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L' Agression sexuelle envers les enfants - Tome 2
L' Agression sexuelle envers les enfants - Tome 2
L' Agression sexuelle envers les enfants - Tome 2
Livre électronique776 pages8 heures

L' Agression sexuelle envers les enfants - Tome 2

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À propos de ce livre électronique

Dans ce deuxième tome de L’agression sexuelle envers les enfants, les auteurs approfondissent les conséquences associées à l’agression sexuelle, puis abordent des thèmes émergents dans ce domaine de recherche et d’intervention.
LangueFrançais
Date de sortie31 oct. 2012
ISBN9782760530171
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    Aperçu du livre

    L' Agression sexuelle envers les enfants - Tome 2 - Martine Hébert

    Canada

    Introduction

    Martine HÉBERT

    Mireille CYR

    Marc TOURIGNY

    L’agression sexuelle est un phénomène qui interpelle tant le public en général, les chercheurs que les intervenants et tout spécialement ceux appelés à œuvrer auprès des jeunes. Si la médiatisation de situations d’agression sexuelle a permis une certaine prise de conscience de l’ampleur et de la réalité des enfants confrontés à une telle situation, il n’en demeure pas moins que les meilleures approches au plan de l’évaluation, de l’intervention et de la prévention en cette matière demeurent encore insuffisamment implantées dans les milieux de pratique. Un des obstacles liés à une vaste implantation réside dans la difficulté d’accéder aux résultats de recherche les plus récents, à la diffusion des connaissances et à l’expertise clinique acquise au cours des dernières années auprès des différents acteurs appelés à intervenir auprès des enfants victimes d’agression sexuelle et les membres de leurs familles.

    Cet ouvrage est né d’une préoccupation de vouloir offrir une synthèse des plus récentes recherches et connaissances dans le domaine de l’agression sexuelle envers les jeunes, et ce, en langue française. Des progrès importants ont été réalisées au cours des dernières années et plusieurs infrastructures de recherche et de partenariat avec les milieux de pratique ont permis de mieux cerner les enjeux et les pratiques de pointe ayant trait à l’évaluation et à l’intervention auprès des personnes victimes d’agression sexuelle.

    Ainsi, dès le début des années 1990, le Partenariat de recherche et d’intervention en matière d’abus sexuel (PRIMASE) a amorcé une série de travaux portant sur l’incidence et la prévalence de l’agression sexuelle, les facteurs de risque et la question de la prévention, le profil multidimensionnel des différents acteurs impliqués et les recherches évaluatives des interventions visant à alléger les conséquences chez les personnes victimes de violence sexuelle. Les projets de recherche et les activités scientifiques du PRIMASE ainsi que ceux de deux autres équipes travaillant sur les relations interpersonnelles et conjugales ont graduellement été intégrés dans une structure de recherche plus large, jetant ainsi les bases de ce qui allait devenir un regroupement stratégique. Mis sur pied en 2002, le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS), bénéficiant du soutien du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC), s’intéresse aux agressions sexuelles ainsi qu’aux problèmes conjugaux et aux interrelations entre ces deux problématiques. Plus récemment, l’Équipe Violence Sexuelle et Santé (ÉVISSA), financée par le FQRSC, a consolidé une programmation de recherche sur les conséquences liées à l’agression sexuelle, et ce, dans différents contextes de vie. La Chaire interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants a entrepris des travaux visant à mieux documenter les profils des enfants et des parents à la suite du dévoilement d’une agression sexuelle et, tout récemment, l’Équipe des IRSC sur les traumas interpersonnels a démarré une série de projets afin de mieux étayer les liens entre l’agression sexuelle et la violence au sein des relations amoureuses des jeunes.

    Des chercheurs et des cliniciens provenant de différentes disciplines telles que la psychologie, la médecine, la psychoéducation et la sexologie, ont contribué à l’ouvrage. Le premier tome de cet ouvrage, paru en 2011, visait à apporter une réflexion sur l’ampleur de la problématique, les facteurs de risque associés de même que l’ensemble des facteurs susceptibles d’influencer le vécu de l’enfant victime d’agression sexuelle. À partir de synthèses des connaissances issues des recherches et de l’expérience clinique, des pistes d’intervention ont été proposées pour la prévention, l’enquête, l’évaluation et l’intervention auprès des jeunes victimes d’agression sexuelle et leur famille.

    Dans ce deuxième tome, nous poursuivons la réflexion en abordant, d’une part, certaines conséquences associées à l’agression sexuelle et, d’autre part, une série de thèmes émergents dans ce domaine de recherche et d’intervention. Ainsi, le premier chapitre vise à faire état des connaissances actuelles sur l’agression sexuelle envers les enfants ayant une déficience intellectuelle. Des lignes directrices et recommandations cliniques sont proposées pour l’enquête, l’évaluation, le traitement et la prévention de l’agression sexuelle pour cette clientèle particulièrement vulnérable. Le deuxième chapitre dresse un survol des connaissances scientifiques sur la dépression et la problématique suicidaire chez les adolescents ayant vécu une agression sexuelle. Les facteurs de protection et de risque en cause dans le développement de la problématique suicidaire sont abordés et des pistes d’intervention auprès de cette clientèle sont détaillées. Le chapitre suivant aborde une autre problématique souvent rencontrée chez les victimes d’agression sexuelle, les troubles des conduites alimentaires, alors que le chapitre 4 s’intéresse aux comportements sexuels à risque chez les adolescentes victimes d’agression sexuelle. Le chapitre 5 explore le risque accru de revictimisation chez les adolescentes et adolescents ayant vécu une agression sexuelle pendant l’enfance. Différents modèles conceptuels explicatifs de ce phénomène y sont proposés et les défis liés à la prévention afin d’enrayer la revictimisation sont abordés. Le chapitre 6 s’intéresse aux différentes conséquences d’une agression sexuelle sur la santé en utilisant plusieurs indicateurs de la santé (p. ex., perception subjective, symptômes physiques rapportés et consultation de professionnels de la santé).

