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La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX
La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX
La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX
Livre électronique294 pages3 heures

La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX

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À propos de ce livre électronique

L’interprofessionnalisme, véritable ouverture au savoir-faire de l’autre, stimule la coopération et la communication. La compréhension des compétences de chacun permet de mieux affronter collectivement chaque situation ou environnement. Cet ouvrage se penche tout particulièrement sur la collaboration interprofessionnelle dans le domaine de la santé et des services sociaux, en faisant une large part à l’éducation, afin d’améliorer la qualité des soins prodigués.

Les auteurs présentent ici les fondements de la collaboration interprofessionnelle, les déterminants de sa mise en oeuvre ainsi que les effets attendus. L’ouvrage synthétise quinze années de travaux sur ce thème ; il est, de ce fait, largement illustré d’exemples issus de la réalité clinique. Pensé pour aider les gestionnaires, les superviseurs cliniques et les praticiens du domaine de la santé et des services sociaux à accroître la capacité interprofession­nelle dans leur organisation, ce livre servira aux formateurs qui pourront y puiser matière pour appuyer leur projet éducatif.
LangueFrançais
Date de sortie13 août 2018
ISBN9782760639102
La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX
Auteur

Yves Couturier

Yves Couturier (Ph.D.) est professeur et chercheur au Département de travail social de l’Université de Sherbrooke. Il travaille sur la thématique de l’analyse du travail en travail social, sur la collaboration interprofessionnelle, les pratiques de coordination et l’organisation des services sociaux et de santé.

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    Aperçu du livre

    La COLLABORATION INTERPROFESSIONNELLE EN SANTE ET SERVICES SOCIAUX - Yves Couturier

    INTRODUCTION

    Interdisciplinarité, collaboration, coopération, coordination, concertation, partenariat, voilà autant d’idées porteuses de changements fondamentaux dans plusieurs domaines, dont celui de la santé et des services sociaux. Bien que ces idées fassent l’objet de nombreux travaux théoriques et empiriques depuis déjà fort longtemps, elles sont encore aujourd’hui le moteur de l’aggiornamento des systèmes de santé et de services sociaux qui ont cours partout dans le monde. Nous proposons ici une synthèse de ces avancées conceptuelles et pratiques qui a été élaborée pour correspondre aux besoins et au contexte spécifiques du vaste domaine qu’est celui de la santé et des services sociaux.

    Le présent ouvrage a été conçu pour un lectorat non seulement de gestionnaires soucieux d’accroître la capacité interprofessionnelle au sein de leur organisation, mais aussi de cliniciens à qui l’on demande d’aller plus loin en ce sens. Les formateurs, tant pour les formations initiales que continues, pourront également y puiser matière à appuyer leur projet éducatif.

    Ce livre porte spécifiquement sur la collaboration interprofessionnelle, et plus largement sur ce qui est désigné comme l’interdisciplinaire. Il s’intéresse en outre à des déclinaisons un peu moins largement étudiées, soit l’intersectoriel et l’interorganisationnel.

    Lorsque notre propos touchera de manière générale toutes ces formes d’inter, nous les désignerons ainsi. Ce générique inter nous permet de montrer que les mêmes fondamentaux s’appliquant à la collaboration interprofessionnelle sont à l’œuvre pour divers objets, suivant une variété d’intentions et de finalités. L’inter concerne ainsi autant la recherche et la clinique que la formation professionnelle initiale et continue, appliquées à une grande variété de domaines (disciplines, secteurs, cultures, etc.) et d’objets (la santé, la société, le travail, etc.).

    La première partie du livre expose les concepts fondamentaux de l’inter; la deuxième détaille les déterminants de la collaboration interprofessionnelle; et la dernière explore l’éternelle question de la valeur ajoutée de la collaboration interprofessionnelle, notamment en matière d’efficience et d’efficacité.

    Nous nous proposons d’accompagner le lecteur tout au long de l’exposition de ces idées en présentant des exemples qui proviennent de nos travaux de recherche et de nos diverses expériences. Tous ces exemples sont issus de véritables situations cliniques. Beaucoup sont tirés du domaine du vieillissement, celui que nous connaissons le mieux, mais nous avons la conviction que leurs fondamentaux peuvent s’appliquer à d’autres clientèles.

