Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec: Le rôle déterminant des pères oblats
Par Henri Goulet
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À propos de ce livre électronique
Fondé sur les archives des pères oblats, très peu exploitées à ce jour, ce premier livre sur les pensionnats autochtones au Québec relate l’histoire de chaque établissement. L’auteur y fait ressortir les pressions politiques exercées par la communauté religieuse sur les autorités fédérales au moment même où le gouvernement libéral de Louis St-Laurent projetait de fermer ces institutions au Canada anglais. Il met aussi en lumière l’idéologie des oblats en matière d’éducation des enfants autochtones : contrairement à ce que prônait la politique d’intégration dans les écoles publiques du département des Affaires indiennes dans les années 1950, ils cherchaient plutôt à maintenir vivante la culture de leurs pensionnaires. Écrit dans le contexte tendu de la Commission de vérité et réconciliation, ce livre ouvre la voie à une interprétation différente de la responsabilité première de ces institutions au Québec.
Henri Goulet a été chargé de cours en histoire et en études québécoises à l’Université de Montréal. Il a publié, entre autres ouvrages, avec Jacques Rouillard Solidarité et détermination. Histoire de la Fraternité des policiers et policières de la Communauté urbaine de Montréal (Boréal, 1999), ainsi que L’enseignement médical : une profession. Histoire de l’AMCEM, 1968-2008 (PUM, 2008).
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Aperçu du livre
Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec - Henri Goulet
INTRODUCTION
C’est en tant qu’historien et chargé de cours en études québécoises et en histoire à l’Université de Montréal que j’ai été amené à m’intéresser à l’histoire des peuples autochtones du Québec. Dans mon cours sur l’histoire du Québec contemporain, j’ai tenté de faire ressortir le caractère spécifique de l’histoire du Québec en Amérique du Nord1. Tandis que je cherchais à mettre en lumière ce qui distingue l’évolution de la société québécoise dans ce vaste ensemble nord-américain, sur les plans tant démographique, économique, politique que culturel, j’ai rapidement pris conscience d’une différence tout aussi importante dans la réalité des peuples autochtones au Québec, surtout en ce qui a trait au traitement qui leur a été réservé par les gouvernements fédéral et provincial. Ce traitement «différencié» est historique et prend ses racines, entre autres, au 19e siècle sous le régime britannique, alors que l’administration coloniale est aux prises avec la gestion de ce qui va rapidement devenir le «problème indien» dans les colonies2. Un premier modèle de gestion de ces populations devenues «encombrantes» sera implanté dans le Haut-Canada dès le milieu du siècle avec la signature des premiers traités visant à libérer les territoires pour faire place aux nouveaux colons, surtout avec l’arrivée massive des loyalistes dans ce qui va devenir l’Ontario d’aujourd’hui. Ce modèle sera ensuite fidèlement appliqué dans les Territoires du Nord-Ouest jusqu’aux frontières de la Colombie-Britannique. Il n’a toutefois pas été implanté au Québec. Ainsi, l’histoire des peuples autochtones du Québec pose toutes sortes de questions fascinantes pour l’historien. Les études récentes permettent d’en saisir toute la complexité3.
Plus près de nous, deux circonstances ont contribué à relancer l’intérêt pour l’étude de l’histoire des Premières Nations au Canada et au Québec. La première résulte directement de l’échec de l’Accord du lac Meech et de la crise d’Oka en 1990. À la suite de ces deux événements, une vaste enquête est lancée (encore une, diront ironiquement certains), la Commission royale sur les peuples autochtones, plus communément appelée la Commission Erasmus-Dussault. Les commissaires déposent leur rapport en 1996. Il comporte 4000 pages en 5 volumes et propose une multitude de recommandations pour corriger les profondes injustices imposées aux Autochtones du Canada et pour réduire les inégalités qui caractérisent les communautés. Fait à noter, le chapitre dix de la deuxième partie porte spécifiquement sur le dossier des pensionnats indiens. Il se termine par la proposition de faire une analyse approfondie de cette réalité des pensionnats. Cette recommandation se concrétisera finalement en 2007 avec la création de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui reçoit le mandat de faire toute la lumière sur la triste réalité des pensionnats indiens. Cette commission a surtout offert la possibilité aux ex-pensionnaires de témoigner publiquement de leur expérience. De larges audiences, partout au Canada, ont ainsi fait connaître à toute la population canadienne l’expérience douloureuse vécue par les élèves de ces établissements. Dorénavant, il n’est plus possible de dire: «Ah! Je ne savais pas…» Surtout pour ce qui est des historiens.