    Les cinq chapitres suivants s’inscrivent sous le vocable « thèmes en émergence ». Il s’agit de différents thèmes novateurs, peu explorés à ce jour mais susceptibles d’être davantage considérés au cours des prochaines années non seulement sur le plan de la recherche mais aussi pour guider l’intervention. Le chapitre 7 traite d’un modèle conceptuel ayant démontré sa pertinence pour l’étude du développement des jeunes mais ayant été peu appliqué à l’étude des profils des victimes d’agression sexuelle, soit le modèle de l’attachement. Le chapitre recense les données disponibles et démontre la pertinence d’explorer la sécurité d’attachement des jeunes ayant été victimes de violence sexuelle. Le chapitre 8 aborde aussi un thème novateur, soit le possible rôle que pourrait jouer le père non agresseur auprès de son enfant à la suite du dévoilement d’une agression sexuelle. Des hypothèses sur le rôle du père non agresseur en contexte d’agression sexuelle seront formulées de même que des pistes de recherche futures. Interpellant tant les intervenants que les chercheurs, le phénomène de cycle intergénérationnel de la victimisation sexuelle des enfants est défini au chapitre 9. Près de la moitié des mères des enfants victimes d’agression sexuelle dévoilent elles-mêmes une histoire de violence sexuelle pendant l’enfance. Les auteurs proposent un modèle explicatif du phénomène et aborde les implications cliniques. Le chapitre 10 amène un éclairage particulier sur les activités sociales sexualisées, des échanges à connotation sexuelle qui se déroulent dans un contexte de groupe, phénomène qui suscite l’attention tant des médias que des parents concernés. Finalement, le chapitre 11 se veut une introduction au traitement combiné MASTR (Motivation-Adaptive Skills-Trauma Resolution) – EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). On y aborde les résultats des études évaluatives de l’approche et une histoire de cas permet d’illustrer les différentes étapes de ce traitement individuel novateur.

    Initialement, ce projet de livre visait à répondre aux besoins des étudiants en formation, inscrits dans différents programmes des sciences humaines dont le programme de sexologie, de psychologie et de psychoéducation, programmes dans lesquels nous sommes appelés à intervenir. Si ce livre est d’abord issu d’une préoccupation d’offrir aux candidats en formation un ouvrage résumant les faits saillants de la littérature scientifique dans le domaine de l’agression sexuelle envers les enfants, nous avons aussi voulu que l’ouvrage intéresse les intervenants de différents milieux de pratique, interpellés par le phénomène de l’agression sexuelle, en offrant non seulement une synthèse des données de recherche récentes mais aussi une discussion des implications sur le plan de l’intervention.

    Outre l’appui de l’Équipe FQRSC Violence Sexuelle et Santé (ÉVISSA), la publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière du Réseau de recherche en santé des populations du Québec, qui, dans le cadre de sa mission générale, soutient des initiatives visant à documenter et à diffuser des recherches en santé. Nous désirons également souligner la contribution de la Fondation Marie-Vincent par l’intermédiaire du financement des activités de la Chaire interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles et la contribution du CRIPCAS.

    Nous tenons également à offrir nos sincères remerciements à Mélanie St-Hilaire et à Manon Robichaud qui ont collaboré de près et avec beaucoup de minutie aux diverses étapes de la réalisation de ce livre. Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans l’appui de toute l’équipe des Presses de l’Université du Québec, qui a cru en ce projet et qui a démontré un professionnalisme exemplaire tout au long du processus. De plus, nous soulignons la participation de tous les collaborateurs à cet ouvrage qui ont accepté de partager leur expertise et ainsi bonifié le contenu de cet ouvrage.

    Finalement, sur une note plus personnelle, MH tient à remercier son conjoint Richard qui l’accompagne jour après jour dans les projets les plus fous et qui a su offrir son soutien inconditionnel tout au long de ce projet. À sa belle Roxanne, elle souhaite de réaliser tous ses rêves et lui rappelle qu’elle sera toujours là pour elle et qu’elle est super fière d’elle ! MC tient à remercier son conjoint, Marc, pour son soutien constant au cours de toutes ces années, et souhaite à ses deux belles filles, Fanny et Marie-Ève, qui commencent leur vie professionnelle, d’y trouver autant de passion et de satisfaction que leur mère dans sa carrière.

    PARTIE 1

    DOUBLE PROBLÉMATIQUE

    CHAPITRE 1

    AGRESSION SEXUELLE ENVERS LES ENFANTS

    AYANT UNE DÉFICIENCE INTELLECTUELLE

    Enquête, traitement et prévention

    Jacinthe DION, Ph. D.

    Julie BOUCHARD, Ph. D.

    Laurie GAUDREAULT, B.A. et

    Céline MERCIER, Ph. D.

    RÉSUMÉ

    Les enfants ayant une déficience intellectuelle sont plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle que leurs pairs au développement typique (normal). Bien que ce triste constat soit bien documenté, il est frappant de constater que peu d’études scientifiques ont été réalisées sur l’enquête, le traitement et la prévention de l’agression sexuelle auprès de cette population. L’objectif de ce chapitre vise à faire état des connaissances actuelles sur l’agression sexuelle envers les enfants ayant une déficience intellectuelle. Par comparaison avec des enfants au développement typique, les résultats d’études semblent indiquer que les enfants ayant une déficience intellectuelle subissent des agressions sexuelles plus sévères et souffrent de séquelles similaires, qui sont parfois intensifiées en raison de la déficience. Ils rapportent moins souvent les agressions aux autorités et lorsqu’ils le font, leurs allégations risquent d’être discréditées. Cependant, ces enfants ont les capacités pour effectuer un témoignage véridique, si des techniques adéquates sont utilisées lors des entrevues d’enquête. Par ailleurs, peu de programmes de prévention et d’intervention ont été mis sur pied pour répondre aux besoins de cette clientèle, sans compter le manque de données probantes, et, pourtant, ces enfants en ont grandement besoin. Des recommandations cliniques sont donc proposées pour l’enquête, l’évaluation, le traitement et la prévention de l’agression sexuelle. Enfin, des pistes de recherches futures sont présentées, notamment l’urgent besoin d’effectuer des études plus rigoureuses sur le plan de la méthodologie. En élargissant les connaissances sur ces thématiques, les mythes et préjugés pourront s’atténuer et les chercheurs, intervenants et proches pourront mieux intervenir, pour le bien-être de ces enfants.

    Les enfants ayant une déficience intellectuelle (DI) sont plus sujets à être discriminés, dévalorisés, négligés et victimes de mauvais traitements (Crosse, Kaye, & Ratnofsky, 1993 ; Sullivan, & Knutson, 2000). Il est ainsi reconnu qu’ils sont plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle (AS) (Sullivan, & Knutson, 2000). Malgré ce risque plus élevé et la présence possible de séquelles, peu d’écrits portent sur l’évaluation, le traitement ou encore la prévention de l’agression sexuelle chez les enfants ayant une DI. Ce chapitre vise à faire l’état des connaissances actuelles sur l’agression sexuelle envers les enfants ayant une DI. Il est d’abord question de démystifier la DI, pour ensuite mieux comprendre les séquelles de l’agression sexuelle chez ces enfants. Ensuite, les implications cliniques quant à l’entrevue d’enquête, l’évaluation, le traitement et la prévention de l’agression sexuelle chez les enfants ayant une DI sont abordées. Finalement, des implications pour la recherche sont proposées.

