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Autorité et gestion de l'intervention sociale: Entre servitude et actepouvoir
Autorité et gestion de l'intervention sociale: Entre servitude et actepouvoir
Autorité et gestion de l'intervention sociale: Entre servitude et actepouvoir
Livre électronique241 pages3 heures

Autorité et gestion de l'intervention sociale: Entre servitude et actepouvoir

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À propos de ce livre électronique

Comment l’autorité se manifeste-t-elle dans les pratiques de gestion de l’intervention sociale faisant l’objet de transformations autant au Québec qu’en Europe ? Cet ouvrage invite d’abord le lecteur à considérer les définitions de l’autorité, son histoire et ses figures de façon à en comprendre les enjeux et les processus structurant les relations de pouvoir en milieu professionnel. Les effets psychosociologiques des rapports d’autorité sur les travailleurs eux-mêmes sont analysés, ainsi que sur les diverses façons de réagir à l’autorité. À la fin de l’ouvrage, nous pouvons prendre connaissance d’une approche d’intervention à visée démocratique – inspirée des travaux de la sociopsychanalyse – afin de considérer une voie différente de celle de l’auto-autorité.

L’objectif de ce livre est d’offrir des pistes d’analyse aux enseignants, aux étudiants, aux intervenants et aux gestionnaires sur les enjeux de pouvoir auxquels le travail social est confronté afin qu’ils puissent y faire face autrement que par le seul affrontement ou par la passivité.
LangueFrançais
Date de sortie28 juin 2017
ISBN9782760546943
Autorité et gestion de l'intervention sociale: Entre servitude et actepouvoir
Auteur

Michel Parazelli

Michel Parazelli est professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal et membre du réseau interuniversitaire Villes Régions Monde (VRM). Il s’intéresse aux rapports espace- société, en particulier aux questions de cohabitation sociale dans l’espace public avec les personnes en situation de marginalité et d’analyse de pratiques communautaires visant l’autonomie des citoyens.

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    Aperçu du livre

    Autorité et gestion de l'intervention sociale - Michel Parazelli

    (IEPHI)

    Introduction

    Dans le cadre de l’intervention sociale, on associe habituellement la notion d’autorité à l’éducation ou aux cas d’«intervention en contexte d’autorité» lorsque les professionnels sont mandatés par des lois telles que la loi sur la protection de la jeunesse. Il est généralement moins question d’autorité dans les contextes de gestion de l’intervention à proprement parler. Pourtant, les rapports asymétriques au sein des organisations, qu’elles soient communautaires, associatives ou étatiques, n’ont pas disparu pour autant, même si l’appel à l’engagement personnel des intervenants dans leur travail d’intervention, à leur capacité d’initiative, au développement de leurs compétences et de leur créativité ainsi qu’à leur responsabilisation représente l’horizon normatif dominant dans les institutions publiques des sociétés occidentales.¹

    Qu’ils proviennent de la sociologie de l’individu (Ehrenberg, 1998; Martucelli, 2002; Dubet, 2002), de la psychodynamique du travail (Dejours, 2013), de la sociologie clinique (Gaulejac, 2005), des critical organizational studies ou des critical management studies (Alvesson & Willmott, 1996; Alvesson & Kärreman, 2011; Golcirki et al., 2009) les constats quant à la liberté et l’autonomie des travailleurs dans le monde actuel de la nouvelle gestion publique² ne rendent pas nécessairement compte d’améliorations, telles qu’affirmées par les nouvelles approches gestionnaires, mais surtout de perversions par des manipulations psychologiques qui obtiennent l’adhésion volontaire du subordonné (Mendel, 2002:224), ou en créant un sentiment d’impuissance des travailleurs face aux contraintes imposées (Martucelli, 2004). Ces analyses trouvent leur écho dans les contextes d’intervention sociale au Québec, plus particulièrement au sein des processus gestionnaires qui, à première vue, ne semblent pas recourir à l’autorité dans ses manifestations classiques. Toutefois, ces études n’approfondissent pas vraiment les enjeux autour de l’autorité. Elles se concentrent, entre autres, sur ceux, non négligeables, touchant à l’amélioration de l’environnement psychologique de travail dans le but de prévenir les problèmes de santé mentale des individus impliqués dans l’organisation des services. C’est pourquoi il importe de saisir ce qui fait ou non autorité dans le processus même de son exercice afin d’apporter un éclairage sociopolitique sur les problèmes actuels qui émergent des transformations de l’organisation du travail dans le monde de l’intervention sociale.

