Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Non prémédité (40)
Non prémédité (40)
Non prémédité (40)
Livre électronique274 pages2 heures

Non prémédité (40)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Depuis la séparation de ses parents, Justine essaie tant bien que mal d'améliorer sa relation avec eux et de s'acclimater à ses deux familles recomposées. En grandissant, elle affronte seule les difficultés du quotidien et combat le sentiment de n'avoir sa place nulle part.

Puis, le jour de ses seize ans, tout bascule. Ne contrôlant plus rien, elle voit rouge et déchaîne sa colère. Désormais, ses mains sont tachées du sang de sa victime. A jamais.

On la menotte, on la conduit au poste de police. Rien ne va plus. L'heure est venue pour elle de faire face à ses actes et d'entendre ces mots qui la glacent de peur : « Justine Lemieux, plaidez-vous coupable ou non coupable aux faits qui vous sont reprochés ? »

Le geste criminel de l'adolescente la mènera devant la justice, puis en détention dans un centre jeunesse. Entourée de psychologues, psychiatres et intervenants sociaux, elle tentera de comprendre ce qui a pu la pousser à agir de la sorte et fera tout en son pouvoir pour obtenir une deuxième chance, pour réintégrer la société.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie20 nov. 2017
ISBN9782896627721
Non prémédité (40)

Lié à Non prémédité (40)

Livres électroniques liés

Thèmes sociaux pour enfants pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Non prémédité (40)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Non prémédité (40) - Linda Corbo

    Pierre

    Première partie

    la justice

    1

    Le ballon

    Les parents n’ont pas l’obligation d’aimer leurs enfants. Je l’ai appris à l’âge de six ans.

    Il y a dix ans, après beaucoup de cris, de larmes et de gros mots, mon père et ma mère ont décidé de se quitter. Aucun doute ne planait quant à l’issue de leur chicane, j’ai entendu les éclats de leurs derniers moments :

    – C’est fini ! Je ne vais pas endurer ça une minute de plus. Je ne veux plus jamais revoir ta face de martyre. Jamais !

    Et, après avoir craché sa colère, mon père est parti, comme ça, en claquant la porte, sans parler de ma face à moi.

    Lors d’une séparation, on peut s’attendre à ce que les parents se disputent la garde de leur enfant. Chez nous, ça n’a pas été le cas. Ils se sont querellés à propos du lave-vaisselle et de la voiture, mais je n’ai fait l’objet d’aucune de ces conversations, sinon peut-être d’une seule, que j’ai eu peine à entendre de ma chambre.

    Ce soir-là, mon père était revenu chercher les clés de la voiture. Mon nom n’a jamais été mentionné, mais j’étais le sujet principal de leur discussion. Ils chuchotaient fort tous les deux.

    Ma mère lui a demandé :

    – Pis, as-tu réfléchi à ce que je t’ai dit ?

    Mon père a hurlé à voix basse :

    – Si tu penses que tu vas avoir un sou de moi, tu rêves en couleurs, princesse ! Je vais revenir la chercher vendredi soir.

    Et, le vendredi soir suivant, j’ai emménagé dans son nouveau chez-lui, où j’avais une minuscule chambre blanche avec un rideau jaune à la fenêtre. Un rideau transparent. Pas de toile.

    Maman ne m’avait fait qu’une seule valise. Sur le pas de la porte, j’ai voulu m’informer de ce qu’il adviendrait de mes autres petites affaires, mais, au-dessus de ma tête, mes parents ne chuchotaient plus. Ils avaient recommencé à siffler de gros mots entre leurs dents serrées. J’ai senti que ma question n’avait pas sa place et je l’ai gardée fermement dans ma bouche.

    Une semaine plus tard, lorsque mon père m’a fait descendre dans le stationnement de la maison de maman, j’ai deviné que je retrouverais mes autres petites affaires jusqu’au vendredi suivant, jour où ma mère a refait ma valise, en ajoutant un sac. Ce soir-là, j’ai compris que j’étais devenue un ballon.

