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L' argent de l'État: pourquoi et comment: Tome 1 - Le revenu
L' argent de l'État: pourquoi et comment: Tome 1 - Le revenu
L' argent de l'État: pourquoi et comment: Tome 1 - Le revenu
Livre électronique540 pages6 heures

L' argent de l'État: pourquoi et comment: Tome 1 - Le revenu

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À propos de ce livre électronique

À la fois pourvoyeur de fonds, emprunteur, investisseur, employeur et commerçant, l’État est un acteur économique omniprésent. Comment décide-t-on des finances publiques? L’auteur de ce livre explique les éléments les plus déterminants des politiques de financement de l’État.
LangueFrançais
Date de sortie7 janv. 2013
ISBN9782760535862
L' argent de l'État: pourquoi et comment: Tome 1 - Le revenu

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    Aperçu du livre

    L' argent de l'État - Pierre-P. Tremblay

    couverture

    Presses de l’Université du Québec

    Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2

    Téléphone : 418 657-4399 − Télécopieur : 418 657-2096

    Courriel : puq@puq.ca − Internet : www.puq.ca

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    et Bibliothèque et Archives Canada

    Tremblay, Pierre P., 1946-

    L’argent de l’État : pourquoi et comment

    Comprend des réf. bibliogr.

    Sommaire : t. 1. Le revenu.

    ISBN 978-2-7605-3584-8 (v. 1)

    ISBN EPUB 978-2-7605-3586-2 (v. 1)

    1. Finances publiques. 2. Revenus de l’État. 3. Politique fiscale. I. Titre. II. Titre : Le revenu.

    HJ151. T732 2012 336 C2012-941 610-X

    Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.

    Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC)

    pour son soutien financier.

    Mise en pages : INTERSCRIPT

    Conception de la couverture : RICHARD HODGSON

    2012-1.1 – Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

    © 2012, Presses de l’Université du Québec

    Dépôt légal – 4e trimestre 2012 – Bibliothèque et Archives nationales du Québec /

    Bibliothèque et Archives Canada

    LA PRÉSENCE DE L’ÉTAT

    Ce n’est que l’une des nombreuses ironies de l’histoire

    de la crise : l’effort de Greenspan et de Bush pour réduire

    au minimum le rôle de l’État dans l’économie a abouti

    à lui conférer un pouvoir sans précédent sur un vaste ensemble

    de secteurs. L’État est devenu propriétaire de la plus grande

    compagnie automobile, de la plus grande compagnie

    d’assurances, et certaines des plus grandes banques auraient

    dû aussi lui appartenir (s’il avait reçu le juste retour de ce qu’il

    leur a donné). Un pays où le socialisme est souvent honni

    comme une abomination a socialisé le risque, et il est

    intervenu sur les marchés comme il ne l’avait jamais fait.

    Joseph E. STIGLITZ¹

    Luc Weber² a dit de l’État qu’il est un acteur économique omniprésent. Est-il nécessaire d’ajouter que, dans nos économies modernes et développées, il est incontournable ? L’État moderne est tantôt pourvoyeur de fonds, tantôt emprunteur ou investisseur et, de plus en plus fréquemment, commerçant. Il est aussi l’employeur majeur. Au Canada, par exemple, les employés du secteur public représentaient, en 2007, 17,4 % de l’emploi total. Dans la majorité des provinces, pour la même période, cette statistique dépassait allègrement les 20 %, pour s’approcher de 30 % dans les cas du Manitoba et de la Saskatchewan³. Bien peu de secteurs de la vie économique d’une société lui échappent. De l’extraction de la ressource naturelle jusqu’au constat des bénéfices et des dommages, il y a presque toujours une loi, un règlement, une règle, voire une politique pour encadrer l’action de l’Homme et de ses organisations, sinon une aide financière directe ou autre pour les soutenir ou une pénalité pour en freiner les abus. L’État est le gardien de la richesse collective, fût-elle potentielle, virtuelle ou réelle. Ce rôle, il le joue en permanence depuis que Keynes côtoie Adam Smith dans l’imaginaire des nations industrialisées et, surtout, démocratiques.

