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Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté: Concepts, figures et pratiques
Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté: Concepts, figures et pratiques
Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté: Concepts, figures et pratiques
Livre électronique626 pages7 heures

Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté: Concepts, figures et pratiques

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À propos de ce livre électronique

En regard de la responsabilisation et de l’autonomie exigées de la part des jeunes, cet ouvrage veut à la fois tracer les contours des expériences que vivent les jeunes en difficulté dans leur passage à la vie adulte, mais aussi cerner les modalités de régulation de ce passage.
LangueFrançais
Date de sortie5 déc. 2011
ISBN9782760532052
Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté: Concepts, figures et pratiques
Auteur

Martin Goyette

Martin Goyette est professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP), titulaire du volet Santé & Bien-être de la Chaire réseau jeunesse (CRJ-SBE). Il dirige actuellement l’Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJeP) et il est co-responsable de l’implantation d’un nouveau modèle d’organisation de services en santé mentale jeunesse (Aire ouverte) au CISSS de Laval. De surcroît, ses travaux portent notamment sur la scolarisation des jeunes placés, la participation des jeunes dans l’organisation et la dispensation des services ainsi que l’analyse des formes d’interventions publiques, l’analyse des réseaux sociaux et l’action intersectorielle jeunesse. Sur le plan international, Martin Goyette participe activement aux activités de l’INTRAC (International Research Network on Transitions to Adulthood from Care), un réseau de chercheur sur le devenir des jeunes placés.  

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    Aperçu du livre

    Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté - Martin Goyette

    Canada).

    INTRODUCTION

    LES TRANSITIONS À LA VIE ADULTE

    DES JEUNES EN DIFFICULTÉ

    Martin Goyette et Céline Bellot

    Si l’intégration des personnes et des groupes dans la société, notamment des populations vulnérables, a toujours été au cœur de l’intervention sociale et des politiques publiques, cette préoccupation prend une couleur particulière depuis le milieu des années 1970. En effet, de nouveaux segments de la population se sont retrouvés en situation de vulnérabilité, à la suite notamment des mutations sociales, provoquées par la restructuration de l’État-providence, la transformation du marché du travail et la métamorphose de la famille. Parmi ces populations, les jeunes se sont retrouvés au cœur des préoccupations des politiques publiques, dans la mesure où le passage à la vie adulte se trouvait bouleversé par les mutations dans le champ du travail et de la famille (Autès, 1999).

    1. LA TRANSFORMATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL

    Depuis la crise pétrolière de 1973 et les tendances de la mondialisation, le marché du travail des pays occidentaux a connu de nombreuses transformations s’orientant vers une économie du savoir, vers une flexibilité de l’emploi et une précarisation des emplois les moins qualifiés. Dans ce contexte, les jeunes issus des milieux populaires, ou ceux ayant connu des difficultés de vie dans leur enfance, vont être les premiers à subir de plein fouet ces bouleversements, s’enfonçant dans un chômage de masse qui ne leur permet plus de passer à une vie adulte indépendante.

    Ainsi, dans le monde occidental, Châtel (2003, p. 7) constate une fracture entre deux mondes face à cette nouvelle exigence de la flexibilité et de la mobilité:

    d’un côté, ceux qui surfent sur cette vague de la mobilité, si ardemment revendiquée par la sphère économique; de l’autre, ceux qui sont plus rétifs, non pas à l’investissement dans le travail, mais à une mobilité géographique permanente ou à une flexibilité imposée et qui deviennent dès lors des victimes de cette souplesse des cadres, la flexibilité se transformant en précarisation.

    Les jeunes vont dès lors faire l’objet des préoccupations des politiques publiques, notamment par le biais de différentes mesures d’insertion socioprofessionnelle qui visent à les raccrocher au marché du travail, en renforçant leur employabilité afin qu’ils deviennent autonomes et puissent aspirer à la vie d’adulte indépendant dont ont bénéficié leurs parents en s’ancrant dans le marché du travail.

    Frappés par cette difficile insertion sur le marché de l’emploi, les jeunes vont devoir aussi affronter des mutations dans la famille, mutations qui vont bouleverser les supports et les ressources dont ils auraient besoin.

    2. LES TRANSFORMATIONS DE LA FAMILLE ET DES SUPPORTS OFFERTS

    La famille a connu deux évolutions majeures qui, de manière contradictoire, affaiblissent et renforcent le passage à la vie adulte des jeunes. D’une part, l’effritement du lien conjugal et des valeurs qui s’y rattachent ont marqué l’apparition de nouvelles familles monoparentales, homoparentales et recomposées, brouillant ici les repères normatifs. D’autre part, la vie familiale s’est individualisée et démocratisée, laissant de côté la hiérarchie parents-enfants, et la dimension communautaire, à tel point que l’on a nommé le nouveau modèle familial la famille relationnelle (de Singly, 1999).

