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La sexologie clinique: Une pratique psychothérapeutique inclusive et intégrative
La sexologie clinique: Une pratique psychothérapeutique inclusive et intégrative
La sexologie clinique: Une pratique psychothérapeutique inclusive et intégrative
Livre électronique574 pages6 heures

La sexologie clinique: Une pratique psychothérapeutique inclusive et intégrative

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À propos de ce livre électronique

La sexologie clinique est une profession de soin qui se développe et se définit de plus en plus comme un champ à part des domaines desquels elle est issue.

Depuis peu, les sociologues et les historiens des sciences s’intéressent même à la profession et à son histoire. Leurs travaux apportent un regard critique qui engage les cliniciens vers une attitude réflexive, remettant en question les diagnostics, situant nos conceptions théoriques dans un contexte historique et social. Cet ouvrage collectif présente l’évolution des approches psychothérapeutiques en sexologie et la manière dont elles ont intégré les travaux de recherche sur la sexualité et la thérapie, le développement conceptuel de nouveaux outils et les réflexions épistémologiques et politiques récentes. Il entend offrir des bases théoriques et pratiques aux sexologues en formation et aux autres cliniciens intéressés par l’intervention psychothérapeutique sur la sexualité afin de favoriser des pratiques cliniques inclusives et intégratives qui envisagent la sexualité humaine comme une expérience subjective complexe, située, incarnée et relationnelle.

La première partie du présent livre discute des fondements épistémologiques et éthiques pour une sexologie inclusive. Elle propose d’intégrer l’évolution de la pensée critique en sciences sociales sur les sexualités en développant des perspectives cliniques plus politiques et affirmatives, conscientes des questions d’oppressions et d’intersectionnalité. La deuxième partie s’intéresse aux difficultés fonctionnelles et aux manifestations somatiques et subjectives de la réponse sexuelle humaine. Elle présente différentes approches cliniques visant le traitement des dysfonctions sexuelles ainsi que l’état des connaissances sur l’efficacité de ces traitements. La troisième partie propose de réintégrer la question de l’érotisme en sexologie dans une perspective qui s’intéresse au plaisir, mais qui envisage aussi la complexité et les tumultes de l’érotisme. Les auteurs y développent des réflexions théoriques et des outils psychothérapeutiques pour aborder ces thématiques en clinique.

LangueFrançais
Date de sortie27 oct. 2021
ISBN9782760555983
La sexologie clinique: Une pratique psychothérapeutique inclusive et intégrative
Auteur

Denise Medico

Denise Medico, Ph. D., est sexologue et psychologue. Elle est professeure au département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal, où elle enseigne l’approche humaniste existentielle et mène des travaux de recherche sur le genre, l’érotisme et la profession de sexologue. Son approche thérapeutique est inclusive, d’inspiration féministe, systémique et existentielle. Elle enseigne également la psychothérapie et la sexologie en Suisse, en Italie et en Belgique. Elle est membre du conseil scientifique de l’Association mondiale de santé sexuelle WAS (2018-2022).

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    Aperçu du livre

    La sexologie clinique - Denise Medico

    INTRODUCTION ET PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

    Denise Medico

    La sexologie clinique est en tension entre au moins trois tendances dans la manière de conceptualiser la sexualité et d’organiser ses interventions thérapeutiques. Chaque tendance, lorsqu’elle est envisagée au mépris des autres, devient restrictive. Cet ouvrage, en exposant les tendances qui traversent la sexologie et en les articulant en trois parties – un objet politique, un traitement des dysfonctions et de la souffrance sexuelle et une orientation vers l’érotisme –, souhaite en montrer aussi les complémentarités, car aucune de ces options ne peut réduire l’expérience du sujet; c’est au contraire dans une intégration de ces perspectives que la sexologie se constitue comme une pratique clinique à part, unique, cohérente et subtile.