Une précision s’impose en ce qui concerne l’intérêt de ces derniers pour les pensionnats indiens. Au Canada anglais, des études sur cette question remontent maintenant à plus de 30 ans. Elles se concentrent principalement sur les pensionnats de l’Ouest canadien, là où ils sont plus nombreux et où les sources en anglais sont davantage disponibles. Au Québec, jusqu’à tout récemment, c’était le silence quasi total sur cette question. Ainsi, le phénomène historique des pensionnats indiens est surtout analysé à partir d’une perspective canadienne-anglaise, à partir d’une réalité propre aux nations autochtones de l’Ouest canadien, ainsi qu’à partir d’une approche très victorienne d’assimilation rapide des populations autochtones. L’absence d’études portant sur la réalité québécoise – tenant davantage compte du «spécifique» québécois – m’a donc fortement incité à entreprendre ce travail, d’autant plus qu’il y a eu un très petit nombre de pensionnats ouverts au Québec.
Dès le départ, j’ai opté pour un travail fondé sur les archives des oblats. Ces derniers sont directement responsables de l’ouverture des quatre pensionnats catholiques du Québec et ils en ont assumé l’administration jusqu’à la fin. Ce choix me semblait donc logique. Les archives des pères oblats ont été consultées, en partie, pour les pensionnats de l’Ouest, mais très rarement pour ceux du Québec. Il s’agit d’un terrain encore largement inexploré.
Cela dit, je reconnais d’emblée les limites d’une source unique en histoire. Il aurait été préférable de confronter ces sources avec celles du département des Affaires indiennes, celles des différents ministères fédéraux responsables des Autochtones depuis le milieu du 20e siècle, et celles des premiers ministres canadiens. De même, il aurait été intéressant de consulter les archives des communautés religieuses de femmes qui, suivant le modèle oblat, ont toujours été responsables de l’enseignement et de la gestion du quotidien dans les pensionnats. Une recherche apportant un éclairage plus «féminin» sur les pensionnats est donc souhaitable et est encore à faire. Une autre limite tient à l’absence de comparaison entre l’histoire des quatre pensionnats catholiques au Québec et des deux pensionnats anglicans, ceux de Fort George (1934) et de La Tuque (1962). Ici encore, la disponibilité des archives pose problème, l’Église anglicane n’ayant conservé, selon l’archiviste nationale à Toronto, aucun dossier sur les pensionnats sous son autorité. Il y aurait là un autre travail à faire et, comme on peut le constater, il reste encore beaucoup d’ouvrage pour les futurs chercheurs.
Malgré ces limites, je pense que faire l’histoire des pensionnats catholiques du Québec principalement à partir des archives des oblats peut représenter une contribution pertinente pour mieux comprendre ce phénomène historique majeur. Ces missionnaires écrivaient beaucoup. On retrouve ainsi un très grand nombre de lettres, destinées autant à leurs supérieurs qu’aux agents indiens des différents territoires, mais aussi beaucoup aux autorités fédérales responsables des grandes politiques en matière d’éducation, sans compter les lettres à répétition aux fonctionnaires et plus encore, de façon régulière, aux ministres et même aux premiers ministres du Canada. Ils se disent les «intermédiaires» des Indiens. Si ce rôle d’intermédiaires leur octroie un pouvoir de représentation, il est évident qu’il sert avant tout leur objectif premier et primordial: celui de l’évangélisation des Indiens. Tout se passe comme si les pères oblats avaient reçu la mission de convertir au catholicisme tous les Autochtones du Canada. Ils y parviennent assez bien puisque plus de 50% de toutes les populations indiennes du Canada se déclarent de confession catholique en 1950. Au Québec, cette proportion est de 75%.
Le travail des pères oblats est également facilité par le fait qu’ils connaissent «intimement» les communautés où ils missionnent depuis très longtemps. Ils doivent apprendre leurs langues et cette particularité leur donne un immense avantage sur toutes les autres confessions religieuses. D’ailleurs, les oblats sont responsables de la publication de nombreux ouvrages en langues indiennes: dictionnaires, grammaires, légendes, contes et, bien évidemment, livres de prières de tout acabit. Ces ouvrages servent à l’éducation, surtout religieuse, en une bonne trentaine de langues autochtones dans les pensionnats. Indirectement, cet intérêt accordé aux langues autochtones par les missionnaires oblats vient relativiser le discours selon lequel les pensionnaires ne devaient pas parler leur langue maternelle sous peine de punition. Plus encore, cette insistance sur le maintien des langues indiennes les distingue également des missionnaires des autres Églises de langue anglaise. Ces dernières sont spontanément moins réticentes à l’idée de l’assimilation des sociétés autochtones à la société dominante britannique, surtout durant la première moitié du 20e siècle, alors que le «britannisme» constitue le volet dominant de l’assimilation des populations immigrantes au Canada.