    Depuis 2010, au Québec, des travailleurs sociaux, des infirmières et des ergothérapeutes du secteur public ainsi que des intervenants du milieu communautaire s’expriment dans l’espace public pour alerter leurs collègues, le public et les responsables gouvernementaux sur le contrôle grandissant de leur exercice professionnel par les gestionnaires (Champagne, 2012a; Cameron, 2012). Ils se voient non seulement imposer une organisation du travail calquée sur le modèle de productivité de l’entreprise privée, mais aussi des programmes qui ont été conçus par des experts et qui ne prennent en compte les savoirs et l’expérience des intervenants qu’en fonction de l’exécution efficace de ces programmes (Cyr, 2011; Comité STAT, 2012). Dans la perspective d’améliorer les cadres de travail des services publics, des firmes privées sont engagées pour appliquer les méthodes Lean ou Kaizen³, visant à améliorer la performance de la productivité des intervenants par l’amélioration continue et l’élimination des gaspillages de temps et d’énergie, à la suite d’un diagnostic auquel le personnel aura été associé et mobilisé. Il s’agit de créer un état d’esprit dans lequel, d’une part, les intervenants sociaux doivent se sentir autonomes et responsables du fonctionnement de l’ensemble et où, d’autre part, la prise en compte de leur avis doit être considérée comme centrale pour la bonne marche de l’organisation.

    On présente cette approche d’amélioration comme une démarche collective d’évaluation et de résolution de problèmes nécessitant l’engagement et le point de vue des principaux intéressés, les travailleurs eux-mêmes. Si l’intention des gestionnaires est au départ perçue par les intervenants comme étant respectueuse et reconnaissante de leurs compétences, la mise en œuvre de cette approche révèle certaines dissonances. En fait, bien que ce mode de gestion sollicite l’autonomie, la créativité et la polyvalence des travailleurs dans ce processus d’ajustement continu, il les soumet à une tension constante sur le plan du contrôle et de la surveillance tout au long de la «chaîne de montage» (Champagne, 2012a: A6). Une travailleuse sociale œuvrant en centre de services sociaux et de santé (CSSS)⁴ ajoute que ces conditions organisationnelles affectent aussi la qualité des services: «Les pratiques de gestion mettent un frein à la qualité des interventions au profit d’une cible chiffrée en termes de temps, de nombre de rencontres ou de méthodes à utiliser. Réduire notre travail à celui d’une exécutante qui ferait un travail mécanique sans même se questionner sur le but de sa démarche est contraire à toute l’éthique du travail social» (Résistance NGP, 2014:172).

    De plus en plus, cette surveillance est exercée entre collègues, plaçant ces derniers en situation de concurrence les uns avec les autres pour attirer l’attention du patron sur l’état de leur contribution à l’amélioration de la performance du programme ou du service: «Si un employé n’a pas été en mesure d’effectuer sa tâche dans les délais prescrits, il doit en expliquer les motifs à un haut syndiqué. Ce haut syndiqué est forcé d’agir comme porte-panier, et d’aller rapporter nos erreurs de minutage aux supérieurs», a précisé une intervenante sociale (Champagne, 2012b: A6).

    L’infantilisation et la peur des représailles qui l’accompagne en cas de désobéissance sont des indicateurs d’un rapport d’autorité dont l’effet est justement d’obtenir l’obéissance sans recourir directement à la contrainte (Mendel, 2002:223; Arendt, 1972). Comment comprendre ce type de rapport d’autorité qui tend à s’imposer dans les milieux d’intervention sociale, qu’ils soient publics, communautaires⁵ ou privés? Cette question pourrait à première vue sembler secondaire ou ne relevant que d’intérêts universitaires. Si l’attitude autoritaire des responsables politiques ou gestionnaires est souvent identifiée et dénoncée dans les médias, ces rapports d’autorité sont actuellement pratiquement occultés de l’analyse scientifique des transformations actuelles. Pourtant, la considération de ce type de rapport de pouvoir nous permet de rendre visibles un certain nombre d’enjeux organisationnels ayant un impact majeur sur les actes professionnels des intervenants et les conditions psychosociales des destinataires de l’intervention sociale. Nous pensons que le détour par une meilleure connaissance théorique et historique de l’autorité que nous proposons permettra aux intervenants de voir autrement certaines dynamiques de pouvoir qui s’exercent au sein des organisations contemporaines.

    Dans cet ouvrage, nous partons de l’idée que l’autorité, loin d’avoir disparu de nos sociétés démocratiques, s’exprimerait par des voies et des figures différentes; les contextes d’intervention sociale n’y échappant pas. On peut envisager que plusieurs sources d’autorité cohabitent, non sans concurrence, et puissent aussi être nourries par le sentiment d’incertitude normative que plusieurs intervenants semblent éprouver face à la construction des problèmes sociaux et aux choix des moyens d’intervention. L’autorité ne serait pas non plus naturelle, mais anthropologique (Mendel, 2002), et constituerait donc l’une des modalités socio-historiques des rapports de pouvoir qui traversent nos sociétés. Cette hypothèse nous oblige à examiner comment l’autorité est définie. Que faut-il comprendre de ce phénomène que l’on récuse ou que l’on souhaite voir resurgir? Comment comprendre l’efficacité sociosymbolique de ces rapports d’autorité qui s’exercent dans nos organisations d’intervention sociale, que plus d’un qualifie de «démocratiques»? Comment, aussi, comprendre l’échec de ces rapports d’autorité?

