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L'adulte en formation... pour devenir soi: Espaces, passages, débats et défis
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L'adulte en formation... pour devenir soi: Espaces, passages, débats et défis
Livre électronique735 pages7 heures

L'adulte en formation... pour devenir soi: Espaces, passages, débats et défis

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À propos de ce livre électronique

L'adulte en formation… pour devenir soi met en lumière les recherches actuelles dans le domaine de l’éducation des adultes. Cet ouvrage présente d’abord une perspective historique internationale et québécoise de cette question, pour décrire ensuite l’évolution et le développement de l’adulte dans plusieurs des lieux de sa formation.

Il est espaces, car il recense des contextes d’apprentissage et d’enseignement variés accueillant des adultes où apprenants, enseignants et formateurs se rencontrent, réfléchissent, mettent en avant les concepts et prennent conscience de leur potentiel pour donner du sens aux expériences pédagogiques et sociales.

Il est passages, car les rencontres, tout au long du parcours de formation et de vie, sont autant d’occasions planifiées et fortuites pour susciter la transformation et le devenir soi.

Il est débats, car de ces espaces et de ces passages émergent de nouvelles avenues qui perpétuent les questionnements, confrontent les idées et provoquent la recherche de repères pour revisiter le monde de l’éducation des adultes.

Il est défis, car la connaissance et l’expérience des apprenants, des enseignants et des formateurs sont ancrées dans un processus de mouvance amenant les chercheurs à peaufiner leur analyse et leur compréhension de l’adulte en formation.

Ce livre réunit les contributions de chercheurs du Québec et d’ailleurs – stimulés par la pédagogie, l’apprentissage, l’enseignement, l’accompagnement et la formation continue – qui désirent comprendre l’activité pédagogique et sociale de formation et d’éducation de l’adulte.
LangueFrançais
Date de sortie23 janv. 2019
ISBN9782760550711
L'adulte en formation... pour devenir soi: Espaces, passages, débats et défis
Auteur

Manon Doucet

Manon Doucet est professeure titulaire à l’Université du Québec à Chicoutimi à l’Unité d’enseignement en adaptation scolaire et sociale. Ses intérêts sont les difficultés affectives et comportementales, le soutien et l’accompagnement des enseignants à divers ordres d’enseignement quant aux stratégies d’intervention auprès des élèves ayant des besoins particuliers, l’accompagnement des étudiants en adaptation scolaire dans la consolidation de leur identité professionnelle ainsi qu’à la collaboration et à l’interprofessionnel. Depuis janvier 2018, elle occupe le poste de doyenne au décanat des études. 

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    Aperçu du livre

    L'adulte en formation... pour devenir soi - Manon Doucet

    Introduction

    Marie Thériault

    Manon Doucet

    Au Québec, au cours des 15 dernières années, les chercheurs ont mobilisé leurs efforts pour s’interroger sur l’éducation des adultes, que ce soit à la formation générale des adultes, à la formation professionnelle, dans les collèges, dans les universités ou dans d’autres milieux, ainsi que dans les lieux de travail, organismes communautaires ou lieux de vie (Doucet et al., 2016; Thériault et Solar, 2013). Certaines recherches centrent leurs objectifs sur le développement d’une meilleure connaissance des adultes dans leurs diverses dimensions développementales et sociales. La prise en considération des caractéristiques personnelles, familiales, scolaires et sociales des adultes en situation d’apprentissage – particulièrement lorsqu’il s’agit d’adultes vulnérables – se présente comme une avenue prometteuse de recherche, car elle permet de contextualiser l’intervention pédagogique et son appropriation par les adultes (Doucet et al., 2016; Thériault, 2017).

    L’adulte en formation… pour devenir soi est un ouvrage unique, parce qu’il commence par une perspective historique internationale et québécoise et qu’il permet ensuite de suivre l’évolution et le développement de l’adulte dans plusieurs des lieux de sa formation et de son cursus: à la formation générale des adultes ou à la formation professionnelle d’abord, puis au cégep, à l’université et enfin dans son milieu de travail. Cet ouvrage réunit donc des auteurs nationaux et internationaux intéressés par les liens entre milieu et pédagogie; entre éducation des adultes et formation continue; entre éducation et condition féminine; entre recherche en éducation des adultes et savoirs universitaires. La perspective en est une d’avancement et de rayonnement des connaissances relatives à la condition enseignante et à la condition apprenante telles qu’elles sont définies par les sciences de l’éducation (Tardif, 2016) et par la recherche en éducation des adultes.

    Cet ouvrage scientifique témoigne de l’engagement de ces auteurs à l’égard d’une recherche active au Québec et à l’étranger, au sein de milieux diversifiés accueillant les adultes, leurs enseignants ou leurs formateurs. Il regroupe 14 chapitres énonçant des résultats de recherche produits au sein de ces lieux d’apprentissage et d’enseignement de l’adulte. Ces recherches adoptent des méthodologies variées et innovantes permettant de comprendre la pédagogie destinée aux adultes et la façon dont elle est vécue autant par les apprenants que par les pédagogues en exercice et en cheminement professionnel de formation. La discussion des résultats est propre à ouvrir des perspectives renouvelées de recherche.

    L’ouvrage comprend cinq axes qui touchent aux dimensions scientifiques de l’éducation et de la formation des adultes. Ces axes témoignent de l’intérêt que leur portent les sciences de l’éducation, l’andragogie, la sociologie, la psychologie, le travail social, la linguistique et l’ethnographie. La multiplicité de ces disciplines est à l’image des champs d’exercice diversifiés des auteurs.