    L’actualité médiatique déborde d’événements impliquant soit un gouvernement, soit une régie ou une entreprise dite publique dont l’action, voire l’inaction affecte la conjoncture économique favorablement ou, au contraire, défavorablement. Actuellement et au moment de rédiger ces lignes, le gouvernement fédéral américain a déjà injecté plusieurs centaines de milliards de dollars pour soutenir certaines très grandes institutions financières et il a transféré des sommes aussi astronomiques vers d’autres secteurs industriels, notamment chez certains constructeurs automobiles. Il serait même devenu, avec le syndicat, le propriétaire de General Motors, l’un des symboles de l’Amérique toute-puissante. Au Canada, le gouvernement fédéral n’a pas hésité à venir en aide à l’industrie automobile pendant qu’au Québec, ce sont les résultats de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui suscitent beaucoup d’émoi et dont l’imputabilité gouvernementale a été évoquée. La plupart des pays dits riches connaissent une telle situation où la manœuvre gouvernementale de sauvetage économique est sollicitée à grands cris. En cela, l’État apparaît comme le seul capable de rétablir la situation.

    Cependant, s’arrêter à la seule dimension économique de l’État, c’est choisir d’avoir une vue tronquée de sa réalité actuelle. Il est essentiel pour la compréhension des choses de dire que la fonction économique attribuée à l’État moderne a préparé l’avènement de son modèle le plus achevé, soit celui de l’État-providence, dont l’envergure couvre tous les aspects d’une société ainsi que tous les moments de la vie d’une personne. En effet, peu d’activités humaines demeurent ignorées de l’appareil étatique. Il n’y a qu’à consulter la liste des organismes de toutes natures liés directement ou indirectement à un gouvernement pour s’en convaincre rapidement. Des gestes aussi intimes que le choix d’un prénom pour son enfant nouveau-né tombe sous l’autorité du directeur de l’état civil dont le pouvoir l’autorise à l’accepter ou à le refuser, au nom des principales valeurs dominantes dans une société. Ici, au Québec et au Canada, des parents seraient malavisés de vouloir donner à leur rejeton le nom d’un objet de consommation courante comme « glace à la vanille ». Nos coutumes, nos traditions, voire la nature du respect dû à tout individu, tout cela milite en faveur d’une interdiction des identifications pouvant porter au ridicule. Un coup d’œil sur la liste des ministères et organismes renforce cette impression de l’omniprésence étatique. On y retrouve un ministère de la Famille et des Aînés aussi bien que le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine comme, encore, un Conseil des appellations réservées et des termes valorisants ou, enfin, un secrétariat à l’adoption internationale. Un examen de la liste des lois québécoises, voire des règlements municipaux serait probablement plus révélateur de l’étendue des tentacules de l’État.

    L’administration étatique n’a pas toujours été aussi présente dans la vie des citoyens canadiens. Au dire de Ronald W. Crowley⁴, l’interventionnisme effectif de l’État ne remonte pas plus loin qu’aux années 1930. Il aura fallu, comme nous l’avons évoqué précédemment, le remplacement d’une philosophie économique par une autre, suivie d’un essor industriel et technologique, pour que les pouvoirs publics mettent graduellement en place le secteur public tel qu’on le connaît aujourd’hui. Les mêmes facteurs sont de nouveau en effervescence et travaillent à changer le visage et le rôle de l’administration publique. Le rôle de l’État, ses fonctions particulières, son envergure organisationnelle ainsi que les ressources utilisées sont en constante évolution au gré de la transformation même de la société dont il est issu. Est-ce que demain, il sera plus présent ou plus effacé ? Là est la question. Crowley écrit :

    [L]a grande question est de déterminer si les institutions publiques répondent au besoin du prochain demi-siècle. Autrement dit, il s’agit de déterminer si les institutions publiques peuvent offrir un meilleur produit que d’autres institutions. Selon l’OCDE, le véritable enjeu des années 1990 sera d’accroître la souplesse du secteur public. Dans cette optique, il serait raisonnable de s’attendre à ce que certaines institutions publiques doivent changer de façon à acquérir les qualités de compétitivité, d’adaptabilité et de dynamisme. Dans certains cas, il peut être nécessaire de transférer des fonctions de l’État vers d’autres institutions, existantes et nouvelles, ou même d’autres institutions vers l’État⁵.