    Au terme de ce parcours, que nous avons voulu le plus pédagogique possible, le lecteur aura un large portrait des principales connaissances utiles à l’élaboration puis au soutien d’une pratique de collaboration interprofessionnelle dans le vaste domaine de la santé et des services sociaux, ce qui inclut des organisations publiques, bien entendu, mais aussi des organisations privées et associatives.

    La contribution de ce livre, que nous espérons originale, concerne spécifiquement les conditions professionnelles et organisationnelles qui peuvent nous aider à implanter de façon durable des dispositifs permettant de soutenir la collaboration interprofessionnelle. Beaucoup a déjà été dit et fait sur les attitudes utiles à la collaboration interprofessionnelle, sur les meilleures façons de la modéliser et sur ses valeurs. Les déterminants de sa mise en œuvre sont cependant beaucoup moins bien connus, mais au moins tout aussi importants.

    Le lecteur a sans doute déjà une très bonne idée de la nécessité de la collaboration interprofessionnelle, ainsi que de ce qui la fonde. Tout le monde convient qu’il s’agit là d’une excellente idée, et ce, depuis déjà fort longtemps. Pourtant, malgré ce sentiment de déjà-vu, nous avons tous expérimenté les dysfonctionnements d’un système de santé et de services sociaux pourtant fier de ce qu’il a accompli en matière de collaboration interprofessionnelle, ne serait-ce que par la mise en commun au Québec de la gouvernance des domaines social et sanitaire.

    Pourtant, aujourd’hui encore subsiste nombre de ruptures de continuité, pléthore d’intervenants qui ne se parlent pas, tourments infinis résultant d’éléments d’information désordonnés, quantité de cloisonnements, de répétitions et de redondances, kyrielle de rendez-vous pourtant nécessaires qui ne viennent pas… Toutes ces difficultés sont autant de révélateurs du chemin qu’il reste à faire avant que nous ayons la satisfaction de voir la collaboration interprofessionnelle assez bien implantée. Et les mots utilisés pour rendre compte de ces difficultés ont un désavantage majeur, à savoir qu’ils n’expriment pas le fond des choses. Ce qu’ils cachent, c’est l’inquiétude de la mère d’un enfant autiste devant le retard irrémédiable qu’il prend à l’école, faute de soutien immédiat; c’est le glissement d’un individu atteint de schizophrénie dans les souffrances de la rue parce que personne ne vérifie comme il faut sa prise de médicaments; c’est la fatigue d’une proche aidante, épuisée après avoir accompagné son conjoint à l’hôpital trois fois dans la semaine; c’est la chute évitable, les fractures et les maladies nosocomiales qui s’ensuivent; c’est la douleur de voir son père ou son conjoint mourir prématurément faute d’une intervention sérieuse visant à maintenir son autonomie.

    Cet écart entre le sentiment du devoir accompli des professionnels et de leurs gestionnaires et les nombreux dysfonctionnements que peut observer chacun d’entre nous trouve sa source, à notre avis, dans un autre écart entre des attitudes en gros positives à l’égard de la collaboration interprofessionnelle et les déterminants de cette pratique, notamment les conditions de l’organisation du travail collaboratif, qui ne sont pas à la hauteur des attentes de tous.

    Ainsi, notre principal objectif est de mieux comprendre ce qui, dans les conditions professionnelles et organisationnelles de la pratique, permet d’incarner de façon efficiente la bonne volonté des uns et des autres dans des collaborations interprofessionnelles réelles et agissant positivement sur la vie des usagers/clients/patients/personnes du système de santé et de services sociaux.

    La désignation usager, que nous avons retenue, a l’avantage de donner un statut de personne qui fait usage des services, posture active mais circonscrite à la relation sociale spécifique de service public. La désignation personne crée selon nous une équivoque en laissant entendre que c’est à ce titre que l’intervention a lieu. Or, rien n’est moins sûr. C’est parce qu’une personne a un problème dont la société juge légitime la prise en charge publique qu’elle sera aidée. Bien entendu, nous reconnaissons la volonté d’humanisation que véhicule cette désignation, mais en soulignant qu’elle produit un élargissement logique plaisant à l’esprit, mais peu réel; aucun intervenant n’entrera dans une relation véritablement intime avec un usager, fût-il désigné comme personne, car il s’agit d’une relation sociale codée de façon à éviter tout rapprochement. Quant à patient et à client, leur portée nous semble plus réduite. Néanmoins, par-delà nos préférences, nous admettons aisément que les quatre appellations ont chacune leurs vertus locutoires, en fonction d’une situation communicationnelle précise.