    Cet ouvrage scientifique rend compte des lieux et des passages de l’adulte au centre de son projet d’apprentissage et vivant une pédagogie diversifiée.

    Le premier axe, «L’éducation des adultes et les enjeux internationaux», traite de l’inscription sociale du droit à l’éducation tout au long de la vie dans une perspective historique propre au Québec comme entité internationale. Ce chapitre introductif permet d’examiner ici et ailleurs les fondements de la notion du droit des adultes à recevoir une éducation tout au long de la vie et qui s’adresse aux dimensions les plus profondes de leur être. Les enjeux soulevés par cette question sont actualisés par une analyse du contexte au sein duquel ces fondements prennent place.

    Le deuxième axe, «L’éducation des adultes et la formation générale des adultes», qui comprend quatre chapitres, fait état de recherches menées au sein des centres d’éducation des adultes dont l’existence est prévue par la Loi sur l’instruction publique et la Politique d’éducation des adultes (2002), un lieu de passage permettant, par exemple, l’obtention du diplôme d’études secondaires. Cet axe se divise en trois sections qui rassemblent des travaux sur: 1) les apprenants; 2) les enseignants; et 3) le développement professionnel et la formation continue des enseignants.

    Le troisième axe, «L’éducation des adultes, la formation professionnelle et la formation continue», qui comprend trois chapitres, expose des travaux de chercheurs s’intéressant aux apprenants et aux enseignants du secteur de la formation professionnelle, qui relève elle aussi de la Loi sur l’instruction publique.

    Le quatrième axe, «L’éducation des adultes: le cégep et l’université», constitué de quatre chapitres, permet de comprendre la nature de l’intervention andragogique dans le contexte de l’éducation postsecondaire en s’appuyant sur des recherches sur l’inclusion des adultes dans les programmes d’études au collégial et sur l’examen des facteurs qui facilitent la réussite universitaire d’adultes cheminant, en formation continue, vers une transition de leur carrière.

    Enfin, le cinquième axe, «L’éducation des adultes, la formation à l’emploi et la formation en entreprise», formé de deux chapitres que signent des chercheurs internationaux, permet de considérer l’importance du rôle des formateurs internes dans le milieu du travail en ce qui concerne la formation continue et professionnelle de même que de connaître l’incidence de ce type d’intervention dans la société.

    Comme on peut le constater, ces axes permettent de regrouper plusieurs des lieux de l’activité pédagogique et sociale de formation et d’éducation de l’adulte, du point de vue de l’apprentissage et de l’enseignement, traduisant ainsi la grande pertinence des textes scientifiques des auteurs.

    Bibliographie

    DOUCET, M., D. MALTAIS, D. BIZOT, A. DE CHAMPLAIN ET P. BOUCHARD (2016). «Quand chercheurs et personnel scolaire d’un centre d’éducation des adultes s’engagent dans une démarche de coconstruction dans un contexte de formation continue», communication présentée au congrès Comité québécois des jeunes en difficulté de comportement (CQJDC), Québec, 25-27 avril.

    TARDIF, M. (2016). «Les conceptions de l’expérience en enseignement», communication présentée dans le cadre du 84e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), mai, Montréal.

    THÉRIAULT, M.A. (2017). «Apprendre et enseigner à la formation générale des adultes: une recherche ethnopédagogique auprès de finissants et finissantes ainsi que d’enseignantes», Formation et profession, 24(3), p. 32-45, <http://dx.doi.org/10.18162/fp.2016.381>, consulté le 14 septembre 2018.

    THÉRIAULT, M.A. ET C. SOLAR (2013). «Adult Education and Training in Francophone Canada», dans T. Nesbit, S. Brigham, T. Gibb et N. Taber (dir.), Building on Critical Traditions: Adult Education and Learning in Canada, Toronto, Thompson Educational Publishing, p. 56-57.

    AXE 1

    L’ÉDUCATION DES ADULTES ET LES ENJEUX INTERNATIONAUX

    Cet axe traite de ce droit reconnu qu’ont les adultes de bénéficier d’une éducation tout au long de leur vie et de la façon dont ce droit est exercé au Québec, en tant qu’entité internationale. Pierre Doray et Félix B. Simoneau signent ici un des rares textes sur l’histoire de l’éducation des adultes au Québec. Les auteurs cernent les enjeux sociaux et pédagogiques de l’éducation et de la formation des adultes au Québec et discutent des enjeux internationaux et nationaux relatifs à la question. Ils décrivent ici trois périodes de l’éducation des adultes depuis les années 1960: l’institutionnalisation de l’Éducation permanente (1960-1983), la professionnalisation (1984-2001) et la mise en œuvre de la Politique d’éducation des adultes et de formation continue (2002 à aujourd’hui). Ils identifient ainsi deux mouvements de fond caractérisant son action: la démocratisation et la professionnalisation. Reposant sur une analyse sociocritique, les résultats de leur recherche permettent de comprendre, sur le plan historique et politique, le domaine de l’adulte en formation. Dans le contexte de la préparation de la Conférence internationale sur l’éducation des adultes (CONFINTEA) 2022, ce texte sera d’une grande utilité.

    CHAPITRE 1

    Les jalons pour une sociologie historique de l’éducation des adultes

    Pierre Doray

    Félix B. Simoneau

    RÉSUMÉ

    L’éducation et la formation des adultes (EFA) est à la fois un domaine scientifique de production de savoirs et un univers social, et regroupe une diversité de pratiques éducatives. Le présent chapitre étudie le développement de l’éducation des adultes depuis la Révolution tranquille en tenant compte de trois dimensions – fondements intellectuels, contextes économiques et sociaux qui ont produit des attentes éducatives, et rapport au politique –, et ce, en distinguant les différents modes d’action de l’État au fil du temps. Il décrit trois grandes périodes qui représentent autant d’articulations des trois dimensions retenues.