    Il faudrait donc s’attendre à ce que certains champs d’action des pouvoirs publics acquièrent une nouvelle importance et que d’autres perdent de leur prépondérance, ou encore que la hiérarchie des missions et des secteurs d’intervention soit modifiée. Si, comme cela est actuellement le cas au Québec de 2009, les dépenses dans le domaine de la santé dépassent largement celles de l’éducation, rien n’indique qu’une éventuelle modification de la pyramide des âges, conséquence d’une revitalisation de la natalité associée à d’autres facteurs démographiques, ramènera la quasi-parité de ces secteurs observée au milieu des années 1970⁶. À cette époque, la mission sociale, qui incluait le domaine de la santé dans la nomenclature budgétaire, captait 34,4% de l’ensemble des dépenses de programmes du gouvernement du Québec, tandis que la mission éducative en recevait 32,9 %. L’écart était plutôt faible vu l’importance budgétaire des deux missions. Au cours de l’exercice actuel (2009-2010), la mission santé se voit attribuer 40,5 % des dépenses et la mission éducation et culture, 23,2 %⁷. Par conséquent, on n’est plus du tout dans le même match.

    L’État actuel a connu une évolution naturelle et logique. Le modèle providentiel, qui est une forme plus achevée de l’État interventionniste, n’aurait pu apparaître avant celui-ci, qui n’aurait pu advenir sans l’épuisement de l’État gendarme. L’État dans son modèle actuel, et en dépit des critiques qui lui sont adressées à raison ou à tort et en dépit de toutes ses défaillances, va demeurer et même se renforcer, parce qu’il est la seule institution apte à garantir la survie de l’Homme et de sa planète. Somme toute, il semble que les finalités et les façons de faire particulières du secteur public resteront, et pour longtemps encore, et que leur présence va même prendre de l’importance. Ainsi, dans l’ensemble de l’économie canadienne, à la fin du quatrième trimestre de 2008, le secteur public a généré directement une production de biens et services qui correspond, en gros, à quelque 20,3 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada. Dans son édition de juillet 2008, L’observateur économique canadien, dans son supplément statistique historique, rapportait que les services gouvernementaux (dépenses courantes et investissements) comptaient pour 20,7 % du PIB du Canada, en 1961, et que cette proportion s’établissait à 22,3% à la fin de l’année 2007⁸.

    Pour la même période, la contribution au PIB canadien des établissements publics d’enseignement ainsi que ceux de la santé et des services sociaux (secteurs d’activité privilégiés de l’État-providence) était estimée à 10 %. Les entreprises publiques, de leur côté, ont fourni environ 3 % du PIB. Statistique Canada, pour sa part, affirme que l’ensemble des pouvoirs publics au Canada a dépensé, au cours de la période actuelle, pour une valeur de 607,6 milliards de dollars⁹. À l’heure actuelle, les chiffres demeurent impressionnants. Pour le deuxième trimestre de l’année en cours, le montant du PIB du pays s’élève à 1 124,3 milliards et la contribution des organismes publics est demeurée sensiblement la même. On ne peut faire autrement que de reconnaître la présence imposante de l’État dans l’économie du pays. Qui plus est, les flux que sont les transferts en provenance du secteur public affectent en grande partie l’ensemble de la production et de la consommation nationale, c’est-à-dire l’offre et la demande. Ajoutons que la totalité des échanges répertoriés lors de la compilation du PIB est assujettie à des législations et à des réglementations imposées par les autorités. Pour finir, rappelons que les montants des transactions servent de base aux prélèvements obligatoires de toutes sortes (que ces impôts prennent la forme de droits, de taxes ou de cotisations). Bref, il n’y a que « l’économie souterraine » qui échappe aux contrôles exercés par les administrations publiques.