    1. QUI SONT CES ENFANTS AVEC UNE DÉFICIENCE INTELLECTUELLE ?

    1.1. DÉFICIENCE INTELLECTUELLE : DÉFINITIONS ET PRÉVALENCE

    Un bon nombre de recherches sur les populations vulnérables ont été conduites en englobant sous la catégorie « disability » tous les enfants qui présentent un handicap ou un retard, qu’il soit développemental, physique, sensoriel, intellectuel ou autre. Étant donné que la DI a souvent été regroupée dans la catégorie plus générale de « disability », les écrits sur ce thème seront également recensés lorsqu’ils concernent des enfants ayant une DI.

    Il existe aussi plusieurs variations à travers le monde dans la terminologie utilisée pour définir la DI, les plus courantes étant « retard mental », « déficience intellectuelle », « handicap mental » et « difficultés d’apprentissage¹ » (Brown, 2007 ; World Health Organisation, 2007). Ces variations reflètent une évolution du concept, des connaissances et une réaction à la connotation péjorative de certaines notions, telles que retard mental. C’est pourquoi dans la littérature spécialisée et les énoncés de politique, le terme « déficience intellectuelle » lui est préféré depuis les années 1970 (Juhel, 2000 ; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001 [politique] ; Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004). Chez les Américains, le terme « mental retardation » a récemment été remplacé par « intellectual disability » (Brown, 2003 ; Schalock et al., 2007). Il demeure cependant que le terme « retard mental » est toujours utilisé dans le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association [APA], 2003) et la CIM-10 (Organisation mondiale de la santé [OMS], 1993) et que l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) rédige des documents officiels avec ce terme (OPQ, 2007). Dans le présent chapitre, nous utiliserons le terme « déficience intellectuelle » (DI).

    En plus des différentes appellations, il existe plusieurs définitions de la DI. Pour sa précision et ses révisions régulières, la définition la plus utilisée est celle de l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD ; anciennement American Association of Mental Retardation – AAMR)², qui définit la DI comme une : incapacité caractérisée par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif qui se manifestent dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques. Cette incapacité survient avant l’âge de 18 ans (OPQ, 2007, p. 8). Cette définition inclut les trois critères diagnostiques de la DI énoncés dans le DSM-IV-TR (APA, 2003), soit : 1) un début avant l’âge de 18 ans ; 2) un niveau de quotient intellectuel (QI) en dessous de 70 (approximativement 2 écarts types au-dessous de la moyenne ; le QI moyen étant de 100) ; et 3) des déficits du comportement adaptatif (soit la qualité de la performance quotidienne par laquelle on s’adapte aux exigences environnementales) dans au moins deux secteurs suivants : la communication, les soins personnels, la vie domestique, les habiletés sociales et interpersonnelles, l’utilisation des ressources communautaires, l’autonomie, la santé et la sécurité, les habiletés scolaires fonctionnelles, les loisirs et le travail (Tassé, & Morin, 2003). Par ailleurs, l’AAIDD énonce cinq conditions essentielles à la mise en application adéquate de la définition de la DI, entre autres : 1) les limitations dans le fonctionnement actuel doivent tenir compte de l’environnement ; 2) une évaluation valide de la DI prend en considération la diversité culturelle et linguistique de même que les différences individuelles ; 3) pour chaque individu, les limitations coexistent avec les forces ; 4) la description des limitations permet de développer un profil du soutien nécessaire ; et 5) avec un soutien personnalisé et approprié donné sur une période de temps soutenu, le fonctionnement de la personne avec une DI devrait généralement s’améliorer (AAIDD, 2010 ; Brown, 2007 ; Schalock, & Luckasson, 2004 ; Tassé, & Morin, 2003).

    La prévalence de la DI est d’environ 3% dans la population générale si l’on considère les altérations sur le plan cognitif sans tenir compte du comportement adaptatif. Elle se chiffre à 1% lorsqu’on prend en compte les limitations significatives des comportements adaptatifs (critère nécessaire au diagnostic de DI) (Tassé, & Morin, 2003). Par ailleurs, cinq degrés de sévérité définissent le niveau du déficit intellectuel, soit la DI légère, moyenne, grave et profonde, et la DI de gravité non spécifiée (situation où il existe une forte présomption de DI, mais où l’intelligence ne peut être mesurée par des tests standardisés) (APA, 2003). Le tableau 1.1 donne chacune des catégories selon les critères du DSM-IV-TR (APA, 2003) et de la CIM-10 (OMS, 1993) et la prévalence de celles-ci à l’intérieur du trouble.

    En plus de ces catégories, on parle souvent d’âge mental pour tenter d’estimer le niveau d’intelligence de la personne ayant une DI. Par exemple, un enfant âgé de 12 ans 4 mois ayant un QI de 100 a un âge mental de 12 ans 4 mois, soit exactement le même âge que son âge chronologique. Un enfant de 12 ans 4 mois ayant un QI de 58 a un âge mental de 6 ans 2 mois, sans être exactement comme un enfant de 6 ans. L’âge mental est utilisé par les intervenants et les chercheurs qui effectuent des études sur les individus ayant une DI. Toutefois, comme l’âge mental n’est qu’une estimation de l’âge qui correspond au degré de développement intellectuel, il faut demeurer prudent quant à son utilisation.

    1.2. CARACTÉRISTIQUES DES ENFANTS AVEC UNE DÉFICIENCE INTELLECTUELLE

    Plusieurs caractéristiques différencient les enfants qui ont une DI des autres enfants, dont la principale est sans aucun doute la diversité (Dumas, 2007). Cette diversité se manifeste dans plusieurs domaines et la présente section, sans être exhaustive, en abordera brièvement quelques-uns, soit la mémoire, la communication, la suggestibilité et la santé mentale. Un survol des différences individuelles en regard de ces dimensions permettra par la suite de mieux saisir les implications cliniques d’une agression sexuelle pour les enfants qui présentent une DI.

