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Accompagner le projet de formation pratique en travail social: Complexité - enjeux - défis
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Livre électronique490 pages5 heures

Accompagner le projet de formation pratique en travail social: Complexité - enjeux - défis

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À propos de ce livre électronique

Au Québec, la formation pratique occupe une place centrale dans le parcours scolaire des étudiants en travail social. Elle se situe au cœur du processus d’intégration théorie-pratique et s’avère essentielle au développement de praticiens réflexifs, engagés et critiques. L’accompagnement en formation pratique est complexe, notamment au regard de ses enjeux – diversité des lieux de stage, nombre élevé d’acteurs impliqués, situation de vulnérabilité de certaines clientèles, etc. – et de ses défis.

Comment accompagner les étudiants dans l’acquisition de compétences professionnelles et dans le processus de responsabilisation ? Comment les soutenir quand des enjeux personnels et professionnels émergent au contact de personnes, de familles, de groupes ou de communautés en situation de vulnérabilité ? Comment les aider à faire face aux défis que posent les conditions actuelles de la pratique ?

Dirigé par un collectif d’enseignants et de chercheurs universitaires, le présent ouvrage s’inscrit dans une perspective andragogique et se veut une contribution à un champ de formation et de recherche en développement. Il propose des pistes de réflexion et des outils pour mieux accompagner les étudiants, et ses propos, appuyés par des témoignages pédagogiques et cliniques, révèlent une vision originale de la formation pratique en travail social – à partir du sens que lui accordent ses principaux acteurs. Ce livre saura intéresser l’ensemble des personnes impliquées dans la formation pratique en travail social : étudiants, enseignants, superviseurs et professionnels des milieux d’enseignement et d’intervention.
LangueFrançais
Date de sortie30 oct. 2019
ISBN9782760547773
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    Aperçu du livre

    Accompagner le projet de formation pratique en travail social - Sacha Genest Dufault

    Sacha Genest Dufault, Annie Gusew, Eve Bélanger et Isabelle Côté

    La formation pratique (les stages incluant les séminaires d’intégration) représente jusqu’à un tiers du programme de formation des étudiants en travail social au Québec, au baccalauréat comme à la maîtrise professionnelle. Cet axe joue un rôle significatif dans le processus d’intégration de la théorie et de la pratique. Il constitue un des éléments importants au développement de praticiens compétents, réflexifs, engagés et critiques. L’accompagnement dans le cadre de ce projet de formation pratique est complexe, notamment au regard des enjeux et défis en présence au moment du stage, mais aussi tout au long des études en travail social. Que ce soit en raison des profils étudiants multiples, de la diversité des milieux de stage, du nombre d’acteurs impliqués et des activités d’intervention proposées qui auront des effets bien réels sur la qualité des apprentissages.

    HISTOIRE ET CONTEXTE DU LIVRE

    Ce projet de livre est né des préoccupations des acteurs engagés dans la formation en travail social: professeurs des axes théorique, méthodologique ou pratique, responsables de la formation pratique, agents de stage, chargés de cours et formateurs de superviseurs qui travaillent dans différentes universités au Québec. Il est rapidement apparu dans la démarche que nos préoccupations sur la formation de la relève étaient partagées par bon nombre d’acteurs impliqués dans la formation des futurs travailleurs sociaux, principalement ceux impliqués dans l’axe de la formation pratique. Cette réalité a d’ailleurs été constatée lors d’un colloque sur les pratiques pédagogiques novatrices dans les programmes de formation universitaire en travail social en 2013 (Gusew, 2013) où la plupart des présentations abordaient cette question essentielle de la pédagogie universitaire dans le contexte spécifique des stages. Notre groupe de travail a par la suite été mis sur pied avec l’objectif de combler le manque d’écrits en français qui traitent de ce sujet et qui sont adaptés à la réalité de la formation au Québec tout en étant applicables ailleurs.