    Au chapitre de l’emploi, aujourd’hui encore, à peu près le cinquième de la main-d’œuvre active des Canadiens travaille dans ce qu’on appelle communément le secteur public, c’est-à-dire l’ensemble des ministères, organismes, agences, administrations municipales ou régionales, régies, offices ou entreprises étatiques de toutes sortes que compte le pays¹⁰. Pour Statistique Canada, le secteur public affichait en 1991 un rapport de 96,1 employés pour 1 000 habitants ; ce taux a été ramené à 84,2 pour 1 000 habitants en 2005¹¹. Cette statistique, cependant, ne tient pas compte des emplois du secteur privé dont l’existence est assurée presque entièrement grâce aux subventions et aux contrats de services accordés par l’État. Songeons, par exemple, aux entreprises de travaux routiers, voire à l’industrie de la défense, sans parler des entreprises qui exportent biens et services vers les secteurs publics étrangers. En somme, dans le contexte des sociétés avancées, l’État minimaliste est devenu une utopie.

    Dans l’ensemble des pays ayant adopté l’euro comme monnaie, les dépenses des administrations publiques en 2005 atteignent 47,9 % du PIB, soit deux dixièmes de plus que pour les pays de l’Union européenne. Plusieurs dépassent allègrement les 50 %, dont l’Italie et la France. Les plus faibles taux ne sont pas inférieurs à 35%, soit la marque de l’Australie et des États-Unis. Dans un ensemble plus large, celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la moyenne est de 40,8 %. Au cours de la période d’observation, plusieurs des pays recensés dans le tableau affichent un recul sensible au chapitre des dépenses publiques, notamment la Belgique, le Danemark ou, encore, la Suède, vue autrefois comme le modèle d’un socialisme démocratique efficace. D’autres pays, tels l’Australie, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont connu des reculs plus légers, pendant que la France, l’Allemagne, le Japon et la Norvège ont vu le volume de leurs dépenses publiques augmenter, de manière importante pour le Japon et plus modestement dans les trois autres pays.

    Les facteurs de progression ou de recul sont nombreux et n’ont pas toujours les mêmes effets d’un endroit à l’autre. De plus, sur une période de référence plus longue, on pourrait probablement noter des courbes dans le volume des dépenses publiques en fonction de facteurs plus déterminants comme le PIB. Il reste que la moyenne de 40,8% du PIB affichée par l’ensemble des pays membres de l’OCDE semble constituer un seuil type de la présence de l’État.

    Quoi qu’il en soit, la place de l’État est désormais, de toute évidence, enchâssée dans l’économie. Il agit par un ensemble de chemins et par divers moyens dont les finances publiques. L’intelligence de cette ressource et, surtout, les décisions de politiques qui y sont liées requièrent, d’entrée de jeu, une définition claire des divers termes et appellations qui lui sont le plus couramment associés. Mais avant de saisir cet objet, une démarche préalable s’impose : la proposition d’une distinction entre le secteur privé et le secteur public ainsi que le choix d’une définition la plus juste possible de l’administration publique du point de vue des finances publiques, la complexité des activités étatiques rendant ces éclaircissements indispensables, de même que le processus de la prise de décision, les responsabilités et l’imputabilité des différents acteurs. Le cas tout récent des résultats désastreux de la Caisse de dépôt et placement du Québec montre à quel point il est difficile de rendre imputable un gouvernement qui se retranche derrière l’autonomie d’une société d’État lorsque vient le temps de distribuer les blâmes. On ne sait plus si la gestion et la prise de décision relèvent de la responsabilité collective déléguée aux élus et surtout au gouvernement, ou si elles relèvent des individus. Le cas de la Caisse de dépôt et placement du Québec montre aussi que les finances publiques ne se résument pas aux seuls crédits budgétaires soumis à l’approbation annuelle des élus. L’inclination des gouvernements à segmenter leurs divers champs d’intervention en leur donnant des statuts juridiques différents contribue inéluctablement à brouiller les frontières entre le public et le privé, et à rendre encore plus fuyante l’imputabilité de l’un et de l’autre.

    L’ADMINISTRATION PUBLIQUE

    ¹²

    L’administration publique est un vocable passe-partout. Il désigne à la fois cette institution qui donne corps à l’État et le mode particulier de gestion qui lui est reconnu. Dans le premier cas, on le confond le plus souvent avec le gouvernement, la municipalité ou, encore, avec toute autre instance de nature politique. Dans le deuxième cas, on l’associe au management, c’est-à-dire à la direction, à l’organisation et à la gestion d’une entreprise appartenant en tout ou en partie à une collectivité territoriale de citoyens. Les mots administration, gestion et management, comme les mots administrer, gérer et diriger, ont des sens voisins. Par souci de précision et, surtout, de distinction, certains vont préférer utiliser « administration » pour parler d’actions de grande envergure (ainsi, on dit « conseil d’administration » ou « administration publique »), réservant le terme de « gestion » pour évoquer la direction d’un service ou d’une entreprise. Toutefois, le formidable essor des sciences administratives dans la seconde moitié du XXe siècle a engendré un phénomène de mimétisme entre la gestion du privé et du public.

