Le vent dans le voile
Par Samah Jebbari
5/5
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À propos de ce livre électronique
Lorsqu'elle avait sept ans, en Tunisie, son père lui a impose le port du voile. Un mari violent a par la suite continue l'ouvrage de destruction d'une femme qui voulait vivre, et vivre libre.
L'asile politique et l'immigration au Canada n'ont pas réussi tout de suite à briser les chaînes, puisque les chaînes, on finit par les porter en soi, par les chérir, puisqu'on a jamais connu autre chose.
Il aura fallu à la jeune fille d'avoir quarante ans pour ôter son voile, et briser ses chaînes. Ceci est son histoire.
Samah Jebbari
SAMAH JEBBARI est enseignante de français au secondaire. Elle a quitté la Tunisie, son pays d'origine, à l'âge de 21 ans pour demander l'asile politique au Canada. Elle est détentrice d'un baccalauréat en enseignement et d'une maîtrise en gestion de l'éducation. Elle a écrit son premier manuscrit intitulé Le vent dans le voile (2021). L'histoire de libération d'une femme musulmane voilée qui, après 40 ans d'oppression décide de mettre en question tout son système de croyance. Elle a commencé par enlever le voile et défier le tyran.
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Aperçu du livre
Le vent dans le voile - Samah Jebbari
Copyright © 2021 par Samah Jebbari
Coach d’écriture: Jean Barbe
Photos de l’auteure: Bénedicte Brocard
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés; toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de cette oeuvre est strictement interdite sans le consentement de l’auteure ou de son agent autorisé.
Tellwell Talent
www.tellwell.ca
www.samahjebbari.com
ISBN
978-0-2288-4764-9 (Hardcover)
978-0-2288-4763-2 (Paperback)
978-0-2288-4765-6 (eBook)
Table des matières
Préface
Chapitre 1 - Le tournant
Chapitre 2 - Bas les masques
Chapitre 3 - La découverte du corps
Chapitre 4 - Un aveu
Chapitre 5 - La femme voilée
Chapitre 6 - Survivre
Chapitre 7 - Ulysse from Tunisia…
Chapitre 8 - La tempête du désert
Chapitre 9 - Jamais sans mes filles!
Chapitre 10 - Au-delà des nuages
Chapitre 11 - Les retrouvailles…
Chapitre 12 - Le chemin des libertés
Chapitre 13 - La vérité qui dérange
Chapitre 14 - Le conditionnement
Chapitre 15 - La roue de la vie
Chapitre 16 - La traversée des apparences
Chapitre 17 - Le long retour
Chapitre 18 - Samah, en route
Chapitre 19 - Mais avant…
Chapitre 20 - Tout le monde trompe tout le monde
Chapitre 21 - La constance du changement
Chapitre 22 - Le repos du combattant
Chapitre 23 - Le prix de la liberté
Chapitre 24 - Mes enfants
Chapitre 25 - Samah, en fin
Merci
Il n’y a rien de mieux qu’un roman
pour faire comprendre
que la réalité est mal faite,
qu’elle n’est pas suffisante
pour satisfaire les désirs,
les appétits, les rêves humains.
Mario VARGAS LLOSA
Pour la lectrice et le lecteur qui trouveront dans mes mots un réconfort ou une source de colère. Vous allez faire vivre mon récit…
Préface
Au cours des trente-cinq dernières années, j’ai consacré ma vie à l’écriture. La mienne, et celle des autres. Je n’ai pas beaucoup de grandes certitudes dans la vie. Mais j’ai celle-là: si nous ne racontons pas nos propres histoires, d’autres s’en chargeront pour nous.
Les plus grandes blessures, les plus grandes dérives, les plus grands chagrins apparaissent quand d’autres nous racontent sans écouter notre version des choses. Quand d’autres donnent un sens à nos vies que nous ne reconnaissons pas.
Les grands moments de l’Histoire ne sont au fond que ça, des histoires. Les dictateurs racontent une histoire, les organisations politiques racontent une histoire, les grandes corporations racontent une histoire – et ce sont des histoires qui servent leurs buts, inventées pour justifier leurs actions.
Longtemps les hommes ont raconté les femmes. Hier, les Juifs ont été raconté par les Nazi.
Quand nous laissons aux autres le soin de nous raconter, ils nous déforment, ils nous rangent dans une case commode. Ils nous… simplifient.