    La DI est marquée par différentes limitations dans la plupart des habiletés cognitives, en particulier en ce qui concerne la mémoire (Soraci et al., 2007). Bien que les principales différences soient sur la mémoire explicite (c’est-à-dire des éléments précis, qu’il faut « retenir »), la mémoire implicite (c’est-à-dire sans qu’il soit spécifié qu’il faut « retenir ») des enfants ayant une DI est en général presque similaire à celle des enfants typiques (Wyatt, & Conners, 1998). Cependant, pour ce qui est de la mémoire déclarative, les personnes ayant une DI ont un pourcentage d’acquisition de l’information plus faible que celles au développement typique, bien qu’elles aient tout de même une courbe d’apprentissage positive (Spitz, & Borys, 1984). En fait, leur courbe est parallèle à celle des normaux mais toujours plus faible (Vakil, Shelef-Reshef, & Levy-Shiff, 1997).

    Les enfants ayant une DI présentent souvent des difficultés de communication et de langage, notamment parce que leurs habiletés dans ce domaine se développent à un rythme plus lent, différemment ou en présentant des déficits (Nader-Grosbois, 2001 ; Sigafoos, O’Reilly, & Green, 2007). Les problèmes de langage expressif incluent notamment des difficultés avec l’articulation, la fluidité verbale et la grammaire, un vocabulaire restreint et immature, des habiletés de conversation inadéquates, dont une tendance à répéter le discours entendu (écholalie), des incohérences et un manque de nuances et de précisions (AAIDD, 2010 ; Guillemette, Luckerhoff, & Boisvert, 2006 ; Mansell, & Sobsey, 2001 ; Sigafoos et al., 2007). Même si les enfants ayant une DI ont plus de facilité avec le langage réceptif, certaines difficultés sont néanmoins observées, par exemple la difficulté à comprendre certains mots de vocabulaire et les questions complexes (grammaire et syntaxe complexes, mots abstraits et questions temporelles) (AAIDD, 2010 ; Baladerian, 1985 ; Guillemette et al., 2006 ; Mansell, & Sobsey, 2001).

    De plus, les habiletés de communications et de langage varient grandement chez les enfants ayant une DI, entre autres selon le niveau de DI. Par exemple, ceux qui ont une DI sévère ou profonde ont généralement de graves altérations du langage et n’utilisent que très peu ou pas de mots pour s’exprimer et très rarement des phrases (Sigafoos et al., 2007). Ils recourent alors à des comportements prélinguistiques pour communiquer, tels que des gestes informels, des vocalisations indifférenciées, des expressions faciales et des contacts avec les yeux (Sigafoos et al., 2007). Néanmoins, il est important de se rappeler que ces personnes comprennent souvent plus que ce qu’elles peuvent dire. Elles peuvent donc communiquer aux autres leurs besoins et sentiments en utilisant un langage non verbal. Une grande partie de la communication peut ainsi prendre place avec très peu ou sinon aucun langage formel (Mansell, & Sobsey, 2001).

    Par ailleurs, les enfants ayant une DI sont aussi plus suggestibles que leurs pairs au développement typique (Bruck, & Melnyk, 2004). Comme ils veulent plaire afin d’obtenir l’approbation et l’acceptation (Gorman-Smith, & Matson, 1992), ils peuvent être plus influencés par les autres. De même, on remarque qu’ils ont plus tendance à répondre par l’affirmative lors de doutes (biais de réponse positif) (voir Finlay, & Lyons, 2002, pour une recension) et changent leur réponse plus souvent que des enfants du même âge mental lors de questions répétées (Henry, & Gudjonsson, 2003).

    Les individus ayant une DI ont une prévalence de troubles et symptômes psychopathologiques comorbides de trois à dix fois plus élevée que ceux de la population générale (Dumas, 2007 ; Mansell, & Sobsey, 2001). Chez les enfants et les adolescents, cette prévalence varierait entre 30 et 60% selon les études (Dekker, Koot, van der Ende, & Verhulst, 2002 ; Emerson, 2003 ; Kaptein, Jansen, Vogels, & Reijneveld, 2008 ; Taanila, Ebeling, Heikura, & Järvelin, 2003). Par exemple, dans l’étude de Taanila et ses collègues (2003), réalisée chez plus de 9000 enfants finlandais âgés de huit ans, 44 % des enfants ayant une DI présentaient un trouble comportemental ou affectif associé, par comparaison avec 14% des enfants sans DI. Les déficits des habiletés cognitives et des comportements adaptatifs peuvent également accroître le risque de troubles psychopathologiques (Tremblay, Richer, Lachance, & Côté, 2010). Par ailleurs, il faut considérer que les difficultés de communication peuvent engendrer des comportements agressifs et perturbateurs (APA, 2003), ceux-ci pouvant être compris dans les troubles de comportements.

    En raison de leurs limites sur le plan cognitif, leurs difficultés langagières ainsi que leur plus grande susceptibilité à avoir des problèmes de santé mentale, les personnes ayant une DI éprouvent des difficultés d’adaptation. Ces difficultés sont également accrues par leur grande dépendance et leur plus grande vulnérabilité face au stress (Mansell, & Sobsey, 2001).

    2. ENFANTS AVEC UNE DÉFICIENCE INTELLECTUELLE VICTIMES D’AGRESSION SEXUELLE

    2.1. PRÉVALENCE

    Il est d’ores et déjà établi que les enfants ayant une DI sont plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle en comparaison des enfants au développement typique. Des recherches ont été réalisées sur la prévalence ou l’incidence : 1) de l’agression sexuelle auprès d’enfants et d’adolescents ayant une DI (Ammerman, Hasselt, Hersen, McGonigle, & Lubetsky, 1989 ; Balogh et al., 2001 ; Benedict, White, Wulff, & Hall, 1990 ; Chamberlain, Raugh, Passer, McGrath, & Burket, 1984 ; Reiter, Bryen, & Shachar, 2007 ; Sullivan, Brookhouser, Scanlan, Knutson, & Schulte, 1991) ; 2) d’enfants ayant une DI chez les victimes d’agression sexuelle (Hershkowitz, Horowitz, & Lamb, 2007 ; Kvam, 2000 ; Sullivan, & Knutson, 1998) ; et 3) d’enfants ayant une DI victimes d’agression sexuelle par rapport à la population générale (Crosse et al., 1993 ; Sullivan, & Knutson, 2000). Plusieurs recensions des écrits ont proposé une synthèse de ces études (Ammerman, Hasselt, & Hersen, 1988 ; Horner-Jonhson, & Drum, 2006 ; Mercier, 2005 ; Petersilia, 2001 ; Senn, 1988 ; Sobsey, 1994 ; Westcott, 1991 ; Westcott, & Cross, 1996 ; Westcott, & Jones, 1999).

