de la contrer. Au cours des dix dernières années, notons que le Québec a connu un taux de croissance annuel de son économie (PIB) d’environ 1,5 %, un taux de chômage se situant entre 7 et 8 % et une dette (brute) représentant près de 55 % de son PIB.
Voilà donc deux États, deux situations apparentées, mais sensiblement différentes et peu de mots pour qualifier le remède à administrer. Pour les uns, généralement situés à droite du spectre politique, la rigueur est la solution aux maux qui affligent les économies et la voie à privilégier pour entre autres contenir (à défaut de la réduire) la taille de l’État et favoriser le retour de la croissance économique, culturelle et sociale. Pour d’autres, campés plus à gauche de l’échiquier politique, ces mesures ne font que dégrader la situation et ne sont d’aucune utilité pour permettre à une économie de retrouver son essor en plus d’affecter les plus démunis de la société. Ce serait pour eux de l’austérité et non de la rigueur.
Mais au fait, qu’est-ce que l’austérité ? D’entrée de jeu, l’austérité est un terme qui peut aussi bien faire référence à une idée, une idéologie, une politique, une doctrine, un levier de transformation sociale, un projet culturel ou encore un programme gouvernemental⁶. Comme telle, l’idée n’est pas nouvelle et on peut en retracer les origines philosophiques chez des auteurs classiques comme John Locke, David Hume et Adam Smith⁷. Ces auteurs, et tout particulièrement John Locke, sont les précurseurs du dilemme libéral par excellence au sujet de l’État : « can’t live with it, can’t live without it, don’t want to pay for it⁸ ». Comme il est impossible de vivre sans l’État, l’objectif premier de l’austérité est d’assurer que le moins de ressources pécuniaires possible servent au fonctionnement de celui-ci. L’histoire nous montre toutefois qu’il en a été autrement et que l’État n’a cessé de prendre de l’expansion, et ce, particulièrement au cours du xxe siècle. L’évolution des finances publiques des États contemporains et de leurs politiques budgétaires ne peut donc être qualifiée d’austère. Ce qui est demandé aux gouvernements, c’est une gestion juste, équitable, efficiente et surtout efficace. Pour cela, seule la rigueur permet de faire des choix budgétaires basés sur des critères pertinents. L’austérité est axée sur le minimum tandis que la rigueur est orientée vers l’optimum. L’emploi optimal des dépenses publiques est le seul compatible avec la nature de l’État contemporain.
Dans un contexte où la plupart des États occidentaux doivent assumer un endettement important, l’objectif des politiques de rigueur et de ses partisans est désormais de réduire l’endettement de manière à favoriser la croissance économique et à limiter la pression sur les programmes. Pour les gouvernements, il s’agit d’un devoir moral envers leurs commettants qui désirent recevoir des services répondant à leurs besoins et à leurs attentes tout en attendant des gouvernements une utilisation judicieuse, voire parcimonieuse, des fonds publics. Les gouvernements et plus particulièrement les responsables de la politique budgétaire ont des choix à faire et doivent prendre des décisions qui sont influencées par une foule de facteurs. C’est donc l’objectif de cet ouvrage de permettre au lecteur de comprendre les facteurs ainsi que les tenants et aboutissants des dépenses publiques et de leurs conséquences.
Lorsque V.O. Key s’est demandé sur quelle base une administration publique devait décider du montant à accorder à un programme au détriment d’un autre, il déplorait l’absence de critères rationnels et logiques pour ce faire. On peut supposer qu’il soulignait du même coup le besoin ou la nécessité d’implanter une formule d’allocation qui considère au premier chef l’effet réel des dépenses de programmes. Les diverses techniques d’élaboration des budgets n’ont cependant pas toujours pris en compte cet aspect. Faire autrement conduirait immanquablement à une impasse budgétaire amenuisant la capacité de l’État à assumer ses responsabilités.
Il a fallu attendre l’avènement de formules qui remettaient en question le coût ou la productivité pour entrevoir un certain intérêt des administrations publiques à l’égard de l’efficacité des programmes de dépenses. Le réflexe naturel des autorités gouvernementales et administratives les mène irrésistiblement à un ajustement à la hausse. Une fois un programme ou un organisme institué, son existence même devient pratiquement incontestable. Son abolition aurait des retombées politiques défavorables fort dissuasives pour les partis politiques, du moins pour ceux qui ont de réelles possibilités de former un gouvernement. Cependant, l’État contemporain et ses dirigeants sont maintenant parvenus à un formidable butoir : l’importance que les budgets publics occupent dans l’espace économique ainsi que les difficultés de plus en plus difficiles à surmonter que rencontrent les gouvernements lorsqu’il est question de financer leurs dépenses récurrentes et leurs dépenses d’investissement sans trop recourir aux marchés financiers sur lesquels ils sont en compétition avec les acteurs de l’économie privée.