    Le champ de l’éducation et de la formation des adultes (EFA) est des plus singuliers. À la fois domaine scientifique de production de savoirs et domaine pratique de transmission des savoirs, ses frontières sont difficiles à définir puisqu’il regroupe un ensemble de secteurs d’activités (formation générale, formation professionnelle, formation continue, enseignement postsecondaire, éducation populaire, formation en entreprise, etc.) qui ont leurs particularités institutionnelles, professionnelles et éducatives. Les secteurs de l’EFA se situent à l’intersection de plusieurs sphères d’activités sociales (éducation, travail, économie, santé, environnement, etc.), ce qui fait qu’ils possèdent plusieurs enjeux qui ne sont pas à proprement dit éducatifs. Il faut aussi composer avec un flou de ce qu’est un adulte. Ces particularités font de l’EFA un objet de recherche particulièrement difficile à cerner.

    Au cours des dernières années, on a assisté à l’émergence de nouvelles perspectives de recherche alliant sociologie, histoire et science politique qui permettent de jeter un regard différent sur ce champ par la restitution des «fondements sociaux des transformations politiques et institutionnelles» qui s’y opèrent (Barrault-Stella et Goastellec, 2015, p. 7). Elles permettent également de retracer les processus politiques (construction du problème, élaboration de politiques, mise en œuvre, appropriation par les établissements et les acteurs) et les référents intellectuels à partir desquels les différents champs éducatifs et leurs enjeux se définissent (Barrault-Stella et Goastellec, 2015).

    Dans le présent chapitre, nous présentons les résultats de nos récents travaux de recherche qui s’inspirent des nouvelles perspectives d’analyse «politique» de l’éducation. Plus précisément, notre démarche vise à comprendre le développement du champ de l’EFA depuis la Révolution tranquille en reconstituant les transformations de ses fondements sociaux, soit: 1) les projets éducatifs mis en avant; 2) les référentiels d’actions publiques en vigueur¹; et 3) les modalités d’actions publiques mises en œuvre.

    À ce titre, nous avons effectué une analyse sociohistorique du développement du champ de l’EFA au Québec depuis son institutionnalisation dans les années 1960. Inspirée de la méthode de la sociohistoire de l’action publique de Payre et Pollet (2013), cette analyse prend en compte les grandes fluctuations économiques, dont la crise de la fin des années 1970 et du début des années 1990, les différentes actions publiques (consultations publiques, politiques, lois, etc.) et celles des acteurs de l’EFA. En nous appuyant sur une mise en série de ressources documentaires de première main, complétée par les travaux déjà réalisés sur l’EFA, nous avons reconstitué la trame historique des différentes interventions de l’État et analysé les orientations intellectuelles et normatives de l’action des différents acteurs. Ainsi, nous avons dégagé différentes articulations entre des projets éducatifs, des référentiels d’actions publiques et des modalités d’action.

    Nous avons identifié trois grandes périodes qui correspondent à trois articulations différentes des fondements sociaux de l’EFA et plus généralement aux mouvements de fond qui ont orienté son développement: l’institutionnalisation de l’Éducation permanente (1960-1983), la professionnalisation (1984-2001) et la mise en œuvre de la Politique d’éducation des adultes et de formation continue (2002 à aujourd’hui).

    1.L’institutionnalisation de l’Éducation permanente (1960-1983)

    Le développement de l’EFA est directement associé à la progression de l’usage de la lecture et de l’écriture dans la vie quotidienne, au travail ou dans la vie domestique (Pénault et Senécal, 1982). Tout au long du XIXe siècle, de nombreuses initiatives sont proposées pour favoriser l’alphabétisation des parents et des ouvriers, au moment même où l’on cherche à alphabétiser les enfants par la création d’écoles primaires. Au Québec, cette période se caractérise par la multiplicité des initiatives, mais aussi par leur caractère éphémère, même lorsqu’elles sont soutenues ou promues par l’État. Il reste que ces initiatives sont souvent le fait de mouvements réformistes, qui réagissent aux méfaits des changements technico-économiques et, plus largement, du capitalisme industriel.

    L’entrée dans le XXe siècle est concomitante d’une diversification des pratiques éducatives. De nombreux établissements de formation professionnelle ou d’enseignement supérieur, nouvellement créés, font place à l’éducation des adultes par la mise en œuvre de cours du soir, par exemple. La crise des années 1930 et la formulation progressive des politiques keynésiennes ouvrent l’accès à des activités de formation aux personnes sans emploi, dans une volonté de réinsertion professionnelle. On assiste aussi à la croissance, difficilement mesurable, de la formation en milieu de travail, dans les entreprises privées, les coopératives ou le monde agricole. En parallèle, la formation se fait critique et citoyenne avec la montée de la formation syndicale, des organisations d’éducation populaire (p. ex. les universités populaires) et de l’Action catholique. Ainsi, différents secteurs de l’EFA se constituent peu à peu.

    Les années 1960 marquent un moment déterminant au Québec par la prise en charge de l’EFA par l’État (essentiellement le gouvernement provincial qui avait la responsabilité constitutionnelle de l’éducation) et sa structuration institutionnelle. Pour bien comprendre ce changement et la rapide croissance de l’éducation des adultes qui s’ensuivra, il faut revenir sur les principaux éléments de l’action publique en matière d’éducation.

