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Expériences d'intervention psychosociale en contexte de violence conjugale
Expériences d'intervention psychosociale en contexte de violence conjugale
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Livre électronique580 pages6 heures

Expériences d'intervention psychosociale en contexte de violence conjugale

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À propos de ce livre électronique

Voulant transmettre leurs savoirs acquis par l’expérience, les auteurs présentent un portrait de différentes interventions effectuées dans des contextes variés et auprès de clientèles diversifiées. Ils révèlent ainsi les valeurs qui les animent et qui leur permettent d’accompagner les victimes et les auteurs de violence conjugale.
LangueFrançais
Date de sortie7 janv. 2013
ISBN9782760536333
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    Aperçu du livre

    Expériences d'intervention psychosociale en contexte de violence conjugale - Sonia Gauthier

    Étant toutes deux membres et impliquées très activement au sein du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence conjugale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF), nous sommes depuis longtemps en contact avec des intervenants psychosociaux, avec qui nous travaillons de près. Le CRI-VIFF étant un centre de recherche en partenariat, nous collaborons étroitement avec les praticiens qui interviennent auprès des personnes qui vivent une situation de violence conjugale. Ces derniers ont également l’occasion de venir présenter leur expertise et leurs réflexions dans les cours que nous donnons dans le cadre de notre fonction de professeures à l’École de service social de l’Université de Montréal. Outre ce partage de connaissances dans le milieu universitaire, il s’avère que toute l’expertise développée au fil des ans par les praticiens qui ont à cœur d’intervenir auprès des personnes en situation de violence conjugale n’est pas diffusée ou ne l’est que très peu.

    1. UN SAVOIR D’EXPÉRIENCE À METTRE EN VALEUR

    Au fil de nos collaborations avec ces intervenants, il est devenu de plus en plus évident qu’il fallait proposer à ces praticiens une plateforme leur permettant de livrer leur expertise. Il est trop dommage que ce savoir si précieux soit perdu ou transmis seulement à travers la supervision, lors des réunions d’équipe ou lors de formations à l’interne. C’est ainsi qu’il nous est venu l’idée de ce collectif. Ce projet était non seulement une manière pour nous de recueillir ces savoirs d’expérience, mais aussi une occasion d’offrir à ces collaborateurs de rendre compte de leur univers de travail. Trop souvent, même les praticiens les plus expérimentés connaissent peu ou comprennent mal le travail effectué par leurs collègues dans d’autres contextes. Nous croyons que ce partage d’expérience entre les intervenants à travers ces écrits ne peut qu’être bénéfique aux personnes qui vivent une situation de violence conjugale et qui ont tant besoin d’aide.

    Cela dit, il nous faut souligner qu’aucun des chapitres du livre ne se prétend représentatif de la pratique effectuée dans les autres milieux de même type, et nous n’avons pas fait de commande aux auteurs à cet effet. Il faut ainsi retenir que les auteurs ne parlent pas au nom de leurs collègues. Par contre, chaque chapitre présente des éléments qui peuvent être généralisés aux milieux de même nature.

    Chaque auteur a son expertise propre, sa manière de percevoir l’intervention et de la réaliser. Chacun rencontre des défis et a des préoccupations qui ne sont pas nécessairement partagés par ses collègues. Tels sont les récits de pratique que nous souhaitions recueillir, au-delà de la présentation du milieu d’intervention dans lequel les différents auteurs évoluent. Ces savoirs d’expérience sont uniques et les chapitres feront probablement tous ressortir cette unicité.

    2. L’OFFRE DE SERVICES AU QUÉBEC

    Pour mieux situer ces pratiques, il convient de décrire très brièvement ici l’organisation des services psychosociaux offerts au Québec aux victimes de violence conjugale, aux hommes ayant des comportements violents envers leur partenaire et aux enfants exposés à cette violence. Mentionnons tout d’abord que le gouvernement du Québec a publié en 1995 une Politique d’intervention en matière de violence conjugale : prévenir, dépister et contrer la violence conjugale¹. Cette politique a succédé à une politique du même nom², publiée en 1986 par les ministères de la Justice et du Solliciteur général. Celle de 1995 dépasse largement la question pénale et implique comme signataires quatre ministères et deux secrétariats. Les principes directeurs de cette politique sont les suivants :

