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L'Ohada et le secteur informel: L'exemple du Cameroun
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Livre électronique877 pages8 heures

L'Ohada et le secteur informel: L'exemple du Cameroun

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage nous fait découvrir l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) créée par le Traité de Port-Louis (île Maurice) du 19 octobre 1993 et entré en vigueur le 18 septembre 1995. Afin de créer un espace économique doté d’une sécurité juridique susceptible d’attirer les investissements étrangers et de consolider les investissements nationaux, les États membres se sont fortement inspirés du droit des affaires français, le contexte socio-économique africain n’ayant pas été suffisamment pris en compte dans la mise en place de ce dispositif. Le tissu économique des pays membres de l’OHADA se caractérise par la prédominance du secteur informel sur le secteur formel. Cette étude nous présente le cas du Cameroun dont le secteur informel compte un peu plus de 90% des emplois. Ainsi, bien que ce secteur soit le moteur du développement économique en Afrique, le législateur de l’OHADA n’en a pas suffisamment tenu compte lors de l’élaboration des actes normatifs.
Le cadre juridique est donc inadapté au secteur informel. Or, pour que l’intégration économique africaine réussisse (c'est l'un des objectifs de l’OHADA), il est nécessaire de considérer tous les acteurs de la vie économique. L’étude vise en ce sens l’identification des mesures qui pourraient être prises dans le cadre de l’espace OHADA d’une part et dans le cadre national camerounais d’autre part, pour élaborer une législation appropriée au secteur informel, le résultat recherché étant la migration progressive des opérateurs du secteur informel vers le secteur formel de l’économie. Cet ouvrage intéressera les magistrats, les avocats spécialisés dans le droit des affaires, les chefs d’entreprise africains, mais également les professionnels de l’économie comme les banquiers, ou encore les professeurs et leurs étudiants. L’ouvrage a été soutenu par le Fonds scientifique Jean Bastin AISBL.
LangueFrançais
Date de sortie5 nov. 2012
ISBN9782804456504
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    Aperçu du livre

    L'Ohada et le secteur informel - Stéphanie Kwemo

    couverturepagetitre

    © Groupe De Boeck s.a., 2012

    EAN : 9782804456504

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

    www.larcier.com

    Éditions Larcier

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    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISSN : 2294-5474

    La collection Droit / Économie international rassemble des ouvrages rédigés conjointement par des spécialistes du droit et de l’économie afin de mieux comprendre et maîtriser les grandes questions suscitées par le développement de la mondialisation et du marché.

    Sous la direction de :

    Bernard REMICHE, avocat, professeur à l’Université catholique de Lauvain, directeur de la Chaire Arcelor, président de l’association internationale de Droit économique, Belgique.

    Nicolas THIRION, licencié en droit de l’Université de Liège, aspirant au Fonds National de la Recherche Scientifique (F.N.R.S.), attaché au service de droit commercial de la Faculté de droit de l’Université de Liège, chargé de cours à l’Université de Liège, chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain.

    Dans la même collection :

    MARCHAND A., L’embargo en droit du commerce international, 2012

    AYDEL K., Crédit documentaire et connaissement. Théorie institutionnelles, problématiques juridiques et solutions jurisprudentielles, 2012

    BALATE É., MENÉTREY S. (sous la direction de), Questions de droit économique : les défis des états africains, 2011

    KAMERHE V., Origins of the transatlantic policy of Democratic Republic of Congo.

    Democratic Republic of Congo, Land of hope for humanity, 2011

    BOY L., RACINE J.-B., SUEUR J.-J. (sous la direction de), Pluralisme juridique et effectivité du droit économique, 2011

    KAMERHE V., Les fondements de la politique transatlantique de la République Démocratique du Congo.

    La République Démocratique du Congo, Terre d’espoir pour l’humanité, 2011

    GUESMI A., Le médicament à l’OMC : droit des brevets et enjeux de santé, 2011

    REMICHE B., RUIZ-FABRI H. (sous la coordination de), Le commerce international entre bi- et multilatéralisme, 2010

    BAKANDEJA wa MPUNGU G., REMICHE B. (sous la direction de), D’une économie populaire à une économie fiscalisée, 2010

    BOY L., RACINE J.-B., SIRIAINEN F. (sous la coordination de), D’une économie et droits de l’homme, 2009

    BAKANDEJA wa MPUNGU G., Droit minier et des hydrocarbures en Afrique centrale, 2009

    BRAHY N., The Property Regime of Biodiversity and Traditional Knowledge. Institutions for Conservation and Innovation, 2008

    BOY L., RACINE J.-B., SIIRIAINEN F. (sous la direction de), Sécurité juridique et droit économique, 2007

    REMICHE B., KORS J. (sous la direction de), L’accord ADPIC : dix ans après. Regards croisés

    Europe-Amérique latine. Actes du séminaire de Buenos Aires organisé par l’Association internationale de Droit économique, 2007

    REMICHE B. (sous la direction de), Brevet, innovation et intérêt général. Le brevet : pourquoi et pour faire quoi ?, 2007

    THIRION N. (sous la direction de), Libéralisations, privatisations, régularisation. Aspects juridiques et économiques des régulations sectorielles. Marchés financiers - Télécomes - Médias - Santés, 2007

    BAKANDEJA wa MPUNGU G., Les finances publiques. Pour une meilleure gouvernance économique et financière en République Démocratique du Congo, 2006

    PISSORT W., SAERENS P., Initiation au droit commercial international, 2004

    NGO-MAI S., TORRE D., TOSI E. (sous la direction de), Intégration européenne et institutions économiques, 2002

    BAKANDEJA wa MPUNGU G., Le droit du commerce international. Les peurs justifiées de l’Afrique face à la mondialisation des marchés, 2001

    CEREXHE É., le HARDY de BEAULIEU L., Introduction à l’Union économique ouest-africaine (épuisé), 1997

    DELACOLLETTE J., Les contrats de commerce internationaux (épuisé), 1996

    WINCKLER A., BRUNET F. (sous la direction de), La pratique communautaire de contrôle des concentrations. Analyses juridique, économique et comparative Europe, États-Unis, Japon, 2e édition, 1995

    À mes mamans,

    À mes frères et mes sœurs.

