Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L' école à la maison au Québec: Un projet familial, social et démocratique
L' école à la maison au Québec: Un projet familial, social et démocratique
L' école à la maison au Québec: Un projet familial, social et démocratique
Livre électronique426 pages4 heures

L' école à la maison au Québec: Un projet familial, social et démocratique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Adoptant une perspective pragmatique sur ce sujet controversé qu’est l’école à la maison, l’auteure traite des dimensions familiale, sociale et démocratique de celui-ci. Plutôt que de considérer le mouvement de l’apprentissage en famille comme un problème, elle sollicite les parents-éducateurs et les mandataires du système scolaire à participer ensemble à l’élaboration de solutions nouvelles en éducation.
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2013
ISBN9782760539013
L' école à la maison au Québec: Un projet familial, social et démocratique
Auteur

Christine Brabant

Christine Brabant est chercheuse et professeure agrégée en fondements et administration de l’éducation à l’Université de Montréal.

Auteurs associés

Lié à L' école à la maison au Québec

Livres électroniques liés

Méthodes et références pédagogiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur L' école à la maison au Québec

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L' école à la maison au Québec - Christine Brabant

    (p. 191).

    » INTRODUCTION

    « Il faut un village pour élever un enfant. » Nous avons tous entendu et approuvé cet adage africain. Il suggère une coopération, même une interdépendance, des villageois pour veiller à l’éducation d’un enfant. Mais il ne mentionne pas les paramètres d’une telle interdépendance. Quel est l’apport de chacun ? Qui est responsable ? Où et avec qui l’enfant passe-t-il ses journées ? Quels sont les objectifs ? L’enfant a-t-il son mot à dire ?

    De nombreux modèles de « villages éducatifs » ont été expérimentés à travers différentes époques et dans différentes cultures. La responsabilité de l’éducation des jeunes a été partagée entre plusieurs institutions sociales : la famille, proche et élargie, les institutions religieuses, l’État, la communauté locale, puis l’école. Chaque modèle avait ses paramètres particuliers.

    Le mouvement d’apprentissage en famille propose un modèle de « village éducatif » où les rôles des institutions et la coordination de leurs responsabilités sont différents de ceux d’un village éducatif de type « scolaire ». Les lieux, les agents éducatifs, l’organisation sociale, les rythmes, les objectifs et les conceptions de l’éducation peuvent également différer. Mais il rassemble tout de même un village autour de l’enfant.

    J’utilise la métaphore du village éducatif afin de nous situer dans le domaine de l’éducation, d’attirer l’attention sur les enjeux sociaux qu’il comporte et, surtout, d’introduire l’idée de gouvernance, définie comme « la coordination de l’interdépendance complexe entre acteurs ⁸⁴  ».

    Ce livre abordera en effet l’apprentissage en famille comme un projet familial, social et démocratique.

    Les quatre premiers chapitres porteront sur l’aspect familial du projet.

    D’abord, au chapitre 1, je ferai une brève analyse du rôle de la famille en éducation à travers l’histoire occidentale, à partir des écrits de philosophes et de sociologues de l’éducation. Pour ce faire, je décrirai le rôle des principales institutions sociales en éducation, de leurs fonctions traditionnelles à leurs implications contemporaines, en passant par l’évolution des conceptions de l’éducation et de la socialisation. Je prendrai ensuite quelques pages pour regarder plus attentivement les efforts consentis ces cinquante dernières années pour encourager la participation des parents au système scolaire québécois. La résistance de certains parents et de certains enseignants à cette participation sera mise en contraste avec la pleine participation que permet le choix de l’« école à la maison ».

    Au chapitre 2, pour présenter le mouvement moderne et international d’apprentissage en famille, je commencerai par définir et décrire cette pratique. Je brosserai ensuite un rapide historique du développement de ce mouvement et proposerai un cliché de la situation actuelle de cette pratique dans le monde, au Canada et au Québec. Je fournirai alors un premier portrait des familles qui font ce choix au Québec.

    Au chapitre 3, j’aborderai la question des motivations des parents qui choisissent d’offrir à leurs enfants un parcours d’apprentissage en famille. Je présenterai d’abord une première compréhension des motivations à la base de ce mouvement, développée par des études réalisées aux États-Unis. Je rapporterai ensuite quelques études canadiennes sur le sujet. J’expliciterai enfin les raisons de ce choix chez les parents québécois, la logique de leurs facteurs motivationnels, l’organisation de leurs rationnels décisionnels et en quoi ils se distinguent du reste du mouvement nord-américain.

