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Les écritures noires du Canada: L'Atlantique noir et la présence du passé
Les écritures noires du Canada: L'Atlantique noir et la présence du passé
Les écritures noires du Canada: L'Atlantique noir et la présence du passé
Livre électronique1 176 pages16 heures

Les écritures noires du Canada: L'Atlantique noir et la présence du passé

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À propos de ce livre électronique

Les écritures noires du Canada est le premier ouvrage à explorer la littérature canadienne des Noirs de ses débuts jusqu’à nos jours dans le vaste contexte de l’Atlantique noir.

Winfried Siemerling retrace l’évolution de l’écriture des Noires et des Noirs canadiens depuis les témoignages d’esclaves en Nouvelle-France et le « Livre des Nègres » de 1783 jusqu’aux œuvres d’auteurs canadiens noirs comme Austin Clarke, George Elliott Clarke, Dionne Brand, Wayde Compton et Esi Edugyan.

Soutenant que l’écriture noire au Canada est profondément imbriquée dans le réseau transnational historique, Siemerling se penche sur la marque laissée par l’histoire des Noires et des Noirs au Canada, l’esclavage, le chemin de fer clandestin et la diaspora noire dans l’œuvre de ces auteurs.

Au fil des chapitres sont examinés des textes de langue française et de langue anglaise qui tirent leur origine du Québec, de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse, des Prairies et de la Colombie-Britannique.

LangueFrançais
Date de sortie15 juin 2022
ISBN9782760337343
Les écritures noires du Canada: L'Atlantique noir et la présence du passé
Auteur

Winfried Siemerling

Winfried Siemerling est titulaire de chaire de recherche et professeur de littérature anglaise à l’Université de Waterloo. Il est affilié à l’Institut de recherches W. E. B. Du Bois de l’Université Harvard. Il est l’auteur de The New North American Studies et a codirigé le collectif Canada and Its Americas: Transnational Navigations.

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    Aperçu du livre

    Les écritures noires du Canada - Winfried Siemerling

    Couverture : Les écritures noires du Canada: L’atlantique noir et la présence du passé par Winfried Siemerling.

    The title is printed against a white background at the bottom of the cover and reads, Les écritures noires du Canada. The subtitle, in smaller font below the title, reads, L’Atlantique noir et la présence du passé. There is a City 3 painting by Ken Daley in the background. The author's name, Winfried Siemerling, and the translator's name Patricia Godbout, are printed below the title against a white panel with the text that reads, Les Presses de l’Université d’Ottawa.

    LES ÉCRITURES NOIRES DU CANADA

    LES ÉCRITURES NOIRES DU CANADA

    L’Atlantique noir et la présence du passé

    Winfried Siemerling

    Traduit par Patricia Godbout

    Les Presses de l’Université d’Ottawa

    2022

    logo: University of Ottawa Press.

    Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO) sont fières d’être la plus ancienne maison d’édition universitaire francophone au Canada et le plus ancien éditeur universitaire bilingue en Amérique du Nord. Depuis 1936, les PUO enrichissent la vie intellectuelle et culturelle en publiant, en français ou en anglais, des livres évalués par les pairs et primés dans le domaine des arts et lettres et des sciences sociales.

    www.presses.uOttawa.ca

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada et Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Titre : Les écritures noires du Canada : l’Atlantique noir et la présence du passé / Winfried Siemerling ; traduit par Patricia Godbout.

    Autres titres : Black Atlantic reconsidered. Français. | Atlantique noir et la présence du passé

    Noms : Siemerling, Winfried, 1956- auteur.

    Collections : Études canadiennes (Ottawa, Ont.)

    Description : Mention de collection : Études canadiennes | Traduction de : The black Atlantic reconsidered. | Comprend des références bibliographiques et un index.

    Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20210349042 | Canadiana (livre numérique) 20210349328 | ISBN 9782760337312 (couverture souple) | ISBN 9782760337329 (couverture rigide) | ISBN 9782760337336 (PDF) | ISBN 9782760337343 (EPUB)

    Vedettes-matière : RVM : Littérature canadienne—Auteurs noirs—Histoire et critique. | RVM : Littérature canadienne—Histoire et critique. | RVM : Noirs dans la littérature. | RVM : Culture dans la littérature. | RVM : Histoire dans la littérature. | RVM : Transnationalisme dans la littérature

    Classification : LCC PS8089.5.B5 S5314 2022 | CDD C810.9/896071—dc23

    Dépôt légal : Deuxième trimestre 2022

    Bibliothèque et Archives Canada

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Imprimé au Canada

    Équipe de la production

    Correction d’épreuves

    France Beauregard

    Pierrette Brousseau

    Agathe Rhéaume

    Mise en page

    Édiscript enr.

    Maquette de couverture

    Geneviève Richer

    Image de la couverture

    Cityline III de Ken Daley

    © Les Presses de l’Université d’Ottawa 2022

    Tous droits réservés

    Il est interdit de reproduire le contenu de la présente publication, de le transmettre sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, ou de l’emmagasiner dans un système d’extraction de reproduction, sans l’autorisation écrite préalable.

    Pour effectuer des photocopies ou tout autre type de reprographie, veuillez obtenir l’autorisation auprès de :

    Access Copyright

    www.accesscopyright.ca

    1-800-893-5777

    The logo of the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada.

    Ce livre a été publié grâce au soutien d’une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines par l’entremise du Prix d’auteurs à l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université d’Ottawa sont reconnaissantes du soutien qu’apportent, à leur programme d’édition, le gouvernement du Canada, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario, Ontario créatif, la Fédération canadienne des sciences humaines par l’entremise du programme Prix d’auteurs pour l’édition savante et l’entremise du Conseil de recherches en sciences humaines, et surtout, l’Université d’Ottawa.

    logos: Ontario Arts Council, Canada Council for the Arts, Canada, University of Ottawa.A painting by Ken Daley titled Cityline 3. The painting features geometric shapes used to depict buildings and pavement.

    Cityline III de Ken Daley

    Ken Daley se passionne pour les histoires qui reflètent son héritage d’enfant d’immigrants, ses liens avec les Antilles, de même que la richesse et l’étendue de la diaspora africaine. La diversité des histoires est essentielle, selon lui, à la création d’un monde plus juste et équitable, ce qu’il tient fermement à exprimer dans son art.

    Ken Daley est né à Cambridge, en Ontario, de parents émigrés de la Dominique, dans les Antilles. Ses œuvres ont été exposées au Canada, aux États-Unis et dans les Antilles, et font partie de nombreuses collections publiques et privées. Ken Daley a illustré cinq livres pour enfants : Auntie Luce’s Talking Paintings, Joseph’s Big Ride, A Feast for Joseph, In the Spirit of a Dream et Jayden’s Impossible Garden. Il prépare trois autres publications.

    Pour en savoir davantage sur Ken Daley et son art, consultez les pages Web suivantes : www.kendaleyart.com et www.etsy.com/shop/kendaleyart.

    À Juanita De Barros

    et Henry Felix, Linus et Moritz

    Du matériel supplémentaire est offert sur le site Web suivant entièrement dédié au livre. À noter que le site est en anglais seulement pour l'instant.

    http://www.blackatlantic.ca

    Table des matières

    Avant-propos

    Remerciements

    CHAPITRE 1

    Introduction – La modernité et les espaces-temps canadiens de l’Atlantique noir

    PARTIE I

    LES PREMIERS TÉMOIGNAGES ET LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE CANADIEN NOIR

    CHAPITRE 2

    L’esclavage et les premiers écrits canadiens noirs

    CHAPITRE 3

    Le dix-neuvième siècle canadien noir

    PARTIE II

    LA PRÉSENCE DU PASSÉ

    CHAPITRE 4

    L’esclavage, le dix-neuvième siècle canadien noir et les contextes caribéens dans la littérature canadienne noire contemporaine

    CHAPITRE 5

    Autres Canadas noirs

    CHAPITRE 6

    Conclusion – Autres Canadas, autres Amériques :

    revoir l’Atlantique noir

    Chronologie

    Notes

    Bibliographie

    Index

    Table des matières détaillée

    Avant-propos

    Quand je me suis plongé pour la première fois dans la lecture des écrits canadiens noirs contemporains et dans celle des premiers textes et témoignages, j’ai été étonné du peu d’attention qu’avait reçu jusqu’alors cet aspect important de la culture canadienne. Pourquoi ce matériel n’avait-il pas occupé une place plus centrale dans les théories et les débats littéraires au Canada ? Et comment expliquer son absence frappante dans les études critiques diasporiques sur l’Atlantique noir ?