Ils nous retirent une partie de notre humanité pour jouer de nous comme des marionnettes. Ils nous manipulent.
C’est pourquoi je donne des ateliers d’écriture depuis bientôt dix ans. Beaucoup d’ateliers, à beaucoup de gens, hommes et femmes d’origines diverses, des jeunes, des âgés… Je donne des ateliers d’écriture pour que le plus grand nombre de gens possibles soient à même de se raconter eux-mêmes, de raconter ce qu’ils ont dans le cœur, dans le corps, dans l’esprit.
Je cherche à leur donner les outils narratifs qui leur permettront de se raconter, afin qu’ils puissent se réclamer de leur propre histoire.
Et puis apparut Samah…
Elle était assise depuis à peine quelques minutes dans la grande salle qui abritait l’atelier d’écriture que déjà elle affirmait sa volonté de raconter sa vie, en livre, au cinéma. Elle avait la certitude que cela allait se faire, même si, à ce moment-là, elle n’avait aucune idée du «comment.» C’était une sorte de foi en elle-même, devant laquelle on ne peut que s’incliner.
Je l’ai aidée à se raconter. Ça n’a pas été facile ni rapide. Dans ce premier atelier, elle rejetait les notions de bases, convaincue que la volonté suffisait à déplacer les montagnes.
Pour les montagnes, je ne sais pas. Mais je sais que pour construire une maison, la maîtrise des outils et la compréhension des plans sont essentielles. Samah a fini par comprendre, avec l’humilité des grands, que les efforts, la patience et le travail seuls lui permettraient d’accéder à son rêve de se raconter, de raconter sa vie, son parcours, son histoire.
Elle a été patiente, elle a été vaillante, et elle m’a demandé toute l’aide que je pouvais lui donner.
C’est un travail de quelques années, que vous tenez entre vos mains. Mais c’est aussi, toute une vie, ou presque. La vérité de Samah. La force de Samah, les désespoirs de Samah, les joies de Samah.
Je ne connais pas de plus grande victoire que de reprendre possession de notre propre histoire. Devenir soi.
Au-delà de la politique, de la foi, au-delà des visions contradictoires des uns et des autres, au-delà de guerres de territoires et de symboles, voilà l’histoire de Samah. Son histoire, racontée par elle. Sa complexité, qui est trop vaste pour rentrer dans les cases qu’on voudrait lui attribuer.
La vie de Samah, qui n’en est pas encore à sa moitié. La première moitié de la vie de Samah.
Et puisqu’elle a repris en main sa propre histoire en l’écrivant, la suite n’appartient qu’à elle.
Jean Barbe,
Auteur et éditeur
1
Le tournant
Nous devons nous y habituer:
Aux plus importantes croisées
des chemins de notre vie, il n’y a
pas de signalisation.
Ernest HEMINGWAY
Nous sommes le 11 juillet 2018, sur l’autoroute 13 en direction du Nord. Une voiture avec quatre passagers à bord se met à tanguer dangereusement, avant d’effectuer un tête-à-queue inexplicable…
Au volant, une femme se bat pour sa vie et pour la vie des siens. De la main droite, elle tente de repousser sa fille aînée qui, dans un geste de folie, s’est emparée du volant. De la main gauche, elle lutte pour éviter le pire : la voiture fonce à toute allure vers la clôture, en sens inverse de la circulation.
Elle écrase la pédale de frein et finit par reprendre le contrôle du bolide, qui s’immobilise enfin. Le silence qui suit est assourdissant. Soudain, la femme gifle son ainée puis sort de la voiture pour calmer ses nerfs à vifs.
L’air est bon, le soleil brille. C’était une belle journée d’été, promise au plaisir familial et à la nature, pas à l’accident, ni à la mort, ni à la noirceur des âmes troublées…
***
La femme s’appelle Samah. C’est moi…et ce n’est pas moi. C’était moi, mais je suis une autre maintenant.
Mais alors j’étais cette Samah-là, celle qui est revenue à la voiture, celle qui a ouvert la portière avant, côté passager, et qui a pris sa fille aînée dans ses bras. Qui l’a serrée fort, si fort, comme pour la rassurer, comme pour se rassurer.