    Dans ce contexte, le jeu normatif est inversé puisque les individus attacheront davantage d’importance à des relations authentiques et à l’autonomie plutôt qu’à des relations hiérarchisées, ancrées dans des contraintes économiques et institutionnelles. Ainsi, la famille est à la fois plus fragile et attachante, dans la mesure où son instabilité est réelle, mais la possibilité de s’y épanouir de manière individuelle existe aussi. C’est dans ce contexte que les jeunes devront faire l’apprentissage de leur construction identitaire, en gérant les incertitudes liées aux supports et aux ressources que peut leur fournir leur famille dès lors que celle-ci se maintient. Par ailleurs, le tissu social des individus se compartimente davantage; ce n’est plus seulement la famille qui structure le réseau social des individus, mais d’autres gens, comme des collègues, voisins, amis (Dandurand et Ouellettte, 1992; Fortin, 1987).

    Dans cet environnement de transformation des supports, pour Castel (2003a, p. 60-61), «on peut faire l’hypothèse qu’il faudrait réaffilier ces individus en leur procurant des supports, les supports classiques ou de nouveaux supports. […] Cette nouvelle conjoncture nous met en présence de situations inédites et nous n’avons pas a priori de recettes pour les affronter¹.»

    Dans le cadre de ces transformations sociales, les analyses de la jeunesse mettent en avant le fait que la notion d’insertion reflète davantage les réalités du processus du passage à la vie adulte, qui se manifestent par un processus en yoyo, d’avancées et de reculs remettant en question l’intégration automatique des décennies précédant les années 1975. Dans cette perspective également, chacune des transitions du passage à la vie adulte – l’insertion résidentielle, l’insertion professionnelle et la création d’une nouvelle famille – se vit au travers de ce processus relativement incertain, fait d’avancées et de reculs. Ainsi, dans la sociologie de la jeunesse, l’avènement du concept d’insertion met aussi l’accent sur les marges de manœuvre des jeunes face aux contraintes des structures sociales. De plus, devant les difficultés d’accès à une intégration entière et stable, se dessinent de nouvelles possibilités, du fait justement de l’affaiblissement relatif du pouvoir intégrateur des normes sociales. S’intéressant à la constitution du soi et à celle de l’identité, Giddens (1987) et Beck (1992) rappellent ainsi que, dans les sociétés modernes, la sécurité d’une identité donnée n’existe plus. Au contraire, les individus sont appelés sans cesse à négocier leur identité. Ce travail de négociation devient pour Giddens «un projet réflexif du soi».

    Ce positionnement problématique ouvre sur la compréhension de l’expérience des jeunes dits en difficulté et l’analyse des formes d’intervention relatives à la gestion des vulnérabilités produites par les transformations sociales et celles de l’État. Appartenant à une catégorie exemplaire, car fortement affectée par la précarisation et la flexibilisation du monde du travail, les jeunes doivent tout autant s’adapter aux nouvelles exigences de l’insertion sociale et professionnelle que se conformer aux nouvelles limitations et exigences de l’action publique. La problématique étant posée, nous voulons dépasser le regard uniforme et fataliste porté sur les difficultés des jeunes pour tenir compte de leur qualité d’acteur dans leur processus de transition et de la diversité des situations d’insertion vécues de manière dynamique au-delà de certains travaux qui abordent les jeunes en tant que victimes incapables et qui s’attardent surtout à leurs difficultés personnelles dans une perspective psychologisante.

    En outre, compte tenu de l’importance de l’insertion professionnelle – du travail – dans nos sociétés modernes, plusieurs travaux se sont intéressés aux jeunes sous le prisme de cette transition. De même, d’autres travaux portent davantage sur la réunification familiale de jeunes en difficulté, sur les contacts avec leur famille d’origine et la création d’une nouvelle famille. Ces travaux sont intéressants, mais la particularité de ceux présentés ici est qu’ils envisagent la jeunesse de manière multidimensionnelle et composée de plusieurs transitions interdépendantes. Inscrits dans la tradition de la sociologie de la jeunesse, nous jugeons néanmoins essentiel de traiter les difficultés des jeunes en les confrontant au contexte social dans lequel elles se manifestent, sans les occulter. Rapprocher les expériences de jeunes en position sociale de vulnérabilité de celles mieux dotées en ressources de toutes sortes permet ainsi de relativiser l’injonction à l’autonomie à l’égard des jeunes en difficulté.

    En effet, les nouvelles exigences, mises de l’avant par l’action publique, telles que la responsabilisation et l’autonomie, l’implication, la mise en projet, la participation et la reconquête de soi, colorent les interventions auprès des jeunes au point que l’aide est devenue conditionnelle (Mayer et Goyette, 2000; Merrien et al., 2005). Ainsi, les jeunes doivent montrer des qualités morales et relationnelles, faire preuve de motivation et se mettre en mouvement dans une logique de projet d’insertion pour pouvoir bénéficier du support de l’État dans leur passage à la vie adulte (Dufour et al., 2003; Groulx, 2005). Ces aides sont en outre elles-mêmes inscrites dans une dynamique accentuée de reddition de comptes à l’État quant à leurs résultats (Goyette et al., 2009; Jetté, 2008). Ainsi, les jeunes doivent être flexibles et polyvalents, en somme être performants, tout comme les actions publiques menées à leur endroit (de Gaulejac, 2005).