    Les parents n’ont pas l’obligation d’aimer leurs enfants. J’avais six ans, alors je ne l’ai pas assimilé sur le coup. Je l’ai ressenti, simplement. Il en a fallu, du temps, avant que j’accepte d’envisager cette vérité. Et pourtant, encore aujourd’hui, debout à côté de mon avocat devant une espèce de table haute, une Bible et un micro, je sais qu’une infime partie de moi espère encore. Je garde l’espoir qu’ils vont franchir la grande porte de bois, au fond de la salle, derrière moi, et qu’ils vont me ramener chez l’un ou chez l’autre.

    Je souhaite qu’ils parviennent à comprendre ce qui est arrivé hier… Qu’ils sachent un jour me pardonner.

    Je fais le vœu secret que la dame devant moi, cette femme qui me regarde intensément depuis que je me suis avancée vers elle, puisse changer le verdict de ma vie. Est-ce qu’une juge peut ordonner à un parent d’aimer ? Je me déteste d’espérer encore. Ce qui ne m’empêche pas de le faire.

    Peut-être qu’elle pourra m’aider. Et faire abstraction du fait que j’ai poignardé mon frère…

    Ce n’est que mon demi-frère, en réalité. Et il n’est qu’à demi mort.

    *       *

    *

    – Veuillez dire votre prénom et votre nom de famille, mademoiselle.

    – Justine Lemieux.

    – Votre adresse ?

    – 2226, rue Marquis, Landreville.

    – Votre âge ?

    – Seize ans.

    – Merci.

    Celle qu’on appelle la greffière me parle sans me regarder. Plus je me sens perdue, plus mes yeux s’accrochent à ceux de la juge, madame Rachel Bérubé.

    Une dame magnifique. Cheveux blonds relevés en chignon, lunettes dorées, peau de pêche, dos droit, grande robe noire avec collet blanc et long ruban rouge. La classe.

    À côté d’elle, je dois avoir l’air d’une itinérante avec mes vêtements de deux jours et ma tignasse blonde en bataille. J’ai eu le temps de me regarder dans le miroir, lors de mon passage aux toilettes, juste avant que deux agents m’escortent jusqu’à la salle d’audience. Mauvaise idée. Mon chandail à capuchon est beaucoup trop rose pour mon visage, qui m’a semblé plus pâle que jamais. Il est d’ailleurs beaucoup trop grand pour mes épaules dites de « maigrichonne ». Ce terme, c’est celui qu’employait ma mère pour me décrire, ces derniers temps à table, chaque fois qu’elle essayait de me faire ingurgiter des plats qui ne me disaient rien.

    « Bon sang, Justine, mange ! Tu ne vois pas à quel point tu es devenue maigrichonne ? »

    J’avoue que je l’ai vu, ce matin, dans le miroir de cette salle de bain froide, à l’image de l’atmosphère glaciale qui m’entoure et qui me fait grelotter depuis hier. Ma main droite tremble d’ailleurs encore un peu quand on me demande de la poser sur la Bible, mais je crois que personne ne le remarque. J’essaie de gérer mon stress autant que possible, même si je sens la panique tapie en moi.

    Lorsque la greffière me demande de répéter, je fais attention à bien articuler et à parler fort pour que ma voix ne tremble pas.

    – Jurez-vous…

    Je ne sais pas vraiment ce qu’elle raconte, mais je promets de dire la vérité. Toute la vérité. Voyant probablement que mes yeux fixent le vide, la juge me fait un signe de la main.

    – Vous pouvez prendre place à côté de votre avocat, Justine.

    C’est à ce moment précis que j’entends résonner dans la salle ce qu’ils appellent mes chefs d’accusation : tentative de meurtre et voies de fait armées. Je frissonne encore plus.

    Celle qui porte les accusations, la procureure de la Couronne, maître Jocelyne Blais, a un air beaucoup trop sérieux. J’ai l’impression qu’elle est fâchée contre moi.

    – Madame la Juge, commence-t-elle, il s’agit ici d’une première accusation, mais le délit est extrêmement grave. Nous sommes devant une adolescente qui a fait preuve d’une grande violence en assénant cinq coups de couteau à son demi-frère. Je précise que le garçon est grièvement blessé et repose toujours aux soins intensifs dans un état critique.