    Une partie de l’explication sera fournie au premier chapitre du présent ouvrage. Fort heureusement, depuis le début de ce projet, d’autres chercheurs et chercheuses ont fait progresser la recherche sur ces questions. Je m’appuie ici sur leurs réflexions et découvertes, de même que sur les travaux de divers critiques, théoriciens, sociologues et historiens qui ont été des pionniers dans le domaine. Mon objectif principal est de contribuer à faire connaître à un lectorat beaucoup plus vaste le riche et fascinant corpus d’écrits canadiens noirs et à inscrire ce dernier dans un contexte de recherche et de débats plus étendu. Pour ce faire, je présente un compte rendu critique de la littérature noire dans ce qu’on appelle maintenant le Canada, de ses débuts jusqu’à nos jours, à situer ces écrits dans le contexte hémisphérique et diasporique de l’Atlantique noir et, enfin, à inclure les perspectives francophone et anglophone.

    Le résultat, c’est Les écritures noires du Canada : l’Atlantique noir et la présence du passé, une étude multidimensionnelle se prêtant à plusieurs lectures et usages. Comme cet ouvrage se propose de mettre en évidence les liens étroits entre passé et présent et de souligner l’importance de diverses relations et connexions, j’espère que vous le lirez du début à la fin. Une bonne partie du matériel examiné ici serait pertinente dans des cours portant, par exemple, sur les études culturelles canadiennes noires, ou sur la littérature et la culture canadiennes. Dans d’autres cours, groupes de discussion ou activités de recherche, on l’utilisera comme livre de référence, en se concentrant sur certaines sections dans des contextes connexes. Un cours général d’introduction à la littérature et à la culture nord-américaines, ou à l’Atlantique noir, ou un cours portant sur une période donnée trouvera dans ce livre les contextes nécessaires, tout en mettant en relief des chapitres particuliers en parallèle avec d’autres documents. Le même procédé pourrait convenir dans des cours sur les études diasporiques, postcoloniales, frontalières et hémisphériques, ou sur le régionalisme critique. La table des matières détaillée à la fin du volume constitue un outil important à cet égard.

    Dans ma monographie précédente, Récits nord-américains d’émergence, j’explorais l’émergence culturelle en Amérique du Nord par le biais de l’analyse comparative de multiples domaines des études littéraires et culturelles. Afin d’éclairer le rapport entre reconnaissance normative et re/connaissance émergente, j’ai utilisé des notions théoriques associées au concept de « double conscience » de W.E.B. Du Bois, ainsi que ses idées relatives à la « race ». Cette étude couvrait une grande quantité de matériel, mais elle abordait également de manière soutenue la théorie littéraire et culturelle. Le présent ouvrage s’intéresse une fois encore à un grand nombre de questions – portant sur divers Canadas noirs transnationaux – et il traite de nombreux débats théoriques d’importance, particulièrement autour de différentes formes de mémoire et de la production sociale et narrative de l’espace-temps. J’ai toutefois préféré mettre une partie de ce contenu théorique en notes de fin de volume, et j’ai tâché d’éviter le recours à un langage trop spécialisé, dans le but de rendre le texte aussi lisible que possible, tout en fournissant des renseignements supplémentaires en note.

    En guise d’outil d’orientation rapide, une chronologie dresse en annexe une liste d’œuvres par année et par auteur ; elle a été revue et mise à jour pour la présente édition française. En raison de la très grande quantité de documents, cette liste n’est évidemment pas exhaustive ; elle vise à contextualiser les œuvres analysées. Bon nombre des premiers textes, en particulier les récits d’esclave et d’autres sources dont il est question dans la Partie I, sont consultables sur Internet. Certaines notes contiennent également des liens et des renseignements pertinents. De manière plus systématique, une bonne partie de ce matériel se trouve dans le site Internet accompagnant le livre : http://www.blackatlantic.ca.

    Toronto, novembre 2014/mai 2022

    Remerciements

    J’aimerais remercier ici les nombreux amis, collègues et spécialistes, de même que les institutions et services d’archives qui ont facilité mes recherches et ont rendu possible la rédaction – et la traduction – de ce livre. À propos de la présente édition française, je remercie Lara Mainville, Maryse Cloutier et ses collègues des Presses de l’Université d’Ottawa qui ont reconnu la pertinence du projet et l’ont mené à son terme. Sans le superbe travail de la traductrice, chercheuse et romancière Patricia Godbout, la version française de ce livre n’existerait évidemment pas ; aussi aimerais-je la remercier vivement. Comme dans le cas de la traduction qu’elle avait signée d’un autre de mes livres, Récits nord-américains d’émergence, elle a fait preuve cette fois encore d’un professionnalisme méticuleux et a su donner à ma prose anglaise un élégant nouvel habillage linguistique. Elle avait déjà manifesté un vif intérêt pour le contenu de ce livre avant même d’en entreprendre la traduction, de sorte que celle-ci a pu bénéficier de nos échanges à ce sujet. Je remercie également Carolyne Weldon pour l’aide précieuse apportée en cours de traduction. Un autre élément important qui vient enrichir la présente édition française est la mise à jour de la Chronologie en fin de volume. Dans sa forme révisée, et en particulier pour les ajouts concernant la période 2014-2020, je tiens à remercier Philippe Mongeau, chercheur et spécialiste des sciences de l’information, diplômé des universités McGill et de Toronto, actuellement bibliothécaire responsable des métadonnées à l’Université du Delaware. Finalement, cette traduction n’aurait pas été possible sans une subvention de traduction du Prix d’auteurs pour l’édition savante (PAES) offerte par le Conseil de recherches en sciences humaines.

    Au sujet de l’édition originale anglaise, je tiens à remercier McGill-Queen’s University Press de l’avoir rendue disponible à la fois dans une édition à couverture rigide et au format de poche, à un prix raisonnable. McGill-Queen’s s’est avéré une très bonne adresse pour la version anglaise de ce livre, car ces presses ont déjà publié d’autres ouvrages importants dans le domaine (par exemple, ceux de Robin Winks et de Frank Mackey). Je voudrais remercier plus particulièrement Kyla Madden, dont la sagesse éditoriale avait déjà été mise à profit lors de la parution de Canada and Its Americas, pour son appui sans réserve et sa patience, de même que la rédactrice Judith Turnbull pour sa lecture attentive et précise du manuscrit et le coordinateur de la publication Ryan Van Huijstee pour en avoir assuré la production. Le travail remarquable d’assistanat de recherche de Jay Rawding m’a été très précieux dans les derniers milles du projet, comme l’avait été antérieurement celui de Joanna Daxell et de Marie-France Lafaille. Je suis aussi reconnaissant envers les lecteurs anonymes qui évaluent les manuscrits, au stade initial ou final, tâche exigeante demeurant bien souvent dans l’ombre. Trois lecteurs anonymes ont produit des évaluations détaillées pour le Prix d’auteurs pour l’édition savante (PAES), lequel a par la suite appuyé le livre par une généreuse subvention à la publication. J’ai également bénéficié des commentaires d’évaluateurs ayant recommandé l’attribution de deux subventions de recherche du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) en 2005-2009 et 2011-2015. Ces subventions ont permis la réalisation d’une bonne partie de la recherche, notamment en archive, nécessaire à la rédaction de cet ouvrage ; par la suite, une subvention équipe « Savoir » du CRSH (avec Karina Vernon) m’a permis de poursuivre mes recherches dans le domaine alors que le processus de traduction suivait son cours. D’autres commentaires utiles ont été faits par des évaluateurs anonymes du programme de Bourses de recherche Killam, qui ont placé ce projet sur une liste d’attente de trois projets en 2008 (ce qui le classait ainsi parmi les treize meilleures demandes dans ce concours national multidisciplinaire). Merci également aux trois lecteurs qui ont rédigé un rapport d’évaluation positif et constructif pour Routledge, et merci à cet éditeur pour son offre d’inclure le livre dans une prestigieuse collection d’ouvrages savants (mais sans garantie de publication d’une édition au format de poche). Un soutien intellectuel et financier est aussi venu d’un autre projet subventionné par le CRSH dans le cadre de son programme de Grands Travaux de recherche concertée. L’impact de ce projet auquel je collabore, intitulé « Improvisation, Community, and Social Practice », sous la direction d’Ajay Heble, se manifeste plus particulièrement au chapitre 5.