    Les techniques préconisées dans le secteur privé étant de plus en plus adoptées par le secteur public, on s’est mis à parler de « management public¹³ ». Même si les mots management, gestion et administration sont utilisés comme des synonymes par de nombreuses personnes, ce livre ne fait usage que des termes administration et gestion, le mot administration étant employé dans un sens plus large que le mot gestion (ce dernier mot étant utilisé, par exemple, dans l’expression « gestion des finances publiques »). En fait, dans cet ouvrage, nous donnons au terme « administration publique » le sens suivant : « l’ensemble du pouvoir et de l’appareil administratifs contrôlés par l’État¹⁴ ».

    LE CAMAÏEU DU SECTEUR PUBLIC

    Le secteur public, évidemment, ne peut que se définir par rapport au secteur privé. La distinction que l’on fait au Canada entre le secteur public et le secteur privé est une distinction « conventionnelle », fondée sur divers critères, en particulier sur le statut juridique des organismes. Ce statut juridique distingue généralement les organisations qui relèvent d’intérêts privés de celles qui relèvent des pouvoirs publics. Le tri se ferait facilement si tous les objets à répertorier répondaient à une norme claire, et ce n’est pas le cas. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les interventions des pouvoirs publics sont si nombreuses et si diversifiées que se côtoient dans un même secteur d’activité des ministères, des régies, des entreprises publiques, des entreprises privées, selon la loi, appartenant en propriété exclusive à des sociétés de droit public dont l’actionnaire unique est l’État ou, encore, des entités corporatives dont une part minoritaire d’actions est détenue par la puissance publique.

    Jadis, on a pu croire que la définition du secteur public pouvait reposer uniquement sur la notion de propriété. Il y aurait eu, d’un côté, la propriété privée et, de l’autre, tout le reste. Mais « tout le reste » comprenait aussi la propriété mixte, associant pouvoirs publics et intérêts privés. Était-il « logique » de classer dans le secteur public l’ensemble des organisations dont la propriété était mixte ? Fallait-il placer d’un côté les organisations « dominées » par des intérêts privés et, de l’autre, les organisations « contrôlées » par les pouvoirs publics ? Forcément, pour répondre à ces questions, il fallait « choisir ». Tant qu’à « choisir », fallait-il classer dans le secteur public des organisations qui, tout en appartenant entièrement à des intérêts privés, étaient presque entièrement « financées » par les pouvoirs publics (cas, par exemple, des universités dites « privées ») ?

    On pourrait penser étendre la définition du secteur public à toute organisation financée par l’impôt (l’impôt étant défini comme « tout prélèvement monétaire, effectué d’autorité par les pouvoirs publics pour alimenter le Trésor public, ne comportant pas de contrepartie directe »). Mais le mode de financement ne permet pas de tout départager, car de nombreuses organisations sont financées à la fois par l’impôt et par le marché.

    À l’évidence, il est difficile de classer des organismes dont la propriété est mixte et ceux dont le financement repose à la fois sur des revenus tirés du marché et des sommes allouées par le Trésor public. La difficulté reste considérable même quand on tient compte du degré de contrôle que les autorités imposent à de tels organismes. En effet, les contrôles varient en intensité et, à la limite, il serait arbitraire de déterminer le degré de contrôle qui décide du classement. Faudrait-il classer dans le secteur public une entreprise « semi-privée » dont les prix de vente sont fixés, les conditions d’exploitation, réglementées et les transactions, scrutées par les pouvoirs publics, et classer dans le secteur privé une entreprise « semi-publique » à laquelle les autorités ont laissé une très grande autonomie ?