Plusieurs particularités des pensionnats indiens du Québec semblent donc surgir, alors qu’elles n’ont pas vraiment reçu l’attention qu’elles méritent dans le cadre des recherches sur les pensionnats autochtones dans l’ensemble canadien. Les questions plus spécifiques qui se posent sont les suivantes:
Comment se fait-il que ce soit au Québec que l’on compte le plus petit nombre de ces institutions, alors que le nombre d’Autochtones est aussi important que dans les autres provinces?
Comment expliquer l’ouverture tardive des pensionnats au Québec? Hormis les deux pensionnats ouverts à Fort George (côte est de la baie James) au milieu des années 1930, pourquoi faut-il attendre les années 1950 pour voir apparaître les quatre principaux pensionnats indiens au Québec – Sept-Îles (1952), Amos (1955), Pointe-Bleue (1960) et La Tuque (1962) –, alors qu’ailleurs au Canada, ils sont implantés dès la fin du 19e siècle?
Pourquoi ces ouvertures, alors qu’à cette même époque (entre 1946 et 1948), le gouvernement fédéral commence à réviser sa position par rapport à ces institutions, notamment avec l’instauration d’un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes en vue d’une réforme éventuelle de la Loi des Indiens? Il envisage même, à court terme, la fermeture des pensionnats au profit de l’intégration dans les écoles publiques provinciales.
Pourquoi n’a-t-on pas appliqué les recommandations de l’enquête commandée par le ministre J. W. Pickersgill, dont le rapport est publié en août 1956 et qui, de façon générale, préconise l’intégration des élèves indiens dans les écoles publiques des différentes provinces au détriment des pensionnats indiens4?
Enfin, trois des pensionnats ouverts au Québec dans les années 1950 et 1960 sont administrés par les pères oblats, communauté religieuse qui a pourtant eu la responsabilité de la très grande majorité des pensionnats catholiques ailleurs au Canada. Pourquoi ont-ils tardé à ouvrir des pensionnats au Québec alors qu’ils assumaient une présence missionnaire dans la plupart des communautés autochtones au Québec depuis plus de cent ans?
C’est donc toute la question de la conjoncture particulière et de la situation historique des communautés autochtones au Québec qu’il faut analyser. La responsabilité de l’ouverture des pensionnats sur le territoire québécois mérite assurément une attention particulière. Comment se partage cette responsabilité entre les principaux acteurs et quels sont les rapports entre eux? Quel est donc le contexte, durant les années 1940 et 1950 qui, soudainement, favorise l’ouverture des pensionnats au Québec?
Un bref rappel historiographique
Jusqu’à tout récemment, les études sur les pensionnats indiens au Québec se sont surtout concentrées, tout comme au Canada anglais d’ailleurs, sur les répercussions psychologiques et physiques des pensionnats sur les jeunes qui ont vécu l’expérience de ces institutions5.
Pour le Québec, mentionnons en particulier les deux rapports de recherche sur la vie quotidienne au pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery (Amos) publiés sous la direction de Margot Loiselle de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue en 2007 et 2011. Ici, la priorité est accordée aux récits de vie d’ex-pensionnaires de cette institution6. Ces deux études visent plus particulièrement à nous faire entrer dans le «milieu de vie» des pensionnats à partir de témoignages de personnes qui ont vécu cette expérience de l’intérieur. Notons d’emblée qu’il s’agit d’une avancée importante qui tente de dépasser la question des sévices physiques et psychologiques des pensionnaires.
Marie-Pierre Bousquet, professeure en anthropologie à l’Université de Montréal, a ouvert une nouvelle perspective de recherche en avançant l’idée que, malgré tous les problèmes occasionnés par la vie au pensionnat, ces institutions ont également formé toute une génération de leaders autochtones qui assument présentement des responsabilités importantes au sein des différentes communautés et dans les grandes associations autochtones un peu partout au Canadads7. Plus récemment, elle a aussi publié une étude visant à faire ressortir les différences majeures entre la conception eurocanadienne de l’éducation favorisée au pensionnat catholique d’Amos (Saint-Marc-de-Figuery) et celle des Algonquins de Pikogan dont plusieurs enfants ont été envoyés dans cette institution. La thèse qu’elle défend, à partir de témoignages d’anciens pensionnaires, est que le modèle d’éducation dans ce pensionnat est peu adapté à la philosophie de l’éducation des enfants chez les Autochtones de cette communauté. Selon elle, ce sont deux visions diamétralement opposées qui s’affrontent, d’où les nombreux conflits qui surgissent8.