    La société doit refuser toute forme de violence et la dénoncer ; la société doit promouvoir le respect des personnes et de leurs différences ; l’élimination de la violence conjugale repose d’abord sur des rapports d’égalité entre les sexes ; la violence conjugale est criminelle ; la violence conjugale est un moyen choisi pour dominer une autre personne et affirmer son pouvoir sur elle ; la sécurité et la protection des femmes victimes et des enfants ont priorité en matière d’intervention ; toute intervention auprès des victimes doit être basée sur le respect de leur autonomie et reposer sur leur capacité à reprendre le contrôle de leur vie ; toute intervention doit tenir compte des effets de la violence conjugale sur les enfants et viser à les atténuer ; les agresseurs sont responsables de leurs comportements violents ; l’intervention doit viser à leur faire reconnaître leur responsabilité face à leur violence et à l’assumer (p. 30).

    La Politique de 1995, toujours en vigueur, s’accompagne d’un plan d’action publié en 2004, le Plan d’action gouvernemental 2004-2009 en matière de violence conjugale³, en renouvellement au moment d’écrire ces lignes. Le gouvernement a fait paraître l’année suivante un plan d’action s’attaquant spécifiquement à la violence conjugale dans les communautés autochtones⁴. La politique d’intervention du gouvernement du Québec ne sera rééditée que dans quelques années.

    Il va sans dire que les intervenants du réseau public et parapublic au Québec n’ont pas attendu ces politiques pour offrir de l’aide aux personnes touchées. Certains de ces services existent depuis près de 40 ans et sont en constante évolution depuis.

    Du côté des femmes vivant de la violence conjugale, des services d’aide leur sont offerts dans divers milieux, les principaux étant les maisons d’hébergement, développées à partir des années 1970, et les Centres locaux de services communautaires (CLSC). Les premières sont des organismes communautaires, alors que les seconds sont des services gouvernementaux. On retrouve des maisons qui hébergent des femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants dans toutes les régions du Québec. Ces maisons d’hébergement sont pour la plupart soutenues par deux regroupements⁵, dont la mission est de sensibiliser la population à la violence conjugale et de l’informer de l’existence des ressources, de représenter ses membres devant les instances publiques et gouvernementales et d’assurer une réflexion et une formation continues pour le personnel. Les CLSC, quant à eux, répondent principalement aux besoins psychosociaux de la population du territoire que chacun couvre ou à des besoins relevant davantage de la santé physique. Dans les cas où l’événement de violence est judiciarisé, d’autres instances offrent un service d’accompagnement au tribunal, en plus des maisons d’hébergement et des CLSC : ce sont principalement les Centres d’aide pour les victimes d’actes criminels (CAVAC)⁶ et certains centres de femmes⁷.

    La plupart des activités d’intervention psychosociale pour les hommes ayant des comportements violents sont offertes par des organismes communautaires. Un bon nombre de ces organismes sont regroupés dans le réseau À cœur d’homme⁸. Ces organismes ont pour mandat d’inciter les hommes qui manifestent des comportements violents et contrôlants à l’égard de leur partenaire à développer des changements d’attitudes envers celle-ci. L’intervention auprès des hommes est généralement réalisée sous forme de groupes. Par ailleurs, certains organismes offrent des services pour les femmes ayant des comportements violents dans le couple. Les intervenants œuvrant dans ces organismes sont aussi engagés dans des activités de sensibilisation, de formation, de conscientisation et de prévention. Ils contribuent au mouvement social visant la mise en place d’une société véhiculant des valeurs de non-violence et d’égalité entre les sexes. Il va sans dire que leur objectif ultime est de contribuer, de façon complémentaire aux ressources pour les femmes, à la réduction de la violence conjugale et familiale en travaillant avec différents partenaires, dont les maisons d’hébergement, avec qui certains organismes voués à l’intervention auprès des conjoints collaborent concrètement depuis peu.

    Du côté des enfants exposés à la violence, les services sont moins développés, mais il existe des programmes d’intervention de groupe qui peuvent entre autres comporter un volet mère-enfant. L’intervention individuelle est également utilisée auprès de ces enfants.