    Certes, le statut juridique semble bien pratique ; il permettrait de dire si Air Canada (ACE)¹⁵, par exemple, faisait partie ou non du secteur public ! Mais le statut juridique peut faire illusion. En effet, on vient de le voir, une organisation constituée en entreprise privée (par exemple, en vertu de la loi sur les compagnies) peut se trouver sous la totale dépendance des pouvoirs publics. En définitive, quel que soit le critère retenu, il y aura toujours des cas ne correspondant pas parfaitement aux modèles.

    La multiplication des organismes autonomes qui relèvent des autorités fédérales ou provinciales (sans parler des corporations créées par des organismes autonomes, notamment par les municipalités) rend difficile l’identification des frontières précises du secteur public, quelle que soit la définition que l’on veuille bien lui donner. La difficulté s’accroît, on l’a déjà dit, parce que de plus en plus d’organismes « publics » sont associés à des intérêts privés, certains étant propriétaires d’une partie du capital d’entreprises privées. Cette difficulté est à la mesure de la complexité qui caractérise le secteur public.

    Pour définir, il faut choisir, et la définition du secteur public procède nécessairement de choix difficiles, qui ne parviennent pas très souvent à rallier tout le monde. Statistique Canada a, par le passé, tenté de clore le débat en « énumérant » les organismes à classer dans le secteur public. L’énumération retenue par Statistique Canada a été fortement critiquée¹⁶ tout en faisant autorité parce qu’elle est la seule qui fasse l’objet de compilations systématiques. Le portrait actuel du secteur public tel que présenté par l’organisme officiel de la statistique au Canada, et montré dans la figure I.1, est une excellente illustration de la définition du secteur public retenue pour les fins du présent ouvrage. C’est une définition qui trace bien les contours du secteur public tout en mettant en évidence les diverses parties qui le composent, c’est-à-dire les administrations centrales des différents paliers de gouvernement, les grands réseaux de services publics ainsi que les entreprises publiques. En fait, cette définition tente d’inclure dans le secteur public tous les organismes qui ont été créés au nom de l’intérêt collectif.

    LES PARTICULARITÉS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE

    L’administration publique a des particularités qui, d’une part, forcent la mise en place d’une structure organisationnelle hétérogène et, d’autre part, la distinguent du secteur privé même lorsque la frontière entre les deux est ténue, voire floue. La principale raison pour laquelle les administrations publiques ne peuvent pas calquer le modèle d’opérations des entreprises privées réside dans le fait que les administrations publiques appliquent la loi, ou sont chargées de missions spéciales qui découle d’une loi, alors que les entreprises privées la subissent. Prenons le cas de la Société des alcools du Québec (SAQ). Celle-ci, en vertu de la loi qui la constitue, possède et exerce un pouvoir d’autorisation et d’interdiction à l’égard de personnes et d’entreprises désireuses de faire commerce de vins et de spiritueux. Nulle entreprise du secteur privé ne peut exercer un tel pouvoir, d’où la distinction fondamentale entre la SAQ et une compagnie qui fabrique des alcools, mais qui ne peut les vendre sur le marché québécois que par l’entremise des magasins de la SAQ¹⁷. Les administrations publiques sont l’instrument de l’autorité, qui s’exprime par la loi. La loi dicte les obligations et les interdictions, établit les droits et les libertés, prescrit, en somme, la marge de manœuvre à l’intérieur de laquelle doivent s’inscrire les comportements individuels. Les administrations publiques servent l’autorité en appliquant et en faisant respecter les décisions politiques.

    L’autre raison, un peu moins claire celle-là, est liée au fait que l’existence de l’administration publique et de toutes ses parties constituantes relève de la reconnaissance de l’intérêt collectif. Parfois cet enjeu, puisque cela en est un, est patent et, parfois, il se révèle plus équivoque. Une bonne part des activités du secteur public se rapporte aux biens publics, dont on a dit précédemment qu’ils relèvent nécessairement d’une autorité. Il existe, en effet, un certain nombre de services ou de biens qui, de toute façon, doivent relever d’une autorité. Ainsi, la paix et la sécurité d’une population donnée ne peuvent être assurées que par une autorité, qui impose les obligations et les interdictions sans lesquelles règnent les querelles interminables et l’anxiété permanente. On dit des biens qui sont indivisibles et accessibles à tout le monde (c’est le cas de la paix et de la sécurité) qu’ils sont des « biens publics purs » et l’on admet volontiers que de tels biens relèvent de la « sphère publique ».