    Mis à part l’étude de Reiter et ses collègues (2007), les études sur la prévalence de l’agression sexuelle chez les personnes ayant une DI ont été réalisées avant 2000 et comprennent des échantillons cliniques. Les résultats indiquent des taux d’agression sexuelle dans l’enfance variant entre 0,6% et 39% (Ammerman et al., 1989 : 10% ; Balogh et al., 2001 : 14 % ; Benedict et al., 1990 : 0,6 % ; Chamberlain et al., 1984 : 25 % ; Reiter et al., 2007 : 38% ; Sullivan et al., 1991 : 39%). Il est à noter que pour calculer la prévalence, Benedict et ses collègues (1990) ont vérifié si les enfants ayant une DI modérée ou sévère avaient un dossier d’agression sexuelle dans le registre centralisé des maltraitances. En comparaison, la prévalence de l’agression sexuelle dans l’enfance dans la population générale est d’environ 18 à 22% pour les femmes et de 8 à 10% pour les hommes (Pereda, Guilera, Forns, & Gòmez-Benito, 2009 ; Stoltenborgh, van IJzendoorn, Euser, & Bakermans-Kranenburg, 2011 ; Tourigny, Gagné, Joly, & Chartrand, 2006 ; Tourigny, Hébert, Joly, Cyr, & Baril, 2008) et entre 10 et 48% dans des échantillons cliniques (voir la recension de Higgins, & McCabe, 2001). Les études comprenant un groupe de comparaison (c’est-à-dire des victimes d’agression sexuelle n’ayant pas de DI) et réalisées auprès d’échantillons non cliniques révèlent un risque, pour les enfants ayant une DI, de 2 à 6 fois plus élevé d’être victime d’agression sexuelle que les enfants au développement typique (Crosse et al., 1993 : 5 [selon les analyses de Sullivan, & Knutson, 1994] ; Reiter et al., 2007 : 2 ; Spencer et al., 2005 : 6 ; Sullivan, & Knutson, 2000 : 4).

    L’étude de Reiter et ses collègues (2007) est la plus récente recensée sur la prévalence de l’agression sexuelle chez des adolescents ayant une DI et d’autres handicaps. Des 50 adolescents ayant une DI, 38 % ont rapporté avoir été victimes d’attouchements, en comparaison de 18 % (n = 50) des adolescents au développement typique. L’étude d’incidence de Crosse et ses collègues (1993) révèle un risque de 1,8 d’être victime d’agression sexuelle lorsqu’un enfant a un handicap. Parmi leur échantillon, 6% des enfants victimes d’agression sexuelle avaient une DI, comparativement à 1 % des enfants non victimes d’agression sexuelle. C’est pourquoi Sullivan et Knutson (1994) ont recalculé le risque pour les enfants ayant une DI, s’élevant alors à 4,8. De son côté, l’étude épidémiologique de Sullivan et Knutson (2000) est l’une des plus vastes à avoir été réalisées auprès d’enfants avec un handicap (« disability »). Les résultats obtenus auprès de plus de 50 000 enfants dans le Midwest américain révèlent que les enfants ayant un handicap sont 3 fois plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle que les enfants au développement typique ; ce risque grimpe à 4 fois lorsque l’on considère les enfants ayant une DI. Ces derniers sont d’ailleurs plus à risque que les enfants ayant un trouble d’apprentissage, un handicap physique, sensoriel ou relié à la santé. Spencer et ses collègues (2005) ont mené une étude rétrospective sur une cohorte comprenant tous les enfants nés sur une période de 19 ans dans un quartier de la Grande-Bretagne. Les données complètes de près de 120 000 enfants ont été analysées et les résultats indiquent que ceux ayant une déficience intellectuelle étaient 6 fois plus à risque d’être enregistrés à la protection de la jeunesse pour agression sexuelle. Selon les auteurs, la déficience peut avoir une étiologie commune avec la maltraitance, ce qui rend difficile de déterminer si l’AS a précipité la DI ou si elle survient en parallèle avec celle-ci.

    Malgré ces chiffres alarmants, il est fort probable que les taux de prévalence obtenus dans les diverses études sous-évaluent l’ampleur de cette problématique. Un consensus ressort suivant lequel l’agression sexuelle est rarement dévoilée, et ce, tant dans la population générale que chez les enfants ayant une DI (Ammerman et al., 1989 ; Murphy, 2007). Cela est d’autant plus vrai que chez les enfants ayant une DI, les habiletés de communication plus faibles et le vocabulaire plus limité peuvent rendre le dévoilement plus difficile encore. Le dévoilement étant souvent nécessaire pour mettre un terme aux agressions sexuelles, les enfants ayant une DI modérée ou sévère, qui possèdent des habiletés de communication encore plus limitées que ceux ayant une DI légère, se retrouvent ainsi dans un état de plus grande vulnérabilité (Murphy, 2007).

    Les différences observées entre les études quant aux prévalences obtenues et à la quantification du risque d’agression sexuelle peuvent être attribuables aux méthodologies employées : limites dans certains devis de recherche et échantillons sélectionnés, variations quant aux définitions et aux mesures d’agression sexuelle et de déficience utilisées. Néanmoins, considérant les taux élevés retrouvés dans la majorité des études et les résultats des deux plus vastes études réalisées à ce jour (Spencer et al., 2005 ; Sullivan, & Knutson, 2000), les résultats obtenus jusqu’à maintenant autorisent à penser que la DI est un facteur de risque important (donc, augmentant significativement la probabilité) de l’agression sexuelle.

    2.2. CARACTÉRISTIQUES DES AGRESSIONS SEXUELLES

    Les enfants présentant une déficience sont non seulement plus à risque d’agression sexuelle, ils subissent également des agressions sexuelles plus sévères comparativement aux enfants au développement typique, c’est-à-dire plus fréquentes, étendues sur une plus longue période, impliquant l’utilisation de la force et de menaces ou sont plus intrusives (Hershkowitz et al., 2007 ; Mansell, & Sobsey, 2001 ; Reiter et al., 2007 ; Sullivan, & Knutson, 1998). Par exemple, dans l’étude de Reiter et ses collègues (2007), 50 % des adolescentes ayant une DI ont rapporté des événements répétés, en comparaison de 29 % des autres adolescentes. Une récente étude réalisée en Turquie a comparé 20 enfants ayant une DI (légère ou modérée) à 20 enfants au développement typique (appariés selon l’âge et le sexe ; âge moyen = 12,4 ans et 90% de filles) (Akbas et al., 2009). Les résultats indiquent que 50 % des enfants ayant une DI ont été victimes de pénétration vaginale, par comparaison à 15% des autres enfants. Les agressions étaient par ailleurs fréquentes chez 65% des enfants ayant une DI et 70% des enfants sans DI et la majorité des enfants ont été menacés par l’agresseur (95% des enfants avec DI et 90% des enfants sans DI).