    La première et plus récente tendance, que nous appellerons «politique», s’est développée grâce à l’influence de la pensée critique en sciences sociales sur les sexualités et à l’essor des approches plus politiques et affirmatives de la thérapie. Elle propose une sexologie clinique particulièrement sensible aux questions d’oppressions, d’intersectionnalité et d’enjeux éthiques et épistémologiques. Les chapitres de la première partie de l’ouvrage s’inscrivent dans cette tendance et discutent des fondements épistémologiques et éthiques pour une sexologie inclusive.

    Une deuxième tendance, probablement la plus dominante depuis l’essor de la profession, s’intéresse aux manifestations somatiques et subjectives de la réponse sexuelle humaine. Nous l’appellerons la «tendance fonctionnelle». Cette tendance se consacre essentiellement à étudier et à développer des approches et des outils thérapeutiques permettant de traiter les dysfonctions sexuelles. La deuxième partie de l’ouvrage présente différentes approches cliniques visant le traitement des dysfonctions sexuelles ainsi que l’état des connaissances sur l’efficacité de ces traitements.

    Une troisième tendance envisage le désir et la recherche de plaisir comme étant investis de significations pour l’individu et le couple, nous l’appellerons la «tendance érotique». La troisième partie de l’ouvrage contient des chapitres qui proposent de replacer l’érotisme au centre de nos interventions. Ils développent des réflexions théoriques et des propositions pratiques pour aborder ces thématiques en clinique dans une vision intégrative.

    L’ouvrage est divisé en trois parties qui approfondissent les tendances présentées précédemment.

    La première partie s’intitule «S’ancrer dans une réflexion épistémologique, éthique et politique».

    Le chapitre 1, «Nos conceptions de la sexualité, du genre et de la conjugalité au risque des sciences sociales» est signé par Martin Blais et résume les travaux en sociologie des sciences pour nous montrer comment la science sexologique s’est constituée sur la base d’assomptions morales et de représentations du genre et des sexualités marquées par un contexte hétérocisnormatif et patriarcal. L’auteur discute des prémisses non contestées de la recherche sexologique qui perpétuent ces normes en les présentant comme des vérités scientifiques.

    Dans le chapitre 2, nous aborderons une question fondamentale pour tout clinicien, soit: quels sont ses objectifs dans un traitement et à quelle vision de la sexualité ceux-ci se réfèrent? Ainsi, dans ce chapitre signé par Simon Corneau, Denise Medico, Kim Bernatchez et Maude Lecompte et intitulé «Du fonctionnel au sensationnel: réflexions critiques sur les objectifs à atteindre en sexologie clinique», les auteurs discutent de trois principaux métamodèles de l’idéal sexothérapeutique. Ceux-ci vont d’un objectif de disparition d’un symptôme à la dysfonction sexuelle, en passant par la recherche d’une sexualité suffisamment bonne et le développement d’une sexualité sensationnelle orientée vers le plaisir.

    Nous aborderons dans le chapitre 3 la question des vulnérabilités et des oppressions qui affectent différemment les groupes sociaux et qui font que la sexologie doit, si elle veut être une pratique éthique, se positionner comme approche antioppressive et affirmative. Annie Pullen Sansfaçon et Denise Medico cosignent «Pratiques antioppressives et affirmatives en sexologie clinique», qui présente les bases philosophiques, éthiques et pratiques des approches antioppressives venant du travail social et des approches affirmatives pour la sexologie.

    La deuxième partie s’institule «Traiter les dysfonctions sexuelles».

    Dans le chapitre 4, «L’efficacité des traitements des dysfonctions sexuelles: comparaisons entre l’approche psychothérapeutique, la thérapie cognitivo-comportementale et les traitements médicaux», coécrit par Anne-Julie Lafrenaye-Dugas, Roxanne Bolduc, Sophie Bergeron et Natacha Godbout, nous verrons comment, pour des symptomatologies fonctionnelles précises, les approches psychothérapeutiques, les thérapies corporelles et les thérapies plus médicales, notamment pharmaceutiques et chirurgicales, sont utilisées ainsi que l’état actuel de la recherche sur l’efficacité de ces traitements. Ce chapitre permettra au lecteur de mieux s’orienter dans le choix d’approches d’intervention en fonction des manifestations corporelles et symptomatologiques rapportées par les clients.