    Je tiens en outre à exprimer ma gratitude envers de nombreuses personnes qui m’ont aidé de diverses façons. Grâce à mes étudiants de l’Institut John F. Kennedy, à Berlin, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université de Waterloo, j’ai pu explorer de nombreux aspects du matériel présenté dans le présent ouvrage. J’aimerais remercier Lawrence Hill d’être venu faire une conférence dans le cadre d’un séminaire à l’Université de Sherbrooke en 2007 sur les nouveaux récits d’esclave, de m’avoir accordé une interview par la suite et de m’avoir fourni au fil des ans beaucoup de renseignements utiles. Ruth Whitehead, ethnologue longtemps à l’emploi des Archives publiques de la Nouvelle-Écosse, m’a gracieusement donné accès à sa compilation de documents relatifs aux diverses versions du « Book of Negroes ». J’ai toujours grand plaisir à échanger sur la littérature canadienne noire avec Karina Vernon, que je remercie pour sa contribution à notre nouveau projet de recherche et pour son travail de limier de dernière minute très apprécié à propos d’Alfred Shadd dans la Chronologie de ce livre. Je suis également reconnaissant envers Leslie Sanders et James (Jim) Walker pour des conversations informelles qui se sont avérées aussi utiles qu’agréables. Enfin, je remercie chaleureusement Hortense Spillers – professeure à Vanderbilt mais aussi « eine Berlinerin », car elle se trouve souvent à Berlin où je l’ai rencontrée pour la première fois à l’Institut John F. Kennedy –, à qui l’on peut également décerner le titre de Canadienne honoraire pour avoir entonné notre hymne national lors de matchs de hockey contre les États-Unis et pour son intérêt indéfectible pour la littérature canadienne noire. Je lui exprime ma gratitude pour les nombreuses conversations que nous avons eues au fil des ans, qui ont contribué à donner forme à mes recherches.

    Durant toute la période de rédaction de ce livre et alors qu’il était en cours de traduction, j’ai été affilié au W.E.B. Du Bois Institute for African and African American Research de l’Université Harvard. J’aimerais remercier son directeur, Henry Louis Gates Jr, de même que les bibliothèques Widener et Houghton de Harvard, pour leur précieux appui. Will Straw m’a offert d’être associé à son département à l’Université McGill et, pendant plus d’un an, la bibliothèque McLennan m’a donné accès à sa collection ainsi qu’à un espace de travail. Ulla Haselstein et Heinz Ickstadt m’ont invité à donner des cours d’été à l’Institut John F. Kennedy de l’Université libre de Berlin, où j’ai eu accès aux bibliothèques et où j’ai enseigné une bonne partie de la matière de ce livre. Enfin, la Faculté des arts de l’Université de Waterloo m’a accordé une subvention de démarrage et le directeur de mon département à l’époque, Fraser Easton, m’a également apporté son précieux soutien.

    Les Archives publiques de la Nouvelle-Écosse m’ont donné accès à leur exemplaire du « Book of Negroes », sous la responsabilité du Commissaire aux documents publics de cette province. Le conservateur Henry Bishop m’a reçu au Centre culturel noir de la Nouvelle-Écosse et à l’exposition qui y fut présentée sur Africville en 2010. Spencer Alexander, conservateur adjoint du Lieu historique national et musée de l’Établissement-Buxton, m’a gracieusement guidé lors de ma visite des lieux historiques de Buxton, comprenant l’école, l’église et le cimetière ; au Musée, on m’a en outre permis de consulter le journal intime d’Isaac Shadd et le livre de comptes d’Abraham D. Shadd. Gwendolyn Robinson, de l’« Heritage Room » de la Société historique noire de Chatham-Kent, m’a donné accès à divers documents quand je m’y suis rendu en 2005, ce qui m’a ensuite été utile lors de la visite que j’ai effectuée du Site historique de la Case de l’oncle Tom, à l’ancienne demeure de Josiah Henson, à Dresden, en Ontario. Les bibliothécaires de la salle Baldwin de la Bibliothèque publique de Toronto m’ont facilité la consultation des carnets du Dr Anderson Ruffin Abbott et d’autres documents. La bibliothèque Dana Porter de l’Université de Waterloo et la bibliothèque Robarts de l’Université de Toronto se sont avérées des sources utiles de livres et de documentations, surtout vers la fin du travail d’écriture de cet ouvrage.

    J’aimerais également remercier de nombreux amis, collègues, organisateurs de colloques et membres de départements qui m’ont invité à venir parler de mes recherches en cours. Ceux-ci incluent Jaap Lintvelt de l’Université de Groningue, Sabine Sielke de l’Université de Bonn, Walter Moser de l’Université d’Ottawa, Martin Klepper de l’Université Humboldt de Berlin, Marta Dvořák de l’Université Sorbonne Nouvelle, Waldemar Zacharasiewicz de l’Université de Vienne, Patrick Imbert de l’Université d’Ottawa, Jean-François Côté de l’Université du Québec à Montréal, Marie Carrière de l’Université de l’Alberta, Jutta Zimmermann et Konrad Gross de l’Université de Kiel, Rebecca Caines et Ajay Heble de l’Université de Guelph, Hortense Spillers de l’Université Vanderbilt, Heike Paul, Katja Sarkowsky et Meike Zwingenberger de l’Académie américaine bavaroise de Munich, Hans Bak, Frank Mehring et Mathilde Roza de l’Université Radbout de Nimègue, aux Pays-Bas, André Dodeman et Élodie Raimbault de l’Université Stendhal Grenoble 3, Nicole Waller de l’Université de Potsdam, Isabel Caldeira de l’Université de Coimbra, au Portugal, Ana María Fraile-Marcos de l’Université de Salamanca, et Pilar Cuder Domínguez et Belén Martín-Lucas des Universités de Huelva et de Vigo, en Espagne. J’ai en outre eu l’occasion de parler de la littérature canadienne noire et de ses connexions transnationales lors de congrès d’associations professionnelles au Canada, aux États-Unis et en Europe, de même que sur l’invitation de départements d’études anglaises de l’Université de Bâle, de l’Université Carleton, de l’Université d’Auckland, de l’Université Concordia, de l’Université de Waterloo et de l’Université de Toronto. Certaines parties de ce livre ont paru ailleurs dans des versions antérieures. J’aimerais remercier particulièrement Smaro Kamboureli, Christl Verduyn, Heather Smyth, Leslie Sanders, Hyacinth Simpson et Marlene Goldman pour leur intérêt et leurs recommandations éditoriales, de même que les éditeurs des articles et chapitres suivants pour leur permission de reproduction :

    « Jazz, Diaspora, and the History and Writing of Black Anglophone Montreal ». Dans Critical Collaborations: Indigeneity, Diaspora, and Ecology in Canadian Literary Studies, dir. Smaro Kamboureli et Christl Verduyn. Wilfrid Laurier University Press, 2014, 199-214 (reproduit dans Unsettling the Great White North: African Canadian History, sous la direction de Michele Johnson et Funké Aledejebi, University of Toronto Press, 2022, 488-510).

    « Transcultural Improvisation, Transnational Time, and Diasporic Chance in Wayde Compton’s Textual Performance », West Coast Line 63 (mars 2009) : 30-37.

    « Time-Spaces of the Black Atlantic: Yemaya, Diasporic Disruption, and Connection in Dionne Brand », sous la direction de Heather Smyth et Leslie Sanders. Numéro spécial sur Dionne Brand, MaComère 14, nos 1-2 (2013-2014), 12-42.

    « May I See Some Identification? Race, Borders, and Identities in Any Known Blood », Canadian Literature 182 (2004) : 30-50.

    « Ethics as Re/Cognition in the Novels of Marie-Célie Agnant: Oral Knowledge, Cognitive Change, and Social Justice », sous la direction de Marlene Goldman. Numéro spécial sur l’éthique et la littérature, University of Toronto Quarterly 76, no 3 (2007) : 838-860.

    Je remercie Arsenal Pulp Press et Wayde Compton de m’avoir permis de reproduire deux pages de 49th Parallel Psalm et les Archives nationales du Royaume-Uni pour la permission de reproduire deux pages du « Book of Negroes » de 1783.