    Pour bien ancrer notre propos, nous allons décrire un cas clinique réel et récent qui donne à voir les multiples dysfonctionnements d’une intervention pourtant considérée comme coordonnée. Ces dysfonctionnements n’ont rien d’anecdotique; nous avons la conviction qu’ils sont illustratifs, d’un point de vue clinique, des nombreuses inefficiences systémiques largement connues (Institut of Medecine, 2013). Ils montrent que les décennies d’efforts en matière de collaboration interprofessionnelle et la bonne volonté, voire la bienveillance réelle, des acteurs professionnels et des gestionnaires concernés ne suffisent pas à réaliser les promesses de la collaboration interprofessionnelle.

    La situation de Benoît

    À l’âge de 88 ans, Benoît est atteint d’un trouble neurocognitif qui s’installe certainement depuis quelques années. Il a fréquemment des hallucinations nocturnes, associées très probablement à une démence à corps de Lewy. Malgré la présence d’une multitude de symptômes typiques de cette forme de démence, le diagnostic n’a pas été explicitement établi, ni, par conséquent, dévoilé à la famille. Cette absence de divulgation a concrètement entravé la mise en œuvre d’un plan d’intervention qui aurait permis des interventions de maintien de l’autonomie, en amont de la détérioration de la situation clinique que connaîtra sous peu le patient. Précisons que, depuis que son médecin de famille a pris sa retraite quelques années auparavant, Benoît a été suivi essentiellement par des urgentistes, des résidents de passage et des infirmières1, également de passage. Bien que bienveillant, aucun de ces professionnels n’a pu le suivre assez longtemps pour avoir une connaissance profonde de sa situation et de l’évolution de son déclin fonctionnel pour pouvoir faire un portrait global de son état de santé.

    À un moment donné, Benoît commence à se plaindre d’un affaiblissement général contrastant avec ses forces physiques et mentales jusqu’alors particulièrement vives. Cet affaiblissement entraîne une perte d’autonomie fonctionnelle, une participation sociale réduite et des moments de découragement inusités pour lui, qui est d’un naturel optimiste. Heureusement, il a une conjointe aidante, aimante, dynamique et compétente qui compense sa perte d’autonomie fonctionnelle au prix cependant de nombreux efforts qui l’épuisent de plus en plus. Marié avec elle en secondes noces depuis 35 ans, Benoît a deux fils vivant dans une autre région, et par conséquent absents de son quotidien. Malgré tout, son goût pour la vie se raffermit chaque fois qu’il se sent mieux. Il ne présente donc pas un tableau clinique dépressif. De plus, il réussit plutôt bien à s’adapter aux changements importants qui accompagnent sa perte d’autonomie fonctionnelle.

    Fin novembre 2016, la situation de Benoît se détériore. À la suite d’une chute de tension artérielle, il est hospitalisé. Malgré plusieurs indicateurs de fragilité (dont des hospitalisations multiples, des crises de délirium et une chirurgie cardiaque au cours des deux dernières années), il ne bénéficie pas, après cette hospitalisation, de services d’aide à domicile, notamment parce que l’établissement de santé et de services sociaux estime que l’aidante, âgée de 82 ans, compense efficacement sa perte d’autonomie fonctionnelle. Pour cette raison, aucune évaluation globale et multidimensionnelle de sa situation n’a été faite à domicile avant l’hospitalisation. Et comme il est impossible d’effectuer une telle évaluation en situation de déséquilibre clinique, il n’y en aura pas non plus dans la suite de cet ultime épisode de soins et de vie.

    Après le retour à la maison de Benoît sans services de soutien à domicile, sa conjointe n’a pas d’autre choix que d’appeler une ambulance, le soir du 24 décembre, pour le transporter au service d’urgence de l’hôpital local en raison de l’importance de son anxiété générée par ses hallucinations, en plus de la présence d’un comportement agressif inhabituel. L’hospitalisation provoque (ou révèle) un délirium et divers problèmes de santé dont une infection pulmonaire.