    Dans ce contexte, l’objectif de cet ouvrage est à la fois de tracer les contours des expériences que vivent les jeunes en difficulté dans leur passage à la vie adulte, mais aussi de cerner les modalités de régulation de ce passage, en regard de la responsabilisation et de l’autonomie exigées de la part des jeunes. Cette problématique générale étant exposée, il est temps d’expliciter la structure de cet ouvrage.

    La première partie du livre a pour objectif de faire le point sur les réflexions sur les différents cadres d’analyse et concepts susceptibles d’éclairer le regard compréhensif sur ces expériences de transition à la vie adulte et sur les modalités d’intervention dont sont l’objet les jeunes. La deuxième partie s’intéresse à mettre en valeur certains parcours de jeunes dans cette quête d’autonomie afin de circonscrire des figures de transition pour mieux comprendre les processus vécus par les jeunes. Enfin, la troisième partie vient compléter ce regard en s’intéressant à différentes interventions mises en œuvre pour soutenir les jeunes.

    Dans la première partie, le chapitre initial de Jacques Moriau, «Sois autonome! Les paradoxes des politiques publiques à destination des jeunes adultes en difficulté», traite de la situation des jeunes belges. Si les analyses sur «une jeunesse» doivent être contextualisées socialement, Moriau situe les grandes tendances «de l’allongement de la jeunesse» en Europe, caractérisé par la désynchronisation des transitions et un report de l’accès à l’indépendance financière. Or, pour l’auteur, il faut tenir compte des jeunes selon qu’il s’agit, pour certains, d’un report de la décohabitation familiale afin de poursuivre des études supérieures, ou pour d’autres, sans emploi, d’une période d’attente. Dans ce prolongement, Moriau explique comment les politiques publiques visent les jeunes sous-scolarisés pour les responsabiliser, pour qu’ils se mettent en projet, dans la continuité d’une sémantique de l’empowerment. Or, au lieu de favoriser l’autonomie, Moriau souligne que ces politiques ne parviennent souvent qu’à confronter l’individu à ses propres limites quand, pourtant, c’est aussi «l’environnement structurel» qui est pauvre en opportunités. À partir de son constat, l’auteur appelle à ce que des politiques multidimensionnelles soient mises en œuvre, non pas seulement autour de l’activation de la main-d’œuvre, à l’instar de plusieurs analyses québécoises menées depuis une dizaine d’années (Goyette et al., 2006).

    Le deuxième texte de Marc Molgat, «De l’âge adulte émergent aux transitions: comment comprendre la jeunesse d’aujourd’hui?», analyse de manière critique l’engouement en faveur du discours de «l’âge adulte émergent» en mettant en avant l’importance d’appréhender la jeunesse à partir des contextes historiques et culturels propres à chacune des sociétés. Cette analyse est soutenue par la présentation de trois figures de jeunes en difficulté. Derrière cette critique, l’auteur fait ressortir l’importance de la notion de transition afin de mieux comprendre la particularité des différentes jeunesses situées culturellement en fonction des divers soutiens sur lesquels elles peuvent compter. Il s’agit aussi d’une critique forte des interventions sociales et politiques publiques qui, centrées sur la théorie de l’âge adulte émergent, mettent en place des interventions individualisantes, voire psychologisantes.

    Le troisième chapitre de Martin Goyette termine la première partie de l’ouvrage. «Dynamiques relationnelles dans les transitions à la vie adulte de jeunes en difficulté» lie une analyse des transitions à celles des relations sociales. Le cadre de compréhension proposé tient compte des effets de l’intervention sociale sur les jeunes, en considérant les diverses interactions entre agents et membres du réseau personnel du jeune. Il aborde la question de l’activation des relations sociales pour soutenir le passage à la vie adulte, et ce, au-delà d’une analyse globale et allusive du lien social. Face à des politiques publiques qui tendent à faire de l’autonomie un projet de vie pour les jeunes sans les autres, cette analyse montre comment au contraire l’insertion se réalise en s’appuyant sur eux.

    Le quatrième texte, de Myriam Thirot, débute la seconde partie du livre sur les figures de jeunes en difficulté. À partir d’un terrain de recherche réalisé en France, Myriam Thirot montre comment une jeunesse ordinaire peut être confrontée à des difficultés dans les transitions vers la vie autonome. En effet, si la situation des jeunes en France et celle des jeunes au Québec sont différentes à plusieurs égards, notamment parce que la structure sociale autant que celle du marché du travail sont distinctes, il ressort que les jeunes français interrogés sont confrontés à des blocages persistants dans l’accès au marché du travail même s’ils ont la volonté de s’insérer et sont entourés de leur famille. Selon l’auteure, ils sont néanmoins bloqués dans leur processus d’autonomisation et leur sociabilité semble celle d’adolescents, bien que nous parlions de jeunes dans la vingtaine. L’analyse de l’auteure, s’appuyant sur celle de Van de Velde, met ici encore l’emphase sur le rôle des acteurs sociaux et de l’entreprise afin de créer les opportunités favorisant un processus d’autonomisation.