    Dédicace

    Je dédie à mon père, Pierre Kwemo,

    ce travail à la source et au cœur

    duquel il est omniprésent…

    Préface

    Il nous est agréable de présenter la thèse de Mademoiselle Stéphanie Kwemo sur le secteur informel dans l’espace OHADA. Inutile de souligner l’importance du sujet au moment où l’Afrique de l’Ouest connaît un essor économique et social de grande ampleur : ne parle-t-on pas d’une croissance à deux chiffres ? Au moment également où le droit de l’OHADA s’installe et s’impose même au point d’intéresser certains pays anglophones. Partant de l’observation que le secteur informel recouvre de très nombreuses activités souvent innovantes et porteuses de développement, Mademoiselle Kwemo se demande à juste titre si les divers chapitres de l’OHADA sur les sociétés, sur les commerçants et les actes de commerce, sur les procédures collectives et les sûretés, bref sur les outils juridiques de la vie des affaires, sont appropriés pour les petites et parfois très petites, mais aussi pour certaines moyennes entreprises qui composent le secteur informel et qui constituent le tissu économique le plus vivant et le plus diversifié de la plupart des pays africains. Les activités d’échange, de transport, d’intermédiation, parfois de financement, sont concernées au premier chef. Mais il est sans doute impossible de toutes les identifier, puisque c’est précisément le trait du secteur informel que de rester dans l’ombre des recensements officiels.

    L’auteur s’efforce, dans un premier temps, de démontrer que le droit de l’OHADA, si intéressant et si riche soit-il, ne parvient pas à saisir le secteur informel ou ne le ferait qu’imparfaitement. Sans doute, comme le souligne cette première partie, le droit de l’OHADA a-t-il cherché à s’étendre à de nouvelles activités : l’élargissement de la gamme des actes de commerce en témoigne, de même que la définition des intermédiaires du commerce ou l’extension de la notion de fonds de commerce. Ces avancées et toutes celles que l’auteur recense, sur l’introduction dans la législation de la société en participation ou de la société de fait, ou encore sur l’adoption de structures originales de coopération entre les sociétés, sont les bienvenues, mais restent, dans la démonstration de l’auteur, insuffisantes. Et celle-ci de prendre appui sur les réalités de son propre pays, le Cameroun. À travers des études de terrain, conduites, comme cela est dit, à de nombreuses reprises et à l’occasion de différents voyages, Mademoiselle Kwemo décrit des situations originales et souvent particulières dans lesquelles le droit écrit, le droit de la ou des capitales, n’a pas beaucoup d’influence. Les pratiques, les habitudes, les mœurs continueraient à dicter les comportements et constitueraient ainsi le seul droit – « flexible » – capable de réguler les activités économiques. Il est impossible de rendre compte en quelques lignes de ces développements dont on a compris, ne serait-ce qu’intuitivement, l’intérêt. Le lecteur attiré par la sociologie juridique en tirera certainement un grand profit, tout comme le spécialiste de procédure civile qui verra que l’évolution dont on parle beaucoup aujourd’hui relative au règlement conventionnel des conflits est, en fait, engagée depuis longtemps, sinon une donnée sociologique que l’on a eu tort d’ignorer. C’est un véritable monde que Mademoiselle Kwemo dépeint par touches successives : ce monde terrestre – les activités maritimes ne sont pas envisagées – est informel, caché, voire secret, mais d’un réel dynamisme ; s’il a besoin de droit, celui de l’OHADA lui conviendrait ici ou là, mais peut-être pas dans toutes les situations. Cette conclusion, argumentée, appelait une ouverture sur de nouvelles perspectives. C’est précisément l’objet de la seconde partie de la thèse de Mademoiselle Kwemo.

    Dans un second temps, l’auteur plaide pour un assouplissement de certaines règles existantes sur les structures sociétaires que le droit propose aux opérateurs économiques, sur les exigences relatives à la comptabilité ou encore sur certaines conditions d’accès au statut d’entrepreneur individuel. Parmi toutes ces propositions, on retiendra particulièrement ce qui est dit sur le crédit et plus encore sur le « micro-crédit ». Certaines expériences ont d’ores et déjà été conduites pour ce type d’opération. On croit savoir qu’elles sont positives. Elles mériteraient – et c’est l’une des plus brillantes plaidoiries de l’auteur – d’être poursuivies et renforcées. On relèvera également les arguments développés pour défendre une politique d’appui au secteur informel, une politique d’accompagnement, d’information, d’éducation aussi, qui ne peut être qu’encouragée et valorisée. L’auteur n’ignore pas pour autant les difficultés et les écueils, notamment sur le terrain de la fiscalité, mais, chemin faisant, le lecteur se dira que la direction tracée portera ses fruits.