    Au chapitre 4, je parlerai de la vision éducative des parents-éducateurs québécois. Je présenterai un modèle des conceptions de l’éducation pour décrire la vision éducative des parents-éducateurs et leur représentation de l’école. J’observerai comment leur conception varie selon les caractéristiques des familles et comment elle s’oriente par rapport à la dernière réforme de l’éducation québécoise.

    Les deux chapitres suivants étudieront l’aspect social de l’apprentissage en famille.

    Au chapitre 5, je présenterai différents points de vue tirés de la littérature sur les enjeux sociaux reliés à l’apprentissage en famille. Il sera question de réussite éducative et du développement des enfants qui apprennent en famille ainsi que de transmission de valeurs et de l’évolution du système éducatif.

    Au chapitre 6, pour aborder la complexité sociale de l’apprentissage en famille, je présenterai mon exploration de différentes approches en éthique, menant vers le choix d’une éthique de la gouvernance. J’analyserai ensuite les enjeux sociaux présentés au chapitre précédent à l’aide de catégories générales de l’éthique. L’analyse de la nature des discours sur ces enjeux, de leur cadre de justification et de la dynamique argumentative me permettra de proposer une approche procédurale et contextuelle.

    Les trois derniers chapitres souligneront l’aspect démocratique soulevé par ce mouvement éducatif, soit la participation de différents acteurs à l’éducation et à sa régulation.

    Au chapitre 7, je ferai une analyse de la situation de l’apprentissage en famille au Québec comme un défi en matière de gouvernance, à l’aide du cadre théorique de la gouvernance réflexive et de la pragmatique contextuelle. D’abord, je proposerai, pour la régulation de cette pratique, le passage d’une approche légaliste à celle d’une éthique de la gouvernance. Ensuite, je décrirai le développement de la régulation de l’apprentissage en famille au Québec et les blocages créés dans le cadre d’une régulation exercée par le système scolaire. Puis, j’expliquerai comment les parents-éducateurs sont engagés dans un processus d’autorégulation de leur pratique. Ces deux formes de régulation n’étant pas incompatibles, je terminerai ce chapitre avec l’esquisse d’une situation souhaitable et des pistes d’action pour favoriser l’évolution de la situation actuelle.

    Au chapitre 8, j’offrirai un panorama des situations de régulation de l’apprentissage en famille dans le monde, catégorisées selon six approches types. Divers outils de régulation utilisés seront associés à ces approches. Je décrirai, à titre d’exemple, les combinaisons d’outils et d’approches mises en place en République tchèque, au Canada et en Caroline du Sud, puis je situerai les commissions scolaires québécoises dans cette schématisation ainsi que les préférences exprimées par des parents-éducateurs québécois. Puis, je décrirai certains aspects des interactions entre les parents-éducateurs québécois et les commissions scolaires, pour ensuite ouvrir la porte à l’idée de réfléchir à la régulation de cette pratique et au défi de gouvernance que cela représente.

    Au neuvième et dernier chapitre, je présenterai des démarches de production de solutions québécoises, nées d’une offre d’accompagnement de ma part auprès de groupes de parents-éducateurs, puis d’intervenants de commissions scolaires, dans trois régions du Québec. J’expliquerai comment ces démarches de recherche-formation ont permis l’élaboration de nouvelles propositions pour la régulation de l’apprentissage en famille au Québec, au terme des processus d’apprentissage démocratique réalisés par les participants. J’esquisserai finalement mon projet d’une démarche conjointe entre eux.

    Je vous invite maintenant à parcourir ces chapitres qui présentent le mouvement d’apprentissage en famille comme l’expression d’un projet familial, social et démocratique.