    Initialement, le groupe de travail était composé de personnes provenant de trois constituantes de l’Université du Québec (UQ), soit Sacha Genest Dufault, Eve Bélanger et Isabelle Côté de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), Dominique Bizot de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Annie Gusew de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Notre collègue Dominique Bizot n’ayant pu poursuivre la démarche avec le groupe, nous profitons de l’occasion pour le remercier de sa contribution à l’élaboration du projet d’édition soumis en 2015 aux Presses de l’Université du Québec (PUQ) dans la collection «Problèmes sociaux et interventions sociales». Dans la même veine, nous tenons à souligner l’apport de nos équipes de travail respectives avec qui nous nous impliquons en formation pratique depuis plusieurs années, de même que l’UQAR et l’UQAM qui nous ont offert un soutien financier pour l’édition du manuscrit. Nous souhaitons particulièrement remercier Joel Lelièvre qui a réalisé la révision des textes et le montage du manuscrit de même que Gilles Tremblay, pour la rédaction de la préface. Nous tenons également à souligner la contribution de Martin Roberge, travailleur social, superviseur au Centre intégré universitaire de santé et services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale pour le Centre jeunesse et Marie-Joëlle Lemay-Breault, organisatrice communautaire au Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur à Québec, pour leur apport au chapitre sur la supervision.

    Par la suite, l’organisation d’un deuxième colloque¹ en 2015 a confirmé l’intérêt pour plusieurs acteurs (professeurs, chargés de cours, superviseurs, milieux de pratique, agents de stage, etc.) de continuer à réfléchir à l’importance de la formation pratique. Ce colloque a permis d’aborder d’autres questions reliées à la diversité et à la complexité de cette expérience. L’événement a aussi confirmé le besoin de systématiser et de diffuser l’expertise développée dans les unités de formation québécoise au premier et au deuxième cycle. Ainsi, le groupe de travail a fait un appel à des contributions auprès de collègues ayant développé une réflexion sur une question spécifique à propos de la formation pratique. Des collègues de l’Université Laval et de l’Université Laurentienne ont accepté de rédiger certains chapitres de ce livre. Nous sommes très fiers de l’ensemble des contributions qui permettent de dresser un portrait riche et diversifié de la place qu’occupe la formation pratique dans la construction de l’identité des étudiants en travail social, mais qui traite aussi des défis et des enjeux auxquels ceux qui y travaillent font face.

    L’ensemble des travaux qui ont été menés ont permis d’identifier de multiples questions qui préoccupent les formateurs concernés. Par exemple: comment accompagner les étudiants dans l’acquisition de compétences et d’une identité professionnelle forte? Comment les soutenir dans les enjeux personnels qui émergent et qui les interpellent au contact d’individus, de familles, de groupes ou de collectivités en situation de vulnérabilité pour qu’ils demeurent ouverts à l’expérience de l’autre? Comment soutenir la démarche des étudiants ayant des besoins particuliers, le tout en s’assurant qu’ils deviennent des travailleurs sociaux compétents? Comment aider l’ensemble de nos étudiants à faire face aux conditions actuelles de la pratique souvent à contre-courant des principes et des valeurs du travail social? Comment les préparer à se responsabiliser quant à leur développement professionnel et personnel tout au long de la vie? L’intention derrière ce livre est de susciter la réflexion et de proposer des pistes de réponses à ces questions tout en offrant un espace de partage et d’analyse d’expériences variées.

    ACCOMPAGNER LE PROJET DE FORMATION

    Au cœur de ce projet d’écriture se retrouve la notion d’«accompagnement des étudiants en travail social», plus particulièrement lors de la formation pratique. Cet ouvrage vise à outiller les différentes personnes impliquées dans cet axe, y compris les étudiants des deux cycles. Tout d’abord, il veut permettre le partage de structures de formation et de manières de penser et de dispenser les cours concernés. Le livre veut ensuite favoriser les échanges sur des dispositifs pédagogiques qui ont démontré leur capacité à soutenir les étudiants, les superviseurs et les partenaires des milieux de pratique en offrant un contexte d’apprentissage plus favorable. Selon nous, la formation pratique doit être envisagée de manière transversale, c’est-à-dire qu’elle doit inclure l’ensemble des activités-terrain tout au long de la formation et non pas uniquement le stage lui-même. Ainsi, les premiers contacts peuvent survenir lors d’expériences d’implication sociale dans les cours d’introduction au travail social ou encore par le biais d’expérimentations vécues dans les autres cours des programmes ou par le fait de côtoyer des étudiants possédant une expérience d’intervention sociale. En ce sens, les dispositifs d’accompagnement rapportés dans cet ouvrage sont en lien avec ce qui peut être qualifié de «projet de formation pratique» dans son sens le plus large, puisqu’il inclut l’ensemble des incursions dans les milieux de pratique.