    Voici donc une thèse mi-sociologique, mi-juridique, ce qui est parfaitement compatible, souvent inédite et très attachante et à travers laquelle se dévoile une vraie personnalité. Malgré quelques touches pessimistes, elle est d’une grande lucidité et contribuera certainement à la meilleure connaissance d’un phénomène étrange et fascinant qui porte, avant tout, le poids de l’histoire. Le travail est méthodique et bien conduit. Après avoir reçu tous les compliments académiques, il mérite désormais d’être lu et diffusé. Il n’a pas sa place uniquement dans les meilleures bibliothèques universitaires. On lui souhaite l’un des premiers rangs sur la table des entrepreneurs mais aussi et surtout sur le bureau des décideurs.

    Philippe DELEBECQUE

    Professeur à l’Université de Paris-I

     (Panthéon-Sorbonne)

    Sigles et abréviations

    Introduction

    1. Il est écrit dans L’Esprit des lois que les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles ont été faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre… »¹.

    La formule du Professeur Henri Solus, traitant spécialement du droit des territoires d’outre-mer, est tout aussi expressive pour mettre en relief la relation entre les lois et leur contexte d’application. Il affirme ainsi que « les institutions juridiques trouvent leur expression dans la loi, mais la loi à elle seule ne peut les créer sans tenir compte de la condition sociale, des mœurs et de la religion enchaînées par une longue tradition »².

    2. Ce sont de telles réflexions qui ont suscité les interrogations qui vont être exposées ici au sujet de l’adéquation des règles de l’OHADA aux contextes socio-économiques des pays africains dans lesquels elles ont vocation à s’appliquer, étant entendu que pour l’essentiel, en leur état actuel, elles procèdent d’une sorte de transplantation des solutions retenues par le droit des affaires français.

    3. L’OHADA a été créée par le Traité de Port-Louis (Île Maurice) du 17 octobre 1993³, qui est entré en vigueur le 18 septembre 1995⁴.

    Par la signature de ce Traité, les États signataires ont voulu créer un espace économique homogène apte à répondre aux besoins des investisseurs nationaux et étrangers. La poursuite de cet objectif était devenue une nécessité eu égard à l’insécurité juridique et judiciaire qui régnait dans les États concernés depuis leur accession à l’indépendance⁵.

    Ces États signataires, au nombre de dix-sept, sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, les Comores, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée Équatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo⁶, et la république démocratique du Congo (RDC)⁷.

    Le traité est ouvert à l’adhésion de tout État membre de l’Union Africaine (UA)⁸ et non signataire du Traité. Il est également ouvert à l’adhésion de tout autre État non membre de l’UA invité à y adhérer d’un commun accord de tous les États parties⁹.

    4. La composition actuelle de l’OHADA reflète dans une large mesure l’existence d’une tradition linguistique et juridique commune. À quelques exceptions près (la Guinée Équatoriale, la Guinée-Bissau, et la partie anglophone du Cameroun), tous les États membres sont des pays d’Afrique francophone. De plus, à l’exception de la partie anglophone du Cameroun, tous les États membres sont des pays de tradition civiliste et ont été fortement influencés par le droit français. Le droit de l’OHADA affiche cependant une certaine originalité qui sera examinée le long de cette étude¹⁰.

    5. Généralement, l’adoption par différents pays d’un droit des affaires commun est à la fois la condition et la conséquence de l’existence d’une union économique entre ces pays, et, a fortiori, d’une union économique et monétaire entre ces pays¹¹.

    Or, ce n’est pas la constitution d’une telle union économique, et le cas échéant monétaire, qui a conduit à l’harmonisation du droit des affaires dans l’espace OHADA. Les pays membres n’appartiennent pas aux mêmes unions économiques et monétaires. Ces unions ont elles-mêmes un droit qui leur est propre dans certains domaines de leurs activités économiques, notamment dans celui de la concurrence.

    6. C’est ainsi que la plupart des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest¹² ont institué l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour la création d’un marché commun, sur un territoire douanier unique, permettant la libre circulation des biens, des services et des capitaux, ainsi que le libre établissement des personnes. Cette union a conduit, en conséquence, à l’harmonisation dans ces domaines de la législation des États membres. Ils ont en commun un droit bancaire et un droit de la concurrence¹³.

    L’Afrique de l’Ouest comprend également une autre communauté économique : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Elle ne regroupe pas exactement les mêmes pays que l’UEMOA¹⁴, puisqu’elle comprend les pays de l’UEMOA, la Guinée Conakry, et six États, en majorité anglophones¹⁵, qui ne font pas partie de l’OHADA. Son objectif est d’établir une union économique en Afrique de l’Ouest entre les pays qui la composent¹⁶. Ses projets sont importants, mais les réalisations sont modestes, l’UEMOA ayant pris une avance et une place considérables qui tendent à éclipser les autres réalisations et projets¹⁷.

    7. De leur côté, les pays d’Afrique centrale¹⁸ ont institué la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui a donné lieu à deux unions : l’Union économique en Afrique Centrale (l’UEAC) et l’Union monétaire en Afrique Centrale (l’UMAC)¹⁹.

    Les objectifs de l’UEAC sont assez semblables à ceux de l’UEMOA. Comme l’UEMOA, l’UEAC a élaboré un droit de la concurrence réglementant les pratiques commerciales anticoncurrentielles et les pratiques étatiques affectant le commerce entre les États membres²⁰. L’UMAC a pour objet la coopération monétaire entre les États de la CEMAC ; elle concerne essentiellement la réglementation des changes et la réglementation bancaire²¹.