    Ce chapitre est suivi et complété par le chapitre 5 de David Lafortune et François Bilodeau, qui expose les principes des approches cognitivo-comportementales dans le traitement des troubles sexuels ainsi que l’évolution de ces approches. Dans «L’apport des approches cognitivo-comportementales au traitement des dysfonctions sexuelles», le lecteur trouvera un condensé de ces approches très utilisées pour les traitements sexologiques ainsi que des applications pratiques, une description des outils cliniques et des illustrations de la démarche.

    Dans le chapitre 6, «L’apport des approches psychodynamiques au traitement des dysfonctions sexuelles et des difficultés sexo-relationnelles», David Lafortune et Sophie Gilbert résument les bases psychodynamiques de la sexologie autour d’une notion fondamentale, celle du triangle du conflit interne. Ils expliquent comment travailler les questions psychodéveloppementales en lien avec l’attachement et la construction d’un soi fort qui peuvent être des enjeux dans la sexualité et ses difficultés.

    Le chapitre 7, «Les dysfonctions sexuelles chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes: une perspective féministe», signé Yan Myette, dresse un état des connaissances sur les dysfonctions sexuelles chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et propose ensuite des pistes de compréhension cliniques féministes. L’auteur montre que la dynamique sexuelle est indissociable des normes et valeurs de nos sociétés patriarcales et donc de la manière dont les hommes ayant des relations avec d’autres hommes vivent leur sexualité. Il propose de prendre en compte cette dimension sociale et critique et de développer en même temps des connaissances culturelles spécifiques afin de travailler en sexologie clinique avec cette population.

    La troisième partie s’intitule «Développer des modèles sexologiques intégratifs axés sur l’érotisme».

    Dans le chapitre 8, «Penser la diversité des érotismes et l’orientation érotique», Denise Medico discute de la différence de paradigme entre une conception issue des manuels de psychiatrie qui pensent en termes de paraphilie et une conception de la diversité érotique. Elle propose, dans cette deuxième perspective, d’envisager l’érotisme des individus comme une fonction de résilience et d’en étudier les dimensions pour une application clinique.

    Le chapitre 9, «Une perspective phénoménologique, existentielle et critique en sexologie clinique», est signé par Denise Medico et présente les bases des approches humanistes existentielles en sexologie et leur développement actuel vers une perspective critique. Cette approche est axée sur l’examen des anxiétés existentielles et un travail thérapeutique fondé sur la qualité de présence, de bienveillance et d’acceptation de la complexité de chaque être humain.

    Dans le chapitre 10, «Promouvoir l’intimité érotique optimale», Peggy J. Kleinplatz et Maxime Charest proposent une approche pour les couples basée sur la communication érotique. Peggy J. Kleinplatz et ses collaborateurs de l’équipe d’Ottawa mènent depuis de nombreuses années des travaux sur les conditions des expériences sensationnelles dans la sexualité. Ils nous en offrent un résumé et une proposition thérapeutique axée sur le développement de la communication érotique. Ils présentent un nouveau modèle de thérapie groupale pour les couples faisant face à des difficultés avec le désir. Dans leur modèle, l’érotisme, envisagé aussi comme une quête existentielle et une ouverture à l’autre et à soi, est au cœur de la démarche.

    Le chapitre 11, «Le génogramme intégratif en sexologie clinique» de Nicolas Leuba, présente un outil intégratif et créatif pour travailler cliniquement les enjeux de transmission intergénérationnelle liés à la sexualité et à l’érotisme. Cet outil permet d’explorer des dimensions non explicitées dans la fantasmatique, de comprendre certains enjeux psychodéveloppementaux ainsi que certains blocages dans le processus thérapeutique.