    Les agressions sexuelles sont, la plupart du temps, commises par un membre de l’entourage direct de l’enfant ayant une DI (Mercier, 2005 ; U.S. Department of Health, & Human Services, Child Welfare Information Gateway, 2001) ou de son environnement (Mercier, 2005 ; White, Holland, Marsland, & Oakes, 2003). Ainsi, l’agression sexuelle est entre autres perpétrée par des membres de la famille ou des aides-soignants, tel un intervenant d’une ressource d’hébergement (Akbas et al., 2009 ; Mansell, & Sobsey, 2001 ; Sobsey, & Doe, 1991). Par exemple, l’agresseur était plus souvent un parent ou une figure parentale (Hershkowitz et al., 2007), ou une personne de la famille (Akbas et al., 2009), en comparaison des agresseurs d’enfants au développement typique. Aux États-Unis, Stromsness (1993) a estimé que 50 % des personnes avec une DI avaient été victimes d’inceste au cours de leur vie. Entre 70% et 90% de ces cas s’étaient produits avant l’âge de 18 ans. Tout comme dans la population générale, chez les victimes ayant une DI, on retrouve plus de filles que de garçons. Cependant, chez les enfants qui ont une DI, la proportion de garçons victimes d’agression sexuelle est plus élevée que dans la population générale (Hershkowitz et al., 2007 ; Kvam, 2000 ; Randall, Parrila, & Sobsey, 2000 ; Sobsey, Randall, & Parrila, 1997). Le fait qu’il y a plus de garçons que de filles ayant une DI explique partiellement ces résultats (Sobsey et al., 1997). Les résultats sont plutôt équivoques concernant l’âge des enfants agressés ayant un handicap ; certaines études démontrent qu’ils sont plus souvent d’âge préscolaire (Sullivan, & Knutson, 1998 ; 2000) et d’autres d’âge scolaire (Hershkowitz et al., 2007 ; Kvam, 2000). En outre, les niveaux plus élevés de déficience sont associés à des risques accrus d’agression sexuelle (Hershkowitz et al., 2007).

    2.3. FACTEURS DE RISQUE ET DE VULNÉRABILITÉ À L’AGRESSION SEXUELLE

    Plusieurs facteurs interreliés contribuent à la vulnérabilité accrue des enfants DI face à l’agression sexuelle. Sobsey (1994) a proposé un modèle écologique permettant de mieux comprendre ces facteurs de vulnérabilité auprès des enfants qui ont un handicap, dont la DI. Ceux-ci peuvent être regroupés en trois grandes catégories : 1) les circonstances sociales atypiques, 2) les pratiques particulières et 3) le statut de « handicapé » utilisé (et les attitudes à l’égard de ce statut) qui les rend plus vulnérables aux yeux de certains.

    Les personnes handicapées vivent souvent dans des milieux sociaux atypiques pouvant accroître le risque d’agression sexuelle ou physique : ils sont souvent séparés, isolés ou encore à l’écart de la communauté et de leur famille (Griffiths, Richards, Fedoroff, & Watson, 2002 ; Mansell, & Sobsey, 2001). En raison de leurs besoins spéciaux, ils sont généralement plus souvent exposés à un nombre élevé d’intervenants et de milieux, augmentant le risque d’agression sexuelle (Lumley, & Miltenberger, 1997). Ainsi, on a rapporté plusieurs cas de violence perpétrée auprès d’élèves handicapés par des personnes responsables de leurs transports (Sobsey, & Doe, 1991). De plus, cet isolement et le rejet dont ils sont souvent l’objet peuvent accroître leur besoin d’attention et d’affection de même que leur désir de plaire, et en faire des cibles plus faciles pour l’agression sexuelle (Boat, & Sites, 2001 ; Petersilia, 2001).

    Certaines caractéristiques susceptibles d’accroître la vulnérabilité des enfants ayant une DI par rapport à la maltraitance semblent reliées à leur plus grande dépendance à l’égard des autres pour répondre à leurs besoins fondamentaux (Petersilia, 2001 ; Tharinger, Horton, & Millea, 1990). En effet, les pratiques particulières visant à leur enseigner l’obéissance et l’acquiescement, inculquées comme étant de bons comportements, peuvent accroître leur vulnérabilité face à l’agression sexuelle (Sobsey, & Doe, 1991). Ces enfants ont souvent été entraînés à être obéissants devant l’autorité, ce qui entretient la passivité et la non-affirmation de soi. Cet accent mis sur l’obéissance gêne le développement des habiletés de discrimination pour reconnaître les situations de danger d’agression sexuelle (Mansell, & Sobsey, 2001) et les incite à obéir aux instructions de n’importe quel adulte (Westcott, 1991). De même, les programmes de gestion du comportement, parfois intensifs ou aversifs, utilisés pour contrôler divers comportements (p. ex., comportements agressifs, sexuels inappropriés, de non-respect des règles) peuvent induire des attitudes de soumission. De plus, si ces programmes sont appliqués sans essayer de trouver la cause ou l’origine des comportements que l’on souhaite corriger, il est possible que l’on ne tienne pas compte de l’hypothèse qu’ils puissent découler des agressions sexuelles subies. En outre, l’utilisation de ces programmes de coercition comportementale peut créer une inégalité des pouvoirs et conduire à de la maltraitance (Mansell, & Sobsey, 2001).

    Afin de réduire leur culpabilité, les agresseurs tentent de justifier les agressions sexuelles en adoptant des attitudes dévaluant ces personnes (Mansell, & Sobsey, 2001). La présence d’un handicap rend les personnes plus facilement exploitables et vulnérables aux agresseurs en quête de victimes (Mansell, & Sobsey, 2001). Elles peuvent ne pas comprendre les avances sexuelles des agresseurs potentiels. De plus, leur vulnérabilité est accentuée par un manque de connaissances et d’éducation sur la sexualité (Boat, & Sites, 2001 ; Petersilia, 2001 ; Sullivan, 1993), sur l’agression sexuelle et sur les habiletés de sécurité personnelles (Boat, & Sites, 2001 ; Sobsey, 1994 ; Tang, & Lee, 1999), voire par leur ignorance de la possibilité de recevoir une éducation sexuelle (Griffiths et al., 2002). Il en est de même pour leurs faibles habiletés sociales et communicationnelles (Griffiths et al., 2002 ; Petersilia, 2001 ; Sobsey, 1994), leurs difficultés de raisonnement et leur tendance à l’impulsivité (Boat, & Sites, 2001). Les fausses conceptions au sujet de leur asexualité peuvent aussi empêcher la communauté et les intervenants de reconnaître le risque potentiel d’agression sexuelle et d’exploitation, de même qu’à détecter l’agression sexuelle (Mansell, Dick, & Clader, 1992 ; Sobsey, 1994 ; Tharinger et al., 1990).