    8. L’UEMOA et la CEMAC forment ensemble la Zone Franc CFA²², qui fait partie de la Zone Franc au sens large²³.

    9. L’OHADA ne procède pas de l’existence d’une union économique et monétaire commune dont elle fixerait les règles du jeu, mais de la manifestation de la volonté d’établir des règles juridiques communes dans l’ensemble des pays membres dans le domaine du droit des affaires. Ce n’est ni une confédération, ni une fédération. C’est un espace juridique homogène s’agissant du droit des affaires. C’est un modèle d’intégration juridique²⁴.

    10. On pourrait craindre dans certains domaines, notamment dans celui des opérations bancaires, un risque de conflits de règles juridiques entre le droit de l’OHADA et celui de l’UEMOA ou entre le droit de l’OHADA et celui de la CEMAC. En réalité, les domaines des droits relevant de chaque institution sont bien circonscrits, et en pratique il ne semble pas que l’on relève des problèmes de conflits de droit²⁵.

    11. Les États membres de l’OHADA sont également parties à d’autres organisations internationales qui sont vouées à l’intégration juridique. Il s’agit d’organisations sectorielles qui traitent de matières diverses telles que le droit de la propriété intellectuelle (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle ou OAPI²⁶), le droit des assurances (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances ou CIMA²⁷), et le droit de la sécurité sociale (Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale ou CIPRES²⁸).

    12. En somme, il n’existe que peu d’expériences d’harmonisation juridique équivalentes à celle de l’OHADA²⁹. En effet, la particularité du Traité OHADA apparaît par l’ampleur de l’intégration communautaire qu’il propose. Ainsi, alors que les autres organisations d’intégration juridique (tels que l’OAPI, la CIMA et la CIPRES) ne couvrent que des domaines particuliers plus ou moins vastes et ramifiés, l’OHADA réalise une intégration juridique généralisée³⁰. C’est la première fois qu’est mise en œuvre l’harmonisation des règles juridiques à ce stade et à l’échelle du continent³¹.

    13. D’ailleurs, la notoriété mondiale de l’OHADA a incité de très nombreux juristes, des entreprises et certains Gouvernements des États de la Caraïbe³² à réfléchir à la mise en place d’un projet d’unification du droit des affaires dans la Caraïbe reprenant la philosophie de l’OHADA. Les partisans de ce projet, dénommé OHADAC (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires dans la Caraïbe), ont décidé de se réunir dans le cadre d’une association « ACP Legal » pour aider les États intéressés de la Caraïbe à mettre en œuvre le projet³³.

    14. L’OHADA est dotée de structures et de mécanismes de décision qui, bien que ne pouvant être comparés à ceux d’un État, n’en comportent pas moins les éléments essentiels. Il s’agit du Conseil des ministres dont les fonctions sont importantes et qui doit se réunir périodiquement³⁴, du Secrétariat permanent qui assure à la fois le pouvoir de décision et le pouvoir normatif³⁵, de l’École régionale supérieure de la magistrature (ERSUMA) qui concourt à la formation et au perfectionnement des magistrats et des auxiliaires de justice des États parties³⁶, et de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) qui exerce le pouvoir de contrôle et de sanction³⁷.

    15. Les objectifs principaux de l’OHADA sont clairement définis dans le Traité : « l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies »³⁸, la promotion de l’arbitrage comme un mode de règlement des différends contractuels, l’amélioration du climat d’investissement, le soutien à l’intégration économique africaine, l’institution d’une communauté économique africaine, « en vue d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine »³⁹.

    « L’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance »⁴⁰. Tels sont les propos du juge Kéba MBAYE⁴¹, l’un des pères fondateurs de l’OHADA, qui démontrait toute l’importance de ce traité interétatique.

    16. L’OHADA vise deux objectifs généraux et permanents : la sécurisation de l’environnement juridique des entreprises⁴², et la sécurisation de leur environnement judiciaire⁴³.

    Pour atteindre ces objectifs, deux moyens sont utilisés : d’une part, l’adoption et la promulgation de textes appelés « Actes uniformes » applicables dans tous les pays membres de l’OHADA et, d’autre part, l’institution d’une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)⁴⁴ chargée d’assurer l’unité du droit des affaires dans l’ensemble de ces pays⁴⁵.

    17. L’OHADA a vocation à légiférer dans tous les secteurs du droit des affaires, voire même à en dépasser le cadre classique⁴⁶. À ce jour, neuf Actes uniformes sont entrés en vigueur⁴⁷. Ces Actes uniformes se rapportent au droit commercial général, au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, aux sûretés⁴⁸, aux procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution⁴⁹, aux procédures collectives⁵⁰, au droit de l’arbitrage⁵¹, à la comptabilité⁵², aux contrats de transport de marchandises par route⁵³, et au droit des sociétés coopératives⁵⁴.

    Par ailleurs sont en cours et, pour certains, bien avancés, les travaux d’élaboration des avant-projets d’Actes uniformes relatifs au droit du travail⁵⁵, au droit des contrats⁵⁶, au droit des télécommunications⁵⁷, et au droit de la vente aux consommateurs⁵⁸.