    Pour terminer, le chapitre 12 porte sur le savoir-être des sexologues cliniciens. Il nous est proposé par Katia Fournier sous le titre «Être thérapeute en sexologie». La sexualité, et encore plus sa part érotique, est d’emblée un lieu qui engage l’individu dans des zones de tension. L’érotisme est un lieu avec des parts d’ombre qui nous ramènent, tout comme nos clients, à nos propres chemins et blessures, nos propres rapports à la sexualité, nos propres érotismes. Cela est une spécificité du travail sexologique lorsqu’il est fait dans une optique réflexive et relationnelle. Dès lors, tout thérapeute en sexologie devrait être confronté à ses propres valeurs et ambivalences pour pouvoir travailler sereinement et efficacement. L’auteure aborde différentes questions délicates pour la sexologie, des zones qui heurtent parfois nos valeurs profondes, mais qui doivent être regardées avec complexité et honnêteté. Ce chapitre fondamental nous rappelle l’importance du savoir-être du sexologue au-delà de ses connaissances techniques et processuelles et l’importance d’une posture réflexive et ouverte à la complexité.

    Plusieurs disciplines ont investi les sexualités, les genres et les relations intimes comme objet d’études, notamment la médecine, la psychanalyse, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie ou la sexologie¹. Les modèles conceptuels qu’elles ont produits se sont détachés graduellement des référents religieux ou préscientifiques au profit d’une description scientifique, réalisée dans un champ d’études interdisciplinaire. L’impressionnant corpus des connaissances générées peut nous faire oublier l’une des constantes de son évolution, à savoir que les connaissances que nous tenons pour vraies en la matière finiront par être remplacées.

    Dans ce chapitre, nous explorons le caractère situé de ces savoirs à partir de quatre propositions. Une première proposition veut qu’ils (ne) soient (que) le reflet de l’état de la science et de ses instruments méthodologiques à un moment donné de leur développement, marqués par l’inachèvement. Une deuxième proposition soutient que les données sur les sexualités, les genres et les relations intimes – sur lesquelles sont construits les modèles conceptuels guidant les interventions sexologiques – varient selon les cultures et les époques. En conséquence, leur description est culturellement et historiquement située. Une troisième proposition avance que ces données n’ont pas d’interprétation naturelle ou inhérente, pas plus qu’en découlent de manière évidente des interventions cliniques. Ces interprétations et les lignes directrices qu’on établit pour l’intervention se trouvent plutôt dans les modèles conceptuels à travers lesquels nous observons ces phénomènes. Enfin, une quatrième proposition considère que ces modèles conceptuels ne sont pas des représentations neutres du monde: ils sont traversés par des rapports de pouvoir où se négocie la production des savoirs légitimes.

    LA SCIENCE ET SES INSTRUMENTS SONT TOUJOURS INACHEVÉS ET PERFECTIBLES

    Les savoirs que nous produisons sont toujours le reflet de l’état de la science à un moment de son développement, ce qui inclut autant ses avancées que ses limites à décrire et à comprendre adéquatement ses objets. Cette proposition émerge du regard critique que les sciences portent sur elles-mêmes, notamment à l’égard de leurs méthodes de collecte de données, des sources d’erreur que contiennent leurs instruments de mesure et de la qualité des échantillons à partir desquels elles produisent des connaissances. Se pose alors la question de la crédibilité des modèles conceptuels ainsi produits et de l’étendue de leur applicabilité.