    La Révolution tranquille, période de profonde modernisation de la société québécoise et de l’action gouvernementale, s’amorce avec l’élection du gouvernement du Parti libéral du Québec qui, devant les importantes disparités économiques et sociales entre les deux principaux groupes sociaux linguistiques, entreprend de démocratiser les différents champs de la société laissés à l’initiative des élites traditionnelles, de l’entreprise privée et de l’Église (Bourque, 2000). On prend alors acte de la transformation de l’économie, de sa tertiarisation, des recompositions sectorielles et de la mutation des emplois qui se produisent. L’action économique laissée aux mains du secteur privé et la non-intervention de l’État sont alors remplacées par l’interventionnisme étatique déjà mobilisé au Canada et ailleurs en Occident (Rouillard et al., 2008). S’inspirant largement du référentiel social-démocrate², les actions publiques viseront à mettre en place un État-providence, avec plusieurs mesures comme la professionnalisation de la fonction publique, la création de sociétés d’État dans divers secteurs économiques, la réforme de l’aide sociale, la création du Régime des rentes du Québec, l’assurance maladie, etc. Parmi elles, la réforme du système éducatif, de l’enseignement préscolaire à l’enseignement universitaire, deviendra l’un des étendards de cette modernisation. C’est dans le cadre de cette dernière que l’EFA connaîtra un développement marqué.

    1.1.Le rapport Parent et l’éducation permanente

    La réforme de l’éducation s’appuie largement sur les recommandations du rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, connu sous le nom de rapport Parent. Mise sur pied en 1961 avec le mandat de faire la lumière sur la situation de l’éducation et de proposer des recommandations pour une réforme du système scolaire, la Commission proposera de faire de l’éducation le fondement même de la société pour répondre à la fois aux inégalités entre les groupes linguistiques et aux changements économiques et sociaux amenés par la révolution scientifique et technologique (Parent, 1964). La démocratisation de l’éducation s’avère dès lors nécessaire pour augmenter la scolarisation de la population, elle-même une condition essentielle au développement social et économique du Québec. Les visées sont alors simples: «donner à chacun la possibilité de s’instruire, rendre accessible à chacun les études les mieux adaptées à ses aptitudes et à ses goûts; préparer l’individu à la vie en société» (Parent, 1964, p. 75).

    Le rapport Parent consacre un chapitre entier à l’EFA, où sa légitimité sociale et économique est confirmée. Les auteurs y soulignent que l’explosion des connaissances et leur obsolescence rapide font que l’école doit renoncer à l’encyclopédisme et veiller à ce que tous obtiennent une formation de base et une qualification initiale, en plus d’offrir des possibilités de perfectionnement professionnel et d’études culturelles tout au long de la vie (Parent, 1964). La transformation du marché du travail et de l’emploi est perçue comme une source de perfectionnement continu. L’augmentation du temps de loisir ouvrirait la voie à la participation à des activités de formation qui favoriseront «le progrès de l’homme, la qualité de ses conditions de vie, l’enrichissement de son esprit, la culture de toute sa personnalité» (Parent, 1964, p. 319). Ainsi, il faut élargir la conception que l’on se fait de l’enseignement en y intégrant aussi les adultes; l’éducation n’est plus uniquement réservée à l’enfance et à la jeunesse, elle est permanente.

    Le rapport Parent reprend très largement les recommandations du Comité d’études sur l’éducation des adultes (Ryan, 1964), créé en 1962, et fait sien le projet d’éducation permanente que le Comité a mis de l’avant. Issue du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO, l’éducation permanente repose sur l’idée que les activités d’apprentissage formel, informel et non formel sont les composantes d’un processus s’étirant tout au long de la vie. Le projet éducatif prévoit la création de systèmes éducatifs englobant l’ensemble des institutions et des activités d’éducation et de formation exprimant «la relation englobante entre toutes les formes, les expressions et les moments de l’acte éducatif» (Faure, 1972, p. 163). L’éducation permanente fait l’objet d’une réception positive de nombreux acteurs provenant des milieux institutionnels, de la société civile, des milieux économiques, syndicaux et éducatifs qui ont contribué à sa reconnaissance publique. Plusieurs d’entre eux, regroupés autour de l’Institut canadien d’éducation des adultes (ICEA³), participent à la 2e Conférence internationale de l’UNESCO sur l’éducation des adultes tenue à Montréal en 1960. Il existe, à l’aube de la réforme de l’éducation, une réelle préoccupation pour le développement de l’EFA. Celle-ci est largement associée à une volonté de démocratisation des études en général et des études postsecondaires en particulier.

    1.2.La réforme de l’éducation

    La réforme de l’éducation s’amorce avec la création du ministère de l’Éducation qui met en place une importante refonte de tous les niveaux scolaires et des modes de passage de l’un à l’autre pour en améliorer l’accessibilité. De multiples réformes seront mises en chantier selon ces orientations, créant une véritable infrastructure éducative⁴. En EFA, le ministère de l’Éducation met sur pied en 1966 la Direction générale de l’éducation permanente (DGEP) afin de centraliser l’offre de services pour les adultes. Cette nouvelle structure rassemblera les différentes unités administratives qui régissaient l’éducation des adultes⁵ pour en assurer la coordination, tout en cherchant à préciser les besoins et les ressources pour élaborer des politiques d’EFA (Pénault et Senécal, 1982).