    PARTIE 1

    » L’ASPECT FAMILIAL

    DE L’APPRENTISSAGE

    EN FAMILLE

    CHAPITRE 1

    » LE RÔLE

    DE LA FAMILLE

    L’éducation des jeunes de la naissance à la vie adulte est une entreprise complexe qui mobilise différents acteurs. À travers l’Histoire, trois institutions sociales se sont partagé ou échangé cette responsabilité : la famille, les communautés religieuses et l’État. Depuis environ deux siècles, les systèmes scolaires occupent une place incontournable dans l’éducation des jeunes des sociétés industrialisées. Les fonctions éducatives des différentes institutions semblent s’être stabilisées. En effet, généralement, l’État est le gestionnaire du système éducatif et le gardien de la démocratie, dont l’école est un des principaux instruments auprès des jeunes générations. On attribue à l’école les fonctions d’instruire, de socialiser et de qualifier les futurs citoyens, selon le programme déterminé par le gouvernement. La famille est responsable de la socialisation primaire des enfants, de leur protection et de leur éducation jusqu’à l’âge adulte. Enfin, les croyants partagent avec leurs communautés religieuses la responsabilité de l’éducation spirituelle et morale de leurs enfants.

    Toutefois, l’identification des rôles éducationnels des institutions s’est complexifiée avec leur évolution récente. En effet :

    certains sociologues ont diagnostiqué un processus de désinstitutionnalisation à l’œuvre depuis les années 70. C’est l’époque où l’on constate une perte de légitimité des grandes institutions d’encadrement : la police, l’armée, l’école, l’Église, la famille ⁶²  (sous « Institution »).

    La désinstitutionnalisation, la décentralisation des systèmes éducatifs et une vision plus globale des multiples visages de l’éducation entraînent une complexification des relations d’interdépendance entre les acteurs individuels et collectifs et les institutions. Au Canada, en plus de leur effort de décentralisation, les systèmes scolaires accusent une reprivatisation et l’apparition du mouvement de choix scolaire (school choice movement) ⁵² , visant une meilleure adéquation des écoles avec les dynamiques des communautés et les préférences des parents. L’action éducative des institutions traditionnelles se transforme alors par l’intégration d’une variété d’agents et de lieux éducatifs. Leurs interactions sont déstabilisées et se redéfinissent. La valorisation des relations école-famille-communauté, les efforts de décentralisation des systèmes scolaires et l’encouragement de la participation des parents à l’institution scolaire en sont des exemples.

    À la marge de ce portrait, le mouvement de l’école à la maison ou de l’apprentissage en famille (j’expliquerai mes choix terminologiques au chapitre suivant) – ce mouvement éducationnel moderne composé de parents qui choisissent de prendre en charge l’éducation de leurs enfants, en remplacement de la fréquentation scolaire à temps plein – entraîne une transformation importante des rôles habituels des institutions sociales dans l’éducation des enfants. Le déplacement de certaines fonctions éducatives de l’école vers la famille suscite des questionnements sur les incidences sociales de ce mouvement. Sur le plan pratique, il représente un défi en ce qui concerne les relations entre les différents acteurs du domaine de l’éducation. En effet, certains mettent de l’avant ce mouvement comme la création d’une alternative éducationnelle pouvant stimuler l’école publique actuelle, participer à créer une société plus diversifiée et mieux éduquée ; au contraire, d’autres craignent qu’elle ne cause le démantèlement de l’école publique, l’affaiblissement de la démocratie et la formation de citoyens inadaptés ou intolérants. Ces points de vue seront présentés et analysés dans le chapitre 5.

    Inspiré de cette controverse, ce chapitre propose une analyse des rôles des institutions sociales dans l’éducation des enfants. Pour ce faire, des travaux de philosophie, de sociologie et des sciences de l’éducation seront mis à contribution. Un survol historique de l’Antiquité au XXe siècle permettra une synthèse des rôles traditionnels des institutions. L’analyse poursuivie à travers le XXe siècle puis l’époque contemporaine permettra une deuxième synthèse de l’évolution récente du rôle des institutions éducatives. Ensuite, je présenterai quelques repères relatifs à la participation des parents dans le système scolaire québécois des années 1960 à aujourd’hui, en passant par la réforme de 2001.

    Pour discuter du rôle des institutions sociales dans l’éducation des enfants, il convient de définir d’abord l’institution sociale. Selon l’encyclopédie Webencyclo ¹⁹⁸ , le sens général d’institution désigne « ce qui est établi par la volonté humaine, par opposition à ce qui est donné naturellement. Ainsi en va-t-il du mariage, de la famille, de la propriété ou du gouvernement ». Cette notion a évolué à travers les années et les disciplines. Identifiée au « fait social qui, depuis Émile Durkheim, est caractérisé par son double caractère collectif et coercitif », elle est ensuite enrichie par l’anthropologue Bronislaw Malinowski (1884-1942), qui dégage, « au sein de l’institution, la charte, expression des idéaux religieux et moraux, le personnel institutionnel, rassemblant les individus qui assurent le fonctionnement de l’institution ; enfin, l’appareil matériel (maison familiale, école, mairie), où se déploie l’activité du personnel régie par les normes institutionnelles » (sous « Institution »). Une définition fonctionnaliste de l’institution, telle que l’utilise l’Encyclopaedia Britannica ⁶⁹ , pose simplement que « les institutions existent dans le but de fournir une activité essentielle pour la continuité sociale » (sous « Family » ; traduction libre). Notons que l’institution n’est pas la société entière, mais l’une de ses composantes.