    Ce choix de penser la formation pratique comme un projet transversal aux études de baccalauréat s’appuie sur deux constats, soit que les trois axes de la formation contribuent à la construction du projet qui s’actualise lors de la formation pratique et que ce dernier doit tenir compte de la diversité des profils étudiants en lien avec leurs expériences d’intervention, leur âge, leurs histoires de vie, etc. Les parcours de formation et de vie étant multiples, chaque étudiant est porteur d’un projet de formation unique qui donnera une couleur particulière au travailleur social qu’il deviendra. Ceci n’empêche cependant pas de reconnaître les visées communes de la formation en travail social par-delà les parcours et les besoins singuliers. Ainsi, on s’attend à voir chez les futurs diplômés la présence de compétences, de connaissances et d’habiletés similaires, comme en témoignent le Référentiel de compétences des travailleurs sociaux ou encore les objectifs de formation de chacun des programmes de formation en travail social au Québec ou au Canada. En d’autres termes, les questions posées dans cet ouvrage sont: Former qui? À faire quoi? Dans quelles conditions? Avec quels procédés pédagogiques et d’accompagnement?

    DÉFIS ET ENJEUX DU CONTEXTE DE PRATIQUE ET DE LA FORMATION EN TRAVAIL SOCIAL

    Le travail social est au cœur de multiples enjeux politiques, institutionnels, législatifs, éducatifs et aussi éthiques. Pensons par exemple au projet de loi 21 modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, qui réserve ou partage certains actes professionnels à des disciplines spécifiques². Au tournant des années 2000, les états généraux de la profession avaient ciblé des enjeux pour l’avenir du travail social, dont celui de la formation. On se questionnait alors sur le niveau de compétence requis pour accéder à la pratique et au titre de travailleur social, sur l’uniformité des programmes de formation des universités et sur l’harmonisation entre les différents niveaux d’études (collégial, et premier, deuxième et troisième cycles) (Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec – OPTSQ, 1999). Ces débats et l’adoption du projet de loi 21 ont amené un grand nombre de techniciens en travail social à s’inscrire dans les programmes de baccalauréat pour s’assurer un avenir professionnel. Actuellement, avec la refonte du système professionnel, les diplômés en travail social qui exercent dans le réseau de la santé et des services sociaux doivent être membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ). Traditionnellement, un bon nombre de diplômés ne souhaitaient pas le faire et n’avaient pas l’obligation de s’inscrire au registre de l’Ordre. Cette nouvelle obligation fait en sorte que le nombre de membres a explosé. De plus, ce changement survient dans un contexte organisationnel qui balise de plus en plus les pratiques d’intervention sociale et qui ne permet pas toujours aux travailleurs sociaux de respecter les standards et normes en vigueur à l’Ordre. Ces enjeux sont aussi en relation directe avec d’autres, comme l’identité et les compétences professionnelles.

    Les attentes envers les programmes de formation initiale sont de ce fait élevées, puisqu’ils donnent accès à l’usage du titre professionnel et contribuent à la formation des futurs professionnels qui devront à la fois présenter des compétences de base générales, mais également être de plus en plus spécialisés (OPTSQ, 1999). Cette situation est d’autant plus vraie si on tient compte de la complexification des problèmes sociaux, des changements majeurs et récurrents dans l’organisation des services sociaux et de santé, et du contexte de pratique interdisciplinaire, pour n’en nommer que quelques-uns. Au cours des dernières années, différentes mesures ont été mises en place par l’OTSTCFQ pour faciliter l’atteinte des objectifs inhérents aux programmes universitaires dispensés. On peut penser à la création du Référentiel de compétences des travailleurs sociaux en 2006 (OPTSQ) et à la révision du Référentiel d’activités professionnelles en 2012 (OTSTCFQ) ainsi qu’à l’élaboration de la politique de formation continue en 2007 (OPTSQ), devenue un règlement en 2016. Le premier détermine les compétences à atteindre alors que la seconde permet aux intervenants de s’approprier la poursuite de leur développement professionnel. La collaboration entre les programmes universitaires et l’Ordre est essentielle, mais représente un défi, leurs missions et leurs visions étant différentes et souvent en tension. La révision du Référentiel de compétences des travailleurs sociaux a démontré qu’il est possible d’associer les universités, les milieux de pratique et l’Ordre pour la réalisation d’un projet commun qui s’en trouve d’autant enrichi.