    Spontanément, je lève un œil vers la juge Bérubé. Sur son visage, je ne lis aucune colère. Je ne lis rien, en fait. Maître Blais poursuit avec véhémence :

    – La Couronne recommande donc une détention en centre jeunesse sous garde fermée.

    Cette fois, la juge penche un peu la tête de côté en écoutant la femme qui s’adresse à elle. Et c’est vers mon avocat qu’elle se tourne.

    – Maître Savard, avez-vous contacté les parents de votre cliente ?

    – Oui, Madame la Juge. Je les ai joints tous les deux ce matin. Ils sont retenus à l’extérieur.

    – Ils sont retenus

    – Exact. Monsieur a dit préférer rester au chevet de son beau-fils et madame m’a répondu qu’elle est trop en colère pour assister à l’audience.

    En une seule phrase, mon avocat a résumé l’histoire de ma vie. L’indifférence de mon père, la colère de ma mère. Rien de nouveau. Pourtant, mon cœur réagit ; il cogne violemment dans ma poitrine. Pour faire diversion, j’essaie très fort de me concentrer sur le visage de la juge, qui s’est durci. Elle répète simplement :

    – Trop en colère…

    La juge semble hésiter, puis s’adresse directement à moi cette fois.

    – Justine, comprenez-vous pourquoi on a procédé à votre arrestation, hier ?

    Sa voix est posée. Presque rassurante.

    – Oui.

    – On vous accuse de tentative de meurtre sur Jonas Biron. Vous le connaissez ?

    – Oui.

    – Qui est-il par rapport à vous ?

    – C’est le garçon de la blonde de mon père.

    – Vous étiez avec lui, hier ?

    – Oui.

    – Vous savez pourquoi vous vous retrouvez devant moi aujourd’hui ?

    – Oui.

    – Vous allez devoir revenir en cour dans trois jours pour votre enquête sur détention. À ce moment-là, nous allons décider si vous devrez demeurer détenue jusqu’à votre procès ou si vous pourrez retrouver votre liberté. Dans ce cas précis, on exige souvent que vous demeuriez chez un adulte responsable qui est en mesure de s’occuper de vous. Votre avocat va vous expliquer davantage en quoi tout cela consiste et on essaiera de trouver le meilleur endroit pour vous loger en attendant la suite des procédures.

    – Oui.

    – Très bien. Puisque vous savez de quoi on vous accuse, souhaitez-vous plaider coupable ou non coupable ?

    Je jette un coup d’œil à mon avocat, qui hoche la tête de haut en bas. J’ai beau avoir parlé de ma réponse avec lui avant l’audience, quand ils sortent de ma bouche, les mots ne me semblent pas très convaincants.

    – Non coupable.

    – J’ordonne donc la détention provisoire en centre jeunesse. Essayez de vous reposer, Justine, et tentez de rassembler vos souvenirs en lien avec les événements d’hier. Dans les moindres détails. C’est important.

    2

    Les événements se sont déroulés hier et, pourtant, dans mon esprit, on dirait qu’ils sont très loin de moi, à la manière d’un cauchemar…

    Je me souviendrai toujours de cette soirée. Même s’ils étaient très différents l’un de l’autre, je n’oublierai jamais les regards des deux policiers quand ils sont entrés en trombe dans la cuisine. Le plus grand m’a fixée droit dans les yeux. Il a probablement vu toute la culpabilité qui s’y trouvait, mais il semblait néanmoins continuer de chercher autour de moi qui avait bien pu commettre ce geste. Sur sa chemise bleu ciel, son nom était inscrit : « Andy Belley ». J’adore ce prénom. Il sonne doux à mes oreilles.

    Le deuxième agent, plus âgé, plus petit et moins délicat, portait lui aussi son nom bien en vue sur son uniforme : « Denis Chassé ». Un dur. Dans le regard comme dans le ton. Il s’est rué vers mon demi-frère pour tenter de le réanimer.

