Moi j'mange (36)
Par Joanie Godin
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À propos de ce livre électronique
Tu es lâche, tu ne réussiras jamais à perdre du poids. Regarde-moi ces grosses cuisses flasques ! Essaie donc ce nouveau régime ! me chuchote mon petit démon intérieur. C'est lui qui me pousse aux extrêmes, à me gaver comme s'il n'y avait pas de lendemain.
Je donnerais n'importe quoi pour être mince, pour ressembler à la plupart des filles de mon école. Mais je n'y arrive pas. Alors je m'isole et cherche le réconfort auprès de ma seule amie : la bouffe.
L'hyperphagie boulimique est un trouble alimentaire peu connu, mais dont souffrent à la fois des hommes et des femmes en proportions presque égales. Ce trouble se caractérise par des crises au cours desquelles une personne ingère une très grande quantité d'aliments, de façon incontrôlée, compulsive, sans toutefois se purger par la suite, ce qui conduit inévitablement à une prise de poids. Les régimes multiples sont donc souvent symptomatiques de l'hyperphagie.
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Aperçu du livre
Moi j'mange (36) - Joanie Godin
amour/haine.
Chapitre 1
La rentr e
Je ne peux pas croire que c’est déjà la rentrée scolaire. Les étés passent vraiment trop vite ! J’aurais tellement pris un ou deux mois de congé de plus… Mais bon, plus que deux ans avant de terminer mon secondaire ; aussi bien ne pas retarder la fin. Ce n’est pas que je ne sois pas bonne à l’école ; au contraire, j’ai des super notes dans presque toutes les matières (sauf en éducation physique, le cours que je déteste le plus, et de loin)… Si je n’aime pas la rentrée, c’est parce que toute l’attention est tournée vers les changements dans l’apparence de chacun. « Oh, t’as vu, un tel a tellement maigri ! » « My God, elle est devenue obèse, elle ! » Le genre de phrases qu’on chuchote dans les corridors, après avoir passé plus de deux mois loin de nos camarades de classe…
Le genre de phrases dans lesquelles on insère souvent mon prénom.
J’avais un beau projet, cet été : maigrir. Je voulais perdre toutes ces livres en trop, ces « bourrelets disgracieux », comme me l’a déjà dit quelqu’un, en ajoutant que j’aurais avantage à les cacher sous un chandail qui n’aurait pas rétréci au lavage. Pourtant, ce chandail était neuf !
Je rêvais de faire une entrée remarquée dans l’école, mais pas pour une prise de poids, cette fois. J’imaginais tout le monde en train de me féliciter de ma perte de poids, de mes efforts… Je me voyais leur parler du régime miracle que j’avais adopté et des nombreuses activités sportives auxquelles je pouvais m’adonner sans ces amas de coussins gonflables autour de mon corps…
Mais mon beau projet estival se résume en deux mots : big fail. Gros échec, en bon français.
J’ai essayé trois ou quatre régimes trouvés dans des revues ou sur Internet, mais je les abandonnais toujours au bout de quelques jours, une semaine tout au plus. C’est tellement difficile d’être au régime ! Quand je réussissais à perdre une ou deux livres, j’en reprenais le double en moins de temps qu’il m’en faut pour vider une boîte de biscuits aux pépites de chocolat. Je n’y peux rien, les biscuits sont mon péché mignon… Bon, OK, un de mes péchés mignons, car, je l’avoue, je craque pour tout ce qui est sucré. Et salé. Et gras. Pff !
Tout ça pour dire que je commence ma quatrième année du secondaire avec dix livres de plus qu’en juin. La joie. Je ne sais pas si je deviens parano, mais j’ai l’impression que mon poids sera la seule chose que les autres remarqueront, en me croisant dans les corridors. Mon unique consolation : l’automne arrive bientôt et je n’aurai donc plus à me battre avec des shorts qui remontent entre mes cuisses à chacun de mes pas. Ou encore avec ces maudites jupes qui doivent être juste assez longues pour cacher mes grosses cuisses et juste assez courtes pour éviter que j’aie l’air de vouloir entrer au couvent. Peu importe leur longueur, TOUTES les jupes ont le défaut de permettre à mes cuisses de frotter allègrement l’une contre l’autre. Ajoutez à ça une chaleur intense et l’humidité de nos étés québécois, et ça donne des irritations inconfortables entre les jambes ! C’est laid, ça fait mal et ça me rappelle inlassablement que je suis – n’ayons pas peur des mots – grosse.