    3. PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

    Le présent ouvrage expose une partie de l’intervention réalisée auprès de ces personnes, dans différents milieux, dont la plupart sont situés à Montréal. Chaque chapitre présente un format semblable afin de permettre au lecteur de comparer les divers contextes et pratiques d’intervention, les personnes rejointes et les différents défis et questionnements auxquels les intervenants font face.

    Nous avons ainsi demandé aux auteurs de nous présenter brièvement le milieu dans lequel ils interviennent (incluant le contexte de la demande d’aide). Ils avaient également à dresser un portrait des gens avec lesquels ils travaillent. Non pas le portrait statistique que l’on retrouve dans les rapports annuels et autres écrits officiels, mais bien un portrait qualitatif, brossant à grands traits, par exemple, des caractéristiques sociodémographiques globales, l’état dans lequel sont ces personnes lorsqu’elles font appel à l’organisme, ce qu’elles vivent et les conséquences de la situation de violence sur elles. Ensuite, ils étaient amenés à décrire leur intervention (incluant leur cadre d’analyse, leur approche, la durée, la fréquence, les outils qu’ils aiment utiliser, etc.). Nous leur avons également demandé de nous livrer les difficultés et les défis que représente leur pratique (par exemple, les problèmes éthiques associés à leur intervention, comment ils se protègent de la fatigue de compassion, quelles sont les habiletés nécessaires à ce type d’intervention). Finalement, ils étaient appelés à identifier leurs questionnements par rapport à leur intervention ou à la problématique de la violence conjugale en général, et à proposer des pistes de réflexion pour le futur.

    Nous sommes convaincues que ces exposés participeront à enrichir la compréhension de l’intervention qui est réalisée auprès des personnes qui vivent une situation de violence conjugale, et qu’ils contribueront à alimenter la réflexion quant aux difficultés et aux points de tension liés à cette intervention. Soulignons au passage que tout au long du travail effectué pour la production de l’ouvrage, nous avons pris soin de ne pas intervenir sur le contenu, même si nous ne partageons pas nécessairement toutes les idées exprimées par les auteurs, ni sur les termes utilisés pour désigner, par exemple, les personnes avec lesquelles ils travaillent.

    L’ouvrage se divise en quatre parties. La première porte sur l’intervention auprès des femmes et des enfants dans des lieux variés. La seconde présente des expériences d’intervention psychosociale en contexte pénal. La troisième touche à l’intervention auprès de femmes en contexte de vulnérabilité alors que la quatrième aborde celle auprès d’hommes ayant des comportements violents. Notre collaboration avec un chercheur brésilien nous a amenées à souhaiter que notre recueil se termine par une contribution d’auteurs de ce pays. Ceux-ci livrent leur expérience d’intervention comme psychologues policiers dans un commissariat de police à Florianópolis (État de Santa Catarina). Cette fenêtre ouverte sur l’autre hémisphère est un des nombreux exemples de pratiques qui se sont développées pour faire face à la problématique de la violence conjugale ailleurs dans le monde.

    Il est bien évident qu’un domaine comme l’intervention auprès des personnes aux prises avec une situation de violence conjugale couvre un très large éventail de pratiques au Québec et que celles-ci n’ont pas toutes été présentées ici. Néanmoins, malgré les aspects qu’il laisse dans l’ombre, nous espérons que ce livre saura satisfaire votre curiosité à l’égard de l’intervention psychosociale dans le domaine de la violence conjugale, et qui sait, vous donnera l’envie de vous impliquer à votre tour pour intervenir auprès des personnes qui vivent cette situation.


    1 Gouvernement du Québec, Comité interministériel de coordination en matière de violence conjugale et familiale (1995). Politique d’intervention en matière de violence conjugale : prévenir, dépister et contrer la violence conjugale, Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, ministère de la Justice, secrétariat à la Condition féminine, ministère de la Sécurité publique, ministère de l’Éducation, secrétariat à la Famille, .

    2 Gouvernement du Québec (1986). Politique d’intervention en matière de violence conjugale, Québec, ministère de la Justice et ministère du Solliciteur général.