Dans l’Acura noire, les battements chaotiques de quatre cœurs affolés s’apaisent lentement…
Eya, l’ainée, est d’une pâleur effrayante, à peine capable de bouger. Tandis que sa mère l’étreint, dans un effort presque surhumain, elle étire un bras vers l’arrière du véhicule et touche du bout de ses doigts froids et glissants la main du petit Mohamed, son frère, dont les grands yeux trahissent une envie de pleurer, de crier et de demander : pourquoi? Mohamed a oublié le cappuccino glacé qu’il avait réclamé à sa mère. Sans trop comprendre, il sait que le temps n’est plus aux caprices. Il tremble.
Sa sœur Mayan se colle contre lui en gardant le silence, comme à son habitude. Elle voudrait savoir ce qui se passe, mais n’ose pas dire un mot.
Qu’est-ce qui se passe? Sa sœur aînée, dans un geste inconscient de désespoir, a-t-elle voulu tous les tuer?
***
Je nous ai sortis de là, de cette situation précaire sur l’autoroute.
J’ai évité l’accident, la mort est derrière nous. J’ai pris la première sortie en direction de Montréal. Ce n’est plus une journée de vacances en famille. La famille est blessée, la famille a mal. Il me faut faire quelque chose.
Mes pieds chauffent et je ne fais qu’appuyer de plus en plus fort sur l’accélérateur. Mes doigts glissent, je les essuie sur mon short, je n’arrive pas à tenir le volant.
Je n’arrive pas à y voir clair mais je ne sais pas si c’est à cause du soleil. Je mets mes lunettes de soleil et je décide de fixer mon regard sur un point indéterminé pour retrouver ma concentration. Je résiste à l’idée de me tourner vers Eya, figée à mes côtés.
J’ai peur de savoir, et pourtant je sais.
Je veux comprendre pourquoi elle a agi comme ça, et pourtant je sais aussi.
J’ai peur de tout ce que je sais.
***
Je continue à rouler à 120 km/h. Eya sort de son mutisme et dit : « Mama, tu roules vite! La police va nous arrêter!"
Je ne réponds pas, sa voix m’électrocute. Je mets l’auto en mode sport+ et je change de vitesse. J’accélère.
Eya tremble, pleure, elle voudrait parler, mais les sanglots prennent le dessus sur les mots.
— Mama s’il te plait excuse-moi. Je sais qu’on t’a fait souffrir avec notre départ, on t’a jugée, on a été égoïstes. Je m’excuse d’avoir fait ça. Je ne sais pas comment. Je m’excuse. Je ne veux pas me suicider, c’est papa qui…
C’est papa qui…
Mais Samah n’entend pas, n’écoute pas, ne voit pas…
Des images explosent dans sa tête comme des éclairs de douleur : des morceaux de son enfance, des fragments de sa jeunesse, les éclats tranchants d’un mariage si sombre qu’il semblait absorber jusqu’à la lumière du dehors.
Samah, c’est moi. C’était moi!
Samah peine à respirer.
Elle roule à 150 km/h et plus vite encore. Sa conscience est brouillée comme le paysage qui défile…
À son tour, elle joue avec la mort…
***
Pour la première fois de ma vie, je me suis réjouie d’entendre une sirène de police. Je me suis rangée sur le côté. L’agent m’a demandé mes papiers.
Je les lui ai tendus en le remerciant.
J’ai retrouvé mes esprits. J’ai pris une grande respiration.
Je ne laisserai plus les choses se dégrader. J’ai atteint mes limites. Longtemps j’ai supporté en silence, patiemment, mais c’est fini.
Tu pouvais toucher à tout, ASSI, mais pas à ma fille, pas à mes enfants.
Mes enfants sont mon âme, et mon âme se rebelle.
2
Bas les masques
Nous ne sommes jamais aussi
mal protégés contre la souffrance
que lorsque nous aimons.
FREUD
À 40 ans, je t’aime Samah!
À 40 ans, j’ai sauvé mes filles!
À 40 ans, je suis la clarté!
À 40 ans, j’ai rejeté les ordres de mon père!
À 40 ans, j’ai défié les autorités religieuses!
À 40 ans, j’ai refusé de me soumettre à la communauté des hommes musulmans!
Oui c’est moi, la fille avec sa robe blanche qui laisse voir un peu de peau, avec ses longs cheveux qu’on a rarement vus. Cette femme au teint bistré, qui n’est ni blonde ni brune.
Je ne ressemble à personne. Je suis moi. Je l’ai toujours été au fond, même quand j’essayais d’être comme les autres.