    Je réserve pour terminer mes plus chaleureux remerciements à Juanita De Barros, qui m’a enseigné l’histoire des Caraïbes tout en terminant le livre qu’elle écrivait bien avant que j’aie achevé le mien. Elle m’a aussi prêté tous ses livres (qu’il est maintenant temps de lui rendre). Merci pour les idées géniales, les conversations passionnantes et pour avoir rendu tout ce travail amusant et stimulant.

    CHAPITRE 1

    Introduction

    La modernité et les espaces-temps canadiens de l’Atlantique noir

    Les lecteurs sont souvent étonnés d’apprendre que l’histoire de l’écriture noire dans le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Canada s’étend sur plus de deux siècles et que les discours consignés de Noirs ¹ sont encore plus anciens. L’écriture noire au Canada offre un riche éventail de productions littéraires et de réalisations culturelles comprenant des brochures, des lettres, des sermons, des éditoriaux et des récits d’esclaves tout autant que des romans, des pièces de théâtre, des poèmes et des essais contemporains ². Si bon nombre de ces œuvres ont trait au temps présent, la majorité d’entre elles révèle le rôle qu’a joué le Canada dans l’avènement de la modernité transatlantique.

    Les témoignages de personnes noires datant des débuts de la colonisation, ceux-ci ont été produits dans des conditions sur lesquelles les sujets noirs avaient peu ou prou de contrôle. Les propos qu’ont tenus les personnes noires ayant subi l’esclavage dans ce qui est aujourd’hui le Canada nous sont accessibles seulement par le biais des archives judiciaires et celles des missionnaires ³. Un document tel que le « Book of Negroes » (1783) de Guy Carleton fournit certes des trésors d’informations de toutes sortes, mais le portrait captivant qu’il brosse de l’expérience des loyalistes noirs en route pour la Nouvelle-Écosse demeure très fragmentaire. Les premiers écrits importants qui ont été rédigés par des auteurs noirs remontent à la fin du dix-huitième siècle ; ils sont le fruit de colons et de ministres qui relatent leurs expériences en Nouvelle-Écosse. Au dix-neuvième siècle, la fuite des esclaves et des Noirs affranchis depuis le sud de la frontière, qui se sont joints aux premiers colons noirs dans ce qui est aujourd’hui le sud de l’Ontario, déclenche une période d’effervescence de l’écriture noire canadienne. Le corpus d’écrits qui en résulte, dont le nombre s’est considérablement accru après l’adoption de la Loi des esclaves fugitifs de 1850 aux États-Unis, comprend des récits de leurs expériences en tant qu’esclaves et de leur vie de colons affranchis, diverses formes d’essais et au moins un roman. Cette production d’écrits noirs canadiens diminue au cours des années 1860, après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Un siècle plus tard, dans les années 1960 et 1970, une nouvelle littérature noire émerge. Celle-ci est enrichie par une forte immigration d’individus provenant des Caraïbes anglophone et francophone, phénomène auquel s’ajoute une renaissance de l’écriture néo-écossaise noire. Dans les années 1990, l’écriture noire canadienne se développe plus rapidement ; elle est accompagnée par la redécouverte et la création d’autres archives régionales noires dans les Prairies et en Colombie-Britannique. De nos jours, les écrivains canadiens noirs figurent parmi les finalistes et les récipiendaires de prix d’envergure à la fois nationale et internationale, dont les Prix littéraires du Gouverneur général, le prix Giller et le prix de poésie Griffin, les prix Commonwealth Writers’ Prize et le Man Booker Prize.

    Ces développements ont entraîné un intérêt croissant pour l’écriture noire canadienne. Ceux-ci ont des implications considérables pour la recherche, où leur potentiel critique n’est pas encore exploité pleinement. Du milieu des années 1960 aux années 1970, l’étude de la littérature canadienne a connu un essor important, mais elle s’intéressait alors aux revendications de reconnaissance nationale et à d’autres priorités. Cette dynamique interne n’a pas attiré l’attention des chercheurs sur l’écriture noire au Canada. Une distinction interne plus rapide – qui fut accentuée ensuite par les débats sur la postcolonialité du Canada et sur les paramètres du canon littéraire canadien – aurait pu accélérer l’inclusion de l’écriture noire canadienne dans les études littéraires nord-américaines, transatlantiques et hémisphériques (qui sont autant de contextes familiers aux récits d’esclaves, par exemple). Elle aurait pu également éveiller l’intérêt des chercheurs travaillant sur les diasporas ; ceux-ci auraient pu s’intéresser beaucoup plus tôt aux caractéristiques de l’identité noire canadienne.

    Toutefois, au fur et à mesure que l’étude de la littérature et de la culture canadiennes noires s’est développée au pays, celle-ci est devenue un espace d’autocritique suscitant certaines remises en question dans l’histoire littéraire canadienne (auxquelles le présent ouvrage souhaite apporter une contribution). L’écriture noire canadienne est également enracinée dans un imaginaire diasporique, qui entretient souvent des rapports très critiques à l’égard des perspectives nationales. En dépit de cela, les théories de l’Atlantique noir et les études sur la portée hémisphérique de l’esclavage transatlantique ont maintes fois marginalisé l’esclavage et le post-esclavage dans ce qui est aujourd’hui le Canada. Perceptible dans l’ouvrage novateur L’Atlantique noir (2003 [1993]*) ainsi que dans des livres récents consacrés aux études hémisphériques américaines, cette tendance a souvent persisté malgré le rôle important qu’a joué le Canada en tant que scène où se déploie l’expérience diasporique noire ⁴. L’esclavage des Noirs existait en Nouvelle-France (où il y avait aussi des esclaves autochtones) et ensuite dans les Canadas jusqu’en 1834 ⁵. Le chemin de fer clandestin a favorisé l’émergence d’une importante production d’écrits canadiens noirs au milieu du dix-neuvième siècle. Ces contextes diasporiques noirs traversent et transcendent les frontières nationales. C’est pourquoi les études canadiennes noires ont un rôle à jouer dans des domaines transnationaux connexes, où elles peuvent fournir des occasions de faire un travail d’introspection et des chances de se renouveler. Les premiers écrits canadiens noirs s’inscrivent dans des contextes d’expansion et de concurrence impériales, et font partie du témoignage hémisphérique de l’esclavage ⁶. Plus généralement, les études de l’Atlantique noir, comme le montreront les chapitres qui suivent, sont enrichies de références aux routes et aux réseaux diasporiques, dont ceux de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Écosse du dix-huitième siècle, ainsi que ceux du Haut- et du Bas-Canada du dix-neuvième siècle ⁷. Des possibilités et des impératifs transnationaux similaires concernent la pertinence des écrits canadiens noirs contemporains.

    Une bonne part de la riche production littéraire noire au Canada au cours des dernières décennies aborde divers contextes diasporiques, incitant à se tourner à la fois vers les particularités nationales et transnationales. De concert avec les études canadiennes, américaines et nord-américaines, les perspectives critiques qui ont été développées dans le cadre des études sur l’Atlantique noir, les études diasporiques, hémisphériques, postcoloniales et frontalières présentent donc des avenues cruciales à explorer qui offrent des possibilités de transformation et d’innovation. Ce champ explore les dimensions historiques du Canada noir et les œuvres d’écrivains contemporains jouissant d’un important lectorat à l’échelle internationale. Des auteurs tels Dionne Brand, Austin Clarke, George Elliott Clarke, Esi Edugyan, Dany Laferrière et Lawrence Hill ont reçu une attention bien méritée, mais un examen attentif révèle qu’il existe un nombre beaucoup plus élevé de textes et d’auteurs reconnus (voir l’annexe). Leurs œuvres forment une littérature riche et dynamique qui se prête à une attention minutieuse et à un examen approfondi.

    Ce domaine d’intérêt s’inscrit dans le vaste champ des études culturelles canadiennes noires. Si je m’intéresse principalement à ce riche corpus d’écrits, j’évoquerai également certaines facettes de la musique noire au Canada. Ce champ particulier des études culturelles jouit d’une appréciation critique en croissance, mais il devrait faire l’objet de solides recherches qui s’intéressent non seulement au gospel, au blues, au jazz et au hip hop, mais aussi, en guise d’exemples, au calypso, au steel-drum et au reggae – une tâche qui dépasse toutefois les visées de la présente étude ⁸. Parmi les autres formes d’art, on pourrait en dire autant du cinéma canadien noir, sujet dont il sera question dans les lignes et les chapitres qui suivent ; cependant, il reste à faire une recherche approfondie de ces productions ⁹.

