Patrice Lumumba: Le Sankuru et l’Afrique
Par Cécile Manya
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À propos de ce livre électronique
Violence, revendications sociales, trahison, union, découvrez les sacrifices d’un héros pour sa nation.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Cécile Manya est auteure de plusieurs livres dont Pas avant 24 ans, Le journal de Dieu et La Vierge Marie des stars.
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Aperçu du livre
Patrice Lumumba - Cécile Manya
Avant-propos
L’échange inégal et impérialiste imposé par les puissances mondiales aux gouvernements du Tiers-monde, quels qu’ils soient, a creusé un déséquilibre économique sans cesse grandissant entre ces derniers et les nations industrialisées. Paradoxalement, c’est en voulant anéantir le leader charismatique africain, en l’abandonnant à une mort tragique et inopinée, que l’impérialisme occidental l’a rendu implicitement « immortel », a forgé sa légende, en a fait un « mythe » : Patrice Lumumba est devenu, depuis sa mort, le symbole des Africains opprimés, marginalisés et pauvres.
La présente étude tente de cerner :
1. La personnalité et la vie de Patrice Lumumba ainsi que l’importance de son rôle et de son action (sur le plan régional, national et, momentanément, sur l’échiquier international).
Qui était Patrice Lumumba et quelle fut son action politique ?
2. Les répercussions entraînées par sa mort dans les communautés de sa région natale, le Sankuru (dans l’immédiat et à plus long terme : naissance et développement du mouvement des Simba, directement issu du « culte » de Patrice Lumumba).
Comment les Ana w’Onkutshu a Membele du Sankuru réagirent-ils en apprenant, en février 1961, la mort tragique de Patrice Lumumba ?
Leurs réactions furent-elles violentes et durables ? Contre qui furent-elles dirigées ?
Comment l’ancienne province congolaise du Sankuru a-t-elle été occupée par les guérilleros simba en 1964 ?
Quelle politique pratiquaient les Simba lumumbistes à l’égard des chefs de groupements et des villageois du Sankuru ? Comment expliquer la chute du Pouvoir simba ?
3. La persistance du « mythe » Lumumba, la symbolique attachée à son nom (dans un passé récent et aujourd’hui encore).
Quel message musical le peuple onkutshu a membele du Sankuru adressait-il à Patrice Lumumba en 1979-1980 ?
Dans quelle mesure peut-on dire que Patrice Lumumba est devenu, depuis sa mort tragique, le symbole des Africains opprimés, marginalisés et pauvres ?
À ce sujet, est-il possible de présenter des exemples, non seulement d’ordre local et ethnique (les Ana w’Onkutshu a Membele du Sankuru) mais également d’ordre continental (l’Afrique dans son ensemble) ?
En étudiant cette grande figure du nationalisme africain (et du panafricanisme), on ne peut s’empêcher d’être frappé par le contraste entre la brièveté de sa carrière politique d’une part et, d’autre part, l’ampleur et la durée des phénomènes qu’elle a engendrés dans la conscience populaire.
La rédaction du présent ouvrage est le fruit de trois techniques de recherche utilisées : la documentation écrite, l’observation sur le terrain et les interviews ou les entretiens. En recourant à la méthode historique, ce travail s’appuie sur un temps et décrit les grands événements de la période étudiée : le rôle du M.N.C de Patrice Lumumba dans le processus de décolonisation du Congo belge, les réactions locales entraînées par la mort tragique de ce leader charismatique africain, les tentatives des partisans lumumbistes d’instaurer un régime de gauche, et enfin, la victoire temporaire du néo-colonialisme.
I
La personnalité et la vie de Patrice Lumumba
Patrice Lumumba fut un homme d’action politique, caractérisé par des initiatives courageuses, des contacts chaleureux et des discours nationalistes. À ce sujet, il est important d’analyser quelques éléments de sa vie, essentiellement sa carrière et son action politique.