    D’autres facteurs rendent plus complexe l’offre d’une formation de qualité et personnalisée en travail social. On peut nommer ici les transformations des universités qui se sont progressivement orientées vers une logique de performance, de rendement et de rationalisation. Au sein des administrations des universités, on constate de plus en plus la participation majoritaire de gestionnaires externes provenant surtout du secteur privé, ce qui risque d’accroître le mouvement vers la privatisation de ces institutions et la présence d’un rationnel d’entreprise à but lucratif (Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, 2009). Cette tendance se fait sentir même dans des constituantes de l’UQ où le principe de la collégialité et de la participation de tous les acteurs fait partie intégrante de la culture organisationnelle depuis ses débuts. Il peut aussi en résulter un appauvrissement des institutions universitaires et une dévalorisation de l’enseignement au profit de la recherche, plus lucrative, ou encore conduire à l’augmentation de la taille des groupes-cours. L’ensemble de ces conditions ne facilite pas la qualité de l’enseignement. En travail social, les programmes de formation sont notamment évalués par le bureau d’agrément de l’Association canadienne pour la formation en travail social (ACFTS). Différents facteurs de qualité des programmes établis par les écoles québécoises et canadiennes sont consignés dans le manuel des normes d’agrément (ACFTS, 2014). Ils concernent la cohérence du programme, la manière de prendre en compte la diversité des réalités dans la pratique, la disponibilité et la qualité des ressources nécessaires à l’atteinte des objectifs du programme (le nombre de professeurs et la taille des groupes-cours, entre autres), etc.

    En ce qui concerne spécifiquement les configurations contemporaines de la pratique, on relève plusieurs enjeux spécifiques. On peut penser à différentes tendances remarquées au cours des dernières années qui font écho aux enjeux vécus par la profession et par les milieux universitaires et de prestation de services, notamment une plus grande standardisation de la pratique (p. ex. les cadres normatifs), la technocratisation des organisations (p. ex. l’informatisation des dossiers), la rationalisation des ressources (p. ex. les coupures d’effectifs, de budget de formation), la prépondérance d’une logique de la preuve (p. ex. l’efficacité, les données probantes, le guide des meilleures pratiques), la gestion par programme et, globalement, l’omniprésence d’une logique gestionnaire (p. ex. la charge de dossiers, les statistiques, le court terme).

    Si l’ensemble de ces orientations offrent certains avantages, force est de constater leurs effets négatifs sur les travailleurs sociaux qui l’expriment sous la forme du «discours de la plainte» (Chouinard et Couturier, 2006). Ce discours peut être interprété comme le symptôme d’une crise de sens au sujet de l’intervention sociale en raison des pratiques déshumanisantes envers les professionnels et les personnes en situation de vulnérabilité. La dernière réorganisation majeure du réseau public avec l’adoption du projet de loi 10 en 2015 a très certainement fragilisé les services sociaux, quand on considère la préséance accordée au milieu médical dans cette refonte. Si on combine cette fragilisation à la multiplication des vulnérabilités individuelles et collectives, on peut penser que cette réalité peut emmener les nouveaux diplômés à vivre une crise de sens et à s’inscrire dans une logique d’impuissance.

    Cette situation est d’autant plus vraie et préoccupante en contexte de formation pratique, puisque les étudiants, futurs travailleurs sociaux, se familiarisent avec les conditions de la pratique dans l’action directe. D’où l’importance de leur fournir des outils susceptibles de leur permettre d’analyser la culture organisationnelle de leur milieu de pratique pour se prémunir, entre autres, contre l’épuisement professionnel souvent associé à de tels contextes.

    Les défis posés pour les acteurs impliqués dans l’accompagnement des projets de formation pratique des étudiants en travail social sont majeurs. Ceux-ci peuvent en retour susciter une certaine inquiétude auprès des étudiants: quel pouvoir ont-ils devant les problématiques complexes des personnes avec qui ils seront amenés à œuvrer? Comment peuvent-ils à la fois s’intégrer dans des milieux de pratique en restructuration, dans des équipes souvent précaires ou fragilisées, tout en préservant un esprit critique? Comment outrepasser le discours de la plainte, ce discours qui insiste sur le manque de temps, de formation, de soutien et de ressources? Comment faire le choix de plutôt miser sur un souci de soi sans pour autant négliger l’acte de résistance sociopolitique?