    Le cinquième texte, «Dynamiques de continuité dans les trajectoires d’autonomisation des jeunes femmes», prend lui la figure des jeunes femmes dites à risque de s’inscrire dans un processus de création d’une nouvelle famille. Martin Goyette et Marie-Ève Turcotte montrent ainsi comment une lecture en termes de bifurcation et de réversibilité permet de sortir d’une perspective normative de la maternité précoce. Si certaines des jeunes femmes rencontrées sont aux prises avec des difficultés généralisées dans leur transition vers l’autonomie, la maternité peut, sous certaines conditions, permettre de devenir un tremplin pour les femmes dans une reprise en main de leur vie. Bien sûr, ici, il s’agit d’une forme de report des étapes normées de la transition. Mais dès lors qu’elles sont entourées de soutiens communautaires (services de garde subventionnée, accès à des programmes alternance école-travail, etc.), ces femmes progressent vers une dynamique constructive dans les transitions à la vie adulte.

    Les deux derniers textes de cette partie s’intéressent au devenir de jeunes autochtones, jeunesses qui sont confrontées à une réalité difficile où généralement la littérature renvoie aux environnements déstructurés et pathologiques. Ici encore, sans nier les difficultés auxquelles les jeunes sont confrontés, ces deux contributions dépassent ce regard.

    À partir d’une méthodologie originale, Marie-Pierre Bousquet s’intéresse à la manière dont des jeunes autochtones se projettent sur Internet. Comment les jeunes autochtones passent-ils du statut de jeune à celui d’adulte? Le texte «Les blogues des jeunes amérindiens au Québec: projection de soi et lien social sur Internet» s’appuie sur la représentation que ces jeunes donnent d’eux sur Internet. Plus les jeunes avancent en âge, plus ils délaissent l’image projetée de la fête et du risque, de la violence et de l’hypersexualisation, image en continuité d’une culture hip-hop américaine violente et misogyne. Chez les plus de 25 ans, l’image projetée est plus politisée et l’identification à la culture anicinape et l’attachement à leur filiation et à leur langue davantage affirmée. À l’instar d’autres travaux, Bousquet remarque par ailleurs que le travail, qui est au cœur du passage à la vie adulte en Occident, n’est pas un marqueur du passage à la vie adulte pour les Autochtones. Et puisque l’indépendance économique des jeunes et l’accès à un logement autonome sont difficilement atteignables, compte tenu du contexte de dépendance des communautés (facteurs structurels), l’accès à une vie adulte conventionnelle, entourée de sa famille et de ses enfants et ancrée dans sa culture et sa communauté, renvoie pour l’auteure à une réalisation vers la mi-vingtaine.

    Pour sa part, David Lessard aborde justement dans son texte, «Les aspirations pour l’avenir des jeunes Cris de la Baie James: devoir contenter une communauté», les espaces d’expression des jeunes. Le milieu du travail, l’espace de l’intervention sociale ainsi que les groupes de pairs sont analysés autant comme lieux d’expression des rêves et projets que comme espaces de contrôle social de la part des adultes de la communauté à partir de critères de réussite de la société euro-canadienne. Si au travers du travail, les jeunes sont confrontés à une injonction de s’en sortir en s’appuyant sur la scolarisation et sur un travail qui les rendent indépendants financièrement, cet épanouissement doit, la plupart du temps, permettre de redonner à la communauté, de la reconstruire. Double injonction dans la sphère du travail qui voit les jeunes leaders des communautés partir et travailler pour la communauté afin de mieux servir. L’intervention sociale auprès des jeunes est omniprésente chez les Cris de Mistassini et les infrastructures sont importantes et diversifiées. Les médiums centrés sur les messages de l’église, portant sur l’importance de trouver sa voie au travers de l’adversité des difficultés personnelles, côtoient d’autres interventions issues des métiers du social centrées sur les bonnes conduites et une meilleure hygiène de vie. Lessard souligne le paternalisme de ces interventions qui occultent le fait que la communauté soit au cœur de ces problématiques, bien au-delà de la responsabilité attribuée à la jeunesse. Enfin, les groupes de pairs sont aussi analysés comme lieu de contrôle par les adultes et les autorités, même si plusieurs avouent que ce sont des lieux essentiels de socialisation qui ont toujours existé sous cette forme dans la communauté. L’auteur termine en soulignant les défis auxquels les Cris sont confrontés, les jeunes constituant un groupe important pour les décisions de la communauté.