    Il arrive cependant que, pour diverses raisons, l’autorité confie à des administrations publiques le soin de dispenser un service que pourrait aussi offrir une entreprise privée (par exemple, l’enseignement ou les soins de santé).

    Comme on l’a vu, compte tenu de la variété des arrangements qui s’y appliquent, le secteur public est extrêmement complexe. Ainsi, une distinction importante sépare les administrations publiques proprement dites des entreprises publiques, les premières étant surtout financées par l’impôt, les secondes, par la vente de titres, de services ou de biens, ces dernières exerçant des activités dont pourraient se charger des entreprises privées. Toutefois, certaines administrations publiques, financées surtout par l’impôt, accomplissent des activités qui pourraient également être effectuées par des entreprises privées (qui pourraient être financées, en tout ou en partie, par des subventions ou octrois provenant du secteur public et, par conséquent, au moins en partie, de l’impôt).

    Il est patent que les administrations publiques se distinguent davantage des entreprises privées que des entreprises publiques, mais elles se distinguent tout de même des entreprises publiques. Les entreprises publiques sont toutes engagées dans des activités que pourraient assumer des entreprises privées, alors que la plupart des administrations publiques s’occupent de biens publics et, plus généralement, du bien public. Les administrations publiques sont directement liées à l’autorité politique (autrement dit, elles sont l’expression des pouvoirs publics). Elles appliquent le droit conformément au principe de la primauté du droit qui figure en tête de la Charte canadienne des droits et libertés en vigueur depuis 1982.

    Le bien public est habituellement défini comme « l’intérêt général » et il est censé transcender les intérêts particuliers ou privés. Ainsi, lors d’une épidémie appréhendée, les autorités prescrivent des mesures de prophylaxie qui gênent la plupart des gens, des mesures auxquelles de nombreuses personnes ne se soumettent que sous la contrainte, sous prétexte que l’épidémie annoncée n’est pas inéluctable : ces mesures sont néanmoins requises par les circonstances et elles évitent l’aggravation de la situation, qui se produirait autrement. Cet exemple (que l’on pense simplement aux cas de méningite) montre que l’intérêt du public n’est pas nécessairement perçu par tous.

    Le « bien public » doit être distingué des « biens publics » et les biens publics doivent, à leur tour, être définis. Selon une définition, les « biens publics » sont les espaces, ressources, installations, matériels, denrées, marchandises, titres et autres « avoirs » qui appartiennent aux pouvoirs publics. Selon une autre définition, l’expression « biens publics » désigne ce qui ne peut pas être divisé et approprié au bénéfice d’une seule personne à l’exclusion des autres personnes qui désireraient en profiter. L’exemple de l’air pur a déjà été donné pour illustrer cette définition de l’expression « biens publics ». Il est clair que la plupart des « avoirs » des pouvoirs publics ne sont pas des biens publics selon la seconde définition (car ils sont divisibles, peuvent être appropriés au bénéfice d’une ou de plusieurs personnes à l’exclusion des autres, et ainsi de suite), alors qu’ils le sont selon la première.

    Cette distinction est importante. En effet, pour prendre un exemple, une « voiture officielle » est un « bien public », bien qu’elle soit réservée à l’usage exclusif des « officiels ». Un terrain militaire est un « bien public », mais on ne peut y accéder sans autorisation. En revanche, si l’air pur est un bien public, au sens de la deuxième définition, c’est parce qu’il n’est pas possible d’empêcher les gens d’en profiter à moins de les chasser de l’endroit où l’air est pur. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une personne profite de cet air pur que les autres ne peuvent pas en profiter également. De plus, on n’épuise pas ce bien public en le consommant. C’est la même chose pour la paix, la sécurité, la stabilité. Quand la paix règne, tout le monde en profite. Quand la sécurité et la stabilité sont assurées, chacun peut espérer vivre sans crainte.