    L’EFA connaîtra à l’intérieur de cette nouvelle organisation institutionnelle un développement important. D’abord, la DGEP mobilise les commissions scolaires et les cégeps pour développer des services d’alphabétisation, de formation scolaire et non scolaire et de qualification de la main-d’œuvre. Les Services d’éducation des adultes (SEA) y seront mis sur pied. On assiste au développement du secteur de l’école du soir, qui regroupe l’ensemble des activités de formation créditée se déroulant en dehors des heures normales de travail. Elle permet aux salariés

    d’accéder à des formations débouchant sur des diplômes pouvant faire l’objet d’une reconnaissance sur le marché du travail. Ces cours visent une égalisation des chances par l’obtention de diplômes associée aux possibilités de mobilité professionnelle et sociale.

    Les universités vont également ouvrir leurs portes aux adultes en modifiant les conditions d’accès et en créant de nouveaux diplômes courts: les certificats. Elles mettent sur pied de nouvelles structures regroupant plusieurs services pour répondre à la spécificité des besoins des adultes dont le nombre explose dans les rangs universitaires⁶.

    L’éducation populaire, ayant pour objectifs de rendre accessible la culture à des catégories sociales qui ne peuvent y avoir accès, de soutenir les individus à différentes étapes de leur vie et, surtout, de soutenir les fractions sociales défavorisées dans l’amélioration de leurs conditions de vie (alphabétisation populaire, amélioration des conditions de vie quotidienne, associations de défense des droits, etc.), est un autre secteur qui connaît un important développement. Issue d’une longue histoire de mobilisation citoyenne et inspirée des écrits de Paolo Freire, l’éducation populaire est présente dans les organismes volontaires d’éducation populaire (OVEP), dont le nombre augmentera significativement à la suite de la mise en place du Programme de soutien à l’éducation populaire (Services éducatifs d’aide personnelle et d’animation communautaire [SEAPAC]) par le ministère de l’Éducation. Elle est aussi présente dans les établissements scolaires qui ont développé des pratiques éducatives non créditées qui visent la promotion collective et l’amélioration des conditions d’existence des adultes. Les établissements d’enseignement vont développer des activités de soutien comme les Services à la collectivité à l’UQAM, l’Atelier de promotion collective à la Faculté de l’éducation permanente (FEP) de l’Université de Montréal ou encore le Service à la collectivité du Collège Rosemont. Les syndicats sont également actifs dans ce secteur de l’EFA et offrent des formations sur les conventions collectives, des formations pour les militants et les représentants syndicaux, et dans certains cas, des enseignements en sciences humaines et sociales.

    La formation des personnes sans emploi se développe aussi de manière importante. Le gouvernement fédéral interviendra massivement dans la formation professionnelle et technique (FPT) des bénéficiaires d’assurance-emploi en achetant des places de formation dans les établissements d’enseignement québécois.

    Comparativement aux autres secteurs de l’EFA, la formation en entreprise connaît une croissance difficilement quantifiable et fort inégale d’un secteur économique à l’autre. Des entreprises du secteur coopératif, notamment les Caisses populaires Desjardins et la fonction publique fédérale, mettent sur pied des programmes de formation pour leurs membres, employés, gestionnaires et dirigeants élus. Le Centre des dirigeants d’entreprises, ancêtre du Conseil du patronat du Québec, est mis sur pied en 1966 et organise des formations de planification et d’accroissement de la productivité, en plus de mettre sur pied des stages et des groupes de travail interentreprises pour favoriser l’apprentissage des différentes manières de faire dans les entreprises. L’Institut canadien des banquiers agit comme un formateur sectoriel, la participation à ses activités de formation étant souvent obligatoire pour obtenir une promotion dans ce secteur.

    En 1982, la Commission d’étude sur la formation des adultes (CEFA), mise sur pied avec le mandat de proposer une politique d’éducation des adultes, dépose son rapport, connu sous le nom de rapport Jean. La perspective d’éducation permanente y est fortement réaffirmée de même que les objectifs de démocratisation de l’éducation pour les adultes. On y propose la création d’une structure centrale d’éducation des adultes indépendante du ministère de l’Éducation et des établissements d’enseignement de même qu’un ensemble de mesures pour favoriser le développement de tous les secteurs de l’EFA (Jean, 1982).

    En somme, il faut retenir qu’il existe, dans la réforme des champs de l’éducation, une préoccupation significative pour le développement de l’EFA. Celle-ci est largement associée à une volonté de démocratisation des études en général, et des études postsecondaires en particulier. Dans les textes d’orientation de l’action publique, le projet d’éducation permanente est la référence intellectuelle qui guide l’action (Jean, 1982; Parent, 1964; Ryan, 1964). Ce recours permet aussi de juxtaposer des pratiques différentes autour d’un pôle rassembleur: l’adulte en formation. Il lui fixe aussi des objectifs et des visées: l’éducation des adultes n’est plus seulement un train de la seconde chance, elle doit assurer l’adaptation des adultes à une société dont les savoirs deviennent obsolètes rapidement. Il existe un discours structuré qui fixe le rôle des établissements d’enseignement supérieur en EFA. Une association intellectuelle étroite entre l’éducation permanente et le développement de l’éducation des adultes est établie. Il y a dès lors la reconnaissance de facto d’un droit à l’éducation qui prend la forme d’un accès à la formation dans les établissements scolaires.

    Une autre caractéristique de la période est la centralité de l’action des établissements éducatifs qui ont un pied dans différents secteurs. L’école du soir se développe dans tous les ordres d’enseignement, les commissions scolaires et les cégeps proposent des formations pour les personnes sans emploi afin de favoriser leur réinsertion professionnelle, les trois ordres d’enseignement organisent et soutiennent des activités de formation populaire, souvent en collaboration avec les groupes communautaires, les centrales syndicales et les OVEP.