    18. Deux modèles ont inspiré la conception et la rédaction des Actes uniformes. Le premier est le modèle français, dans l’état du droit de la première moitié des années quatre-vingt-dix, à l’exception du droit des procédures collectives d’apurement du passif qui est fondé essentiellement sur la loi française du 13 juillet 1967, et du droit comptable qui a été très novateur lors de son adoption. À travers le modèle français, on retrouve aussi les textes européens dans la mesure de l’intégration des directives européennes dans le droit français. Il en résulte qu’un grand nombre de dispositions des Actes uniformes sont très proches du droit français. Il n’y a, pour ces textes, aucun bouleversement culturel⁵⁹.

    Le second modèle, particulièrement dans le domaine du droit des sociétés, est le modèle guinéen. La République de Guinée (Conakry) a adopté et promulgué par la loi n° 92 043 CTRN, du 8 décembre 1992, un Code des activités économiques (Code guinéen ou CAE). De très nombreuses innovations guinéennes résultant du CAE ont été intégrées, souvent simplement recopiées, dans l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique⁶⁰.

    19. Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure⁶¹. La force obligatoire conférée aux Actes uniformes, par l’article 10 du Traité OHADA, met en jeu la primauté et l’applicabilité directe des normes communautaires dans les droits nationaux.

    Cette disposition donne lieu à certaines difficultés d’ordre constitutionnel dans certains États membres (applicabilité directe, abrogation des lois nationales). C’est pourquoi la CCJA s’est prononcée sur la règle de la supranationalité introduite par l’article 10 du Traité OHADA. Pour la CCJA, cet article a pour effet d’abroger et d’interdire pour l’avenir toute disposition législative ou réglementaire nationale ayant le même objet que les Actes uniformes et étant en conflit avec ces derniers. Il est en outre précisé que, en cas de conflit entre une loi nationale et un Acte uniforme, les dispositions qui ne sont pas en conflit avec l’Acte uniforme demeurent valables⁶².

    La solution donnée par la CCJA apaise les inquiétudes des États membres relatives à leurs législations internes en concurrence avec les matières harmonisées par le Traité, et prolonge l’entreprise d’unification en proposant d’étendre la portée abrogatoire de l’article 10 du Traité OHADA aux domaines susceptibles d’être harmonisés. De ce point de vue, les rapports entre le droit de l’OHADA et le droit national des États parties sont soumis à une certaine hiérarchie dans la mise en cohérence des règles juridiques⁶³.

    20. Après plus de quinze ans de mise en œuvre, il est permis de conclure à un relatif succès de l’OHADA. En effet, au plan législatif, neuf Actes uniformes, présentés plus haut, sont disponibles, et d’autres sont en cours d’adoption. Au plan de la pratique judiciaire, la mise en œuvre du droit de l’OHADA est à l’origine d’une abondante jurisprudence de la CCJA et des juridictions nationales. De même, il existe une importante contribution de la doctrine tant africaine que française au sujet du droit OHADA⁶⁴.

    21. Toutefois, malgré ces motifs de satisfaction, il existe de réels problèmes de mise en œuvre du droit de l’OHADA. En effet, la relative jeunesse de l’OHADA entraîne que la plupart des textes sont en cours d’appropriation par les États membres⁶⁵. De plus, des insuffisances, voire des incohérences, ont été constatées non seulement dans le texte du Traité, mais aussi dans celui des Actes uniformes rendant ainsi leur appropriation malaisée⁶⁶.

    22. Conscients de la nécessité de combler les insuffisances et incohérences constatées, et afin de rendre le droit de l’OHADA plus propice à l’atteinte de ses objectifs, les États membres ont décidé de procéder à une réforme de l’OHADA.

    Cette réforme s’opère d’abord au plan institutionnel, par la révision du Traité de l’OHADA, le constat ayant été fait que les institutions de l’OHADA, telles qu’elles sont prévues dans le Traité de Port-Louis, pouvaient constituer un élément obérant son évolution, et certaines défaillances liées au fonctionnement même des institutions ayant été observées⁶⁷.

    La réforme s’opère ensuite au plan matériel, par la révision des Actes uniformes, ces derniers soulevant des difficultés liées aux règles de procédure et aux règles de fond qu’ils établissent⁶⁸.

    23. En ce qui concerne la révision institutionnelle, le 17 octobre 2008 à Québec, les chefs d’État et de gouvernement de l’OHADA ont adopté à l’unanimité le Traité portant révision du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993⁶⁹. Ce Traité révisé est entré en vigueur le 21 mars 2010⁷⁰.

    Les principales innovations du Traité portent sur la création d’un nouvel organe, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OHADA, dont le rôle sera de statuer sur toute question relative au traité⁷¹, l’adoption de trois nouvelles langues de travail, en plus du français (l’anglais, l’espagnol et le portugais)⁷², et l’augmentation du nombre de juges de la CCJA qui passe de sept à neuf⁷³.

    24. En ce qui concerne la révision des Actes uniformes, après plus d’une dizaine d’années de pratique, il était vital pour l’OHADA d’évaluer les Actes uniformes ainsi que leur application afin d’apporter les corrections nécessaires pour un surcroît d’efficacité⁷⁴.

    La pratique a en effet montré que leur application soulève des difficultés qui sont liées aussi bien aux règles de procédure établies par les Actes uniformes qu’aux règles de fond édictées par ces Actes. Un travail d’évaluation de tous les Actes uniformes va donc être mené, afin de mettre en exergue leurs forces et faiblesses après plusieurs années de pratique, et de procéder ensuite à leur révision⁷⁵. Le Secrétariat permanent, en collaboration avec les commissions nationales et certaines institutions comme la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds, a engagé ce processus⁷⁶.