    Discuter du rôle des institutions sociales dans l’éducation et la socialisation des enfants exige également de s’arrêter brièvement à la notion d’éducation. Pour y inclure les spécificités de toutes les fonctions éducatives des institutions sociales, la définition de départ retenue sera un amalgame le plus large possible de ce qu’on entend par l’éducation d’un enfant : soins, protection, instruction, socialisation, éducation spirituelle, morale ou religieuse, qualification, formation, orientation et apprentissage (dans un système maître/apprenti). Enfin, le terme enfant sera utilisé pour désigner les personnes mineures.

    » LES RÔLES TRADITIONNELS DES INSTITUTIONS ÉDUCATIVES

    Les œuvres des philosophes de l’histoire de l’éducation sont loin des préoccupations de méthode scientifique et d’empirisme de notre temps. En effet, leur pensée était, le plus souvent, fondée sur l’observation sociale et sur l’étude des écrits de leurs prédécesseurs. Néanmoins, on ne peut ignorer que les fondements de nos sociétés ont été grandement influencés par leurs œuvres. Les sciences de l’éducation, en particulier, sont jeunes dans l’histoire de la connaissance et seule une faible proportion des pratiques éducatives en sont le résultat. Par conséquent, ces pratiques sont fortement empreintes de traditions et de dogmes, tout comme elles sont facilement sujettes aux modes sociales. La connaissance des traditions éducationnelles peut aussi contribuer à ce que les dogmes cèdent la place aux choix éclairés en favorisant la prise de conscience de leur influence.

    Il sera ici question des traditions éducationnelles occidentales. Je brosserai un rapide portrait des pratiques éducatives de l’Antiquité grecque, romaine, puis gauloise, ainsi que de celles du Moyen Âge, à partir de manuels d’histoire de l’éducation ⁵⁵, ⁵⁶ . Pour compléter ces notions générales, un écrit célèbre sur l’éducation sera consulté pour chaque siècle environ. Les œuvres retenues sont : La République (écrite au IVe s. av. J.-C.) de Platon, philosophe grec, pour illustrer la pensée de l’Antiquité grecque ; puis, pour les siècles suivant le Moyen Âge, les Essais (1580) de Michel Eyquem de Montaigne, écrivain français ; les Pensées sur l’éducation (1693) de John Locke, philosophe et théoricien politique anglais ; les Réflexions sur l’éducation (écrites de 1776 à 1787) d’Immanuel Kant, philosophe allemand, et les Propos sur l’éducation (1932) d’Alain, philosophe français.

    Dans les sociétés de l’Antiquité

    Dès l’Antiquité, on voit apparaître des tendances éducatives contraires quant aux rôles des institutions. En effet, les cités grecques d’Athènes et de Sparte organisent l’éducation des jeunes soit dans leur famille ou assurée par l’État. « À Athènes, les enfants reçoivent une éducation privée jusqu’à dix-huit ans, âge du service militaire. À Sparte, au contraire, ils sont, dès l’âge de sept ans, retirés à leur famille et confiés à l’État ; ils sont alors classés par groupes d’âge et reçoivent une formation destinée à les préparer à la vie militaire ²²  » (p. 78).

    Déjà, dans le dialogue intitulé La République ¹⁵⁸ , Platon, philosophe d’Athènes, conçoit, qu’en théorie seulement, l’un des premiers systèmes éducatifs. Il recommande de confier aux magistrats l’éducation des futurs guerriers. Le premier rôle imparti aux magistrats serait la discrimination des talents.