    2.Une deuxième période: la professionnalisation (1984-2001)

    Au cours des années 1980, on assiste à une rupture importante de la trajectoire de l’EFA. Progressivement, un rapprochement explicite du champ éducatif avec les besoins de l’économie est effectué, ce que nous qualifions comme un mouvement de professionnalisation. Les actions publiques ont dès lors comme objectif de soutenir le retour à une croissance économique continue. Cela dans un contexte de montée du référentiel néo-libéral d’action publique. Les changements proposés reposent sur une critique du modèle antérieur: la bureaucratisation du système et des services publics ainsi que l’échec dans l’atteinte des objectifs de démocratisation des ressources publiques, dont celle en éducation. De plus, certains acteurs considèrent que les objectifs de rattrapage des francophones sont atteints et qu’il est temps de passer à un autre programme politique. À cet égard, la reconversion politique des organisations internationales va aussi servir d’inspiration pour l’action publique au Canada et au Québec. De profondes réorientations et de fortes réorganisations institutionnelles sont mises en œuvre, laissant plus de place aux acteurs économiques, ce qui se manifestera par la création du réseau de la main-d’œuvre.

    Au tournant des années 1980, le Québec est touché par une profonde crise économique marquée par une crise de l’emploi et une montée importante du chômage, particulièrement chez les jeunes. En même temps, l’informatisation des processus de production et les changements organisationnels au sein des entreprises transforment les modes de travail. La mondialisation des échanges économiques conduit à des restructurations importantes, ne serait-ce que par les délocalisations.

    Après plus de deux décennies de politiques interventionnistes, le gouvernement du Québec repense son approche en matière de développement économique et social. Critiqué tant par les acteurs économiques que par la société civile, les gouvernements révisent leurs approches et leurs actions: soutien direct aux entreprises, introduction et accentuation des logiques de marché et de concurrence, ouverture des marchés internationaux par la négociation d’ententes de libre-échange, soutien aux innovations techniques et organisationnelles (Bélanger, 1998; Bourque, 2000). Les changements sont significatifs, même si nous n’assistons pas à une rupture profonde comme ce fut le cas aux États-Unis sous Reagan et au Royaume-Uni sous Thatcher.

    2.1.Un nouveau projet d’éducation

    En 1984, le gouvernement dit s’inscrire dans le projet d’éducation permanente du rapport Jean, tout en indiquant que la nouvelle conjoncture

    allait, cependant, obliger à réévaluer les priorités avancées en matière de populations cibles et de type de formation à privilégier, de même que les modes d’organisation et fonctionnement à mettre en place pour atteindre, à moindre coût, les objectifs de développement qui touchent aussi bien les personnes que la collectivité québécoise dans son ensemble (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 1984, p. V).

    Une réévaluation des politiques de sécurité sociale et de gestion du marché du travail est amorcée. Elle conclut que les mesures dites de filet de protection sociale sont trop importantes par rapport aux mesures actives du marché du travail qui doivent être renforcées (De Granpré, 1989). On comprend alors l’insistance mise sur la formation professionnelle comme outil d’insertion et de réinsertion sociale et sur l’importance de soutenir le développement de la formation en milieu de travail qui, à la lumière de différentes études, est trop peu développée dans les entreprises canadiennes et surtout québécoises. Ainsi, le gouvernement adopte de nouvelles orientations qui s’éloignent des recommandations du rapport Jean à plusieurs égards, à commencer par l’attention mise sur la formation professionnelle et sur l’obtention de qualification, qui

    apparaît vraiment comme le point de convergence des besoins vitaux de la personne et des exigences d’une société en devenir. Elle concilie le développement de la personne et le développement de la collectivité puisqu’elle vise la plus haute qualité des ressources humaines (MEQ, 1984, p. 19).

    2.2.La professionnalisation de l’éducation des adultes

    À la suite de l’adoption de la nouvelle orientation axée sur les formations qualifiantes, la problématique forte de la période est celle de l’articulation entre éducation et économie. Il s’agit de modifier ou de créer divers dispositifs d’articulation des deux champs dans la volonté de soutenir le développement des qualifications. L’action publique prend plusieurs formes qui touchent principalement les secteurs de la formation professionnelle et technique, de la formation en entreprise et de celle des personnes sans emploi.

    Une restructuration institutionnelle est amorcée dès 1984 avec le transfert de la responsabilité de la formation professionnelle du secteur de l’éducation vers celui de la main-d’œuvre. La Direction générale de la formation professionnelle (DGFP) au sein du ministère de la Main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu (MMSR) met en place une série de programmes visant à favoriser le retour au travail des personnes sans emploi. Le gouvernement va renforcer ce qui est appelé le «réseau de la main-d’œuvre» qui agit en interaction avec le réseau de l’éducation. D’une part, on crée la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (SQDM), qui deviendra quelques années plus tard la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT)⁷, dont les membres du conseil d’administration proviennent du ministère de l’Emploi, de celui de l’Éducation, des milieux patronaux, syndicaux, communautaires et du réseau de l’éducation. En parallèle, une politique de développement régional et une politique d’interventions sectorielles contribueront à remodeler la carte de l’EFA.