Quant aux robes, même si je meurs d’envie d’en porter, avec ma taille elles se transforment vite en chandails, tellement elles sont courtes… Les designers devraient penser à mettre un peu plus de tissu en longueur !
Dans l’autobus, en route vers l’école, je me ronge les ongles de nervosité à l’idée d’affronter cette première journée. Adieu, belle manucure française ! Je prie que personne ne fasse de remarque sur ma silhouette « revue et augmentée ». Je me suis acheté de nouveaux morceaux de linge et, comme ils sont plus grands d’une taille que ceux que je portais au début de l’été, j’espère que les autres élèves n’y verront que du feu. J’appelle ça ma « technique camouflage ». Aujourd’hui, je suis vêtue de jeans foncés (pas skinny, évidemment !) et d’un chandail noir avec une belle grosse boucle beige à l’avant.
– Salut, Billie ! me lance Adèle, ma meilleure amie, en montant dans l’autobus quelques arrêts après moi.
– Salut ! Ça va ?
– Ouais ! Je ne pensais jamais dire ça, mais j’avais hâte de recommencer l’école ! J’en avais assez d’endurer des enfants qui hurlent tous les jours. Là, c’est comme si je tombais en vacances !
Je trouve qu’Adèle se plaint un peu pour rien. Elle a un job génial : sauveteuse dans un parc aquatique. Non seulement elle a un bronzage d’enfer (si on oublie les démarcations de maillot), mais elle peut s’amuser dans les glissades sans débourser un seul sou quand elle ne travaille pas ! Sans compter les milliers de beaux gars qu’elle a vus se pavaner en chest tout l’été. J’aimerais bien devenir sauveteuse, moi aussi, mais je ne suis pas assez bonne nageuse. Et me promener en maillot est ce qui me cause la plus grande honte ; j’ai l’air d’un hippopotame évadé du zoo ! Je ne suis même pas allée voir Adèle au parc aquatique, cet été, même si elle me répétait qu’elle avait des entrées gratuites. Je me trouvais une nouvelle excuse à chaque occasion.
C’est d’ailleurs dans l’espoir de pouvoir y aller que j’ai suivi un régime, en juin, dès la fin des classes. Mais, comme d’habitude, je n’ai pas tenu très longtemps… Pourtant, j’avais perdu cinq livres en cinq jours – wow ! – et j’avais espoir de réussir… Mais, au bout de six jours, je n’ai pas pu résister aux croustilles servies au party de fête d’Adèle. Puis, vu que j’avais déjà triché, je me suis dit qu’il n’y avait pas de mal à goûter à la trempette qui les accompagnait. Et aux noix, dans le bol juste à côté… Et au gâteau de fête. Comment refuser d’en manger devant tout le monde ? Je n’avais pas envie qu’on me pose plein de questions ; j’ai donc accepté la pointe qu’Adèle m’avait coupée. Deux fois plutôt qu’une ! Dans ma tête, j’avais déjà gâché ma journée de régime, alors un peu plus ou un peu moins, ce n’était pas si grave… Erreur. Je l’ai tout de suite vu sur la balance maudite, le lendemain matin. J’avais repris trois livres. En une journée ! Quelle horreur ! Ç’a été suffisant pour me décourager et j’ai jeté mon plan alimentaire aux poubelles.
Même si je n’ai que quinze ans, je suis une habituée des régimes. J’ai suivi mon premier à l’âge de douze ans, je m’en souviens comme si c’était hier. Mes parents l’ont fait avec moi, pour m’appuyer et m’aider à tenir le coup. Celui-là, comme tous les autres qui ont suivi, a duré à peu près aussi longtemps qu’un morceau de gâteau au chocolat peut rester sur le comptoir sans sombrer dans mon estomac. Par la suite, il y a eu le régime qui exigeait que je mange uniquement de la viande (même du bacon, quelle blague !), des œufs, du fromage et une miniportion de légumes verts par jour. Au bout d’un moment, j’ai ressenti l’immense envie de manger un morceau de chocolat. Mon envie s’est transformée en besoin viscéral et je ne pensais qu’à ça. En me réveillant, en me couchant et même en dormant. Je ne voulais pas manger la tablette au complet, juste ce qu’il fallait pour me satisfaire. Pour moi, le seul moyen de me débarrasser de la petite voix intérieure qui réclamait sa dose de sucre était de la lui donner. J’ai donc fouillé dans ma tirelire en forme de cochon pour y prendre un peu de monnaie et je suis allée au dépanneur du coin. Sur place, parmi la grande sélection de délicieuses barres de chocolat qui s’offrait à mes yeux, j’ai volontairement choisi celle au nougat, que j’aimais plus ou moins. « De cette façon, je ne serai pas tentée de la dévorer au complet », me disais-je. Après la fameuse bouchée qui était censée me combler (par magie !) pendant plusieurs jours, j’ai caché le reste de la barre au fond d’une armoire de la cuisine. Il était environ midi et l’image du chocolat m’a hantée pendant chaque minute des deux heures qui ont suivi. Impossible de détourner mes pensées vers autre chose. Plus je m’efforçais de ne pas y penser, pire c’était.