Je suis tout ce que l’on pense de moi, même si je ne le suis pas. Je ne réplique rien, je ne rejette rien.
Je prétendais être moi-même, pourtant je ne me connais que dans le blanc, puisque j’ai peur du noir.
Je n’ai jamais remarqué la couleur des saisons, mes années se sont écoulées sans couleur. Seuls, le noir et le blanc existaient. Paradis ou Enfer, entre les deux, il n’y a que le vide, entre les deux, je n’ai pas voulu réfléchir.
On m’a appris à ne pas réfléchir.
Je m’appelle Samah. Dans ma langue maternelle, mon nom veut dire le pardon. Mais comme on le prononce ici au Québec, il signifie, toujours dans ma langue maternelle, le ciel.
Fille de mon père, mère de mes enfants, enseignante de mes élèves, sœurs de mes deux frères et de mes deux sœurs, j’ai aussi été pendant longtemps une épouse naïve et obéissante.
Après treize ans de ce régime, je suis une femme divorcée.
J’étais aussi la porte-parole d’un organisme qui prétendait vouloir défendre les droits de sa communauté. Je portais le voile comme on porte un fardeau, mais je défendais ce fardeau.
Je portais des masques, et sous les masques, il y avait d’autres masques.
Mais si aujourd’hui, vous lisez mes mots c’est parce que…
Un jour, j’ai ouvert la porte du réfrigérateur…
Sur le visage de Samah, les larmes avaient gelé…
Et la question s’est posée :
Qu’est-ce que je fais avec un voile sur la tête?
3
La découverte du corps
Quelqu’un qui me ressemble
Aimer, c’est prendre soin de la
solitude de l’autre sans jamais la
combler, ni même la connaître.
Christian BOBIN
C’était un mois de solitude, je tournais en rond depuis le début des vacances estivales. Depuis que mes enfants étaient partis. Comme une ex-épouse bien civilisée, j’avais conduit mes enfants et leur père à l’aéroport. Les enfants étaient excités. J’avais peur.
Pour les petits, c’était un voyage de rêve. Un mois complet loin de moi. C’était la première fois de notre vie que nous étions séparés. Mais, avec mon ex-mari, rien ne se donnait gratuitement. Je l’avais supplié de prendre soin des enfants, de les laisser m’appeler, de ne pas se venger – comme il l’avait déjà fait.
Auparavant, j’avais toujours refusé que mes enfants partent seuls avec lui. Mais les choses avaient changé. Il y avait une autre femme maintenant, qui restait au Canada pendant les vacances, et de qui il attendait un enfant.
Et puis, j’avais désespérément besoin d’une pause.
Et pourtant, plus les enfants s’éloignaient de moi, plus mon cœur se brisait. Ils sont le centre de ma vie, ils sont ma vie.
Ces vacances ne sont pas des vacances. Je suis dans un drôle d’état. Je m’isole, je m’enferme comme dans un cocon.
Je reste tout le temps seule, je ne réponds à aucun message et je ne veux rencontrer personne. Je mange à peine, et mal. Je ne peux pas me résoudre à sortir de chez moi pour un simple repas au restaurant. Même ce besoin vital de me nourrir, je ne sais plus comment y répondre. Je suis à bout. Je suis à bout à cause de quelque chose, mais je ne parviens pas à saisir exactement quoi. Je ne suis rien sans mes enfants? C’est terrible, et ce n’est pas être une bonne mère que de n’être que cela.
Trois semaines passent, semblables, le jour comme la nuit. Je dors trop. Je ne sais pas qui je suis.
À l’aube, je me réveille, je cours dans les rues vides et les parcs humides alors que les gens profitent de leur grasse matinée. Je bois mon café latté au bord de la piscine. Il n’y a que de l’eau pour me rafraîchir. Il n’y a que l’eau pour m’écouter. Il n’y a que l’eau pour toucher mon corps et me laisser penser que je suis séduisante. Je découvre mon corps dans l’eau. L’eau me découvre. Je plonge, j’émerge et ma peau semble luire au soleil… Qu’est-ce que ce corps que j’ai tant caché, pourquoi en aurais-je honte? Quelque chose en moi qui a envie d’être découvert se découvre. Ma féminité?
Soudain je me réjouis à l’idée de mettre une jupe courte, un jeans troué, ou