    Cette nouvelle instance intermédiaire reçoit le mandat d’assurer la gestion unifiée des services de développement de la main-d’œuvre, y compris ceux découlant du fédéral par la concertation des différents milieux. La SQDM créée des instances régionales afin d’arrimer les programmes et services de main-d’œuvre aux besoins de développement régional et développe une approche sectorielle de développement de la main-d’œuvre par la consolidation du modèle des comités sectoriels de main-d’œuvre (CSMO). Vingt-neuf comités sectoriels dans autant de secteurs économiques seront ainsi créés avec le mandat de soutenir les entreprises dans la planification de leurs formations, d’articuler les liens entre formation et emploi et de contribuer à créer une offre de formation⁸.

    L’objet est bien de construire différentes articulations entre éducation et économie. Le soutien de la formation en entreprise et son développement sont d’abord assurés par des programmes incitatifs comme les subventions à la réalisation d’activités et des mécanismes fiscaux. Toutefois, les politiques de résorption du déficit public conduiront à l’abandon des subventions directes, au tournant des années 1990 au Québec, le changement de gouvernement conduira à un renouvellement de stratégies: l’incitation ne fonctionnant pas, elle sera remplacée par l’obligation d’investir dans la formation de leurs salariés. Le gouvernement démarre une consultation auprès des acteurs concernés. Un compromis est trouvé: les entreprises, à l’exception des petites, devront investir 1% de leur masse salariale dans la formation de leurs employés. Elles seront les maîtres d’œuvre des plans de formation en l’absence d’instances formelles de consultation au sein des organisations. L’application de la mesure sera progressive. Le projet de loi 90 est voté en 1995.

    En parallèle, la FPT fait l’objet d’une réforme. Les contenus de formation sont revus selon de nouveaux objectifs afin de s’adapter aux changements dans de très nombreuses fonctions de travail. L’approche par compétences est aussi mobilisée pour améliorer l’adéquation de la formation aux besoins du marché du travail. De nouvelles formules pédagogiques comme des stages en milieux de travail, l’alternance études-travail et la formation à distance sont également introduites dans la formation technique. Une recherche d’harmonisation de la FPT est instaurée afin d’arrimer l’orientation et les objectifs de la formation professionnelle et technique dans un «nouvel engagement» du système scolaire vers le développement du «moteur du progrès»: la main-d’œuvre (MEQ, 1993). Ce plan marque l’autonomisation de la FPT de l’EFA avec la création d’un véritable système de formation professionnelle intégrant les jeunes et les adultes (Payeur, 1994).

    La structure des diplômes est également réformée. En formation professionnelle, les filières des programmes courts et longs sont remplacées par de nouveaux menant au diplôme d’études professionnelles (DEP). Avec la fusion de la formation professionnelle des jeunes et celle des adultes (en 1987), l’âge moyen des élèves se situe entre 27 et 28 ans. Ainsi, dans les faits, la formation professionnelle devient un lieu de formation où les adultes constituent la majorité des élèves. Au niveau collégial, les établissements peuvent désormais élaborer localement des programmes de formation dans leurs domaines techniques reconnus et les sanctionner par des attestations d’études collégiales (AEC). Ces dernières vont largement être utilisées pour la formation des salariés et en soutien aux stratégies de formation des entreprises. Les programmes menant à ce titre accueillent aussi des personnes sans emploi. En d’autres mots, les AEC contribuent à orienter la formation collégiale vers la formation en milieu de travail et la formation des personnes sans emploi. Cette tendance est amplifiée par la décision du gouvernement de faire payer des droits de scolarité aux étudiants des cégeps inscrits à temps partiel. De plus, les cégeps ont peu à peu abandonné la formation préuniversitaire offerte le soir.

    À l’université, la situation est quelque peu différente. Les étudiants de l’école du soir sont toujours nombreux. Les personnes de 25 ans et plus ont constitué jusqu’à 55% (milieu des années 1980) de l’effectif global des universités québécoises. Cette proportion a connu une diminution dans les années 1990 à la suite de l’augmentation des droits de scolarité décrétés par le gouvernement entre 1990 et 1992.

    Le secteur de l’éducation populaire subit également d’importants changements. Son enveloppe budgétaire augmente brièvement avant de subir des coupures successives. Les modalités de financement des OVEP changent pour cibler spécifiquement les services d’adaptation au travail et de développement de l’employabilité dans les services externes de main-d’œuvre (SEMO). De nombreux organismes d’éducation populaire modifient ainsi leur mission afin de bénéficier de financement. D’autres mesures sont aussi mises en œuvre afin de favoriser l’insertion professionnelle pour les chômeurs et les prestataires d’aide sociale au détriment de l’éducation à caractère social et culturel.

    La formation des personnes sans emploi continue de faire l’objet d’achats de cours dans les institutions publiques par les organismes de gestion du marché du travail, comme Emploi-Québec et l’assurance-emploi⁹. Toutefois, ces achats feront l’objet de fluctuations annuelles de différentes amplitudes selon les priorités budgétaires des gouvernements, dont la lutte contre le déficit public.

    D’autres interventions sont aussi mises en œuvre pour soutenir l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, en particulier ceux en difficulté comme les décrocheurs. Planifiées au départ sur une base temporaire, elles furent rapidement transformées en interventions permanentes. Les établissements publics, spécialement les commissions scolaires, sont interpellés. Des centres de formation pour raccrocheurs sont créés et les centres de formation des adultes, comme les centres de formation professionnelle, sont aussi mobilisés dans cette lutte contre le décrochage, alors que l’obtention du diplôme de la fin du secondaire est de plus en plus considérée comme le seuil minimum (Doray et Bélanger, 2014).