    Dans les trois prochaines sections du présent chapitre, je préciserai le contexte dans lequel s’inscrivent les études dont il sera question dans ce livre. Je commencerai par faire un aperçu de la période allant des années 1960 aux années 1990. L’écriture noire canadienne donne alors des signes d’une présence renouvelée et les études canadiennes noires s’établissent plus fermement en tablant sur les efforts antérieurs. Ce sont ces développements qui jettent les bases des recherches actuelles. Je rappellerai ici les grandes lignes de cette évolution et mentionnerai un grand nombre d’écrivains et de contextes, dont plusieurs feront l’objet plus loin d’un examen plus attentif.

    L’un des principaux objectifs de ce livre est d’explorer l’écriture noire à la fois dans ses aspects spécifiquement canadiens et dans ses dimensions diasporiques propres à l’Atlantique noir. À cette problématique s’en greffe une autre, d’égal intérêt, dont je discuterai dans la prochaine section : celle de l’importance que revêt le passé dans de nombreux textes noirs contemporains. Ces œuvres font intervenir des contextes et des événements de l’histoire des Noirs qui deviennent ainsi des points de référence intertextuels dans le temps présent. Je donnerai également un aperçu de quelques théories littéraires et culturelles contemporaines sur la présence d’un passé souvent traumatisant dans des textes qui traitent de communautés victimes d’injustice.

    Enfin, dans la troisième section, je présenterai brièvement les principaux précurseurs, routes et intertextes auxquels se réfèrent les écrivains issus de diverses cultures noires contemporaines au Canada. Ces écrivains évoquent le passé comme une source du présent qu’ils sont en train de créer et de l’avenir qu’ils projettent. Ces réseaux montrent que le Canada noir – ainsi que le Canada dans son ensemble – est intrinsèquement lié à de nombreux autres espaces-temps de l’Atlantique noir. Les chapitres 2 à 5 présenteront des discussions approfondies sur des œuvres et des contextes canadiens noirs.

    Les études canadiennes noires et les débuts de la seconde Renaissance canadienne noire

    L’ouvrage novateur L’esclavage au Canada français de Marcel Trudel (1960), ainsi que deux importantes études historiques publiées en anglais, The Blacks in Canada de Robin Winks (dont la première édition a paru en 1971) et The Black Loyalists de James Walker (1976), constituent des publications marquantes dans le développement des études canadiennes noires. Ces ouvrages s’intéressent à des pans de l’histoire canadienne qui avaient été pratiquement oubliés dans le contexte d’effervescence entourant le centenaire de la Confédération canadienne en 1967. Tablant sur l’attention croissante que l’on accordait durant l’après-guerre au développement de la culture canadienne et sur les avancées découlant du Rapport Massey (1951) ¹⁰, Northrop Frye et Margaret Atwood, les collaborateurs de l’Histoire littéraire du Canada (1970), un groupe d’écrivains francophones revendicateurs du Québec, de même que plusieurs autres, ont déployé des efforts majeurs pour formuler les déclarations d’indépendance littéraire à la fois au Canada et au Québec ¹¹. Certaines formes de différenciation et de spécificité culturelles sont considérées par l’État dans les interventions en matière de politique. Dans la foulée de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1969), le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau reconnaît le français comme langue officielle au pays (1969) et la « contribution d’autres groupes » au moyen d’une politique fédérale sur le multiculturalisme (1971). Pour un grand nombre de groupes racialisés, cependant, la reconnaissance culturelle et officielle tarderait à voir le jour. Pis encore, dans un Livre blanc rédigé en 1969 par le gouvernement Trudeau et son ministre des Affaires indiennes (qui deviendra plus tard le premier ministre) Jean Chrétien, l’assimilation des Premières Nations du Canada était prévue (gouvernement du Canada 1969) ¹². Pour les Nippo-Canadiens, qui avaient souffert l’internement pendant la Seconde Guerre mondiale, la réparation allait venir beaucoup plus tard ¹³. Sur le plan des relations raciales, l’attention générale était rivée sur le mouvement des droits civils aux États-Unis – surtout après l’assassinat de Martin Luther King – et tandis que les recherches menées dans ce pays sur des leaders noirs tels Martin Delany, Henry et Mary Bibb, et Mary Ann Shadd, accordaient une certaine attention au temps qu’ils avaient passé au Canada ¹⁴, le concept de « race » ne comptait pas encore parmi les sujets incontournables en études littéraires canadiennes ¹⁵.

    Néanmoins, certains signes très clairs rappelaient l’existence de communautés noires au Canada. En 1967, le Caribbean Cultural Committee lance le festival Caribana, à Toronto, en guise de contribution de la communauté caribéenne au centenaire de la Confédération canadienne ; cette célébration annuelle allait devenir l’un des plus grands festivals d’Amérique du Nord (voir Foster 1995). En octobre 1968, des intellectuels et leaders noirs importants, tels C. L. R. James, Stokely Carmichael (aussi connu sous le nom de Kwame Ture) et Walter Rodney, se rassemblent à Montréal pour la tenue d’un événement intitulé « Congrès des écrivains noirs/Congress of Black Writers : Vers la seconde émancipation – dynamique de la libération noire/Towards the Second Emancipation – The Dynamics of Black Liberation ». Bien que ce congrès ait porté principalement sur des thèmes américains noirs, caribéens et africains, lors de la journée d’ouverture le Néo-Écossais Rocky Jones a prononcé une brève allocution intitulée « Le Canada et sa communauté noire » (Austin 2013, 103-104). Cette rencontre a coïncidé avec une manifestation d’étudiants antillais de l’Université Sir George Williams à Montréal ; ceux-ci étaient en pourparlers avec l’administration au sujet d’une pratique d’attribution de notes par un de leurs enseignants qu’ils jugeaient discriminatoire. En janvier 1969, ces étudiants et quelques autres ont fini par occuper le centre informatique de l’université ; on les a accusés d’être responsables d’un incendie ayant causé d’importants dégâts, bien que la cause véritable du sinistre n’ait jamais été établie ¹⁶. Toutefois, en dépit de l’attention du public et de la couverture de presse accordées à ces événements, la connaissance de l’histoire des Noirs au Canada demeurait minime à l’extérieur de la communauté en question ¹⁷. Winks et Walker se sont fait les hérauts de récits fondateurs qui faisaient partie intégrante de l’histoire du Canada et qui, à certains égards, renforçaient les mythes chers au Canada – soit d’être la terre de liberté et le « pays de Canaan » des populations noires affligées. Ces récits comportaient cependant des vérités dérangeantes, qui semblaient déplacées dans le cadre des célébrations nationales canadiennes.

    Dans son livre, Winks fait le récit de l’histoire des Noirs au Canada depuis ses débuts avérés, au début du dix-septième siècle. Les sujets qu’il dépeint comprennent non seulement le chemin de fer clandestin et le « pays de Canaan » canadien, mais également l’esclavage en Nouvelle-France et dans le Canada anglais. Pour sa part, Walker se concentre sur l’arrivée de Noirs après la Révolution américaine, surtout après l’évacuation de New York en 1783. Il raconte l’histoire des loyalistes noirs affranchis qui trouvent refuge en Nouvelle-Écosse pour échapper au retour de l’esclavage au sud de la nouvelle frontière, mais aussi celle des esclaves emmenés par leurs maîtres loyalistes. En outre, le mauvais traitement des colons noirs en Nouvelle-Écosse entraîne la première grande traversée de l’Atlantique pour retourner en Afrique ; découragés par les promesses brisées d’accès à la terre et par le racisme en Nouvelle-Écosse, près du tiers de ces anciens immigrants mettent le cap sur la Sierra Leone en 1792 ¹⁸.

    Ces récits n’en soulignent pas moins le fait que l’histoire du Canada est également l’histoire des Noirs (et que l’histoire de l’Atlantique noir est aussi canadienne). De plus, ils montrent clairement que cela est le cas depuis les débuts de ce qui est maintenant le Canada. Ces examens du passé démontrent, ce faisant, que l’histoire des Noirs au Canada va au-delà des récits réconfortants du Canada comme pays de Canaan et de terre de liberté pour les Noirs, récits chéris par de nombreux Canadiens en raison du contraste qu’ils offrent avec ceux de leur voisin du sud. Ces œuvres révèlent également la fausseté implicite à l’idée d’une réalité noire homogène et unifiée au Canada. Relatant les trajectoires de divers groupes d’esclaves noirs, d’anciens colons et d’arrivants postérieurs dans l’espace canadien au fil du temps, ces ouvrages montrent que celles-ci représentent un aspect important et fondateur de l’histoire du Canada, tout en illustrant les histoires transnationales et diasporiques qui intègrent le Canada dans les récits hémisphériques et transatlantiques de la modernité.