    L’une des nombreuses façons de répondre à cette question est de se demander quelles sont les populations que décrivent ces modèles et, en les décrivant, ce que traduisent ces modèles exactement. De plus en plus de chercheurs² soulignent les biais importants dans la composition des échantillons sur lesquels sont développés et testés nos modèles. Les répondants qui composent ces échantillons sont généralement issus de sociétés occidentales, éduquées, industrialisées, riches et démocratiques (western, educated, industrialized, rich, and democratic [WEIRD³] societies). En effet, 96% des participants aux études publiées entre 2003 et 2007 dans les plus grands journaux de psychologie provenaient de pays occidentaux industrialisés qui, par ailleurs, ne composent que 12% de la population mondiale (Arnett, 2008). Les participants étasuniens, dont les deux tiers étaient des étudiants recrutés dans des cours de premier cycle universitaire en psychologie, y étaient majoritaires. Autrement dit, les personnes que nous étudions proviennent de populations très homogènes et peu représentatives de la diversité humaine. Or, pour des objets de recherche où les normes, les valeurs, les attitudes et les représentations occupent une place importante (voire constitutive), comme c’est le cas pour les sexualités, les genres et les relations intimes, ce manque de représentativité peut signifier que nos modèles conceptuels ne s’appliquent de façon crédible qu’à une minorité de personnes et dans des contextes socioculturels et géographiques très spécifiques. De tels cadres pourraient nous inciter à considérer comme des pathologies des phénomènes qui, s’ils étaient représentés et documentés plus adéquatement par la recherche, pourraient être conceptualisés autrement, voire normalisés et retirés de nos classifications.

    Un autre type d’échantillons couramment utilisés pour développer les modèles sur les sexualités, les genres et les relations intimes est composé de personnes recrutées dans des milieux de consultation. Ce type d’échantillons comporte des limites importantes, notamment puisqu’il surreprésente certaines difficultés ou certaines catégories de personnes, en l’occurrence celles qui souffrent au point de devoir chercher de l’aide professionnelle. Il devient alors aisé d’associer des variations de la sexualité et du genre à la souffrance et, par extension, à la pathologie. L’histoire de la sexologie et des disciplines connexes contient de nombreux exemples de lecture des variations de la sexualité, du genre ou des relations intimes sous l’angle de la pathologie. Pensons notamment aux personnes dont certaines caractéristiques, préférences ou pratiques diffèrent des normes et critères en vigueur, que ce soit sur la base de l’orientation sexuelle (les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou asexuelles), du genre (les personnes trans, non binaires, créatives dans leur genre ou agenres), du corps (les personnes présentant des variations intersexuées) ou de ses réponses physiologiques (tels que l’expulsion orgasmique féminine, l’éjaculation prématurée, l’anorgasmie, les troubles érectiles), des pratiques sexuelles ou des objets qu’elles mobilisent dans leurs fantasmes ou leurs pratiques érotiques (fétichisme, kink, domination/soumission, ligotage, etc.), ou encore des types d’union (comme le polyamour ou les relations non monogames consensuelles). Dans nombre de cas, la recherche a montré que les difficultés vécues par ces personnes n’étaient pas inhérentes à ces variations elles-mêmes, mais au regard normatif et aux violences que les institutions sociales exercent sur elles à différentes époques (notamment l’Église, la médecine, la clinique, le droit), conditionnant ainsi les personnes à adopter un regard dysphorique sur leur sexualité, leur genre et leurs relations intimes.

    Cette réflexion sur les groupes qui sont inclus ou non dans les échantillons sur lesquels cliniciens et chercheurs construisent leurs modèles conceptuels rejoint plusieurs critiques contemporaines sur la production des savoirs. Les sciences sociales ont montré que les groupes sociaux se distinguent les uns des autres en fonction des positions sociales qu’ils occupent et des forces sociétales auxquelles ils sont exposés, telles que les injonctions normatives sur l’expression binaire de la féminité ou de la masculinité, l’hétéronormativité, le cissexisme, le racisme ou la mononormativité, entre autres. Par exemple, les hommes racisés et défavorisés n’expriment ni ne vivent leur masculinité comme les hommes blancs de la classe moyenne. Les femmes n’ont pas toutes la même liberté de choix face à différentes expériences qu’elles sont susceptibles de vivre, comme le désir d’avoir un enfant ou la maternité, qui peuvent être considérés comme fondamentaux dans l’acceptation ou le rejet de la féminité. Le rapport au corps, au genre et à la sexualité n’est pas le même selon que la personne est cisgenre ou trans, notamment en raison du regard que la société l’incite à porter sur elle et du regard que les autres, incluant les partenaires sexuels ou conjugaux potentiels, posent sur elle. Ces groupes sont minorisés par le peu d’attention ou le type de regard (pathologisant ou judiciarisant) porté sur eux.