    La conjointe de Benoît lui rend visite tous les jours, ce qui semble leur faire du bien à tous les deux. Mais arrive le moment où tout s’accélère sur la pente du déclin fonctionnel et physiologique. Comme Benoît ne peut rester plus longtemps au centre hospitalier local et que ses problèmes n’ont pas été résolus, son transfert est organisé vers un centre hospitalier régional, situé à 50 km de son domicile. L’aidante va néanmoins trouver la force nécessaire pour aller le voir presque quotidiennement. Quelques jours plus tard, on envisage de l’orienter vers un hébergement temporaire, sans évaluation explicite, en attendant un hébergement définitif. Le retour à domicile n’est donc plus possible. On assure à la proche aidante que ce placement temporaire se fera dans le respect de ses choix, et on ajoute que l’hôpital ne pourra prévoir la sortie de Benoît avant qu’un lieu adapté à ses besoins ne soit trouvé. Le vendredi précédent le second transfert, on promet oralement à la conjointe que Benoît passera la fin de semaine dans la même chambre. On l’appelle pourtant le soir même pour la sommer de faire elle-même le transfert dès le samedi matin, à 9 h 30, vers une ressource identifiée par l’hôpital mais qui sera aux frais de l’usager. En attendant de trouver le lieu d’hébergement permanent, et contre tout principe d’une approche adaptée à la personne âgée en milieu hospitalier (MSSS, 2011), Benoît sera transféré deux fois d’hôpital pour des raisons qui ne sont pas cliniques, du point de vue de l’un de ses médecins traitants.

    Benoît est donc temporairement installé dans une résidence privée située dans une autre région que celle où vit sa conjointe. Le médecin traitant est contre ce déplacement et contre les autres déplacements intra et interhospitaliers, mais la logique administrative a des raisons que la raison clinique et le bon sens ignorent. Ainsi, le lieu d’hébergement temporaire renverra Benoît à l’urgence à deux reprises pour des baisses de tension artérielle, ce qui, du point de vue du médecin traitant, est inutile et dangereux, eu égard à l’état du patient.

    Ce changement de région fait en sorte que certaines travailleuses sociales se retirent du dossier, avec le sentiment du devoir accompli. L’aidante établit une liste de noms d’intervenants dont les fonctions se brouillent. À qui doit-elle s’adresser? À la travailleuse sociale de l’hôpital ou à celle du domicile? L’une est-elle l’infirmière? L’autre est-elle la remplaçante de la travailleuse sociale? Il y a d’autant plus d’intervenants que ces soins ont été donnés pendant la période des fêtes, période qui n’a cependant rien d’inusité ni d’imprévisible…

    À la première visite dans cette résidence, la conjointe, accompagnée de sa fille, se voit imposer le port d’une jaquette, d’un masque et de gants de protection. Lorsqu’elle demande la raison de cette mesure, les intervenants de la résidence évoquent le «secret professionnel». La dame insiste et fait valoir ses droits. La discussion est alors brutalement interrompue. Il en sera de même pour tout renseignement concernant les soins, puisqu’aucun membre du personnel n’est autorisé à en parler avec la famille. L’aidante ne fait pas vraiment confiance à cette ressource d’hébergement. À la fin du séjour, elle constatera que Benoît est couvert d’ecchymoses, alors que personne ne l’en a informée. En plus, il porte des vêtements qui ne lui appartiennent pas, les siens ayant mystérieusement disparu.

    La fille de l’aidante cherche à obtenir des réponses concernant les contradictions dans l’information qui a été donnée à sa mère, notamment quant au statut de Benoît, sachant que l’hébergement temporaire est normalement une mesure visant le maintien à domicile, et qui prévoit donc en principe un retour à domicile pourtant officiellement impossible. Après avoir fait état de ses interventions visant à rassurer (faussement) l’aidante, la travailleuse sociale du domicile envoie la fille de cette dernière à sa collègue de l’hôpital pour que soit éclairci le statut d’hébergement de Benoît. La travailleuse sociale de l’hôpital confirme alors qu’on n’a procédé à aucune évaluation des besoins du patient, en raison de l’instabilité de la situation. Elle déclare que cette mesure de placement temporaire est «exceptionnelle» et qu’elle a été prise par la direction de l’hôpital et du service de soutien à domicile dans le but de libérer le lit. Elle défend aussi sa collègue en affirmant que celle-ci n’était pas au courant de la décision, puisque l’information n’a pu être transmise un vendredi après-midi (en dépit des outils cliniques informatisés existant pour éviter ce genre de problème). Afin de procéder à l’orientation en hébergement temporaire, on a fait une évaluation sommaire. À la question de savoir qui est maintenant le professionnel de référence et quand sera effectuée l’évaluation permettant l’orientation en hébergement de soins de longue durée, personne ne peut répondre.