    Les débuts de la seconde Renaissance : des années 1960 aux années 1990

    Alors que ces historiens et quelques autres chercheurs soulignaient l’importance du passé noir du Canada, la population noire avait commencé à augmenter au pays à partir des années 1950 et 1960 en raison d’une immigration croissante en provenance des Caraïbes et de l’Afrique (voir le chapitre 4 ; Mensah 2010, 71-73 ; Walker 1984). Concernant la production littéraire, cependant, seule une poignée d’écrivains sont parvenus à publier et à rejoindre un public plus vaste pendant cette période de nationalisme et d’effervescence culturels au Canada. Quelques textes témoignaient toutefois d’une activité sur le terrain et étaient indicateurs de développements futurs, ce dont je traiterai abondamment au chapitre 4. Les trois premières anthologies de textes d’auteurs noirs contemporains ont été publiées entre 1973 et 1976 ¹⁹. Un petit nombre d’auteurs ont réussi à publier leurs propres livres : l’écrivain barbadien-canadien Austin Clarke ajoute des titres à son œuvre (des nouvelles et le premier livre de sa trilogie torontoise) déjà publiée dans les années 1960 ²⁰ ; Riverlisp (1974) de Frederick Ward fait revivre des aspects d’Africville, le quartier de la communauté noire de Halifax qui a été rasé pour faire place au développement urbain quelques années plus tôt ²¹ ; et Dionne Brand publie ses premiers recueils de poèmes à la fin de cette décennie ²². Avec le Black Theatre Workshop, une troupe de théâtre professionnelle est créée à Montréal en 1972 ; suivra celle du Black Theatre Canada à Toronto en 1973 (Moynagh 2005, x-xi ; Bayne 2004 ; J. Henry 2004). Dans le Québec francophone, des écrivains fuyant l’oppression du régime Duvalier en Haïti entreprennent de créer un nouveau corpus littéraire ; Gérard Étienne fait paraître des ouvrages de poésie au Québec depuis 1966 (après avoir publié des recueils en Haïti), Anthony Phelps et Émile Ollivier ont déjà publié ou préparent de premiers ouvrages quand Dany Laferrière arrive à Montréal en 1976. Ces développements annoncent une seconde renaissance de l’écriture noire au Canada au moment où de nouvelles cultures noires vont rejoindre les rangs d’autres, plus anciennes, qui ont déjà fait leur chemin en édition. L’attention de la critique littéraire canadienne n’en demeure pas moins rivée, dans une large mesure, sur l’émergence littéraire et culturelle nationale, ainsi que sur diverses questions théoriques. Il n’existe alors aucun cours universitaire consacré à la littérature noire au Canada, qu’il s’agisse de celle d’hier ou d’aujourd’hui ²³.

    Toutefois, le rythme de production s’accélère au cours de la décennie 1980 et plus particulièrement vers la fin de celle-ci. Quelques exemples appartenant à plusieurs genres et médias illustrent cette situation. Parmi les textes qui documentent la vie et l’histoire des Noirs au Canada se trouvent A Black Man’s Toronto 1914–1980: The Reminiscences of Harry Gairey (1981) et Silenced de Makeda Silvera (1983), un important recueil d’histoires orales de femmes domestiques caribéennes-canadiennes ²⁴. Aux premiers romans de langue française de Gérard Étienne et d’Émile Ollivier viennent s’ajouter les premières œuvres de Dany Laferrière et de Joël Des Rosiers. Au Canada anglais, Austin Clarke continue à publier à un rythme prodigieux tout au long de cette décennie ²⁵, tandis que d’autres écrivains et des cinéastes noirs se font connaître. Leur production inclut des recueils de poésie tels Thorns (1980) et Salmon Courage (1983) de l’écrivaine originaire de l’île de Tobago, Marlene NourbeSe Philip, Fables from the Women’s Quarters (1984) de la Trinidadienne-Canadienne, Claire Harris, et le livre de George Elliott Clarke en hommage à la communauté noire de la Nouvelle-Écosse, Saltwater Spirituals and Deeper Blues (1983) ²⁶. C’est également à cette époque que sont produits les premiers enregistrements de poésie dub par l’artiste de la création parlée (en anglais spoken word) et poète Lillian Allen ²⁷. Au théâtre, d’autres Néo-Écossais noirs présentent leurs premières pièces durant cette décennie, dont Tightrope Time (1986) de Walter Borden, Somebody Somebody’s Returning (1988) de Frederick Ward et Shine Boy (1988) de George Elroy Boyd. Au cinéma, on assiste à la sortie du film Home to Buxton (1987) de Claire Prieto et Roger McTair, de même que du documentaire de Claire Prieto et Sylvia Hamilton sur la vie des Noires de la Nouvelle-Écosse, Black Mother Black Daughter (1989). À l’instar du film Home Feeling: Struggle for a Community des réalisateurs Jennifer Hodge de Silva et Roger McTair paru quelques années plus tôt (1983) et portant sur la communauté noire et la discrimination dans le secteur torontois de Jane-Finch, ce documentaire est produit par l’Office national du film du Canada, où les politiques multiculturelles du Canada commencent à faciliter l’accès aux cinéastes noirs ²⁸. Un autre événement digne d’intérêt est la parution de la bibliographie Literary Writing by Blacks in Canada: A Preliminary Survey (1988) par Lorris Elliott. Il s’agissait alors de la première publication savante qui tentait d’exercer un contrôle bibliographique sur la production littéraire noire au Canada. Cet ouvrage reçut un soutien financier du multiculturalisme fédéral par l’entremise du Programme des lettres et de l’édition (PLE) du Conseil des arts du Canada, comme ce fut également le cas, la même année, du recueil de nouvelles de Dionne Brand, Sans Souci and Other Stories (1988) ²⁹.

    Au cours des années 1990, la littérature noire au Canada franchit de nouveaux seuils, ce qui contribue à l’établir comme un champ d’études émergent et dynamique. Dionne Brand poursuit sur sa lancée en publiant en 1990 No Language Is Neutral, un livre marquant tout comme Whylah Falls de George Elliott Clarke, publié la même année. En 1991-1992, Clarke suscite l’étonnement en publiant Fire on the Water, une anthologie en deux volumes de la littérature noire de la Nouvelle-Écosse qui réunit les premiers textes néo-écossais et des œuvres contemporaines. Dans la foulée du recueil de récits oraux des femmes caribéennes-canadiennes qu’avait publié Silvera en 1983, Brand transpose dans l’écriture les récits de femmes noires ontariennes dans No Burden to Carry (1991). Cet ouvrage majeur, qui couvre une période allant des années 1920 aux années 1950, illustre la vie sociale et professionnelle de femmes noires, y compris leur rôle au sein d’organisations religieuses et de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA ; voir Marano 2010). De plus, le livre Pourin’ Down Rain, récit autobiographique de Cheryl Foggo portant sur les Noirs dans les Prairies, ainsi que Woman Talking Woman, de la Néo-Écossaise Maxine Tynes, paraissent tous deux en 1990.

    Jumelée à l’impact croissant d’auteurs qui ont déjà publié antérieurement, l’émergence d’un grand nombre d’écrivains et d’artistes au cours des années 1990 signale une présence littéraire et culturelle noire relativement importante au Canada. Comptent parmi ces écrivains Marie-Célie Agnant, André Alexis, Maxine Bailey, Wayde Compton, Cecil Foster, Lorena Gale, Lawrence Hill, Nalo Hopkinson, Sharon M. Lewis, Tessa McWatt, Rachel Manley, Suzette Mayr, Andrew Moodie, Pamela Mordecai, Stanley Péan, Althea Prince, Mairuth Sarsfield, Djanet Sears et Olive Senior. De plus, le réalisateur et producteur Clement Virgo présente ses premiers longs-métrages, Rude (1995) et Love Come Down (2000) ³⁰. Au cours de la décennie suivante, d’autres voix prometteuses émergent, comme celles de David Chariandy et d’Esi Edugyan ; en parallèle, le rappeur et compositeur Drake lance son remarquable album musical So Far Gone (2009). Des anthologies telles Voices (1992) d’Ayanna Black, Eyeing the North Star (1997) de George Elliott Clarke, les deux tomes de théâtre Testifyin’ (2000, 2003) de Djanet Sears, ainsi que Revival (2006) de Donna Bailey Nurse ou, plus récemment, The Great Black North (2013) de Valerie Mason-John et Kevan Anthony Cameron, continuent de rendre accessibles à un vaste public les œuvres d’écrivains déjà connus et – dans le cas de la plus récente anthologie – celles de nouveaux écrivains et artistes noirs de spoken-word ³¹.