    Considérant ces appréhensions, comment les formateurs peuvent-ils contribuer au parcours des étudiants pour les aider à mieux vivre cette crise de sens, mais aussi ces conditions de pratique particulièrement éprouvantes? Cet ouvrage propose une vision de la formation pratique qui fasse œuvre de prévention en aidant les étudiants à trouver des lieux de pouvoir et de création dans leur future vie professionnelle, le tout en vue de générer du sens dans la pratique du travail social. Cette perspective implique entre autres de développer chez eux un esprit critique, une capacité réflexive et, plus largement, une forme de responsabilisation à l’égard de leur développement professionnel. En d’autres mots, de soutenir l’émergence de réels «praticiens réflexifs» (Schön, 1996).

    L’ensemble des enjeux et défis mentionnés précédemment traversent les expériences rapportées par les étudiants en stage, leurs superviseurs, leurs enseignants et le personnel de la formation pratique. L’intention de ce volume est ainsi appuyée par un plaidoyer pour une formation «humanisante» qui accompagne des étudiants dans leur devenir personnel et professionnel et qui reflète les principes et les valeurs du travail social. Ce défi peut être relevé par différents dispositifs pédagogiques tout au long de la formation, mais aussi lors du moment fort que représente la formation pratique. Il s’agit de les aider à se réapproprier leur parcours de vie et de formation, à sortir du fatalisme, de l’impuissance et à investir des zones de créativité en inventant des lieux et des espaces de développement professionnel, de soutien et d’entraide. À l’évidence, ce projet est ambitieux et complexe, mais aussi porteur d’espoir.

    ADOPTER UNE POSTURE DANS L’OPTIQUE DE LA COMPLEXITÉ

    Tout au long de la démarche d’écriture de cet ouvrage, le groupe de travail a été soucieux de ne pas simplifier la complexité, les défis et les enjeux impliqués dans la formation des travailleurs sociaux. D’une part, parce que cette mission éducative met à contribution au moins deux systèmes: le système universitaire et celui de la pratique. Par conséquent, l’étudiant sera exposé durant son parcours universitaire à au moins deux cultures interdépendantes à la fois semblables et différentes. Cette double exposition risque de soulever chez lui des paradoxes et des contraintes, paradoxes qui, dans une optique de la complexité, «constituent une occasion de changement tant pour un système que pour son environnement» (Boily, 2014, p. 259). Il ne s’agit donc pas d’éliminer les contradictions, mais plutôt de les utiliser comme levier à l’apprentissage. Puisqu’on croit qu’il est impossible dans une telle optique d’appréhender l’ensemble des éléments de la réalité et de prédire avec certitude la direction du changement, il convient de sensibiliser nos étudiants à l’importance d’apprivoiser les bienfaits de l’incertitude et de l’imprévisibilité et de leur rappeler que notre compréhension des phénomènes est toujours une construction subjective de l’acteur, comme le pensent les tenants du constructivisme.

    D’autre part, on retrouve à l’intérieur même de ces deux systèmes un ensemble d’acteurs avec leur identité propre qui participent à leur façon à la construction identitaire de chaque étudiant, une construction unique, à chaque fois. On peut en conclure que les interrelations et les interconnexions entre les divers systèmes impliqués, entre les acteurs qui les constituent ainsi qu’entre les intentions, les objectifs et les idées qui s’entrecroisent nécessitent de mener une analyse qui tienne compte de ce niveau de complexité (Boily, 2014; Morin, 1990).

    Onnis (1991) définit l’optique de la complexité comme «la reconnaissance d’une multiplicité de niveaux du réel qui sont en même temps autonomes et en relation, mais qui, en même temps prend une forme et une signification uniquement dans le cadre du dessin général» (cité dans Boily, 2014, p. 254), ce qui rejoint la vision qui guide cet ouvrage.

    Sans expliquer en détail la théorie de la complexité, nous jugeons néanmoins pertinent d’en mettre en lumière certains éléments, afin que le lecteur puisse mieux comprendre ce qui colore notre analyse. Dans ce volume, nous ne visons pas à mettre en interrelation l’ensemble des éléments à l’œuvre dans le processus de formation des étudiants en travail social, nous désirons plutôt nous distancier d’une analyse causale, réductrice et simplificatrice. Notre propos, tout en étant rigoureux, se veut évolutif et ouvert aux idées nouvelles, dans la mesure où l’on ne peut pas modéliser les systèmes complexes (Boily, 2014). Si les systèmes ouverts sont dynamiques et caractérisés par des processus de changement non linéaires, nous croyons qu’il serait opportun de décloisonner les trois axes de la formation, soit l’axe théorique, méthodologique et de la formation pratique. Nous pourrions ainsi débusquer davantage la présence de la théorie et de la pratique dans l’ensemble du cursus universitaire et cesser de penser la théorie et la pratique de manière binaire. À la lecture des divers chapitres, le lecteur sera à même de constater des différences au niveau du langage. Nous pensons que ceci reflète la diversité des points de vue et constitue une richesse à conserver, par exemple au niveau du processus de placement en stage.