C’est en ayant en tête cette problématique des finances publiques actuelles que nous avons organisé ce deuxième tome de L’argent de l’État de manière à mettre l’accent sur la décision. C’est ainsi qu’au chapitre 1 sont exposées les grandes lignes du processus budgétaire en établissant une distinction claire entre les cheminements politique et administratif. Le cheminement politique conduit à la présentation de la politique budgétaire et du cadre financier lors du discours du budget et peut remettre en jeu la légitimité du gouvernement qui, selon la tradition du parlementarisme britannique – qui est aussi la nôtre –, doit démissionner lorsqu’il a perdu la confiance du législateur mandaté, rappelons-le, par le citoyen détenteur de la souveraineté démocratique. Le cheminement administratif, pour sa part, conduit au vote d’un projet de loi dont les retombées sont plus financières que politiques. Au Canada, contrairement à d’autres pays notamment les États-Unis, des mécanismes ont été introduits dans le processus budgétaire pour éviter le gel de la machine administrative advenant une impasse politique. Au chapitre 2, on trace le portrait de l’ensemble des dépenses des gouvernements et des administrations. On y montre que le portrait réel des dépenses publiques est beaucoup plus large que celui qui nous est présenté de manière quotidienne dans les divers médias qui s’y intéressent. C’est ainsi que le lecteur pourra apprécier la véritable nomenclature des dépenses de l’État et notamment le rôle particulier de ce qui est désigné par l’étiquette de dépenses fiscales. Dans le chapitre 3, les dépenses publiques sont analysées sous l’angle de leurs retombées budgétaires, financières et économiques. On y traite des questions de déséquilibre, de déficit, de dette et de cote de crédit. L’intention est de distinguer et de clarifier chacun de ces termes afin que le lecteur puisse par la suite mieux saisir toutes les nuances des discours ambiants sur ces sujets. Au chapitre 4, on présente les principales modalités de la mise en œuvre du troisième grand principe budgétaire, à savoir la reddition de comptes. Le citoyen connaît généralement assez bien l’institution du Vérificateur général, car elle est régulièrement médiatisée pour ses interventions publiques ; il est cependant moins familier avec le rôle du Contrôleur général, qui œuvre aussi au sein de l’appareil administratif, et encore moins avec toutes les procédures et techniques de contrôle et de vérification. Enfin, au chapitre 5, qui sert aussi de conclusion, on propose une vision de ce que devrait être l’éthique sous-jacente à la gestion des finances publiques.
Tout au long de ce deuxième tome, nous allons donc parler de l’État comme gestionnaire des fonds publics. Ce livre est écrit dans le cadre du système canadien et notamment du gouvernement du Québec utilisé comme un échantillon représentatif de l’administration publique contemporaine. Les tableaux, les figures et les encadrés sont donc extraits ou construits à partir des données produites par le gouvernement du Canada et par le gouvernement du Québec.
Bonne lecture !
1 . Peter A. Hall, « Policy paradigms, social learning, and the State : The case of economic policymaking in Britain », Comparative Politics, vol. 25, no 3, avril 1993, p. 275-296.
2 . Pour en savoir plus sur le sujet, voir Pierre Breteau, Alexandre Pouchard et Maxime Vaudano, « Comment la Grèce en est-elle arrivée là ? », Le Monde, 21 août 2015,
3 . Joseph E. Stiglitz, « Europe must back away from Greek austerity cliff », USA Today, 7 juillet 2015,
4 . Philippe Couillard, Discours d’ouverture de la 1re session de la 41e législature de l’Assemblée nationale du Québec par M. Philippe Couillard, député de Roberval et premier ministre, Assemblée nationale du Québec, Québec, 21 mai 2014, Québec, Gouvernement du Québec,
5 . Dave Noël, « Le Québec de l’austérité », L’État du Québec 2015 : 20 clés pour comprendre les enjeux actuels, Montréal, Institut du Nouveau Monde/Del Busso éditeur, 2015, p. 129-130.
6 . Voir, entre autres, Alain Denault et al., L’austérité au temps de l’abondance, Montréal, Liberté, 2015.
7 . Mark Blyth, Austerity. The History of a Dangerous Idea, New York, Oxford University Press, 2013.
8 . Ibid., p. 106.
Chapitre
1
Le processus budgétaire
Quand on se voit milliardaire,on se voit toujours en train de dépenser le milliard,jamais de le gagner.