Dans la même veine, dans son ouvrage paru en 2010 sur les pensionnats indiens au Québec, Gilles Ottawa, pensionnaire à Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) entre 1965 et 1969, tente de jeter un «double regard» sur l’influence des pensionnats sur une génération entière de jeunes qui ont vécu cette expérience9. Selon lui, tout n’est pas noir ou blanc dans cette expérience: plusieurs s’entendent pour dire que l’éloignement des familles a été traumatisant, mais que le fait d’avoir pu apprendre le français ou l’anglais a été bénéfique par la suite. Ces études, plus récentes, commencent à jeter un éclairage plus nuancé sur cette expérience des pensionnats indiens, opposé à une approche plus traditionnelle comme celle formulée, entre autres, par Michel Monty dans sa pièce de théâtre présentée à l’Espace libre en octobre 2008. Dans cette pièce, les acteurs, de jeunes Innus, subissent à répétition toutes les «histoires d’horreur» inhérentes à la vie quotidienne dans un pensionnat10. Un concentré qui aurait mérité quelques nuances.
De son côté, le professeur Wayne A. Holst de l’Université de Calgary avance l’hypothèse que l’historiographie sur les pensionnats indiens au Canada a traversé quatre étapes depuis ses tout débuts: 1) l’étude des archives missionnaires; 2) l’analyse critique effectuée par des chercheurs non autochtones; 3) la place prépondérante maintenant accordée à l’histoire orale autochtone et, enfin, 4) l’élaboration d’une future historiographie pour l’étude des pensionnats11. Selon lui, les deux premières étapes auraient déjà reçu beaucoup d’attention, tandis que les deux dernières seraient en voie de réalisation. C’est peut-être valable pour le Canada anglais, mais pas au Québec, où les études sur les différents pensionnats sont à peu près inexistantes. De plus, le contexte politique qui donne naissance aux pensionnats au Québec en 1950 n’est pas du tout le même que celui qui prévaut ailleurs au Canada à la fin du 19e siècle et durant la première moitié du 20e siècle. C’est donc cette particularité québécoise qu’il faut documenter avant de procéder aux autres étapes dégagées par le professeur Holst.
Scott Trevithick, de l’Université de Toronto, propose quelques avenues nouvelles pour atteindre cet objectif: In no particular order are some of the topics I would like to see further developed: gender in a general sense in the schools, staff at the institutions, Church involvement in the project, conditions at individual schools, and finally, oral testimony12. Selon lui, l’implication des Églises demeure un terrain encore en friche. Il précise également qu’il serait pertinent d’établir des distinctions entre les intérêts probablement divergents des différentes Églises protestantes, d’une part, mais aussi, d’autre part, d’analyser le projet spécifique de l’Église catholique. Quelles étaient les motivations des évêques, des communautés religieuses – surtout les oblats – et des communautés religieuses de femmes? Toujours selon lui, il faudrait accorder plus d’attention aux relations entre l’Église catholique et le gouvernement fédéral, responsable en dernière instance de la création et de la supervision des pensionnats: Yet if Oblate motivations are easily enough explained, this tells us nothing of their relations with the federal government, attitudes towards instruction in English or Native languages, beliefs in Native capabilities and potential, – topics which have thus far received only limited attention13.
Ce travail vise donc à répondre en partie à cette question précise du rôle des oblats et à mieux comprendre les liens qui existent entre eux, les évêques, les autres organisations religieuses et le gouvernement du Canada dans la création et l’ouverture des quatre pensionnats indiens catholiques au Québec. Dans le premier chapitre, je tente d’expliciter le contexte historique et politique qui favorise l’ouverture de ces institutions au Québec et les raisons qui font en sorte que les pensionnats apparaissent plus tardivement au Québec14. J’accorde également une attention particulière à la structure organisationnelle des pères oblats puisque, comme nous le verrons, ce sont eux qui assumeront la direction et la gestion des quatre pensionnats catholiques au Québec au cours de la période à l’étude. Les quatre chapitres suivants abordent l’histoire de chacun de ces pensionnats.