    La déconsidération des groupes minorisés tend à normaliser et à établir comme normes de référence les conceptions et les pratiques du groupe majoritaire (l’hétérosexualité, la convergence entre l’identité de genre et le sexe assigné à la naissance, le couple dyadique monogame, entre autres), et à pathologiser les variations plus rares ou mal connues. Il y a donc un risque de tenir pour naturelles ou universelles certaines conceptions de la sexualité, du genre et de la conjugalité qui résultent des limites de nos méthodes et de nos modèles, et qui pourraient surtout refléter le regard normatif que la société et la culture nous incitent à poser sur elles.

    L’évolution de nos classifications et typologies (pensons aux révisions successives du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM] ou de la Classification internationale des maladies [CIM], mais aussi aux classifications propres aux différentes approches théoriques qui guident les pratiques d’évaluation et d’intervention cliniques) témoigne de changements dans nos conceptions de la sexualité et du genre. Elle a été considérable pour une diversité de phénomènes, tels que l’orientation sexuelle, les paraphilies sans victime, l’orgasme féminin, les variations intersexuées ou la pluralité des genres. Nous n’avons aucune raison de penser que cette évolution est achevée et que les modèles conceptuels que nous tenons aujourd’hui pour valides ne feront pas l’objet de changements dans l’avenir. Ils seront éventuellement révisés, abandonnés ou remplacés. Il persiste donc une incertitude de la science à dire le «vrai» sur la sexualité, le genre et la conjugalité. Cette première proposition contient la promesse d’une description toujours plus juste du monde et des phénomènes à l’étude. Un tel postulat n’est cependant valide que si ces phénomènes sont relativement stables, ce qui ne va pas de soi.

    LES MODÈLES CONCEPTUELS SUR LA SEXUALITÉ, LE GENRE ET LA CONJUGALITÉ SONT HISTORIQUEMENT ET CULTURELLEMENT SITUÉS

    Si la capacité de la science à produire des savoirs évolue de concert avec ses instruments méthodologiques, les phénomènes étudiés par la recherche connaissent également des transformations. Plusieurs dimensions des sexualités, des genres et des relations intimes ne sont en effet pas des phénomènes stables qu’il suffirait de décrire une fois pour toutes. La réponse sexuelle, l’orientation sexuelle et le genre sont affectés par les représentations, perpétuellement en mouvance, que nous nous en faisons et les attitudes que nous entretenons à leur égard, elles-mêmes influencées par les normes culturelles en vigueur. L’anthropologie a documenté la diversité des représentations de ce qui constitue des objets érotiques ou antiérotiques, désirables ou tabous, valorisés ou abjects et la relativité de ces jugements (Lévy, 2018). Pensons à la diversité des réactions que suscitent les images pornographiques, les fluides corporels, le baiser, la fellation ou le cunnilingus, entre autres exemples. Nos normes culturelles ne sont ni universelles ni naturelles: elles divergent entre les cultures et elles évoluent à l’intérieur même de chacune. Les modèles conceptuels que nous privilégions sur la normalité, qui reflètent en grande partie les normes culturelles dominantes (WEIRD, ethnocentrées, hétérocisnormatives et mononormatives), ne sont donc possiblement pas plus à même de dire la vérité sur les sexualités, les genres ou les relations intimes que les modèles considérés, à un moment donné de l’histoire des idées, comme marginaux. Certains courants des sciences sociales vont encore plus loin et considèrent que la sexualité, le genre ou les relations intimes sont des constructions sociales qui ne sont pas connaissables en dehors des modèles à travers lesquels on les pense.