    Jonas ne parlait plus désormais. Enfin.

    L’agent Denis a guidé les ambulanciers quand ils sont arrivés, quelques minutes plus tard, pendant que son collègue s’occupait de moi.

    J’étais assise au sol, le dos contre la porte-patio. La froideur de la vitre me faisait du bien. Je me rappelle que j’avais chaud. Très chaud. Mon visage devait être tout rouge. L’agent Andy a touché mon front, mais n’a fait aucun commentaire.

    – Quel est ton nom ?

    – Justine.

    – C’est toi qui as appelé les secours, Justine ?

    – Oui.

    – Où sont tes parents ?

    – Je ne sais pas.

    – Tu as vu qui a blessé ce garçon ?

    – C’est moi.

    Il a plissé les yeux, a semblé hésiter à parler, pour finalement se résigner à le faire, d’une voix douce qui n’allait pas vraiment avec ses paroles.

    – Nous allons devoir procéder à ton arrestation… pour tentative de meurtre.

    Je me souviens du regard d’un des deux ambulanciers, qui s’était tourné vers moi. Il a froncé ses gros sourcils épais. Dans le lourd silence de la maison, on n’entendait plus que le bruit métallique des menottes froides que l’agent Andy me mettait aux poignets.

    – Bouge les doigts, a-t-il demandé.

    Ce que j’ai fait.

    – Pas trop serré ?

    Ça l’était un peu, mais j’ai fait non de la tête. J’avais beau ne pas réaliser complètement ce qui se passait, je savais tout de même que j’en avais déjà assez fait.

    Le gentil policier m’a regardée de nouveau, l’air hésitant.

    – Je dois t’informer de tes droits, Justine, m’a-t-il indiqué. À partir de maintenant, tu peux garder le silence. Ça veut dire que tu n’es pas obligée de répondre à d’autres questions. Tu as droit à l’assistance d’un avocat…

    Je me suis perdue dans ses yeux caramel pendant qu’il continuait de parler. J’ai fait tout ce qu’il me disait. Me lever, le suivre, m’installer sur le siège arrière de la voiture de police, là, en sortir, ici. Mettre mon doigt sur un tampon, le tacher d’encre bleue, puis le déposer sur une feuille. Répéter avec l’autre, l’autre, l’autre et l’autre. Rester debout pour la photo. Revenir près de lui, le suivre. Composer le numéro de téléphone qu’il me dictait, expliquer ma situation à un monsieur avocat, raccrocher, le suivre de nouveau.

    Sa main sur mon bras effectuait de douces pressions pour me guider dans les corridors du poste. Virer ici, là, pas là. Je me souviens avoir songé que j’aurais dansé avec lui. Puis d’avoir pensé que je n’avais plus toute ma tête, puisque je n’ai jamais dansé de ma vie.

    Avec le recul, je crois que je préférais ne pas écouter la peur qui me pinçait le cœur vraiment fort. Trop fort. Peur de perdre le bras de l’agent Andy et de me retrouver seule, comme ç’a été le cas trop rapidement. Peur de cette pièce froide, de la porte de métal qui résonnait et du bruit de la clé dans la serrure. Peur des heures à venir, enfermée là. Peur de ne jamais revoir mes amis… Peur de moi. De ce que j’avais fait.

    Je ne pourrais dire combien de temps s’est écoulé avant que je retrouve l’agent Andy, mais il est revenu pour me présenter maître Savard.

    – Ton avocat, m’a-t-il indiqué avec un mince sourire qui se voulait sans doute bienveillant.

    J’ai essayé de m’accrocher à l’idée que tout allait bien se passer, sans grand succès. Je savais que ça irait mal.

    3

    Entre quatre murs jaunes

    En quittant la salle d’audience, je me suis accrochée au regard de Madame la Juge. Il y avait comme de la bonté dans ses yeux foncés.

    Les yeux de Benoît sont différents. Du haut de ses six pieds, l’homme qui m’accueille à l’entrée du centre jeunesse semble plutôt occupé à m’analyser. Même si je suis soulagée de ne pas

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1