1 Des guerriers invincibles
« Jusqu’à la bataille de Leuctres, en 371, les Spartiates ont joui d’une grande réputation militaire: ils étaient considérés comme des guerriers sinon invincibles, du moins redoutablement efficaces », reconnaît l’historien français Nicolas Richer (voir interview p. 30). Étonnant quand le principal fait d’armes qui symbolise leur réputation – les Thermopyles, voir p. 31) – est une défaite totale. Mais c’est là le paradoxe de Sparte: avoir réussi à imposer cette aura d’invincibilité en dépit d’un palmarès… ordinaire. Sur les 126 engagements référencés dans la littérature antique et impliquant des Spartiates, l’historien américain Myke Cole et son équipe n’ont identifié que 50 victoires pour… 71 défaites et cinq batailles indécises.
Lors de la première bataille connue, celle du Ravin en 739, les Messéniens les mettent en fuite. À la troisième bataille de Mantinée en 207, dernier combat répertorié, Sparte est défaite par la ligue achéenne… Et que dire de Sphactérie? En 425, 420 hoplites se font coincer sur cette petite île à l’est de la Grèce par 8 000 fantassins légers (javeliniers, archers et frondeurs). Assiégés, criblés de traits à distance, les 292 survivants (dont 120 « égaux », voir p. 18) se rendent. Ils sont si précieux pour leur cité-mère qu’elle les échangera contre… toute sa flotte – 60 trirèmes!
Pas si invincible donc, Sparte n’en reste pas moins considérée par les Grecs, pendant une bonne partie de l’ère classique, comme la grande puissance militaire. C’est vers elle que se tourne Athènes, en 490, pour organiser la résistance contre Xerxès. Sparte jouit alors du prestige de sa victoire contre Argos, sa voisine. Mais surtout, Sparte est la seule cité-État capable d’aligner des effectifs considérables. Pas les siens – la cité manquera toujours de combattants (voir infographie p. 26) – mais ceux de ses alliés: Sparte a su en effet développer un efficace « soft power », combinaison d’alliances, de domination culturelle, économique et politique, qui lui permet de mobiliser la quasi-totalité du Péloponnèse. Ces alliés constituent par exemple plus de la moitié des cités liguées pour repousser les Perses autour de l’isthme de Corinthe. Les effectifs du contingent envoyé à Platées (479) selon Hérodote par la ligue du Péloponnèse le confirment: les 5 000 Spartiates composent moins d’un cinquième de la troupe, à côté de 5 000 autres Lacédémoniens, 5 000 Corinthiens, 3 000 Syconiens, 3 000 Mégariens et 5 800 autres soldats de la ligue.
Le soft power est cependant délicat à manier. On verra à plusieurs occasions les armées spartiates s’évanouir dans la nature parce que ses alliés ont refusé de combattre avec elle. En 510, le roi spartiate Cléomène, qui a aidé à placer des conservateurs au pouvoir à Athènes, est éjecté par une révolution. Pour venger cet affront, il revient en compagnie de Démarate, son co-roi, et de ses alliés – probablement majoritaires. Or, les deux rois se querellent et les Péloponnésiens se débandent. Le contingent spartiate, incapable de menacer Athènes et ses 9 000 hoplites, rentre chez lui, piteusement. É. T.
2 Des soldats professionnels surentraînés
La légende veut que l’hoplite spartiate soit un guerrier professionnel, une machine à », acquise grâce à un entraînement que l’Athénien Périclès qualifie de « ». Xénophon vante les qualités de marcheurs des Spartiates, qui leur permettent d’emprunter des routes jugées impraticables et de surprendre l’ennemi par leur vitesse de déplacement. Aristote, dans son essai , estime cependant que ce ne sont pas leurs méthodes d’entraînement qui font des Spartiates des combattants supérieurs, mais le fait… qu’ils sont les seuls en Grèce à daigner s’exercer.