1. 1925 : naissance de Lumumba/période de formation
Patrice Émery Lumumba est né le 2 juillet 1925 à Onalowa dans le clan des Ewango, en territoire de Katako-Kombe¹ et dans le district du Sankuru (Kasaï). Ses parents, villageois pauvres, sont soumis aux travaux forcés, aux cultures obligatoires et aux divers impôts imposés par l’État colonial en collaboration avec le chef indigène Wembo-Nyama notamment. Après des études primaires incomplètes dans les écoles missionnaires remarquablement contraignantes et médiocres du Sankuru, Patrice Lumumba décide de se rendre à Stanleyville (via Symétain du Maniema) pour tenter de s’épanouir intellectuellement. Au moment où il quitte Sankuru pour Maniema et Stanleyville, le jeune Lumumba ne parle parfaitement que sa langue maternelle « l’otetela ». Arrivé enfin à Stanleyville, il suit des cours du soir, organisés par les Frères Maristes, puis obtient un certificat d’études primaires complètes. Désormais, il cumule un travail à temps plein, comme petit agent subalterne dans l’administration postale, avec sa formation d’autodidacte. Lumumba devient plus tard bibliothécaire à Stanleyville (capitale de la province orientale du Congo belge). De 1947 à 1948, il vient à Léopoldville (capitale du Congo belge) pour suivre des cours à l’École postale. Ses examens finaux sont indubitablement couronnés de succès car il réussit avec 91,4 %. En 1948, il suit en outre des cours par correspondance pour améliorer plus particulièrement sa connaissance de la langue française. Patrice Lumumba acquiert ainsi un riche vocabulaire et s’exprime aisément en français. Durant son séjour dans les grandes villes du Congo belge, il s’acharne à apprendre correctement les diverses langues indigènes (particulièrement le lingala et le swahili) pour mieux communiquer avec les nombreux groupes ethniques du Congo (l’actuelle RDC).
2. 1948 : début de la vie active
En regagnant Stanleyville à la fin 1948, Patrice Lumumba est nommé commis de 3e classe au bureau central des Postes. Dans cette ville congolaise de Stanleyville qui deviendra plus tard son fief politique, Patrice Lumumba figure parmi les dirigeants et les fondateurs de plusieurs Amicales et Associations : Lumumba est, depuis 1953, président-fondateur de l’Amicale des Postiers Indigènes de la Province Orientale (A.P.I.P.O), Lumumba est secrétaire de l’A.P.I.C dans la province orientale, puis à partir de 1955, président de l’A.P.I.C (Association du Personnel Indigène de la Colonie). Lors d’une élection importante, Lumumba devient président de l’Association des Évolués de Stanleyville ; il occupera ce poste du 17 février 1954 jusqu’au début de l’année 1956. Lumumba est également éditeur-responsable de la revue l’Echo postal (organe trimestriel de l’Amicale des Postiers Indigènes de la Province Orientale/Stanleyville). Ces associations et amicales permettent à Patrice Lumumba d’étendre ses relations et son influence dans les milieux indigènes de Stanleyville (Kisangani).
Pierre Clément, sociologue résidant à Paris et attaché au C.N.R.S, vient momentanément à Stanleyville pour effectuer des recherches sociologiques sur le terrain en 1952-1953. Il constate l’influence de Patrice Lumumba parmi les indigènes de Stanleyville et l’approche amicalement. Une amitié naît entre les deux hommes et grâce au concours chaleureux de Lumumba, Pierre Clément réalise des interviews importantes et rassemble des documents privés sur les problèmes sociaux cruciaux liés à la colonisation. En contrepartie, ce chercheur étranger initie, dans une certaine mesure, Patrice Lumumba aux Sciences Sociales et Politiques.
Ayant obtenu, dès 1954, la carte d’immatriculation délivrée par le pouvoir local, Lumumba est choisi pour faire partie de la délégation des Notables congolais invités en Belgique en 1956 par monsieur Auguste Buisseret, ministre libéral belge des Colonies.
3. 1954 et surtout 1956 : début de l’engagement politique
Déjà en décembre 1956, Patrice Lumumba cherche à faire publier, à l’Office de Publicité de Bruxelles, son ouvrage titré Le Congo, terre d’avenir est-il menacé ? Les responsables européens de l’Office de Publicité exigent que l’ouvrage soit préfacé par une personnalité éminente. Ce n’est pas chose facile à l’époque coloniale. En conséquence, l’ouvrage de Lumumba ne paraîtra pas au moment opportun, mais plus tard, seulement en 1961, donc après l’Indépendance du Congo belge.