    En 1997, la remise des Prix littéraires du Gouverneur général à Brand et à Manley représentait la première fois que ces prix étaient décernés à des écrivains noirs au Canada et, du coup, le début de la reconnaissance de ce corpus ³². L’intensification de la production et la reconnaissance de la littérature canadienne noire atteignent alors un tel niveau que cela amènera plus tard George Elliott Clarke à considérer l’année 1997 comme un point tournant (G. E. Clarke 2008). Les années suivantes seront marquées par l’organisation d’importants colloques et la publication des premiers ouvrages de recherche consacrés entièrement à l’écriture noire au Canada ³³, tandis que s’amorcera un débat entre George Elliott Clarke et Rinaldo Walcott autour du nationalisme culturel et des questions diasporiques ³⁴. Tous ces événements seront les indices d’un champ d’études en rapide évolution. Ils témoigneront également d’une conscience croissante de l’intérêt et de l’attention soutenus que mérite la littérature noire au Canada, lesquels sont payés de retour.

    La présence du passé

    Au-delà du présent immédiat, la majeure partie de la littérature noire porte son regard vers le passé ³⁵. Je ferai de même dans les deux prochains chapitres, après quoi j’examinerai des œuvres écrites surtout depuis les années 1990 qui « présentent » le passé. Ces textes orientent notre intérêt à l’égard de la présence du passé et de la contemporanéité de certains de ses aspects. Bien que tous les écrits canadiens noirs contemporains ne traitent pas directement ou ouvertement de périodes antérieures, la fréquence et la prégnance de ce thème de l’exploration soutenue du passé ne sont pas moins à souligner. Cela ne vaut pas seulement pour l’écriture migrante, qui jette souvent un regard en arrière, mais s’applique aussi à l’exploration de situations locales comme c’est le cas des incursions en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique noires que proposent un George Elliott Clarke ou un Wayde Compton. L’émergence massive de l’écriture noire canadienne à partir de la décennie 1980, au cours des années 1990 et au-delà a souvent amplifié l’interrogation du passé comme une condition active du présent et une ressource utile pour l’avenir.

    On peut relier ces œuvres à un courant plus vaste de littérature ayant une portée historique et historiographique au Canada, lequel a fait l’objet de nombreux commentaires critiques ³⁶. Toutefois, bien qu’il soit possible et utile de les relier à d’autres métafictions historiques et historiographiques du Canada et d’ailleurs, ces textes canadiens noirs recourent souvent à des stratégies spécifiques et souvent différentes ayant trait à des luttes et à des intertextes noirs, à la fois présents et passés. Ils révèlent fréquemment des rapports au passé allant au-delà de visées purement déconstructivistes ; leurs stratégies se caractérisent souvent par l’exploration de routes et de racines diasporiques et par la recherche d’un passé utilisable. Ces ouvrages se distinguent également par l’attention qu’ils portent à certains textes et traditions du passé, aux contextes, aux registres de langue et aux espoirs mis dans l’avenir.

    Dans la littérature canadienne noire contemporaine, le passé refait surface sous diverses formes et dans de nombreux genres : mémoires et autobiographie, réflexions poétiques, dramatisation théâtrale ou néo-récit d’esclave. On pense également ici, de manière analogue, à des formes de mémorialisation telles que des expositions muséales, des plaques commémoratives, de même que la préservation, la présentation et la mise en récit d’établissements noirs historiques et d’autres lieux de mémoire des Noirs ³⁷. Cela soulève dans chaque cas des questions sur la forme et la fonction de l’expression du passé : Quel rôle le passé joue-t-il véritablement ? Fait-il figure d’« histoire », au sens de quelque chose de terminé ? Apparaît-il comme étant achevé, bordé de frontières statiques, et s’inscrivant dans ce que Homi Bhabha a appelé « l’Idée pédagogique et transcendantale de l’histoire » (1990, 307) ? Ou est-il présenté comme un facteur ayant une incidence sur le présent ? Comme un espace de contestation au sein du présent rendant possibles la transformation et certaines formes d’agentivité ? Ou alors, le passé apparaît-il plutôt non seulement comme étant inéluctable mais également accablant et handicapant ? Et comment devenons-nous conscients du fait que notre perception du passé subit des transformations, lesquelles incluent nos divers positionnements et les éternels périls de la projection ³⁸? Autrement dit, quel rôle jouent ces récits et mises en scène du passé auprès des lecteurs d’aujourd’hui et de quelle manière s’adressent-ils à des auditoires souvent fort diversifiés ?

    Il s’avère complexe et souvent ardu de se rappeler le passé, de l’exprimer et de le mettre en scène quel que soit le contexte, mais ces actes doivent faire l’objet de considérations supplémentaires dans les récits diasporiques. Dans son essai marquant intitulé « Identité culturelle et diaspora » (2017), Stuart Hall avance que l’impérialisme européen et l’asservissement des Noirs ont non seulement fait de ceux-ci l’Autre, mais « eurent aussi pour conséquence que nous nous soyons nous-mêmes vus et vécus comme Autres » (2017, 433). Selon Hall, l’une des conséquences dévastatrices de cette incapacitante « expropriation intérieure de l’identité culturelle » – qu’avait déjà analysée Fanon dans Peau noire, masques blancs – est que cette identité culturelle n’est pas récupérable tout d’un bloc ; elle n’est pas « une origine fixe vers laquelle nous pourrions, de manière absolue et définitive, retourner » (434).

    En raison de cette expérience de déplacement et de fragmentation diasporiques, Hall note que les textes qui restaurent « une plénitude, une complétude imaginaire qui peut être opposée à l’histoire interrompue de notre passé » peuvent venir soutenir un processus de guérison (2017, 432). Toutefois, au-delà de cette possibilité, l’identité culturelle relève aussi du « devenir » ; elle « appartient au futur tout autant qu’au passé ». Ce n’est pas quelque chose « qui existe déjà et qui serait transcendant au lieu, au temps, à l’histoire et à la culture » (433). Dans cette optique, l’expression de l’identité est un acte d’auto-façonnement, une pratique d’expression qui s’élabore à partir et au-delà des éléments issus du passé. Malheureusement, cette forme d’expression peut répéter et réinscrire la domination, ou faire de celle-ci une présence symptomatique. À partir des langages du passé, elle peut aussi se créer son propre discours, une façon de « dire quelque chose ³⁹ » qui ne fait pas que reproduire les règles et les décisions de l’histoire, mais les adapte et se les approprie en les modifiant. Ce travail de transformation reconnaît le passé tout en le réencodant dans des formes d’agentivité culturelle qui créent de nouveaux départs. Stuart Hall met le doigt sur cette double forme d’expression quand il affirme que « les identités sont les noms que nous donnons aux diverses façons d’être situés par les récits du passé et de nous y situer » (433).

    Ces procédés d’énonciation, de mise en scène des identifications et des résistances, sont canalisés par des modes de connaissance et de narration qui ont leurs propres formes et points d’entrée : notre relation au passé est donc toujours construite « à travers le récit, le mythe, la mémoire et l’imagination. Les identités culturelles sont les points instables d’identification ou de suture au cœur des discours culturels ou historiques » (Hall 2017, 434). Ce qui manque peut-être à cette formulation, c’est une réflexion sur la manière dont l’utilisation de modèles ou de scripts existants peut aussi en arriver à les modifier. Ces transformations se réalisent dans des formes de pratique qui sont des formes d’improvisation sur des écrits archivés ⁴⁰. Toutefois, il est clair que dans de tels processus d’auto-médiation individuels et collectifs par le biais d’une multitude de discours et de mises en récit culturels et historiques, « il y a toujours une politique de l’identité, une politique du positionnement, qui ne trouve jamais de garantie absolue dans une loi originelle transcendantale et non problématique » (226).