    Par ailleurs, comme nous venons de le voir, la nature même du travail social le place au cœur de multiples enjeux de nature politique, institutionnelle, législative, éducative, mais aussi éthique, ce qui confirme l’importance de s’inscrire dans une optique de la complexité lorsqu’on réfléchit à la formation des travailleurs sociaux. La nature hautement contextuelle du travail social le distingue des autres professions dans le champ des relations humaines (Healy, 2014), ce qui pose des défis particuliers dans le développement de programmes qui préparent réellement les étudiants à jouer leur rôle.

    Green et McDermott (2010) considèrent que la complexité des problèmes sociaux contemporains exige la mise à contribution de l’expertise de professionnels de diverses disciplines. L’interdisciplinarité doit donc faire l’objet d’une attention particulière. À titre d’exemple, Onnis (2013) s’inscrit dans une optique de la complexité lorsqu’il intervient avec des familles vivant avec un adolescent anorexique ou boulimique. Selon lui, le problème doit être analysé dans une perspective multidisciplinaire qui considère l’ensemble des dimensions en cause: le biomédical, le psychologique, le familial, le socioculturel, etc., parce qu’il s’agit «par nature, [d’]une perspective qui ne se contente pas d’explications univoques» (Onnis, 2013, p. 10). Il faut donc non seulement apprendre au futur travailleur social à faire valoir sa spécificité dans les équipes interdisciplinaires, mais aussi à penser de manière complexe dans un univers compartimenté, une vision qui va à contre-courant de l’approche par programme et de la culture médicale prédominante. Un tel état de situation implique pour les futurs travailleurs sociaux d’acquérir des connaissances, un savoir-faire, de la confiance en soi et une ouverture à l’autre pour occuper cette place.

    À notre avis, les perspectives systémiques, plus spécifiquement celles qui incluent l’optique de la complexité, mais aussi le constructivisme, représentent des avenues prometteuses pour inspirer et analyser les programmes de formation universitaire en travail social. De plus, le constructivisme nous rappelle que notre vision de la réalité est influencée par notre subjectivité et qu’elle se transforme constamment. C’est donc une vision multidimensionnelle, inachevée et partielle que nous comptons présenter dans cet ouvrage.

    STRUCTURE ET CONTENU DU LIVRE

    Cet ouvrage est constitué de trois parties. La première traite de la complexité, des enjeux et des défis de la formation pratique des programmes de travail social québécois. Dans le premier chapitre, Annie Gusew utilise le concept de la «signature pédagogique» tel que développé par Shulman (2005a, 2005b), pour analyser la complexité, les défis et les enjeux de la formation en travail social. Elle propose de s’éloigner d’une vision clivée qui sépare la théorie de la pratique pour plutôt considérer les interrelations et les enchevêtrements entre les trois axes du programme (théorique, méthodologique et pratique). Ainsi, les programmes en travail social seraient constitués de différentes signatures pédagogiques dont celle de la formation pratique même si la structure diffère d’une unité d’enseignement à l’autre. Des pistes pour bonifier ses retombées sur l’apprentissage en stage sont avancées; l’importance du responsable de la formation pratique dans le maintien de sa qualité fait aussi l’objet d’une analyse tout comme les différents systèmes et acteurs qui influencent l’accueil de stagiaires et l’exercice de la supervision. La nécessité d’une meilleure concertation entre le système universitaire et celui de la pratique est énoncée comme une des pistes intéressantes.