    La troisième partie du livre témoigne d’une manière critique de pratiques sociales et d’actions publiques qui touchent la jeunesse en difficulté. Elle est composée de sept contributions. La première témoigne d’une démarche participative entre le milieu universitaire et le réseau des Auberges du cœur. Jean-François René, Michelle Duval et François Labbé, avec «La recherche participative avec un partenaire communautaire: l’exemple des Auberges du cœur pour jeunes en difficulté», montrent les fondements de la recherche participative et le travail itératif de longue durée, nécessaire à la prise en compte de l’expertise des intervenants dans la démarche de recherche et aux changements de pratiques des acteurs de l’intervention. Cette manière de développer l’intervention s’inscrit en décalage avec la pratique des données probantes qui implante de manière top down les programmes experts rigides. Elle a permis dans ce cas une remise en question des pratiques favorisant l’affiliation des jeunes recevant des services des Auberges du Cœur à partir d’une vision critique de l’autonomie. Ce texte aborde donc autant le contenu de l’intervention que le processus (le contenant) menant à leur implantation, deux facettes importantes pour comprendre l’innovation dans le secteur de la jeunesse.

    Ce souci du processus est également au cœur du chapitre d’Annie Fontaine sur le travail de rue. Son article, «Le travailleur de rue, passeur et médiateur dans la vie des jeunes», prend le parti de situer l’autonomie en tant que reconnaissance de l’autodétermination des individus basée sur un principe d’intervention non directive respectueuse du processus du jeune et du rôle de l’intervenant qui devient un passeur. Un passeur au cœur d’un processus dialogique qui peut permettre au jeune de trouver sa voie et de réfléchir sur ses actions, mais qui ne traite pas le jeune en symptôme ou en problème. Ainsi, le travail de mise en lien du travailleur de rue prend du temps autant dans la création de la relation avec son environnement de travail qu’avec les jeunes qui occupent l’espace public. Cet accompagnement personnalisé, qui ne doit pas être fusionnel, doit conserver le lien avec le jeune puisque l’univers de l’intervention est parfois morcelé en divers problèmes. L’auteure aborde enfin la question de la reconnaissance du travail de rue comme pratique holistique originale complémentaire, mais distincte des structures d’intervention institutionnelle. Une histoire d’autonomie.

    Le troisième texte de cette partie aborde la question de l’autonomie à partir des processus d’insertion socioprofessionnelle des jeunes mères. Il s’agit d’une contribution de Geneviève Turcotte et Jean-François René qui présente «Le projet MAP ou le difficile parcours vers l’autonomie de femmes chefs de familles monoparentales avec jeunes enfants». Cette approche multidimensionnelle de la pauvreté et de l’exclusion sociale, qui dépasse les mesures d’activation de la main-d’œuvre, est présentée du point de vue de son évaluation afin de dégager les pratiques les plus prometteuses pour l’intervention et l’action publique. Dans cette perspective, au-delà du travail sur le retour aux études ou à l’emploi, au-delà du travail sur le «soi» des mères, il s’agit d’enrichir les milieux de vie afin que les femmes aient les opportunités et les supports nécessaires à leur mise en action. En effet, la perspective méthodologique utilisée permet d’envisager la trajectoire des femmes comme une étude de cas et d’analyser ainsi les particularités du contexte et l’effet de ce dernier sur la trajectoire. Ainsi, un des résultats de cette étude souligne l’importance du réseau informel des femmes en tant que soutien essentiel aux titres d’encouragement, de modèles et d’accès à des ressources.

    Le quatrième étude de cette partie s’intéresse aux pratiques artistiques et à la construction identitaire chez les jeunes adultes en situation d’insertion socioprofessionnelle. Christophe Pittet analyse ainsi une pratique d’intervention mise en place en Suisse dans le cadre du dispositif d’activation de la main-d’œuvre. Mais ici, les personnes sont souvent éloignées du marché du travail et l’intervention vise la création d’habiletés transférables. Au final, ces pratiques sont considérées à la fois comme «une ressource disponible pour maintenir sa place dans la société à travers la création artistique dans une visée de la construction d’une forme d’autonomie» et comme une instrumentalisation de l’art par les politiques d’insertion.

    Le cinquième texte de cette partie, «Accompagner la jeunesse à prendre place: rap et construction identitaire», de Véronique Bordes, s’éloigne d’une lecture micro des transitions individuelles pour analyser la jeunesse en tant que ressource potentielle de changement et d’innovation des politiques publiques en France. À partir d’un regard historique sur les rapports entre jeunes et politiques locales en direction de la jeunesse, l’auteure illustre comment le positionnement des uns et des autres offre des configurations particulières quant à la mise en valeur des actions des jeunes. Ces analyses montrent l’importance de ne pas lire de manière figée le rapport entre le jeune et l’action publique, les tensions et les conflits étant ainsi constitutifs d’une dynamique constructive, constamment négociée. Dans cette perspective, entre menace et innovation, la pratique du rap est analysée comme contribuant à la construction identitaire et à la socialisation.