    Les tropes de l’origine et du retour sont fréquents dans les cultures migrantes et diasporiques. Ils structurent souvent des textes complets ; ils se rapportent à la fois au temps et à l’espace et se retrouvent dans une bonne partie des écrits noirs au Canada. Mais Hall n’est pas le seul à faire observer que ces tropes ne sauraient à eux seuls conduire à un sentiment de clôture ou à une identité ne faisant l’objet d’aucune médiation. Sa remarque selon laquelle « l’Afrique originelle n’est plus ici » (2017, 440), par exemple, fait écho à des commentaires similaires formulés par Édouard Glissant (1981, 30). Selon ces deux théoriciens, tout « retour » en Afrique s’inscrit dans des trajectoires plus complexes (Hall 2017, 440-441), une perspective comprise également dans les notions d’errance et de détour proposées par Glissant (examinées au chapitre 4).

    S’ajoutant à la dimension spatiale de cette problématique, un autre détour ou une autre « diversion » relève de l’histoire comme retour aux origines temporelles. Ce type de « retour » ne produit pas de similitude ; il produit un surplus, c’est-à-dire un rapport plus complexe au passé. Au lieu de récupérer ce qui est connu et attendu, les tentatives de retour dans le temps et jusqu’aux débuts tracent, elles aussi, des chemins et des médiations qui révisent, transforment et expriment le passé sous de nouvelles formes. Cette observation est illustrée par de nombreuses approches théoriques qui cherchent à rendre compte de la présence médiée du passé et de son rôle actif dans le présent de l’individu et de la communauté. Ces approches relèvent d’une mise en récit des histoires dominantes et alternatives, ainsi que de notre rapport à l’archive (voir Antwi 2011, 15-18), mais elles soulèvent également de nouveaux questionnements sur les liens entre mémoire et traumatisme, le rôle du témoin et du témoignage, les débats psychanalytiques sur le deuil et la mélancolie, et l’examen des phénomènes obsédants et spectraux. Si un grand nombre de ces recherches portent sur l’individu, celles-ci relèvent de contextes relatifs également à la mémoire communautaire, culturelle et historique (Halbwachs 1980 ; Assmann 2006) et sont pertinentes face aux remarques de Hall portant sur « le récit, le mythe, la mémoire et l’imagination » dans les identités et les identifications diasporiques et culturelles. Ces modes théoriques d’investigation cartographient les détours et les déviations à partir desquels le présent reconstruit et projette des formes du passé et, ce faisant, façonne l’avenir. Leurs résultats circonscrivent ou réfutent les concepts d’une nette passéité du passé ou de sa récupération sans médiation dans le présent.

    Toutefois, des différences significatives quant à la perception des sujets et de leur agentivité caractérisent ces affirmations concernant l’importance du passé. Quelle place ces approches théoriques font-elles à l’intervention active et à la transformation que je viens d’évoquer, et comment articulent-elles leur propre concept de conscience temporelle ? Aux réflexions diasporiques qui mettent l’accent sur les aspects géopolitiques et historiques, telles que proposées par Hall, Glissant et bien d’autres, s’ajoute un autre type d’exploration qui s’appuie sur des modèles psychologiques et psychanalytiques pour étudier les aspects individuels de la subjectivité diasporique. Dans la tradition noire, on pense aussitôt à Fanon (comme le fait remarquer Hall) et avant lui, indubitablement à Du Bois, qui a transformé la pensée philosophique et psychologique avec son concept extrêmement fécond de double conscience ⁴¹.

    J’aimerais me pencher ici sur d’autres développements récents, à commencer par un tour d’horizon critique de la notion de mélancolie proposée relativement aux rapports qu’entretiennent les communautés affligées avec des traumatismes fondateurs vécus dans le passé ⁴². Cette notion, que les spécialistes connaissent bien, fournit une toile de fond utile sur laquelle se détachent des approches aux accents divers. Parmi d’autres approches abordées dans cette section, mentionnons le gothique postcolonial au Canada, les hantologies noires et le concept de témoignage tel que le présente Ian Baucom dans Specters of the Atlantic (2005). Afin d’illustrer ces approches, je donnerai ici un avant-goût de l’étude que je propose (au chapitre 4) du roman Aminata de Lawrence Hill.

    Ce que dit le passé

    Une présence symptomatique du passé : la mélancolie et ses malaises

    L’essai de Freud intitulé « Deuil et mélancolie » (2016 [1917]) a suscité de nombreux commentaires en psychanalyse, mais aussi dans le champ de la critique littéraire et culturelle. Ce fut tout particulièrement le cas après la discussion de cet essai par Judith Butler dans Trouble dans le genre (dont la version originale anglaise paraît en 1990, soit la même année que l’essai de Stuart Hall). Le texte de Freud a notamment attiré l’attention de chercheurs qui tentent de théoriser une interaction dynamique et ouverte avec le passé. Dans cet essai, Freud présente le deuil comme un processus fini dans lequel est abandonnée la cathexis de l’objet aimé : « le moi, à l’achèvement du travail de deuil, redevient libre et n’est plus inhibé » (Freud 2016, 84). Dans l’espace de la mélancolie, en revanche, l’objet perdu n’est pas abandonné, mais intériorisé et identifié au moi. À cause de cette déception, un jugement sévère est prononcé par une autre instance « séparée du moi » (88). C’est ce processus qui explique, selon Freud, la propension des mélancoliques à se dénigrer et à se dévaloriser ⁴³.

    Quelques années plus tard, Freud révise cette hypothèse d’opposition dans Le Moi et le Ça (1923). Il laisse plutôt entendre que l’intériorisation qui s’opère dans la mélancolie ne s’opposerait pas au deuil. Pour reprendre le résumé que fait Judith Butler de cette réorientation, ce serait plutôt la seule façon pour le moi de survivre à « la perte des liens affectifs fondamentaux » (2005, 149). Tel que Butler l’explique ailleurs, la nouvelle thèse de Freud semble même plutôt indiquer qu’il « ne saurait y avoir de moi sans mélancolie, que la perte du moi est constitutive » (2002 [1997], 251). Selon elle, la mélancolie devient un modus operandi « normal » de la performance hétérosexuelle du genre résultant de l’abandon forcé par l’enfant de la cathexis avec le parent de même sexe sous la pression de la norme (2005, 147-159 ; 2002, 199-234).

    Des chercheurs comme David Eng ont conclu que la théorie de la mélancolie permettait de jeter un éclairage sur des communautés affligées marquées par « une mémoire collective de perte historique et de souffrance continue » (2000, 1276). Eng affirme que « la mélancolie comme théorie du chagrin non résolu est utile pour l’étude non seulement de la formation de sujets non genrés mais aussi d’une foule d’autres identités de groupes minoritaires » (1276). Eng décèle même dans l’attachement de la mélancolie aux objets de la perte « le germe d’une contestation politique » (1280). Dans un texte publié en collaboration avec David Kazanjian, il écrit qu’« on peut dire de la mélancolie, dans les innombrables luttes isolées qu’elle mène contre la perte, qu’elle entretient […] une relation continue et ouverte avec le passé et qu’elle introduit dans le présent ses fantômes et ses spectres, ses images vives et fugaces » (Eng et Kazanjian 2003, 4). En définitive, selon ces théoriciens, ce processus génère « des lieux de mémoire et d’histoire, de réécriture du passé et de nouvelle projection de l’avenir » (4).

    En dépit des attraits théoriques évidents qu’offre ce courant de pensée, je crois que celui-ci comporte également son lot de problèmes et de désavantages. Dans leur évocation des « images vives et fugaces » du passé, Eng et Kazanjian se réfèrent aux réflexions de Walter Benjamin sur le souvenir, dont il faut s’emparer dans le moment présent « tel qu’il surgit à l’instant du danger » (Benjamin 2000, tome 3, 431) ⁴⁴. En outre, avec leurs renvois aux fantômes et aux spectres, ils ajoutent leurs voix à celles d’autres chercheurs inspirés par la pensée de Jacques Derrida sur la spectralité et l’hantologie (dont il sera question plus loin), laquelle tend à déconstruire les oppositions figées entre passé, présent et avenir. L’intention est claire : puisque bien des groupes affligés par des traumatismes et par l’injustice sociale n’ont accès à aucune forme immédiate de « guérison », cet intérêt pour l’état psychologique de la mélancolie est motivé par la quête d’un processus non finalisé qui

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