    Ce sont l’Acte uniforme relatif au droit commercial général et l’Acte uniforme portant organisation des sûretés qui ont été évalués en premier. À la suite de ces évaluations, qui ont abouti à la conclusion que des réformes étaient nécessaires, des avant-projets d’amendements ont été rédigés⁷⁷. Les deux Actes uniformes révisés ont été adoptés le 15 décembre 2010 par le conseil des ministres, et sont entrés en vigueur le 15 mai 2011⁷⁸.

    La réforme de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique est en cours, l’objectif étant de la finaliser courant 2012⁷⁹.

    25. Le principal point faible du dispositif initial mis en place par l’OHADA réside dans son éloignement des réalités socio-économiques africaines. Or, comme le disait MONTESQUIEU, une bonne loi devrait découler de la nature des choses⁸⁰.

    26. Si la reproduction du modèle français dans le droit de l’OHADA permet aux investisseurs et aux financiers européens d’évoluer dans un environnement juridique familier, cette méthode ne permet pas de prendre pas en compte le contexte socio-économique africain. Le tissu économique des États membres de l’OHADA se caractérise en effet par la prédominance du secteur informel.

    27. Réalité socio-économique, massive en Afrique, le secteur informel s’est considérablement développé à partir de l’année 1980 qui marque le début de la crise économique dans la plupart des pays africains⁸¹.

    28. Le concept de secteur informel a été officiellement introduit par l’anthropologue Keith HART⁸² en 1971, dans une étude sur le Ghana⁸³. C’est lui qui employa le premier l’adjectif « informal », mais appliqué aux « opportunités de revenu », et non à un quelconque secteur. Ainsi, HART pose le problème du revenu informel comme un revenu complémentaire devenu nécessaire en raison de la stagnation des salaires et de l’inflation, alors que la solidarité familiale et le recours au crédit atteignent leur limite. Il situe donc l’analyse au niveau des ménages⁸⁴.

    29. L’expression « secteur informel » est apparue pour la première fois en 1972, dans le rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)⁸⁵ qui portait sur la mission globale sur l’emploi au Kenya⁸⁶.

    L’une des principales conclusions de cette mission fut que, dans les pays en développement comme le Kenya, le véritable problème social n’était pas le chômage, mais l’existence d’une importante population de « travailleurs pauvres », dont beaucoup peinaient très durement pour produire des biens et des services sans que leur activité soit pour autant reconnue, enregistrée, protégée ou réglementée par les pouvoirs publics. Le rapport parlait à ce sujet de « secteur non structuré ». La mission avait alors avancé l’idée qu’avec une aide et une protection légale minimale, certaines activités de ce secteur pourraient offrir des emplois plus nombreux et plus sûrs⁸⁷.

    Cette importante constatation a suscité, au cours des années qui ont précédé, d’intenses activités de recherche et de collecte de données sur le secteur informel, dont beaucoup ont été déployées par l’OIT elle-même ou sous ses auspices.

    30. C’est ainsi que plusieurs terminologies ont été proposées pour rendre compte de l’existence d’un tel secteur ; ces terminologies ont en commun d’être fondées sur des dichotomies, dont voici quelques exemples : « secteur transitionnel/secteur moderne »⁸⁸, « circuit inférieur/circuit supérieur »⁸⁹, « économie de bazar/économie d’entreprise »⁹⁰. Cependant, c’est la terminologie fondée sur la dichotomie « secteur informel/secteur formel » qui reste la plus employée ; ensuite vient la distinction « secteur non structuré/secteur structuré »⁹¹.

    31. Tous ces travaux ont certes aidé à mieux comprendre le phénomène du secteur informel dans différents contextes nationaux et culturels ; en revanche, ils n’ont pas permis jusqu’ici d’en donner une définition claire qui fasse l’unanimité.

    Depuis la création du concept, le Bureau International du Travail (BIT), qui est le secrétariat permanent de l’OIT, définit le secteur informel comme « un ensemble d’unités produisant des biens ou des services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division du travail et du capital en tant que facteurs de production. Les relations d’emploi, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les liens de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme. Les unités de production du secteur informel présentent les caractéristiques particulières des entreprises individuelles. Les actifs immobilisés ou autres utilisés n’appartiennent pas aux unités de production en tant que telles, mais à leurs propriétaires »⁹².

    Mais les auteurs sont loin de s’entendre sur ce que sont exactement les activités du secteur informel et sur ce qui les distingue des activités du secteur formel. La plupart des tentatives de définition entreprises dans les études portant sur ce secteur renvoient à l’idée que la diversité qui caractérise le secteur informel entraîne l’impossibilité d’une définition juridique ou économique omnivalente.

    Il n’existe pas de définition paradigmatique du secteur informel. La notion est explicitée ici et là en fonction des intérêts et des objectifs de recherche⁹³.

    32. Le mot anglais « informal », tel qu’il est employé par Keith HART à l’origine, dont la traduction française est « informel »⁹⁴, signifie à la fois « irrégulier » et « sans règle précise ». La définition courante du secteur informel ne retient en général que ce second sens⁹⁵.

    33. Ainsi, Sethuraman en donnait en 1976 la définition suivante : « c’est un secteur composé d’entreprises employant moins de 10 personnes, échappant à toute réglementation administrative et juridique, employant une main-d’œuvre familiale, appliquant des horaires souples, recourant à des sources informelles de crédit et fabriquant des produits finalisés (par opposition à des produits intermédiaires). Les travailleurs de ces entreprises ont rarement accès à l’enseignement scolaire, utilisent peu d’énergie électrique et mènent des activités semi-permanentes »⁹⁶.