    Aussi le dieu enjoint-il aux magistrats, tout d’abord et avant tout, de surveiller les enfants, et de prêter l’attention la plus curieuse au métal qui entre dans la composition de leur âme ; et, si leurs propres enfants ont quelque mélange d’airain ou de fer, d’être sans pitié pour eux, et de rendre à leur nature la justice qui lui est due, en les reléguant parmi les artisans et les laboureurs ; si de leur côté ces derniers ont des fils qui laissent voir de l’or ou de l’argent, de reconnaître leur valeur et de les élever au rang soit de gardiens, soit de guerriers (p. 108).

    En deuxième lieu, les magistrats devraient offrir aux futurs guerriers un « plan d’éducation » basé sur l’apprentissage de la musique et de la gymnastique. Une série d’épreuves viserait ensuite à sélectionner, parmi les vainqueurs, les chefs et les gardiens de la cité. En troisième lieu, le comité des magistrats devrait instaurer, parmi les guerriers choisis, un système social qui ne concéderait aucun rôle à la famille. Platon expose : « Ces femmes de nos guerriers seront communes à tous ; aucune n’habitera en particulier avec aucun d’eux ; les enfants aussi seront communs, et le père ne connaîtra pas son fils, ni le fils son père » (p. 154). Les nouveau-nés seraient confiés à des gouvernantes, qui auront la tâche de séparer les enfants à éduquer des enfants difformes ou nés d’hommes inférieurs.

    Dans la société antique romaine, les enfants des bonnes maisons sont pris en charge par ce qui est appelé la « vice-famille ». Les frères et sœurs de lait et la nourrice sont confiés toute la journée à une vieille parente qui habite souvent la campagne et qui « règle les études et les devoirs des enfants, leurs jeux et distractions ⁵⁵  » (p. 14). Parfois aussi, l’enfant se voit confié à un pédagogue, soit un esclave chargé de l’accompagner à des cours, de lui apprendre les bonnes manières et de le protéger.

    En Gaule, avant la conquête par les Romains, ce sont les druides qui enseignent aux garçons des familles riches l’histoire de leur peuple, la religion, la connaissance des herbes, alors qu’après la conquête, les Romains y ouvriront de nombreuses écoles où sont enseignés le latin et le grec. À la puberté coïncident des rituels et des épreuves de passage. Puis, entre la puberté et le mariage, les adolescents ont droit à une période d’indulgence où, délaissant les principes qui leur ont été enseignés, ils s’adonnent à ce qu’on appellerait aujourd’hui une « délinquance » tolérée dans la ville ou bien à une vie sauvage dans les forêts.

    Au Moyen Âge

    L’éducation au Moyen Âge est marquée par une nouvelle conception de l’enfance véhiculée par le christianisme. L’enfant, à l’image de l’Enfant Jésus, doit être respecté et protégé, tout comme la femme enceinte. Le père n’a plus le droit de vie et de mort sur ses enfants, car il a perdu cette autorité suprême au profit de Dieu le Père. Par contre, la Sainte Famille servant de modèle comme unité sociale de base, l’enfant ne peut plus être arraché à ses parents pour servir la collectivité comme chez les Spartiates.

    La plupart des enfants ne reçoivent pas d’instruction formelle. Ils accompagnent leurs parents dans leur travail et se forment à un métier (pour les garçons) ou aux tâches domestiques (pour les filles) pendant toute l’enfance. Parfois, à l’adolescence, des pères échangent leurs fils entre eux pour des périodes de deux à trois ans afin qu’ils élargissent leurs connaissances. Certains garçons et de rares filles, orphelins ou enfants de familles nombreuses, entrent en « apprentissage » vers l’âge de douze ou treize ans, c’est-à-dire sous contrat d’apprenti chez un maître de métier. Aux premiers temps médiévaux, seule l’Église possède des écoles, qui accueillent les enfants des familles aisées. Les enfants entrent au monastère vers cinq ou six ans pour y être instruits des connaissances et des disciplines les plus savantes du temps et en ressortent à l’âge de dix ou douze ans.

    À partir du VIe siècle, les clercs offrent l’instruction gratuitement dans les petites écoles, puis, à partir du VIIIe siècle, Charlemagne donne l’ordre d’enseigner à tous les enfants, ce qui donne le coup d’envoi de la multiplication des « petites écoles ». À partir du XIIIe siècle, les collèges et les universités sont créés dans les grandes villes d’Europe et représentent « une des voies les plus efficaces d’ascension sociale ⁵⁵  » (p. 23). Quant aux enfants des nobles, ils sont confiés à un précepteur (pour les garçons) ou à une préceptrice (pour les filles) qui leur enseignent des matières variées jugées nécessaires aux occupations de leur vie future dans la noblesse. L’éducation religieuse, toutefois, est assurée par la mère.