Les dossiers des quatre pensionnats contiennent une importante correspondance entre les différents acteurs en présence, correspondance qui permet de formuler quelques hypothèses en ce qui a trait aux différentes responsabilités et aux objectifs de chacun des acteurs15. J’ai également pu consulter la correspondance des évêques d’Amos et de Baie- Comeau. Au centre d’archives des sœurs de Saint-François-d’Assise à Québec, communauté religieuse qui a assumé l’enseignement au pensionnat d’Amos, on trouve, pour chacune des années de fonctionnement de l’institution, c’est-à-dire entre 1955 et 1973, une chronique des activités spéciales – le Codex historicus – qui marquent la vie quotidienne au pensionnat. Cette source mériterait d’être examinée plus attentivement. Il faudrait aussi pouvoir accéder aux archives des autres communautés religieuses de femmes ayant œuvré dans les pensionnats au Québec. Cependant, les sœurs de Notre-Dame du Bon-Conseil de Chicoutimi (Pointe-Bleue) et les sœurs de Notre-Dame Auxiliatrice de Rouyn (Sept-Îles) m’ont clairement fait savoir qu’elles n’avaient conservé aucun document de leur présence dans ces deux pensionnats. Du côté des sœurs de la Charité d’Ottawa (pensionnat de Fort George), l’accès aux archives n’est pas encore accordé.
J’ai volontairement omis le recours aux témoignages oraux des anciens pensionnaires pour compléter ce travail. Pour suppléer à cette carence, il faudra donc se référer aux études déjà existantes qui ont accordé une attention particulière à cette dimension. De plus, les rencontres publiques tenues dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) ont comblé, du moins en partie, cette lacune de l’absence de témoignages des expériences vécues dans ces établissements. Mentionnons toutefois que certains chercheurs commencent à faire l’analyse critique du fonctionnement de cette commission. Selon eux, les témoignages reçus durant les multiples séances publiques ne disent pas tout de l’expérience des pensionnats indiens et doivent être replacés dans leur contexte de production. L’absence quasi totale du point de vue des administrateurs, des enseignantes et du personnel de soutien dans ces institutions oblige à une certaine réserve sur la qualité des témoignages entendus et, par conséquent, sur la véritable histoire de ces institutions16. En concentrant toute l’attention sur un seul volet de la politique d’assimilation du gouvernement canadien (les pensionnats), n’a-t-on pas balayé sous le tapis d’autres composantes tout aussi importantes de cette politique, et notamment, les traités et les réserves?
En privilégiant les archives oblates tout au long de mon étude des pensionnats catholiques au Québec, j’ai la profonde conviction de faire ressortir certaines dimensions historiques qui sont depuis toujours absentes de l’analyse plus globale de ce phénomène. Souhaitons que cette étude, toute limitée qu’elle soit, puisse quand même susciter chez les ex-pensionnaires, chez les membres des communautés autochtones qui ont été touchés directement par ces institutions ainsi que chez les chercheurs une mise à jour de la réflexion sur le rôle des pensionnats dans l’évolution de l’organisation sociale, politique, économique et culturelle de leurs communautés au Québec.
1. Ce texte d’introduction ainsi que celui du premier chapitre ont fait l’objet d’une présentation au colloque organisé en avril 2013 par l’Université de Montréal et l’Université Concordia, intitulé «Les pensionnats autochtones au Québec: héritage pour la recherche». Ma contribution devrait être publiée au cours de l’année 2016 dans un ouvrage consacré au même sujet. La présente version a toutefois été revue, complétée et comprend des ajouts importants.
2. Pour un historique détaillé des différentes phases d’implantation du système d’éducation auprès des communautés autochtones ainsi que l’idéologie sous-jacente à chacune de ces phases, voir: Michel Lavoie, «Politique des représentations. Les représentations sociales bureaucratiques et la politique de l’éducation indienne au Canada, 1828-1996», Recherches amérindiennes au Québec, 2004, vol. 34, no 3, p. 87-98 et (deuxième partie) Recherches amérindiennes au Québec, 2005, vol. 35, no 1, p. 57-67.
3. Une contribution majeure à la compréhension de ce spécifique québécois est parue en 2013. Voir: Alain Beaulieu, Stéphane Gervais et Martin Papillon (dir.), Les Autochtones et le Québec. Des premiers contacts au Plan Nord, Montréal, PUM, 405 p. Cet ouvrage collectif est, depuis, devenu un incontournable pour qui