Boris
Vian
Écrivain français 1920-1959
Un bon dictionnaire¹ dirait qu’un processus est une série continue d’opérations constituée en vue d’atteindre un résultat préétabli. Cela induit une succession d’étapes ordonnées de manière logique et rationnelle. En matière de finances publiques, la finalité de ce mécanisme est la réalisation d’un projet de revenus et de dépenses. Pour y parvenir, un gouvernement ou une administration doit concevoir une politique budgétaire, la faire autoriser par l’ensemble des élus, voir à sa mise en œuvre par l’appareil administratif et, ultimement, en rendre compte. Ce sont là autant d’étapes² à franchir au cours desquelles les écueils sont nombreux et, parfois, fatals.
Ce processus s’effectue sur deux plans : exécutif et administratif. Le premier est une prérogative du Conseil des ministres et, plus particulièrement du titulaire des Finances et de l’Économie ainsi que du chef du gouvernement. Ce privilège, du moins en ce qui concerne les parlementarismes de type britannique, permet à l’exécutif de jouir pleinement du pouvoir exclusif d’initiative en matière budgétaire. Le second est pris en charge par les ministères et les organismes gouvernementaux sous la coordination du Secrétariat du Conseil du trésor. Ces deux volets sont liés l’un à l’autre. Le volet exécutif trace les grandes orientations de revenus et de dépenses ; le volet administratif traduit les prévisions de dépenses en programmes de dépenses.
Le processus budgétaire place les gouvernements et les administrations devant trois défis majeurs et récurrents : maintenir une économie en croissance ; assurer la santé des finances publiques ; et réaliser leurs programmes gouvernementaux ainsi que leurs engagements électoraux. Les gouvernements disposent de peu de temps pour affronter et relever ces défis. La vie politique fait en sorte qu’ils sont imputables de leurs succès ou échecs au terme d’un mandat électoral dont la durée habituelle est de quatre années³.
Le processus budgétaire relève des trois principes majeurs des finances publiques qu’il nous semble pertinent de rappeler : l’autorisation parlementaire, l’initiative de l’exécutif et le recours obligatoire à la vérification⁴. Chacune des quatre étapes du processus (élaboration – autorisation – mise en œuvre – reddition de comptes) met en évidence l’un de ces principes (figure 1.1). Nous pouvons ainsi dire que les étapes de l’élaboration et de l’exécution relèvent de l’initiative, que l’étape de l’autorisation relève de l’approbation parlementaire et que l’étape de la reddition des comptes relève du recours obligatoire à la vérification. D’un point de vue théorique, cette combinaison de principes et d’étapes doit faciliter l’équilibre des pouvoirs entre le législateur et l’exécutif. Cependant, le système parlementaire de type britannique, en raison de la confusion entre la fonction de l’élu et celle de l’exécutif, fragilise cet équilibre notamment en situation de gouvernement majoritaire. L’équilibre des pouvoirs en matière de finances publiques semble mieux assuré par un système présidentiel à l’américaine où le partage des compétences est beaucoup plus clair.
Quoi qu’il en soit des avantages et des inconvénients des différents modèles de gouvernance des fonds publics, il est nécessaire d’examiner le processus budgétaire dans chacune de ses étapes d’évolution pour comprendre l’essentiel de ces prises de décisions récurrentes et si déterminantes pour la vie en collectivité.
Figure 1.1. Vue d’ensemble du processus budgétaire
L’étape d’élaboration de la politique budgétaire
La toute première étape du processus budgétaire est celle de l’élaboration de la politique budgétaire. Dans le premier tome de cet ouvrage, nous avons défini la politique budgétaire comme un « ensemble coordonné de décisions stratégiques et tactiques que prend un gouvernement ou une administration en matière de revenus et de dépenses⁵ ». On élabore cette politique grâce à divers outils dont les principaux demeurent la politique fiscale et la politique de dépenses⁶ : la politique fiscale, parce que la majorité des revenus provient d’impôts, de taxes et d’autres contributions obligatoires – les autres sources ne représentant surtout que des revenus d’appoint ; la politique de dépenses, parce que les crédits de dépenses constituent, eux aussi, les plus importants engagements de dépenses – les autres politiques afférentes aux revenus et aux dépenses traitant d’aspects particuliers comme les revenus des entreprises à vocation commerciale, les revenus de placements, les emprunts, les dépenses non budgétaires d’investissements ou encore les dépenses fiscales⁷.