    Le sixième texte de Pierre Keable, Claire Malo et Jean-Marie Daigneault présente «Le programme de réinsertion sociale du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire: ses bases conceptuelles, sa structure et un suivi de son implantation». Ce «programme» est ainsi un effort de conceptualisation de l’ensemble de l’offre de services de l’organisation afin de favoriser le passage à la vie adulte des jeunes qui reçoivent des services de l’organisation. Il se déploie en tant que parapluie afin d’encadrer les diverses initiatives et projets que les intervenants ont portés sur leurs épaules. À l’instar d’autres initiatives sur le plan provincial, tel le Programme qualification des jeunes (PQJ) de l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ), il est proposé de prendre en compte cet enjeu de la sortie dès la prise en charge des jeunes par l’institution. On veut également mettre le jeune, ses parents et les intervenants au rang de partenaires, et ne pas concevoir le placement comme une fin en soi, au détriment d’une mise en expérimentation plus difficile à contrôler. Dans cette perspective, les auteurs présentent le processus d’émergence du programme et les enjeux qu’ils ont dû surmonter puisque les impératifs d’une intervention en termes de transition entre parfois en contradiction, d’une part, avec l’organisation historique des pratiques dans une institution et, d’autre part, avec la complexité de la gestion des partenariats «externes» essentiels au passage. Le regard évaluatif des auteurs, axé sur la fidélité de l’implantation par rapport au modèle prescrit, montre que les pratiques ont été de plus en plus conformes au fur et à mesure que l’implantation du programme avançait dans l’institution. Mais ils soulignent également les difficultés à inscrire les interventions dans la communauté avec les partenaires et à maintenir une intervention de type écologique.

    Le dernier texte de cette partie est en continuité des enjeux soulevés par le texte de Keable et ses collaborateurs. Le texte «Stratégies flexibles d’intervention pour le passage des jeunes en difficulté sociale à une vie adulte autonome et responsable», de Melendro, vise à restituer une réflexion sur les trajectoires de vulnérabilisation de jeunes en difficulté dans le développement d’une stratégie d’intervention souple pour des jeunes recevant des services des services sociaux en Espagne. Après avoir mis de l’avant le déficit de connaissance sur les meilleures pratiques dans l’intervention, il présente ce modèle en s’appuyant sur la distinction entre programme et stratégie, le premier étant bloqué dès que les conditions extérieures sont modifiées ou que l’environnement est instable. L’auteur reprend ici la notion de stratégie flexible d’Edgar Morin, une stratégie qui ne donne pas «la sécurité d’un programme achevé, fermé et prévisible». Dans cette perspective, on comprend aisément l’importance accordée à l’expertise et la formation des différents éducateurs. Dans un second temps, l’auteur expose les résultats d’une étude visant à appréhender les caractéristiques du passage à la vie adulte des jeunes en difficulté sociale qui ont participé aux programmes d’insertion socioprofessionnelle, et ce, à partir du point de vue des jeunes, des intervenants, mais aussi des employeurs. En conclusion sont abordés les principaux apprentissages pour l’implantation de ce type de programme.

    RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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    1 Castel (2003a, p. 61) ajoute que «c’est donc vraisemblablement en suivant et en analysant les manières pratiques d’essayer de faire face à ces défis sur le terrain que l’on pourra aussi approfondir la connaissance théorique de ces questions posées par la remontée de la vulnérabilité».

    P A R T I E

    1

    DES CONCEPTS IMPORTANTS

    POUR LIRE LES TRANSITIONS

    DES JEUNES EN DIFFICULTÉ

    C H A P I T R E

    1

    SOIS AUTONOME!

    LES PARADOXES DES POLITIQUES PUBLIQUES À DESTINATION DES JEUNES ADULTES EN DIFFICULTÉ

    Jacques Moriau

    Cela fait maintenant plusieurs années que la question des «jeunes adultes» est devenue une préoccupation supplémentaire pour les acteurs publics comme pour les intervenants sociaux. Pour les premiers, il s’agit d’abord d’une déclinaison inédite de la question sociale dans laquelle le problème du déficit de formation, le non-travail qui en découle et les risques associés d’exclusion sociale précoce sont prépondérants¹. Pour les seconds, les jeunes adultes représentent une nouvelle frange d’usagers qui se caractérisent par le fait d’être à la fois légalement majeurs et dénués de tous les attributs habituellement associés au statut d’adulte: indépendance, responsabilité, considération. Confrontés au délitement des mécanismes classiques d’intégration (scolarité, emploi, fondation d’une famille), ces jeunes se trouvent face à des demandes sociales, notamment énoncées en termes d’autonomie, qu’ils ne peuvent assumer. Outre des difficultés certaines à trouver des moyens d’existence, ils éprouvent également de graves problèmes à définir leur place dans une société qui ne leur en laisse guère. Cantonnés dans une jeunesse sans fin (Nagels et Rea, 2007), ils peinent à développer leurs propres projets de vie.