    34. Dans sa contribution au séminaire du GEFOP (Groupe Experts Formation Professionnelle) du 24 février 2006, Fred FLUITMAN dit de la notion de secteur informel qu’il s’agit d’un « concept qui couvre une grande variété d’activités économiques, qui, le plus souvent, ne sont pas reconnues, enregistrées, protégées, ou régulées par les autorités publiques, et qui sont exécutées en micro ou petites entreprises par des gens qui n’ont pas d’autres moyens pour survivre »⁹⁷.

    35. Selon Kiari Liman TINGIRI, « le secteur informel recouvre des activités de production, de service, ou de distribution, exercées par des unités de petite taille, localisées dans les centres urbains et à leur périphérie, gérées de façon empirique, et qui échappent partiellement à la réglementation »⁹⁸.

    36. Décrivant le secteur informel, Jean-Marc ELA considère que les activités diverses qui s’y déroulent, depuis les métiers du bois et des métaux jusqu’aux réparations mécaniques et électriques, sans oublier les activités de commerce et de transports interurbains, ont en commun de ressortir à l’auto-emploi⁹⁹.

    37. De toutes les définitions du secteur informel, celle de Harold LUBELL¹⁰⁰ nous semble la plus élaborée. Selon cet auteur, le secteur informel se définit comme « l’ensemble des activités et micro-entreprises de production et de service, en général non agricole, qui ne sont pas systématiquement enregistrées par les appareils, les services et les recensements statistiques officiels. Échappant très largement aux réglementations administratives, aux systèmes de sécurité sociale et de protection du travail, aux impositions fiscales, n’utilisant guère de comptabilité, elles sont, non pas illégales, mais en dehors de la légalité ».

    38. Cette dernière définition permet d’identifier sept critères qui caractérisent le secteur informel¹⁰¹ :

    – la facilité d’accès aux activités ;

    – l’utilisation de ressources locales ;

    – la propriété familiale des entreprises¹⁰² ;

    – l’activité à petite échelle ;

    – l’utilisation de techniques simples et d’un nombre réduit de travailleurs ;

    – les qualifications acquises en dehors du système scolaire officiel ;

    – les marchés échappant à tout règlement et ouverts à la concurrence.

    39. Le secteur informel est donc une nébuleuse qui recouvre un « fourre-tout » hétérogène de pratiques socio-économiques, unifiées par leur marginalité par rapport à la loi et à l’officiel¹⁰³.

    40. Ainsi, si des désaccords persistent sur les types d’activités et les catégories de travailleurs que le secteur informel englobe exactement, il semble au moins que les auteurs soient parvenus à une certaine identité de vues sur les principales caractéristiques de ce secteur et sur les grands problèmes qu’il soulève.

    41. Cependant, dans la plupart des définitions, le secteur informel est abordé selon une approche marginaliste et négative. Ce secteur est défini et étudié par rapport aux caractéristiques des systèmes économiques occidentaux, alors que ses activités constituent en fait le fondement de ce qu’on peut considérer comme la « vraie » économie endogène en Afrique, et que la majorité des citoyens y fonctionnent¹⁰⁴. Le secteur informel représente en effet au minimum 75 % des emplois, 80 % des créations d’emploi et environ 50 % de la richesse nationale des États africains¹⁰⁵.

    Cette approche marginaliste dans la définition conceptuelle du secteur informel entraîne que, malgré la réelle volonté de mieux comprendre les fondements et le fonctionnement interne de ce secteur, les études réalisées à cet effet tendent plus à mettre en évidence les caractéristiques qui le différencient du secteur formel qu’à étudier son fondement et son fonctionnement interne¹⁰⁶.

    42. John Ogunsola IGUɹ⁰⁷ affirme ainsi que « les tentatives de définition sont malheureusement limitatives par rapport à la pratique des activités informelles par les populations africaines en général… Elles excluent l’agriculture d’autosubsistance qui se pratique avec des techniques rudimentaires et selon une forme d’organisation du marché dont le système ne dépasse guère celui du village ou du clan »¹⁰⁸. Et il ajoute qu’« elles ne prennent pas en compte non plus le secteur de distribution qui est l’aval de toutes les activités de production ».

    Il propose donc que la définition du secteur informel insiste davantage sur la notion de genre de vie, pour ne pas dire de civilisation, qui prolonge une vieille tradition socioculturelle face aux différentes mutations provoquées par la colonisation. En conséquence, le point de départ le plus intéressant pour formuler toute définition objective devrait être le caractère dualiste de l’économie induit par le fait colonial et qui se manifeste par des écarts dans le fonctionnement de la société entre les lettrés bénéficiaires des avantages de l’école coloniale et les illettrés encore en marge du processus scolaire. En d’autres termes, l’école coloniale a développé d’autres logiques économiques et de gestion de la société, qui ne sont pas encore accessibles à tout le monde¹⁰⁹.

    Cet auteur affirme enfin que « la meilleure définition des activités informelles serait celle qui considère ces activités comme celles qui prolongent la logique d’économie traditionnelle mais dans un environnement sociologique marqué par de profondes mutations »¹¹⁰.

    43. Les activités informelles en Afrique se déroulent suivant des logiques traditionnelles, avec leurs modèles de comportement (recours à l’oralité, prix attaché à la parole donnée), qui se combinent occasionnellement avec le recours à des usages de droit moderne (conclusion de contrats)¹¹¹.