    2.4. SÉQUELLES DE L’AGRESSION SEXUELLE

    Selon Baladerian (1991), certains professionnels sont d’avis que les personnes ayant une DI ne souffrent pas en raison de leur retard, ce qui relève plus d’un mythe. En fait, les séquelles de l’agression sexuelle chez les enfants ayant une DI sont souvent non reconnues (Hollins, & Sinason, 2000 ; Sobsey, & Mansell, 1994) et très peu étudiées (Sequeira, & Hollins, 2003 ; Tharinger et al., 1990). Plusieurs des recherches réalisées sont également anecdotiques ou basées sur des expériences cliniques (Mansell, & Sobsey, 2001 ; Sequeira, & Hollins, 2003). Sequeira et Hollins (2003) ont réalisé une recension des écrits et trouvé 25 recherches sur les effets de l’agression sexuelle chez les personnes ayant une DI, dont seulement cinq portaient sur les enfants.

    Il existe différentes façons de réagir à la suite d’une agression sexuelle (Sequeira, & Hollins, 2003), entre autres selon le niveau de DI (McCarthy, 2001). Toutefois, comme la majorité des études réalisées dans le domaine comportent plusieurs limites méthodologiques (un manque de mesures standardisées des symptômes, aucun groupe témoin, échantillons biaisés, etc.), les résultats doivent être examinés avec précaution (Sequeira, & Hollins, 2003). Néanmoins, plusieurs considèrent que les conséquences de l’agression sexuelle sont similaires à celles connues pour les enfants au développement typique (Gorman-Smith, & Matson, 1992 ; Mansell, Dick, & Moskal, 1998 ; Sequeira, & Hollins, 2003), notamment la présence d’un état de stress post-traumatique (quoique très peu, selon Firth, Balogh, Berney, Bretherton, Graham, & Whibley, 2001), la perte d’estime de soi et des problèmes de comportement. Ces séquelles seraient compliquées par l’ajout de difficultés d’adaptation, pourraient accroître les difficultés cognitives ou comportementales, ou, encore, seraient intensifiées en raison de la DI (Gorman-Smith, & Matson, 1992 ; Tharinger et al., 1990). Des études menées auprès d’adultes avec une DI, qui sont également des délinquants sexuels, ont démontré qu’ils avaient été victimes d’agression sexuelle dans l’enfance dans une plus grande proportion que les délinquants sexuels sans DI (Hayes, 2009). Les enfants victimes d’agression sexuelle ayant une DI pourraient donc être éventuellement plus à risque de devenir agresseurs que les enfants au développement typique. Il est également possible que les délinquants sexuels ayant une DI soient surreprésentés chez les délinquants sexuels criminalisés parce qu’ils sont plus facilement retrouvés par les policiers. Par ailleurs, il est possible que certaines séquelles soient mal diagnostiquées. Par exemple, leur capacité réduite à exprimer des émotions (des mots abstraits) fait en sorte qu’ils parlent difficilement de leur vécu psychologique. Dans le cas de l’état de stress post-traumatique, il devient alors difficile de pouvoir évaluer les critères diagnostiques de façon objective, ce qui ne signifie pas que les personnes ayant une DI n’en souffrent pas (Baladerian, & Bissada, 2001 ; McCarthy, 2001 ; Turk, Robbins, & Woodhead, 2005).

    L’étude de Mansell et ses collègues (1998) est l’une des deux seules connues à ce jour réalisées chez les enfants comprenant un groupe de comparaison. Les chercheurs ont comparé 43 enfants dont le QI était en dessous de 69 à 43 enfants au développement typique (appariement des deux groupes selon l’âge et le sexe), tous victimes d’agression sexuelle. Dans l’ensemble, les résultats indiquent que la plupart des séquelles de l’agression sexuelle sont similaires entre les deux groupes, notamment la présence d’une faible estime de soi, de cauchemars, de comportements agressifs et de la colère. Certaines différences étaient observées entre les deux groupes, tout en n’apparaissant pas comme des séquelles de l’agression sexuelle. Par exemple, les enfants ayant une DI présentaient un plus faible sentiment de sécurité personnelle, n’avaient pas ou peu de connaissances appropriées sur la sexualité, se retiraient plus souvent dans la fantaisie, étaient plus négligés et en retrait. Ainsi, les auteurs se demandent si ces différences ne seraient pas liées à la présence ou à l’absence de la déficience plutôt qu’à la présence des séquelles de l’agression sexuelle (Mansell, & Sobsey, 2001), notamment parce que les enfants ayant une DI présentent souvent plusieurs difficultés psychologiques (Dumas, 2007 ; Dekker et al., 2002 ; Emerson, 2003 ; Kaptein et al., 2008 ; Taanila et al., 2003). Les résultats de l’étude d’Akbas et ses collègues (2009), pour leur part, indiquent que les enfants victimes avec ou sans DI présentaient plusieurs diagnostics psychologiques (85% d’enfants ayant au moins un diagnostic dans les deux groupes), notamment l’état de stress post-traumatique (60% dans les deux groupes) et la dépression majeure (55% et 45% respectivement). Une étude comprenant un groupe témoin de personnes ayant une DI mais non victimes d’agression sexuelle a été recensée, mais a été réalisée auprès d’adultes (Sequeira, Howlin, & Hollins, 2003). Ainsi, 54 personnes ayant une DI et victimes d’agression sexuelle ont été comparés à 54 personnes ayant une DI, mais n’ayant pas vécu d’agression sexuelle (les deux groupes ayant été appariés selon le sexe, l’âge, le niveau de déficience et les habiletés de communication). Les résultats ont révélé plus de problèmes sévères de comportements (p. ex., automutilation, agressivité, comportements sexualisés), des comportements stéréotypés (p. ex., balancement répétitif) et plus de problèmes de santé mentale (p. ex., dépression, anxiété, état de stress post-traumatique) chez les personnes ayant une DI victimes d’agression sexuelle. La sévérité de l’agression sexuelle était en outre corrélée avec la sévérité des symptômes rapportés.