    Or ces biens publics ne peuvent être disponibles s’il n’y a pas une autorité et une administration pour les rendre disponibles. Pour faire régner la paix, il faut des « agents » capables de l’imposer aux fauteurs de troubles (qui, par définition, tentent de « troubler » la paix publique). Pour assurer à une population la sécurité et la stabilité qui peuvent contribuer à son bien-être, il faut substituer l’ordre à l’anarchie et accepter une gestion centralisée et collectivisée de certaines ressources (que cette gestion soit démocratique ou non). En définitive, dans une agglomération, la plupart des « biens publics » sont ceux que procurent les autorités et les administrations. Voyons maintenant comment une définition des finances publiques pourrait rendre compte de l’administration et de ses particularités.

    LES FINANCES PUBLIQUES

    Les finances publiques sont aujourd’hui le principal outil de promotion et de développement de l’intérêt collectif ou, comme l’affirment Paul Marie Gaudemet et Joël Molinier, « un des moyens d’action des collectivités publiques¹⁸ ». Ce moyen, ils le décrivent comme étant l’ensemble des opérations à caractère pécuniaire effectuées par les organismes publics. Ces opérations sont, par exemple, les divers modes de constitution de revenus (impôts, taxes, droits, redevances, ventes, emprunts…) ou encore les différentes manières de dépenser (achats de biens et de services, rémunérations des employés, subventions, crédits d’impôts…). Cette définition des finances publiques a le mérite d’être simple et concise. En revanche, elle a un inconvénient important : elle nous mène directement au cœur de la querelle sur le contenu de la comptabilité nationale et sur la définition du secteur public.

    Une définition plus restrictive comme celle de Robert Cros, pour qui les finances publiques « constituent le secteur public non marchand de l’économie, dans la mesure où la quasi-totalité de ce qu’elles produisent n’est pas vendue (ou achetée) sur le marché¹⁹ », donne, de son côté, une vision tronquée de ce que sont réellement les finances publiques, parce qu’elle exclut, par exemple, des entreprises publiques à vocation commerciale incluses dans le périmètre comptable du gouvernement du Québec comme la SAQ, Hydro-Québec et Loto-Québec. Alors que choisir ? Il faut opter, à notre avis, pour une définition qui retient le caractère obligatoire ou quasi obligatoire des prélèvements des deniers utilisés par l’État et la finalité collective de l’utilisation de ces deniers par la puissance publique. La figure I.3 propose un processus pour la constitution des finances publiques. Ce processus nous permet de proposer la définition suivante :

    Finances publiques

    Les finances publiques sont constituées de l’ensemble des biens pécuniaires prélevés par voie légale sur les activités économiques et sur le patrimoine d’ordre privé et d’ordre public de manière autoritaire ou négociée, par la puissance publique ou par un des agents dont elle a l’ultime responsabilité, en vue de promouvoir l’intérêt et le bien-être collectifs. Les finances publiques modernes incorporent aussi les versements et les transferts effectués par des pays et des organismes internationaux au profit du pays ou de l’État concerné.

    Aujourd’hui, l’importance des économies publiques à travers le monde ainsi que la force de leurs relations multilatérales sont, de fait, un point d’origine de la constitution du denier public. Il s’additionne désormais à l’économie et au patrimoine privés nationaux qui en demeurent le point d’origine initial. Dès l’instant où un pays bénéficie d’une aide pécuniaire versée par la Banque mondiale, pour ne prendre que cet exemple, cette somme d’argent devient automatiquement partie intégrante des finances publiques nationales, parce que cette aide vise le développement et le soutien de l’intérêt et le bien-être d’une collectivité. De plus, les autorités étatiques bénéficiaires ont l’obligation morale et politique d’en rendre compte.

    Il découle de ce qui précède que la définition la plus actuelle et la plus complète des finances publiques intègre les caractéristiques suivantes : une origine première que sont l’économie et le patrimoine privés, le transfert sous diverses formes vers une puissance publique et l’objectif de développement d’ensemble d’une collectivité.

    Le degré de précision d’une définition des finances publiques est crucial non seulement pour la connaissance intellectuelle de l’objet, mais aussi, et surtout, pour la prise de décision et la délimitation du périmètre de la responsabilité étatique en matière de budget public. Plus on restreint la définition à la seule sphère gouvernementale ou municipale, plus une multitude d’organismes dits autonomes et situés dans les zones parapublique et péripublique bénéficient de la vérification et du contrôle de

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