    Peu de temps après son placement en hébergement temporaire, on prend la décision d’admettre Benoît en soins palliatifs, mais aucun soin de confort ne lui est prodigué, car il est plutôt transféré à l’hôpital régional dans un lit de médecine interne où il décédera le 13 février 2017.

    Pendant ces quelques semaines, plusieurs intervenants appellent sa conjointe, mais rarement les mêmes. Parfois, ils se présentent par leur prénom, mais, le plus souvent, ils disent simplement: «C’est l’hôpital» ou: «C’est la travailleuse sociale.» Très bien, mais laquelle des quatre ou cinq coordonnent les soins? Aucun aide-mémoire n’est fourni à la proche aidante; aucun écrit ne lui est laissé. Elle ne sait pas à qui elle parle, encore moins qui est son interlocuteur principal, celui qui coordonne les services. Elle compense ce manque d’information en demandant des précisions au poste des infirmières de l’hôpital, mais les renseignements qu’on lui donne alors se révèlent très partiels et ne correspondent pas à ce qu’on lui dit au téléphone. Aucun plan d’intervention ne lui est présenté. Dans ces circonstances, le consentement aux soins est toujours ultérieur aux soins.

    Tous les intervenants estiment de facto que la pratique consistant à fournir, à la proche aidante, oralement et en vrac, les renseignements, sans vérifier si elle a bien compris ni lui donner un aide-mémoire, leur suffit largement pour avoir le sentiment du devoir accompli. Aucune rencontre de famille n’est convoquée. Bien que l’aidante ait un statut matrimonial clair et qu’elle ait entrepris des démarches d’homologation du mandat en cas d’inaptitude la désignant comme unique responsable légale, les consignes de soins sont changées par l’un des fils de Benoît, sans qu’elle n’en soit informée. Un tel manque de reconnaissance de ses efforts continus en tant que proche aidante provoque chez elle une grande souffrance. En fait, sa souffrance se présente sous quatre formes:

    Elle voit son compagnon dépérir.

    Le décès de celui-ci aura des conséquences sur sa propre vie (ex.: problèmes budgétaires, sentiment d’insécurité), ce qu’aucun intervenant ne perçoit comme un objet d’intervention. Elle est donc seule face à ces tourments.

    Elle est arrivée au moment de l’hospitalisation très épuisée, car aucun service d’aide à domicile n’a été mis en place en amont d’une crise pourtant en grande partie prévisible.

    Comme la cavalerie, les services publics de soins aigus sont en retard. De plus, ils ne donnent aucun élément d’information fiable sur la trajectoire de soins de Benoît. Pourtant, sa conjointe montre son désir de comprendre ce qui se passe, de savoir ce qu’elle peut faire pour soulager ses souffrances, ce qui lui permettrait de donner un sens à cette étape de vie.

    Les bienfaits de la collaboration interprofessionnelle

    Situation extrême? Non, plutôt usuelle, au moins pour ceux qui n’ont pas la «chance» de mourir subitement. Benoît serait-il mort de toute façon? Oui, comme nous tous. Mais derrière cette question se profile l’idée âgiste que la perte sociale de Benoît n’était que peu de chose, en raison de son grand âge et de sa fragilité. On peut penser que cela n’était pas son point de vue, mais personne ne le lui a demandé.

    Voici quelques questions, parmi de nombreuses autres, que pose la perspective de la collaboration interprofessionnelle que nous proposons sur cette situation clinique:

    Qui coordonnait les services pour l’ensemble du parcours clinique de perte d’autonomie fonctionnelle de Benoît, en amont des soins aigus?

    Qui coordonnait les services pendant cet épisode de soins aigus?

    Pourquoi aucun service à domicile n’a-t-il été proposé et mis en place en amont de la crise prévisible?

    Comment peut-on expliquer l’absence d’une évaluation globale des besoins?

    Comment se fait-il que la famille (et Benoît) n’a pas été informée de la présomption élevée d’une démence à corps de Lewy?

    Par quelle évaluation globale les nombreux déplacements intra et interinstitutionnels sont-ils cliniquement justifiés?

    Pourquoi les intervenants (médecins, travailleuses sociales, infirmières, etc.) ne se nomment-ils pas, ou le font de façon si vague?

    Quelles sont leurs stratégies de communication adaptées

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