    Ces deux visions, les faits sur lesquels elles s’appuient et les pratiques qu’elles génèrent, ne sont évidemment pas sans points communs. Leur convergence concourt d’ailleurs à solidifier chaque jour un peu plus la catégorie des jeunes adultes. Mais les politiques publiques ciblées, souvent mises en place à destination des jeunes âgés de 18 à 25 ans, ne rencontrent pas toujours, voire accentuent, les problèmes dont les professionnels des services sociaux ont connaissance. Travailler en faveur de l’indépendance financière, par exemple, ne donne pas ou peu de réponses à la question de l’autonomie. D’un point de vue sociologique, la question des jeunes adultes ne peut se réduire à une inadéquation structurelle entre formations et emplois; elle touche à de multiples autres dimensions que nous allons tenter de mettre en lumière dans les pages qui suivent.

    1. LA JEUNESSE, CATÉGORIE FLOUE ET MOUVANTE

    Si la jeunesse n’est pas «qu’un mot²» (Bourdieu, 1984), elle n’est assurément pas non plus une catégorie naturelle. Il suffit de porter un regard rétrospectif sur les façons changeantes dont, en Occident, on a historiquement séparé les individus selon le critère de l’âge (Ariès, 1975) pour comprendre à quel point l’idée que l’on se fait de la jeunesse peut considérablement varier selon les milieux et les époques.

    Dans la société contemporaine, la réalité de la jeunesse est sous-tendue par un ensemble d’institutions sociales, de politiques publiques et de savoirs qui contribuent à établir des barrières entre les groupes d’âge, permettent la reconnaissance de catégories et façonnent les expériences typiques liées à chaque moment des trajectoires individuelles. Ainsi, la «jeunesse» se constitue à travers une série de repères partagés, qu’ils soient biologiques (puberté, croissance), culturels (la ou les cultures jeunes), juridiques (âge de la majorité légale, droit de la jeunesse) ou sociaux (attribution de droits, d’obligations et d’attentes spécifiques). Catégorie pratique, expérience vécue, la jeunesse est plus qu’un moment dans la trajectoire biographique de chacun d’entre nous. Elle est un ensemble complexe de règles, de prescriptions, d’émotions, de valeurs, d’images, qui confèrent aux individus «jeunes» une identité, un rôle à tenir au sein de la société en précisant ce que les autres (jeunes, adultes, institutions) sont en droit d’attendre d’eux et ce qu’eux-mêmes peuvent légitimement revendiquer. En ce sens, la jeunesse ne se réduit pas à des instants plus ou moins heureux, elle est aussi une façon socialement produite de régler les conduites et de gérer la succession des générations.

    Pour autant, la jeunesse comme expérience, comme processus de maturation, n’est évidemment pas un moment précisément identifiable, ni un temps équivalent pour chacun. Là où les repères légaux et administratifs, comme l’âge de la majorité légale ou la fin de l’obligation scolaire, valent pour tous et dessinent les étapes de la vie à un niveau formel, la jeunesse, elle, demeure pour chacun une période différente en temps et en contenu. Si la majorité légale marque bien l’entrée dans la responsabilité juridique et transforme les droits et obligations qui influent sur la conduite des jeunes, elle ne transforme pas magiquement et dans toutes ses dimensions un adolescent en adulte. Atteindre sa dix-huitième année ne signifie pas ipso facto que la jeunesse en tant que ressenti ou en tant que rôle social s’arrête instantanément. La majorité ne suppose ni n’exige la maturité.

    En fait, tout indique que le travail nécessaire à cette transformation du jeune en adulte, principalement porté par une série d’institutions comme la famille, l’école ou l’emploi, prend de plus en plus de temps. Non seulement, et de manière paradoxale, la jeunesse comme «façon d’être» – avec tout ce que cela peut impliquer dans le rapport à soi et aux autres – est un état largement valorisé, notamment à travers les médias, mais, de plus, les épreuves sociales qui confèrent le statut d’adulte semblent de plus en plus difficiles à franchir. Ces raisons, avec d’autres, accréditent l’idée selon laquelle nous assistons depuis quelque temps à la formation d’une nouvelle étape dans les trajectoires biographiques: une sorte de phase de transition entre l’adolescence proprement dite, marquée par la puberté, et l’âge adulte.

    Un résultat direct de cet allongement de la jeunesse est la rupture de concordance entre le seuil défini de la majorité légale, c’est-à-dire l’âge à partir duquel un jeune se voit soumis aux obligations et obtient les droits dévolus aux adultes, et les seuils sociologiquement identifiables de séparation entre l’expérience vécue de «jeune» et celle propre à l’adulte. En témoigne la recherche de nouveaux vocables ( «adulescent», «jeunes adultes»), en sociologie comme dans la vie courante, pour désigner ces modes de vie émergents caractéristiques de ce temps étiré entre ces deux pôles, de cet espèce d’entre-deux qui pourrait petit à petit devenir un nouvel âge de la vie (Galland, 1990).

    Depuis le début des années 1980 en effet, la signification du syntagme «entrer dans la vie adulte» se modifie en profondeur. Des chercheurs comme Olivier Galland (1996) ou Vincenzo Cicchelli (2001) ont mis en évidence le fait que les repères sociologiques de la transformation des jeunes en adultes devenaient soit de plus en plus difficiles à identifier, soit de moins en moins assignables à un moment précis de la trajectoire biographique des jeunes.