Aussitôt que ma mère est sortie pour jardiner, je me suis dirigée vers l’armoire. Je l’ai ouverte, puis refermée, en songeant que je ne devais pas succomber. Mais tu n’as mangé que des œufs, du bacon et une salade César, aujourd’hui ! Tu feras plus attention demain, c’est tout, me susurrait ce petit diable accro à la bouffe qui se perche trop souvent sur mon épaule. C’est lui qui m’a poussée à plonger la main au fond de l’armoire pour m’emparer du chocolat interdit… que j’ai dévoré en cinquième vitesse, pour ne pas me faire surprendre par ma mère.
Après, est-ce que j’étais satisfaite ? NON ! ! ! ! Je m’en voulais de ne pas avoir choisi ma sorte préférée. Tant qu’à transgresser mon régime, j’aurais au moins pu le faire avec quelque chose que j’aimais.
Repenser à ça me donne affreusement envie de manger du chocolat. Note à moi-même : acheter du chocolat qui a bon goût, lors de ma prochaine rage de sucre. Mais voyons, qu’est-ce que je dis là ! Note à moi-même (en grosses lettres qui brillent et qui clignotent) : NE PAS ACHETER DE CHOCOLAT. JAMAIS.
Chapitre 2
Le sport (beurk !)
Dans le vestiaire, je me change pour le cours d’éducation physique. Je suis entrée dans une cabine des toilettes, trop gênée de me dévêtir devant mes collègues de classe. J’entends tout à coup une voix qui prononce : « WOW ! C’est moi ou tu as vraiment maigri pendant l’été ? » Je me désole intérieurement de ne pas être celle à qui on pose cette question.
Visiblement, une autre fille a réussi là où, moi, j’ai échoué plus d’une fois. J’attends sa réponse, pour deviner de qui il s’agit.
– Oh, merci ! C’est l’fun qu’on le remarque ! J’ai commencé à courir au début de l’été et j’ai carrément eu la piqûre ! J’ai aussi changé quelques mauvaises habitudes alimentaires, et pouf ! Première chose que j’ai sue : j’avais perdu vingt livres juste à temps pour la rentrée ! répond la fille avec un peu trop d’entrain à mon goût.
Je crois deviner que c’est Virginie. Je sors de la cabine pour constater de mes yeux la métamorphose. Effectivement, sa silhouette a changé. Grâce à son short jaune très court et à son soutien-gorge sport noir qui découvre son petit ventre plat, on voit que plusieurs muscles de son corps se sont définis. Déjà que je la trouvais jolie avant, elle est maintenant parfaite à mes yeux !
Je la hais ! !
Ce n’est pas la première fois que je suis maladivement jalouse de quelqu’un qui a perdu du poids. En fait, c’est systématique. Que ce soit le participant d’une émission de téléréalité du genre Qui perd gagne ou un membre de ma famille, je suis incapable de me réjouir de leur nouvelle silhouette.
L’année dernière, j’ai même boudé une de mes tantes qui avait maigri sans effort. Je me démenais comme une folle pour éliminer trois livres et elle se pavanait avec ses nouvelles formes comme si c’était facile ? ! Je ne voulais plus la voir ! Je m’en suis voulu lorsque j’ai appris, un peu plus tard, qu’on lui avait diagnostiqué un cancer…
Il m’est même déjà arrivé de souhaiter attraper une grippe ou une gastro foudroyante, pour voir diminuer les chiffres sur mon pèse-personne. Disons que, quand il est question de poids, je suis capable des pires idées.
Cet été, sur le mont Royal, j’ai croisé une fille si rachitique que je me demandais comment elle faisait pour tenir sur ses jambes. Pour vous donner une idée, ses cuisses étaient de la grosseur de mes avant-bras et elle avait un espace d’au moins quinze centimètres entre les deux. Elle portait des leggings noirs et un coton ouaté extralarge dans lequel elle avait l’air perdue. J’ai compris qu’elle était vêtue de cette façon pour suer davantage pendant son jogging. Je crois l’avoir vue monter et descendre les escaliers interminables du mont au minimum cinq fois pendant que