    En somme, il est difficile de conclure sur les conséquences de l’agression sexuelle chez les enfants ayant une DI en raison des limites méthodologiques des études réalisées à ce jour. Des études futures sont nécessaires afin de déterminer si les séquelles sont similaires chez les enfants ayant une DI et les autres ou, encore, s’ils en ont davantage. De plus, il importe d’effectuer des études comprenant des groupes de comparaison d’enfants ayant une DI, mais qui ne sont pas victimes d’agression sexuelle afin de déterminer les effets reliés à l’agression sexuelle. Les résultats des études semblent indiquer que les effets de l’agression sexuelle sont hétérogènes d’un enfant à l’autre (Gorman-Smith, & Matson, 1992), tout comme pour les enfants au développement typique. Cependant, il se peut que certaines séquelles attribuées à l’agression sexuelle soient plutôt des problèmes reliés à la DI, et inversement.

    3. CONSÉQUENCES POUR LA PRATIQUE

    En tenant compte des caractéristiques des enfants ayant une DI et des connaissances disponibles dans la littérature spécialisée, plusieurs retombées sur le plan de la pratique sont proposées dans trois domaines : 1) l’entrevue d’enquête et l’évaluation, 2) le traitement et 3) la prévention de l’agression sexuelle.

    3.1. ENQUÊTE, IDENTIFICATION ET ÉVALUATION DE L’AGRESSION SEXUELLE

    S’il est difficile et complexe d’identifier l’agression sexuelle chez les enfants au développement typique, cette difficulté est encore plus grande lorsque l’enfant a une DI (Westcott, 1991). Tout comme pour les enfants au développement typique, il n’y a pas de patron de comportements ou de symptômes indiquant la présence d’agression sexuelle. De même, la présence de certains symptômes, souvent perçus comme des conséquences de l’agression sexuelle, peut être trompeuse (comme les comportements sexualisés, une problématique assez commune chez les enfants ayant une DI qui n’ont pas été agressés) (Allington-Smith, Ball, & Haytor, 2002). En outre, certaines conséquences de l’agression sexuelle peuvent être attribuées à la déficience. Par exemple, une jeune fille ayant une DI portant plusieurs couches de vêtements peut être perçue comme s’habillant de façon inappropriée en raison d’un manque de compréhension des normes sociales ou de la température, au lieu d’y voir un désir de protéger son corps des agressions sexuelles, comme chez les personnes qui en ont subi une (Boat, & Sites, 2001). Il faut donc être prudent lorsqu’il est question d’évaluer la présence ou non d’agression sexuelle chez cette population de même que les conséquences qui peuvent y être associées.

    L’enquête sur une agression sexuelle débute généralement lorsqu’il y a soupçons d’agression sexuelle ou dévoilement, ce qui peut parfois être problématique pour les enfants ayant une DI. En effet, les agressions sexuelles des enfants ayant une DI sont rarement rapportées aux autorités (Sobsey, & Doe, 1991). Ces enfants dévoilent moins souvent l’agression sexuelle et, lorsqu’ils le font, les délais sont plus longs (Hershkowitz et al., 2007). Les enfants dont la déficience est plus sévère retardent encore plus longtemps le moment du dévoilement de l’agression sexuelle et la divulguent moins fréquemment que les enfants dont la déficience est légère (Hershkowitz et al., 2007). Il est également possible que le non-dévoilement accroisse le risque que l’agression sexuelle se poursuive, ce qui laisse croire que plusieurs victimes ne sont pas détectées (Hershkowitz et al., 2007). De plus, on peut penser que les enfants qui ont une DI retardent ou évitent le dévoilement, car il y a une plus grande probabilité qu’ils dépendent de leur agresseur, physiquement et psychologiquement (Lamb, Hershkowitz, Orbach, & Esplin, 2008).

    Quand l’agression sexuelle est rapportée, l’enquête n’a souvent pas lieu chez les enfants ayant une DI (Senn, 1988). Selon Clare (2001), le traitement de ces plaintes est souvent expéditif, les enquêtes policières sont incomplètes et les poursuites, rares. Le faible niveau de poursuites pour agression sexuelle montre que les personnes ayant une DI ne sont pas considérées comme des témoins compétents (McCormack, Kavanagh, Caffrey, & Power, 2005). D’ailleurs, les résultats d’une étude qualitative révèlent que les tribunaux prennent en grande partie des décisions dans l’ignorance des capacités et limites des témoins vulnérables (Cederborg, & Lamb, 2006).

    Ces observations sont-elles justifiées ? Les personnes ayant un handicap ont longtemps été perçues (et le sont encore) comme des témoins peu fiables (Gudjonsson, 2003) en raison de leurs déficits sur les plans de la mémoire et de la communication, et de leur suggestibilité. Qu’en est-il chez les enfants ayant une DI ? Les résultats d’études indiquent généralement que le rappel d’un événement chez les enfants ayant une DI est inférieur (moins de détails sont rapportés) et contient plus d’inexactitudes (en raison de leur plus grande suggestibilité) que chez les enfants du même âge chronologique (Agnew, & Powell, 2004 ; Dion, Cyr, Richard, & McDuff, 2006 ; Gordon, Jens, Hollings, & Watson, 1994 ; Henry, & Gudjonsson, 1999, 2003, 2004, 2007 ; Lewis, 2007 ; Pear, & Wyatt, 1914). Néanmoins, l’exactitude des informations rapportées par les enfants ayant une DI en réponse à des questions ouvertes est généralement aussi élevée que celle de pairs du même âge chronologique sans DI (Agnew, & Powell, 2004 ; Gordon et al., 1994 ; Henry, & Gudjonsson, 1999, 2003, 2004, 2007 ; Lewis, 2007 ; Pear, & Wyatt, 1914). Par ailleurs, lorsque l’on compare la performance des enfants ayant une DI à des pairs du même âge mental (c’est-à-dire des enfants au développement typique plus jeune, mais ayant sensiblement le même niveau d’habiletés intellectuelles), on observe peu de différences (Gordon et al., 1994 ; Henry, & Gudjonsson, 1999, 2003 ; Michel, Gordon, Ornstein, & Simpson, 2000), mais pas toujours (Agnew, & Powell, 2004 ; Henry, & Gudjonsson, 2007). La sévérité de la DI explique partiellement les différences de performance, les enfants ayant une DI modérée étant moins informatifs, mais pas nécessairement moins exacts dans leur réponse aux questions ouvertes (Agnew, & Powell, 2004 ; Henry, & Gudjonsson, 2003, 2004).

    Outre le degré de suggestibilité et la quantité d’informations rappelées, le rappel d’un événement peut se produire sans chronologie et avec un manque de compréhension des relations causales (Prout, & Cale, 1994). Ainsi,

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