    3 Gouvernement du Québec (2004). Plan d’action gouvernemental 2004-2009 en matière de violence conjugale, Québec, Direction des communications du ministère de la Justice et Direction des affaires publiques et des communications du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, .

    4 Gouvernement du Québec (2005). Plan d’action gouvernemental 2004-2009 en matière de violence conjugale. Volet autochtone, Québec, Direction des relations publiques et des communications du ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine, .

    5 Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale () et la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec ().

    . Dans la région de Montréal, c’est l’organisme Côté cour qui a ce mandat.

    7 Plus d’une centaine de centres de femmes sont regroupés dans l’R des centres de femmes du Québec (). Le centre des femmes de Montréal est un des centres offrant ce service ().

    .

    ¹

    Dans le cadre des grands bouleversements sociopolitiques survenus au Québec dans les années 1970, plusieurs groupes de femmes et groupes féministes se sont réunis afin d’identifier et de dénoncer la violence faite aux femmes dans un contexte de vie conjugale. La violence conjugale comprend la violence verbale, psychologique, physique, sexuelle et économique, et se conçoit ainsi :

    La violence est un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie (Gouvernement du Québec, 1995, p. 5).

    La violence conjugale s’exerce ainsi selon un cycle qui permet à l’agresseur d’installer et de maintenir sa domination sur sa victime. Elle n’est donc pas une perte de contrôle, ni le fait de quelques gestes, de gifles ou d’insultes – ce n’est pas non plus une dynamique où les deux acteurs sont à tour de rôle agresseur et victime (RPMHTFVVC, 2005, p. 2).

    Ces groupes souhaitaient alors lever le voile sur la situation des femmes victimes de violence conjugale, tant sur le plan social et politique que personnel, et défendre leurs droits à partir d’une analyse globale et sociopolitique de leur contexte de vie.

    Dans cette même foulée, au début des années 1980, des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ont progressivement vu le jour. On en dénombre plus d’une centaine à ce jour, regroupées à la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec (FRHFVDQ) ou au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC).

    Ce chapitre débute par la présentation de la mission des maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale et des principaux services qu’elles offrent. Nous tentons ensuite de sensibiliser le lecteur quant aux raisons qui amènent les femmes à demander de l’aide de ces organismes, aux caractéristiques générales du vécu de ces femmes, ainsi qu’aux conséquences de la violence sur les victimes. Puis, nous traitons du cadre théorique utilisé en intervention dans certaines maisons d’hébergement par l’entremise de deux approches et modèles dérivant de l’intervention féministe. Nous poursuivons avec une discussion sur certaines difficultés qui se posent au sein de ces organismes, et terminons sur les défis et enjeux concernant leur avenir.

    1. LES MAISONS D’HÉBERGEMENT POUR LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE ET LEURS ENFANTS, EN BREF

    La plupart des maisons d’hébergement ont pour mission d’offrir aux femmes et à leurs enfants un lieu de vie communautaire sécuritaire temporaire le plus confidentiel possible. Ayant pour but d’offrir des conditions favorables qui permettent aux femmes de s’engager dans une démarche d’empowerment, l’intervention des maisons d’hébergement vise généralement la conscientisation et la prise ou la reprise de pouvoir des femmes. Les intervenantes accompagnent ces dernières dans une analyse la plus complète possible des enjeux reliés à la situation de crise vécue, évaluent l’impact de la violence subie sur leur santé physique et psychologique ainsi que sur celle de leurs enfants, et définissent leurs besoins et droits. Elles aident également ces femmes à prendre les décisions les plus appropriées possible pour la suite de leur vie et à entreprendre les démarches utiles en ce sens.

    1.1. Un milieu de vie aux services pluriels

    En général, les maisons d’hébergement sont accessibles aux femmes de toute culture et religion, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et offrent divers services. L’intervention prend plusieurs formes et vise différents objectifs.