    Le constat est le suivant. Dans la société industrielle, qui prévalait jusque tout récemment, le passage de la jeunesse à l’âge adulte est clairement réglé aux yeux de tous par trois critères principaux: l’accès à l’emploi, le départ du logement parental, l’installation en couple. Même si le franchissement de ces différentes étapes n’est pas obligatoirement simultané et que l’âge du franchissement et la plus ou moins grande simultanéité de celui-ci sont révélateurs des différences socioéconomiques et culturelles entre les différentes strates de la population, il reste que ces changements importants se réalisent dans un laps de temps court et de façon très rapide après la fin des études. Ces trois transformations majeures de la vie du jeune marquent de façon significative son installation dans son nouveau statut: elles sont facilement identifiables, publiques, et s’inscrivent dans des dimensions pratiques ayant des conséquences importantes sur la vie quotidienne.

    La situation économique des Trente glorieuses explique en grande partie cet état de fait: le plein emploi et la particulièrement grande disponibilité d’emplois peu qualifiés permettent aux jeunes des milieux populaires de s’émanciper rapidement du milieu familial et de fonder leur propre foyer après leurs études secondaires, et ce, dans un contexte de contestation de l’autorité et de redéfinition des interactions familiales. Pour les jeunes des classes les plus favorisées, la période des études supérieures reste, à cette époque comme précédemment, un moment privilégié, celui de l’apprentissage d’une autonomie «encadrée» avant l’entrée dans leur vie d’adulte. Pour les autres, la facilité d’accès à l’indépendance financière ouvre la possibilité d’expérimenter des façons de faire sa vie, différentes de celles dont ils ont héritées des générations précédentes, répondant ainsi aux exigences nouvelles d’autonomie.

    Les années 1980 sonnent la fin de ce modèle. Les étapes qui marquaient relativement clairement le passage du statut de jeune à celui d’adulte deviennent de moins en moins identifiables. Premièrement, l’intensification de la crise de l’emploi rend de plus en plus difficile pour les jeunes l’obtention d’un statut professionnel précis et définitif, et ce, d’autant plus que le niveau de qualification scolaire est bas. Non seulement, de façon générale, le temps de recherche d’emploi s’allonge de façon significative, mais, en outre, les premiers emplois sont souvent précaires. De plus en plus, les premières situations de travail s’entrecroisent avec des périodes de chômage, d’inactivité ou de formation, ce qui rend malaisée une identification professionnelle forte que ce soit de la part du jeune ou de ceux qui l’entourent, ce qui hypothèque les possibilités d’indépendance financière. Deuxièmement, la propension au mariage jeune, typique des années 1970, laisse place à d’autres configurations: cohabitation en couple ou entre amis, prolongement du temps de vie chez ses parents, etc. Ces évolutions vont dans le sens d’une indétermination croissante des frontières. Au modèle de l’installation se substitue celui du «différemment» de l’entrée dans l’âge adulte. Un moment supplémentaire s’institue entre l’adolescence et l’âge adulte, qui emprunte caractéristiques et prérogatives d’un côté comme de l’autre. Se mêlent ainsi désir d’indépendance et indétermination, revendication d’un droit à l’expérimentation et exigences de stabilité, demande de considération et attitude «fun». Tout se passe comme si l’opposition jeunes/adultes ne permettait plus de rendre précisément compte de la façon dont les trajectoires biographiques sont aujourd’hui façonnées par les multiples institutions de la vie sociale. L’âge perd son rôle de critère essentiel dans l’organisation de ces biographies et dans le règlement des transactions entre les individus. Les modifications récentes de l’expérience des jeunes liées aux évolutions des contextes sociaux et économiques ont en fait bouleversé les façons d’accéder au statut d’adulte, propres au modèle industriel. Cela est particulièrement vrai pour les catégories sociales qui connaissent les formes de passage les plus longues: les jeunes d’origine ouvrière ou les enfants des classes moyennes ayant suivi des formations peu adaptées au marché de l’emploi.

    Au regard des trois critères cités plus haut – à savoir: accès à l’emploi, départ du logement parental, installation en couple –, on assiste en fait à un «allongement de la jeunesse», et ce, dans tous les pays d’Europe (Galland, 2000). Bien que la majorité légale soit toujours atteinte à 18 ans, le rapport qui lie les jeunes aux générations précédentes se caractérise aujourd’hui par une dépendance plus longue. En effet, de façon générale, les jeunes poursuivent des études pendant plus longtemps ou accèdent plus difficilement à l’emploi stable d’une part, et, d’autre part, quittent le domicile familial pour s’établir de façon fixe plus tard. Le détachement à l’égard de la famille se fait de façon plus progressive, graduelle, et est marqué par de multiples allers-retours entre essais d’autonomie et périodes de vie dans la famille d’origine.

    La description de ces grandes tendances ne doit cependant pas faire oublier la diversité des situations. Ce que nous avons analysé jusqu’à présent comme une

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