Par ailleurs, la politique budgétaire est véhiculée dans une gamme très étendue de documents dont la fonction est d’exposer tantôt la vision gouvernementale de la conjoncture de l’économie, tantôt la situation des finances publiques, et tantôt les forces et les faiblesses de la société, et ce, afin de saisir les tendances de leur évolution. Ce sont autant de contraintes qui s’exercent sur les choix à faire⁸. Dans toute cette documentation se côtoient des rapports officiels, des études, des sondages, des analyses. En jetant un bref coup d’œil aux publications du ministère des Finances et de l’Économie du Québec⁹, on relève, par exemple, les sujets suivants : les statistiques fiscales des particuliers, les statistiques fiscales des sociétés, le profil économique et financier du Québec, le point sur la situation économique et financière, l’état financier des organismes et des entreprises du gouvernement. D’autres organismes et ministères publient aussi des documents utilisés par les responsables de la conception de la politique budgétaire. Soulignons particulièrement le rôle des organismes officiels de statistiques¹⁰ qu’ils soient nationaux ou internationaux comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont les données sont essentielles pour établir les comparaisons entre les pays. Ces comparaisons avec d’autres pays ou d’autres provinces représentent une démarche cruciale pour un gouvernement ou une administration en raison des phénomènes de mondialisation et d’internationalisation qui, ouvertement ou tacitement, finissent par imposer des normes en matière de budgets publics et aussi en raison de l’universalité des communications qui informent les observateurs et les citoyens sur ce qui se passe ailleurs.
Cette première étape de la politique budgétaire, disons-le à nouveau, est la prérogative du gouvernement élu et est traditionnellement sous la responsabilité du titulaire du portefeuille des Finances et de l’Économie. Il accomplit cette tâche de concert avec les autres membres de l’Exécutif et, surtout, en consultation étroite et permanente avec le chef du gouvernement. Par contre, ces acteurs, qui appartiennent tous à la même équipe, doivent composer avec les pressions exercées par d’autres acteurs d’importance dont certains sont incontournables. Mentionnons entre autres : les partis d’opposition, les organismes supranationaux, les maisons de notation de crédits, les groupes d’intérêts, les associations citoyennes, les syndicats, les associations professionnelles, sans oublier les institutions et organismes du secteur public. Les actions et les décisions de certains de ces intervenants peuvent avoir des conséquences financières sérieuses. Un abaissement de la cote de crédit d’un gouvernement peut signifier, par exemple, une hausse importante des intérêts à payer sur les emprunts effectués. Autre exemple, une crise sociale comme celle qu’a connue le Québec au printemps 2012 a eu une répercussion notable sur les revenus et les dépenses du gouvernement et de certaines de ses institutions. Ajoutons à cela les conflits de travail dans le secteur public et, plus récemment, les difficultés des régimes de retraite des fonctionnaires et employés.
Dans les contextes canadien et québécois, l’étape de l’élaboration s’étend habituellement de l’été à la fin de l’hiver¹¹. En revanche, le calendrier peut être modifié (notamment en ce qui concerne le volet administratif) et être adapté à des événements majeurs dont le plus fréquent est certes l’élection générale qui peut être décrétée à tout moment de l’année. Un nouveau gouvernement devra alors rapidement revoir la politique budgétaire ou en concevoir une nouvelle.
L’état de la situation
En vue de tracer les grandes lignes d’une politique budgétaire qui répond aux enjeux auxquels fait face la société, les responsables commencent par analyser l’état de l’économie et de la société. Cette opération suppose un retour sur les grandes politiques et les programmes publics afin de juger de leur pertinence tant du point de vue du bien-être collectif que de celui de la rentabilité électorale, qui sert souvent de trame de fond à toutes les décisions du gouvernement. Cet examen engage l’ensemble des membres de l’exécutif qui doivent travailler sous la coordination du titulaire du portefeuille des Finances et de l’Économie. Cela fait, on s’efforcera d’apporter les ajustements nécessaires.
Concrètement, et comme le propose le Secrétariat du Conseil du trésor du Québec dans sa documentation¹², les facteurs qui entrent en ligne de compte et qui influencent les choix gouvernementaux peuvent être regroupés en trois catégories : l’économie, le contexte politique et les échanges politiques avec les groupes de pression et les attentes des citoyens. D’abord, l’environnement économique. La conjoncture économique a un effet direct sur la capacité financière du gouvernement. Par exemple, le taux d’inflation, le taux de chômage, les taux d’intérêt, tout comme la valeur du produit intérieur brut (PIB) et le taux de change de la devise monétaire nationale sont des variables qui agissent autant sur les revenus disponibles que sur les dépenses à effectuer. En effet, on estime qu’une variation de 1 % du PIB a une incidence d’environ 400 millions de dollars sur les revenus ; qu’une fluctuation de cent points du taux d’intérêt se traduit par des dépenses d’environ 300 millions de dollars ; et qu’un glissement d’un cent par rapport à la devise américaine¹³ aurait un effet de 30 millions de dollars sur ces mêmes dépenses¹⁴.
Les forces et les faiblesses de la collectivité sont également évaluées