    LES DONNÉES SUR LES SEXUALITÉS, LES GENRES ET LES RELATIONS INTIMES SONT PRODUITES ET INTERPRÉTÉES À PARTIR DES MODÈLES CONCEPTUELS PRÉEXISTANTS

    L’idée que les sexualités, les genres ou les relations intimes sont des constructions sociales implique que les explications et les prescriptions qu’on en tire pour l’intervention sont à trouver dans les modèles implicites et explicites, culturels ou scientifiques, mobilisés par les personnes qui cherchent à les comprendre. Ces modèles déterminent les critères en vertu desquels les observations sont jugées valables ou non. Les nouvelles connaissances apparaissent d’autant plus crédibles si elles confirment les connaissances produites antérieurement et si elles sont compatibles avec les normes socioculturelles dominantes.

    Le processus qui conduit à déterminer cette crédibilité repose sur des jugements complexes qui dépassent donc l’observation directe et les conclusions qui sembleraient naturelles. Par exemple, observer des organes génitaux et en tirer des conclusions quant aux identités de genre et aux subjectivités qui devraient en découler ou des préférences esthétiques auxquelles les personnes devraient se conformer sont des tâches très différentes. Nos interprétations reposent sur de nombreuses conceptions à l’égard de la sexualité ou du genre et de leurs variations, voulant par exemple que la sexualité soit naturelle et ancrée dans des réactions physiologiques hors de notre contrôle; que la protoféminité constitue un programme par défaut et qu’une intervention active est nécessaire pour qu’ait préséance un développement mâle (une hypothèse désormais invalidée, voir Ainsworth, 2015); que la sexualité soit motivée par la recherche du plaisir ou que tout le monde en tire du plaisir; que la pénétration soit la forme la plus achevée et souhaitable d’un rapport sexuel ou que l’orgasme en soit la finalité naturelle; que l’hétérosexualité soit supérieure aux autres orientations sexuelles; que la concordance entre l’identité de genre et le sexe assigné à la naissance soit supérieure à leur divergence; que la bicatégorisation du genre soit le reflet d’une division naturellement binaire du sexe; ou que la division binaire des sexes soit non seulement un fait scientifique (une hypothèse remise en question, voir Ainsworth, 2015), mais qu’elle soit supérieure aux variations intersexes. Toutes ces conceptions reposent sur des jugements complexes qui mobilisent autant des connaissances scientifiques que des postures axio-logiques et esthétiques, toutes historiquement et socialement situées.

    Les chercheurs qui produisent les modèles conceptuels jugés crédibles sont majoritairement issus de pays WEIRD. Selon Arnett (2008), près de 75% des auteurs des travaux publiés dans les plus importantes revues de psychologie étaient Étasuniens. Ainsi, ces modèles sont aussi le reflet, à travers le choix des dimensions considérées pertinentes et de celles qui sont exclues, d’un cadrage WEIRD (Arnett, 2009; Meadon et Spurrett, 2010). Les manières dont nous formons nos hypothèses, résolvons des problèmes ou sélectionnons des objets d’intérêt varient selon les contextes culturels (Henrich, Heine et Norenzayan, 2010). Nos appartenances sociales conditionnent nos valeurs, nos goûts et nos jugements esthétiques. Elles participent à la formation de notre jugement sur les frontières entre, par exemple, les genres et leur expression esthétique attendue, l’érotisme et la pornographie, le normal et le pathologique, le désir sexuel normal par contraste avec l’hypersexualité ou le désir sexuel hypoactif, la censure ou la sexualisation exagérée de l’espace public, etc.

    Comme les personnes qui se posent en expertes et produisent les savoirs forment un groupe relativement homogène en regard de leurs valeurs et de leurs styles de raisonnement (Meadon et Spurrett, 2010), ce cadrage WEIRD – souvent aussi ethnocentré et hétérocisnormatif – conditionne les conceptions des sexualités, des genres et des relations intimes ainsi que les critères pour juger de leur crédibilité. L’intrication des modèles conceptuels aux normes culturelles qui participent à les produire remet en question l’idée qu’ils seraient indépendants les uns des autres. Serait-il possible que nous établissions nos modèles conceptuels à partir des représentations culturelles dominantes et que, ce faisant, nous considérions ces représentations comme scientifiques ou vraies en rejetant les autres sous prétexte d’anormalité ou de l’erreur de mesure?