Patrice Lumumba, dans son livre précité, ne prend pas position de façon radicale d’autant plus que le Lumumba des années 1956-1957 croit encore qu’il est possible « d’harmoniser des rapports sociaux entre Belges et Congolais », d’instaurer « un dialogue sincère et franc entre les deux races en présence » afin « d’édifier dans la concorde, une société véritablement démocratique et fraternelle dans laquelle régnera, pour toujours : l’amitié, l’amour, la paix, la justice sociale, la liberté, l’égalité des valeurs, une société qui échappera à des haines raciales ».
Abordant la question du salariat, Patrice Lumumba déplore l’insuffisance des salaires payés par les employeurs coloniaux à leurs employés colonisés. Il suggère au pouvoir colonial de relever le salaire de tous les travailleurs colonisés en tenant compte du coût de la vie. Il explique que la cause principale des malversations commises par plusieurs Congolais (capitas vendeurs, collecteurs d’impôts, agents chargés d’opérations financières) provient de la médiocrité de leurs émoluments, lesquels ne leur permettent pas de nouer les deux bouts. Patrice Lumumba pense qu’en augmentant les salaires des Congolais on réduira sensiblement les actes malhonnêtes (détournements) dans l’administration et dans les entreprises commerciales. Lumumba s’indigne de constater qu’il existe des discriminations d’ordre racial sur le marché du travail. Il insiste sur l’importance de réaliser l’égalité sur le marché du travail, rêve légitime de tous les Congolais.
Parlant de la participation des indigènes au pouvoir, Lumumba fait remarquer que les Congolais (« représentants des indigènes ») qui siègent dans les Conseils d’Entreprises et dans les Conseils de Territoire sont désignés d’office par le gouvernement colonial sans consulter le peuple. Il propose un système démocratique, lequel laisse au peuple le choix de désigner librement ses représentants. D’après ce qu’il a pu constater lors du voyage officiel qu’il a effectué en Belgique en compagnie de seize notables congolais (dits « représentants des indigènes »), Lumumba met en doute les qualités intellectuelles de la plupart d’entre eux (« manque de formation, de maturité », « bleus ») ; il les juge passifs.
Lumumba désapprouve cette politique coloniale qui favorise les indigènes dociles, passifs et qui écarte les éléments capables, particulièrement dotés d’esprit critique.
Concernant le problème d’intégration sociale, les réflexions de Lumumba sont encore très pauvres : il ne croit pas à l’intégration collective et propose l’intégration individuelle (à rappeler que Lumumba a déjà obtenu la carte d’immatriculation à cette époque). Il s’indigne de constater que les Mulâtres sont mieux traités par les dispositions légales coloniales que les immatriculés congolais. Il affirme que beaucoup de métis locaux « ne sont pas plus civilisés ou plus instruits que les immatriculés » noirs.
Lumumba souhaite que les blancs de classe moyenne, les Mulâtres reconnus et les Noirs immatriculés jouissent du même statut juridique et bénéficient du même taux de rémunération.
Concernant la « Justice » coloniale et son régime pénitentiaire, Lumumba pense que l’idéal serait d’avoir un jour une juridiction unique applicable aux blancs et aux noirs.
Il dénonce le caractère partial des appareils répressifs coloniaux : une même infraction est réprimée de façon différente selon qu’il s’agit d’un contrevenant de race blanche ou d’un contrevenant de race noire. Les peines infligées aux contrevenants noirs paraissent plus sévères et inhumaines : les prisonniers de race noire ne peuvent pas porter des chaussures, ils dorment sur des planches ou sur le sol, leurs repas sont mal préparés, les condamnés noirs sont soumis à la peine du fouet, etc. Patrice Lumumba ne pense pas qu’un long emprisonnement favorise la rééducation des détenus. À son avis, la recrudescence des vols et l’apparition d’une prostitution organisée et scandaleuse au Congo sont liées à la pénétration de la civilisation européenne.