    Les institutions d’enseignement sont appelées à transformer l’action des services d’éducation des adultes, traditionnellement centrée sur les individus, en services en entreprise. L’économie générale de l’éducation des adultes s’en trouve modifiée. En effet, un autre changement important est le développement d’un nouveau modèle pédagogique pour la formation en entreprise: la formation sur mesure (FSM). Issue d’une entente sur le financement de la formation des adultes entre les gouvernements fédéral et provincial, la FSM consiste en des activités de formation élaborées à la suite d’une demande d’une entreprise. Ce modèle se développe progressivement dans les commissions scolaires et les cégeps, qui ajustent leur modèle pédagogique pour répondre aux demandes de formation des entreprises. Des changements organisationnels sont mis en œuvre. Dans plusieurs établissements, les SEA font place à de nouveaux services: les services aux entreprises (SAE). Autofinancés, les SAE se sont rapidement positionnés comme des organisations quasi privées consacrées à la formation pour les entreprises (Bernier, 2011; Doray et Bélanger, 2005).

    Ainsi, au cours de la période, on assiste à la professionnalisation de l’EFA avec l’émergence d’un véritable réseau de la main-d’œuvre impulsé par un nouveau projet d’éducation permanente. Ce réseau favorise le rapprochement entre éducation et travail dans une perspective de retour à la croissance économique¹⁰. La notion de droit à l’éducation prend dès lors la forme d’un droit à une qualification pour intégrer le marché du travail. Alors que l’école du soir et l’éducation populaire étaient les secteurs emblématiques de la période précédente, la formation en entreprise et la formation des personnes sans emploi prennent le devant de la scène avec l’ensemble des changements institutionnels et organisationnels entrepris depuis le milieu des années 1980.

    3.La troisième période: apprendre tout au long de la vie (2002-2007)

    À la fin des années 1990, une nouvelle réforme de l’éducation se met en branle à la suite de la tenue de la Commission des États généraux sur l’éducation. Amorcée en 1996, la réforme Prendre le virage du succès confirme le tournant du début des années 1990 vers des politiques de la réussite. Celles-ci transforment le sens de la justice scolaire en insistant non seulement sur les inégalités d’accès, mais aussi sur les inégalités de persévérance et de réussite. Une politique de l’éducation des adultes et de la formation continue sera élaborée dans le cadre de la réforme et publiée en 2002. La politique marque deux changements majeurs. D’abord, elle s’inscrit explicitement dans le projet d’éducation et de formation tout au long de la vie (EFTLV), qui devient central au système d’éducation. Ensuite, elle marque le passage des actions publiques en EFA de la gestion de l’offre vers l’expression de la demande de formation. Ces changements sont au cœur d’une nouvelle tentative de retour à la croissance axée sur l’«économie du savoir» et de l’introduction de nouvelles modalités de gestion de l’administration publique inspirées de la nouvelle gestion publique.

    Dès la seconde moitié des années 1990, la lutte contre le déficit budgétaire et la modernisation de l’État québécois deviennent les priorités de l’action gouvernementale. Bénéficiant d’une reprise économique relative et de l’accentuation de la mondialisation, les gouvernements successifs chercheront à réduire les dépenses publiques en modifiant les différents programmes gouvernementaux et à alléger les structures étatiques. On cherche alors à rajeunir et à dynamiser l’appareil de l’État pour qu’il puisse répondre aux impératifs de la mondialisation des marchés. Un nouveau cadre de gestion de la fonction publique est adopté, prévoyant la responsabilisation des gestionnaires et l’introduction de la gestion axée sur les résultats (Ministère des Finances du Québec [MFQ], 1999). Plusieurs modifications législatives, administratives et normatives seront mises en œuvre à cet effet, dont la création d’un guichet unique de services pour les citoyens (Services Québec), le développement de services en ligne, l’intégration des services administratifs dans une nouvelle structure, le Centre de services partagés, et l’adoption d’une politique de gestion de la performance (Pétry, Bélanger et Imbeau, 2006; Rouillard et al., 2008). Malgré l’ampleur des réformes prévues, la forte opposition de différents groupes de pression limitera grandement les changements de l’appareil étatique, et le déficit public connaîtra une hausse marquée pendant la décennie 2000. En EFA, l’adoption, en 2002, de la politique gouvernementale de l’éducation des adultes et de la formation continue soulève beaucoup d’espoir. Ce sera pour une courte durée, car la lancée de la professionnalisation marque toujours les actions publiques.

    3.1.Une politique d’éducation des adultes et de la formation continue

    En 2002, la politique gouvernementale est adoptée; il s’agit de la dernière politique sectorielle de la grande réforme Prendre le virage du succès. Faisant suite à la publication de plusieurs rapports d’étape et de consultations, elle vise la création d’une véritable culture de la formation dans la société québécoise. Malgré les difficultés de dégager des consensus entre, d’une part, les acteurs au sein de l’appareil d’État (acteurs éducatifs/acteurs de la gestion du marché du travail) et, d’autre part, les décideurs publics, les acteurs de la société civile et ceux du champ économique, la politique prévoit un ensemble d’orientations qu’il est possible de synthétiser autour des idées suivantes:

    •Assurer l’accès à la formation de base, à des formations en réponse à la demande individuelle et à des formations à certains groupes sociaux comme les immigrants, les Autochtones, les personnes handicapées, les agriculteurs et les jeunes adultes sans qualification, ainsi que les personnes de plus de 45 ans qui sont sur le marché du travail.

    •Reconnaître la contribution des différents secteurs de formation: l’éducation populaire, le système scolaire, les entreprises et les formateurs privés.

    •Assurer la disponibilité des ressources, notamment financières, afin de tenir compte de l’augmentation de la demande (en prenant en considération différentes

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