    Par exemple, le peu d’importance donné à l’étude du clitoris et son rôle comme organe légitime de production de plaisir et son exclusion d’un modèle de la maturité sexuelle ne sont pas indépendants des représentations sociales et culturelles spécifiques que les personnes qui produisent les connaissances se font des femmes et de leurs sexualités. Il en va de même pour la pathologisation de l’homosexualité sur la base de normes qui accordent une plus grande valeur à une finalité reproductive de la sexualité ou à la pénétration phallo-vaginale. C’est aussi le cas de modèles qui pathologisent les variations intersexuées en posant le dimorphisme génital comme principe de la normalité. C’est encore le cas des modèles qui considèrent les personnes créatives dans leur expression de genre à l’aune d’une vision binaire du genre (plutôt que sa fluidité) érigée en critère décisif de santé. Quelle validité a un modèle de la réponse sexuelle qui exclut le désir sexuel comme condition préalable à des réponses physiologiques et subjectives d’excitation et de plaisir, ou qui rend problématique l’absence de désir dans un contexte où la question du consentement – particulièrement en contexte de conjugalité – est longtemps restée impensée? Ou qui tient pour acquis que le désir sexuel est une composante inhérente à un instinct reproductif et essentiel à la survie comparable à l’appétit, de sorte que son absence, par exemple chez les personnes asexuelles, ne peut être considérée que comme pathologique?

    En qualifiant ces prémisses de «constructions sociales», il ne s’agit pas ici de dire que le corps et ses réponses physiologiques n’existent pas en dehors des représentations que nous nous en faisons, le débat portant plutôt sur la mesure de ce que les modèles disponibles nous permettent ou non d’en observer. Il s’agit de considérer que les conceptions que nous nous faisons du corps et de ses réponses physiologiques dépendent des modèles et de normes à partir desquels nous les interprétons. Ces modèles conceptuels ont donc un rôle définitoire et performatif: ils contribuent à nous les faire voir d’une certaine manière et pas d’une autre; ils donnent cohérence et légitimité à certaines manières de voir et les retirent à d’autres manières de voir. Un autre apport des sciences sociales est de montrer que les modèles conceptuels légitimes ne reposent pas seulement sur des avancées scientifiques. L’établissement des modèles conceptuels dominants et des critères pour apprécier le caractère dysfonctionnel de certaines expériences repose aussi sur l’ignorance de certaines facettes des phénomènes qu’ils décrivent⁴ et l’invisibilité de certains groupes dans leur production, autrement dit, sur des rapports de pouvoir; ce dernier point renvoie à la quatrième proposition abordée dans ce texte.

    LA PRODUCTION DES SAVOIRS LÉGITIMES EST TRAVERSÉE PAR DES RAPPORTS DE POUVOIR

    La crédibilité qu’on accorde aux modèles conceptuels repose sur une négociation marquée par le pouvoir, la dépendance, la légitimité, la confiance et la persuasion. Expliciter le processus de négociation par lequel cette crédibilité scientifique est acquise permet de révéler qui y participe, sur quelles bases et à quel prix. Corrélativement, cette explicitation permet de montrer que les modèles conceptuels considérés comme crédibles à un moment donné du développement d’un champ d’études ne le deviennent pas uniquement en raison d’une capacité à mieux représenter les phénomènes à l’étude. Cela ne revient pas à dire qu’il existerait une science véritable ou neutre que sa politisation viendrait dénaturer. Il s’agit plutôt de choisir de la décrire, par exemple pour montrer ses effets d’invisibilisation, ou d’y rester aveugle pour masquer derrière une apparence de neutralité ses prétentions à dire la

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