    Dans le deuxième chapitre, Eve Bélanger et Sacha Genest Dufault proposent une définition de l’identité professionnelle et avancent l’idée que la formation et les premières années de pratique exercent une influence déterminante sur le développement de celle-ci. La nature complexe, paradoxale et diversifiée de la pratique du travail social confirme l’importance de bien accompagner les personnes durant ces étapes déterminantes pour qu’elles développent une identité professionnelle forte. L’accent mis sur la collaboration interprofessionnelle dans les milieux de pratique exige de la part des finissants qu’ils connaissent leur profession, ce qui ne semble pas toujours le cas. Dans un contexte où il faut à la fois se distinguer et être reconnu, de tels enjeux signifient pour les enseignants qu’ils doivent aider les étudiants en travail social à prendre conscience des différentes dimensions qui contribuent à la construction de soi, dont les expériences de vie, la formation universitaire et les expériences pratiques.

    Dans la deuxième partie du livre, trois projets de formation pratique aux deux cycles universitaires font l’objet d’une présentation. S’appuyant sur l’expérience d’agents de stage dans deux unités d’enseignement en travail social, le troisième chapitre rédigé par Denis Careau, François-Olivier Bernard et Sacha Genest Dufault, propose une vision des étapes du placement en stage au baccalauréat, du rôle des acteurs impliqués selon les profils des étudiants et les conditions actuelles de la pratique. Prévoir annuellement une banque de stage de qualité et recruter des superviseurs constituent deux des défis de taille, tout comme l’arrimage entre les offres de stage et les projets de formation pratique des étudiants. À l’intérieur de ce processus, l’agent de stage joue un rôle de premier plan.

    Dans le quatrième chapitre, Dominique Mercure s’attarde à la nature de l’accompagnement offert aux étudiants de niveau baccalauréat qui effectuent un stage à l’international et à la richesse des apprentissages dans ce contexte complexe parsemé d’incertitudes. Les modèles de pédagogie interculturelle et les outils pédagogiques présentés visent à gérer le choc culturel vécu par ces stagiaires et à les accompagner dans chacune des étapes qu’ils auront à franchir pour bénéficier pleinement du potentiel que recèle ce type de stage. Les apprentissages constatés chez les stagiaires sont multiples. Ils touchent à l’acquisition d’une sensibilité culturelle, à l’élargissement de la vision du monde de l’apprenant et au développement de stratégies communicationnelles ou de négociation pour gérer la complexité et l’imprévisibilité propres à la pratique du travail social.

    Dans le cinquième chapitre, Valérie Roy et Louise Picard proposent une analyse critique et réflexive sur les défis rencontrés par les enseignants, les milieux de pratique, les superviseurs et les étudiants en lien avec la formation pratique au deuxième cycle universitaire. Elles s’intéressent aux besoins des étudiants ayant peu d’expérience en intervention sociale ou provenant d’une autre discipline tout comme à ceux inscrits dans le volet maîtrise avec stage. À l’aide du modèle de Lewin et des résultats d’une recherche qualitative qu’elles ont menée antérieurement auprès d’acteurs-clés, elles identifient les meilleures pratiques d’accompagnement et les difficultés vécues par ces étudiants. Les auteures partagent également une stratégie pédagogique qu’elles ont développée, stratégie susceptible de mieux soutenir ces étudiants dans l’atteinte des objectifs du programme.

    Enfin, la troisième partie du livre se concentre sur l’accompagnement pédagogique offert aux stagiaires dans le milieu de pratique et à l’université. Le sixième chapitre, rédigé par Annie Gusew et Isabelle Côté, s’appuie sur une importante recension des écrits et sur leurs expériences à titre de formatrices de superviseurs pour faire valoir que la relation superviseur-supervisé représente l’élément-clé dans l’apprentissage en stage. Elles proposent une définition élargie de la supervision et dégagent les forces et les limites de divers types de supervision. La présentation de trois programmes de formation à la supervision offre l’occasion d’illustrer l’importance d’acquérir les compétences requises pour exercer la fonction de superviseur. Une attention particulière est accordée aux questions éthiques et aux défis que pose l’évaluation des apprentissages en stage. En conclusion, elles plaident en faveur d’une véritable reconnaissance de la fonction de supervision dans les établissements qui accueillent les stagiaires.

    Dans le septième chapitre, Sacha Genest Dufault et Eve Bélanger élaborent sur la mise à contribution des notions de «groupe» en travail social dans l’animation de séminaires de stage à l’UQAR. Les séminaires offerts en même temps que le stage veulent permettre aux étudiants d’analyser leur expérience de stage et d’établir des liens entre la théorie et la pratique. La petite taille de ces groupes-cours en font des lieux privilégiés d’accompagnement et de mise à contribution des

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