    44. Les différentes enquêtes, soit ciblant expressément l’économie informelle, soit dirigées plus largement vers une analyse globale du marché du travail, mettent clairement en exergue le rôle considérable que jouent les activités du secteur informel comme moyen de lutte contre la pauvreté en Afrique. Autrement dit, le secteur informel reste essentiellement centré, dans la plupart des pays, sur les activités génératrices de revenus qui sont le seul moyen pour ceux qui les exercent de gagner de quoi survivre¹¹². Ainsi, le secteur informel est d’abord constitué d’emplois de subsistance¹¹³.

    Le secteur informel joue un rôle primordial dans les économies africaines. C’est un lieu d’insertion des jeunes dans le marché du travail et de professionnalisation des adultes. Il occupe une place croissante dans la création d’activités et d’entreprises. C’est en effet le lieu de la micro-entreprise et de la petite entreprise, c’est-à-dire l’espace possible d’une croissance et d’une dynamique économiques spécifiques à l’organisation économique des pays africains¹¹⁴.

    Les études réalisées sur le secteur informel en Afrique mettent ainsi en évidence le rôle qu’il joue effectivement en tant que contributeur prééminent à la richesse nationale¹¹⁵.

    45. Le secteur informel ne recouvre donc pas la même réalité en France par exemple, qu’en Afrique. Ainsi, alors que dans le contexte français, « le caractère officieux, occulte de l’activité entrepreneuriale » doit être tenu comme le critère d’identification déterminant¹¹⁶, en Afrique, le faisceau d’indices auquel il faut recourir pour le caractériser autorise à dire que le secteur informel est une autre réalité.

    46. Il est à noter que le secteur informel en Afrique ne recouvre pas, dans la plupart des cas, des activités inciviques ou illicites. La grande majorité des activités du secteur informel fournit des biens et services dont la production et la distribution sont parfaitement légales, ce qui s’oppose aux activités souterraines et aux activités criminelles ou de production illicite.

    Le caractère non réglementé des activités informelles n’implique donc pas leur caractère illicite. Dans une résolution adoptée en janvier 1993 par la Conférence internationale des statisticiens du travail, les statisticiens avaient tenu à préciser ce point et à proposer une distinction entre les deux sens de la notion de secteur informel : « les activités exercées par les unités de production du secteur informel ne sont pas nécessairement réalisées avec l’intention délibérée de se soustraire au paiement des impôts ou des cotisations de sécurité sociale ou d’enfreindre la législation du travail, d’autres législations ou d’autres dispositions administratives. Par conséquent, le concept des activités du secteur informel devrait être différencié de celui des activités de l’économie dissimulée ou souterraine »¹¹⁷.

    En effet, l’économie souterraine est constituée d’activités qui se dissimulent afin d’échapper au paiement des impôts (TVA, revenus…), des charges sociales, ou au respect des législations telles que le salaire minimum, le nombre d’heures maximum, les normes d’hygiène et de sécurité et, d’une façon générale, à toutes les obligations administratives¹¹⁸.

    L’économie illicite quant à elle recouvre toutes les activités productives qui contreviennent au Code pénal, soit parce que ces activités sont interdites par la loi (drogue, prostitution…), soit parce qu’elles sont exercées par des personnes non autorisées (exercice illégal de la médecine), ou encore des activités telles que la contrebande, la contrefaçon…¹¹⁹

    L’économie informelle, à la différence des deux précédents phénomènes, englobe des activités qui ne cherchent pas délibérément à se cacher et à se soustraire aux obligations légales, mais qui ne sont pas enregistrées ou sont mal enregistrées en raison de l’incapacité des pouvoirs publics à faire appliquer leurs propres réglementations, de la reconnaissance implicite de l’inapplicabilité de ces réglementations, et de la tolérance vis-à-vis de ces activités qui en résulte¹²⁰. Ces activités sont « tolérées par les pouvoirs publics car elles atténuent les tensions sociales, absorbent une partie du sous-emploi et réduisent certaines tensions »¹²¹.

    47. Les opérateurs du secteur informel sont plutôt dans une situation d’« a-légalité », ne tenant pas compte des réglementations et les autorités étatiques acceptant cette situation¹²².

    Les résultats des enquêtes sur le secteur informel en Afrique montrent que souvent cette thèse n’est pas conforme à la réalité. En effet, dans la majorité des cas, les micro-entreprises du secteur informel sont connues de l’administration, notamment fiscale, parce qu’elles payent un ou plusieurs impôts. Ce qui contredit l’image habituelle d’un secteur qui fonctionnerait en dehors de tout cadre légal¹²³.

    48. Si l’existence du secteur informel est connue et acceptée par les autorités étatiques, ces dernières ont tendance soit à ignorer complètement ce secteur, soit à ne pas le prendre suffisamment en compte lors de la mise en place de leur réglementation. C’est cette dernière attitude qui a été adoptée par le législateur de l’OHADA.

    Or, l’un des objectifs visés par les États membres de l’OHADA est bien « l’élaboration et l’adoption de règles […] adaptées à la situation de leurs économies »¹²⁴. À l’heure actuelle, cet objectif n’est pas totalement atteint.

    En effet, bien que le secteur informel soit le moteur du développement économique en Afrique, il n’a pas suffisamment été pris en compte par le législateur de l’OHADA lors de l’élaboration des actes normatifs. Il en résulte que le cadre juridique initialement mis en place est en grande partie inadapté au secteur informel.

    L’ambition première du législateur de l’OHADA était d’élaborer un corps de règles pour attirer les

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