    Nous menons aussi ces réflexions dans le but d’examiner les conditions de possibilités d’atténuation de l’autorité dans un contexte d’intervention sociale au profit d’un processus plus démocratique, en nous inspirant surtout des travaux théoriques et des expériences empiriques de la socio-psychanalyse⁶. La sociopsychanalyse attire notre attention sur le pouvoir que détiennent les gens sur ce qu’ils font, en lien avec l’actualisation des rapports d’autorité en contexte organisationnel. Cet angle est habituellement peu problématisé en travail social, sinon par la reconnaissance de l’existence de rapports de domination ou d’oppression des uns contre les autres influençant les démarches d’autonomisation mises en avant (par exemple, les perspectives de conscientisation, féministes et environnementales, de l’empowerment). De plus, cette considération spécifique des rapports d’autorité s’inscrit dans une conception post-tayloriste se diffusant de nos jours dans toute la société (Prades, 2015:218). Bref, la socio-psychanalyse s’intéresse à la fois théoriquement et pratiquement à ce qui est continuellement mis en question chez les intervenants sociaux: l’appropriation de leurs actes de travail. C’est pourquoi nous avons privilégié cette voie théorique parmi d’autres ayant traité des rapports d’autorité, car elle nous semble la mieux à même de rendre compte des dimensions psychosociales et politiques de la réalité des rapports de pouvoir, d’autant plus que son auteur-fondateur, Gérard Mendel, en a fait une anthropologie ainsi qu’une pratique d’intervention. Ce qui ne nous a pas empêché de convoquer d’autres regards théoriques dans cet ouvrage afin de les mettre en discussion au profit du lecteur.

    Nous débutons cet ouvrage par une contextualisation des transformations organisationnelles actuelles qui tendent à s’imposer de façon autoritaire aux acteurs du réseau de la santé et des services sociaux au Québec dans une perspective de privatisation du service public et des services publics. Ce qui nous amène à faire un détour théorique et historique sur la notion d’autorité, tout au long des trois chapitres suivants, de façon à en comprendre un peu mieux les soubassements conceptuels ainsi que les ambigüités idéologiques. Forts de cet éclairage théorique sur l’autorité, nous abordons dans les chapitres cinq et six la manière dont les rapports d’autorité se manifestent dans le contexte de la nouvelle gestion publique qui traverse l’organisation du travail de tous les établissements de santé et de services sociaux du Québec, depuis l’adoption de la loi sur l’administration publique, en 2000, qui en a tracé la voie.⁷ Le chapitre précédant la conclusion de cet ouvrage est consacré d’une part aux diverses réactions possibles des intervenants face aux rapports d’autorité et d’autre part à la présentation du dispositif Mendel, qui vise à développer une autre façon d’agir sur les rapports d’autorité. Ce dispositif instaure un cadre organisationnel provisoire permettant de favoriser le mouvement d’appropriation de l’acte dans une perspective démocratique. Il s’agit en fait d’une proposition alternative privilégiée par les auteurs de cet ouvrage pour atténuer les effets des rapports d’autorité vécus par les intervenants sociaux dans le contexte actuel de gestion post-taylorienne des institutions publiques.

    Précisons que, sans exclure tout autre public dont les étudiants, les enseignants et les chercheurs, cet ouvrage s’adresse principalement aux intervenants sociaux qui souhaiteraient améliorer leur compréhension de ce qui se joue actuellement au niveau politique au sein des organisations de services publics et d’actions communautaires. Pour nous, il importe de sortir d’une représentation classique du simple rapport de forces dualiste où il y aurait d’un côté des oppresseurs et de l’autre des victimes de l’oppression. La réalité étant plus complexe, elle exige de nous que l’on sorte des sentiers battus, c’est-à-dire de faire un pas de côté sur le plan théorique et de prendre le risque de voir autrement.

    De plus, même si la plupart des exemples que nous utilisons dans cet ouvrage proviennent de la réalité québécoise, nous pensons que celle-ci fait aussi écho à d’autres contextes nationaux, les modèles de pratiques de gestion étant de plus en plus globalisés, à l’instar des enjeux économiques. Si nous nous référons surtout à la situation québécoise dans cet ouvrage, nous mobilisons aussi quelques résultats de recherches ayant eu lieu en Suisse, en France et en Belgique sur différents aspects des pratiques gestionnaires de l’intervention sociale orientées sur les principes de la nouvelle gestion publique. Certes, il existe des spécificités locales ou régionales, mais il demeure que les questions soulevées dans cet ouvrage sont aussi partagées par nos collègues européens notamment. Cette tendance à vouloir développer les meilleures pratiques est un phénomène international qui tend à reproduire les modèles correspondant à des standards reconnus sur le plan international par des organisations qui en font la promotion. Nous souhaitons d’ailleurs que ces réflexions contribuent à alimenter le débat au-delà des frontières

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