    D’après Montaigne

    Selon les recommandations des Essais¹⁴⁹ (1580) de Montaigne, le père se voit attribuer une responsabilité discrète, mais cruciale : choisir le précepteur de son fils. Le précepteur a ensuite un rôle de médiateur qui éloigne l’enfant du giron de ses parents et lui donne accès au monde. D’une part, le précepteur agit seul : il entretient son disciple de toutes les sciences, par les livres comme par la réflexion, et lui enseigne la vertu. D’autre part, il guide son élève à travers les occasions d’apprendre qu’offrent la maisonnée, le commerce des hommes et même la visite des pays étrangers, comme en témoignent les deux affirmations suivantes : « Or, à cet apprentissage, tout ce qui se présente à nos yeux sert de livre suffisant : la malice d’un page, les sottises d’un valet, un propos de table, sont autant de nouvelles matières » (p. 21) ; et

    ce grand monde […], c’est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître de bon biais. En somme, je veux que ce soit le livre de mon écolier. Tant d’humeurs, de sectes, de jugements, d’opinions, de lois et de coutumes nous apprennent à juger sainement des nôtres, et apprennent notre jugement à reconnaître son imperfection et sa naturelle faiblesse : ce qui n’est pas un léger apprentissage (p. 31).

    D’après Locke

    Dans Pensées sur l’éducation¹¹² (1693), Locke confie les jeunes enfants aux « mains des femmes » pendant la petite enfance. Puis, la présence du père prend de l’importance dans l’éducation du fils. Il est responsable du choix délicat d’un bon gouverneur, mais son engagement ne s’arrête pas là. En effet, il doit superviser l’éducation dispensée, garder son fils en sa compagnie, lui prodiguer des encouragements et le protéger des mauvaises influences des domestiques et des personnes de condition inférieure.

    Devant la nouvelle mode des collèges, Locke se positionne fermement en faveur de l’éducation privée ou domestique. D’une part, il reconnaît que l’éducation hors du foyer stimule l’enfant ; d’autre part, il déplore la superficialité de l’instruction scolaire, le manque d’attention individuelle et de supervision, mais surtout les mauvaises manières et la violence développées entre les écoliers. C’est pourquoi il recommande vivement de « garder son fils à la maison, pour préserver son innocence et sa modestie, comme des vertus qui se rapprochent davantage de celles d’un homme utile et capable, et qui y préparent mieux » (p. 87-88). Un gouverneur se voit alors confier la tâche de développer chez son élève les talents de la conversation et de la conduite des affaires, ainsi que l’apprentissage de l’art de vivre et de la vertu. Selon Locke, le père saura, en exposant son fils à la diversité de ses relations sociales et aux fréquentations de la maisonnée, combler les lacunes de l’éducation domestique.

    D’après Kant

    Dans ses Réflexions sur l’éducation⁸⁵ (écrites de 1776 à 1787), Kant se distingue des philosophes précédents par le malaise qu’il exprime face à l’effet de reproduction sociale lié à l’éducation. Selon lui, « en ce qui concerne le caractère du citoyen, l’éducation publique semble être plus avantageuse que l’éducation privée. Cette dernière ne se contente pas de faire naître des défauts de famille, elle en assure la reproduction » (p. 117). Malgré cela, il n’accorde pas plus de crédit à l’État qu’à la famille : « 1) Ordinairement les parents ne se soucient que d’une chose : que leurs enfants réussissent bien dans le monde, et 2) les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins » (p. 108). Selon Kant, la solution réside dans la participation des grands esprits et des meilleurs pédagogues à l’éducation.

    C’est aussi pourquoi la direction des écoles devrait simplement dépendre des jugements des connaisseurs les plus éclairés. […] La nature humaine ne peut approcher peu à peu de sa fin que grâce aux efforts de personnes de larges sentiments, qui prennent intérêt au bien universel et sont capables de concevoir l’Idée d’un état meilleur à venir (p. 110).

    Il entrevoit également la possibilité d’une éducation domestique de qualité, dispensée par des auxiliaires rétribués par les parents ou par des parents eux-mêmes instruits, résultat d’une hausse de la qualité de l’éducation dans la population générale :

    Si seulement les parents, ou ceux qui leur viennent en aide dans

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1