    L’intervention téléphonique représente le premier contact et la porte d’entrée pour les services externes et d’hébergement. Ainsi, la ligne téléphonique permet à la femme d’être écoutée par rapport à ce qu’elle vit dans sa relation de couple, de recevoir de l’information sur la violence conjugale, de valider ses perceptions, d’obtenir de l’hébergement, de prendre rendez-vous pour une rencontre à l’externe ou d’être orientée vers les ressources adéquates. Elle offre donc le soutien nécessaire pour que chaque femme qui appelle se sente comprise et appuyée, et reçoive l’information pertinente en fonction de ses besoins, de ses attentes et de sa situation.

    L’intervention informelle, c’est-à-dire l’intervention spontanée, occupe également une place importante au sein des maisons d’hébergement, et ce, tout en tenant compte du contexte de la vie communautaire de la ressource. L’intervention informelle, qu’elle soit individuelle ou de groupe, suscite des échanges et maximise la circulation de l’information. De fait, qu’il s’agisse de réfléchir sur la violence conjugale, les rapports amoureux, la socialisation qui favorise la victimisation des filles, la façon de s’affirmer et de vivre ses émotions, la maternité dans un contexte de violence, les conséquences de la violence et les problématiques associées à celle-ci, les mécanismes de survie et de protection, les démarches à effectuer avec leur lot d’espoir, mais aussi de déceptions, etc., l’intervention informelle vise à collectiviser le vécu des femmes et des enfants hébergés et à développer la solidarité entre les femmes à partir de sujets qui nous interpellent toutes.

    Pendant leur hébergement, les femmes et leurs enfants bénéficient également d’un suivi individuel. Ce suivi a pour but d’évaluer leurs besoins et de définir leurs priorités pendant leur séjour, dont la durée varie de quelques jours à environ trois mois. Les thèmes généralement abordés avec les femmes traitent de leur vécu de violence et de ses impacts, de l’orientation de leur avenir et de leur adaptation à la vie communautaire. Dans certaines circonstances, les femmes peuvent également être accompagnées dans leurs démarches lorsque le besoin auquel cette demande correspond est clairement identifié et leur permet de franchir une étape supplémentaire dans l’affirmation et la confiance en soi.

    Depuis plusieurs années déjà, la création de postes destinés à l’intervention jeunesse a permis de développer une intervention plus ciblée sur les conséquences de la violence dans le développement psychosocial des enfants. Ces intervenantes aident les mères à adopter ou à maintenir des comportements qui favorisent le bien-être et l’autonomie de leurs enfants et à répondre adéquatement aux besoins de ceux-ci (surtout sur le plan de leur sentiment de sécurité physique et psychologique). Ainsi, les intervenantes favorisent l’expression des émotions des enfants et la reconnaissance de leur ambivalence quant au sentiment d’attachement qui les lie à un père qu’ils désirent souvent continuer à aimer malgré tout. Ces intervenantes soutiennent également les enfants dans l’élaboration de scénarios de protection dont le but est de préserver, autant que possible, leur intégrité physique et psychologique dans leurs contacts avec leur père.

    À la fin de leur séjour, les femmes peuvent avoir recours aux services externes pour continuer leur travail personnel, renforcer les chances de succès de leur nouvelle vie, parler de leurs doutes, évaluer la dynamique familiale, être appuyées dans la recherche d’un nouveau réseau, affronter une certaine solitude et gérer les impacts de la violence, qui continuent souvent de se manifester à travers les enfants. Il s’avère donc bénéfique pour les femmes de se retrouver avec des intervenantes qui connaissent bien ce qu’elles ont vécu et ce qui les attend, et qui croient sur parole les difficultés évoquées. Les services externes desservent également les femmes et enfants de la communauté qui, sans avoir été hébergés, souhaitent faire le point sur leurs difficultés et trouver des solutions convenables à l’ensemble des malaises et inconforts ressentis. Les services externes prennent de plus en plus d’expansion et répondent à des besoins réels pour les femmes qui sont aux prises avec la violence, mais qui souhaitent prendre le temps de voir ce qu’il est possible de faire avant de penser à quitter le conjoint. Les services externes servent donc également à soutenir les femmes dans un processus de réflexion essentiel sur l’ensemble des enjeux reliés à une décision légitime, mais des plus délicates.

    Certaines maisons offrent des services d’hébergement de deuxième étape. Il s’agit d’appartements supervisés, que les femmes et leurs enfants peuvent habiter pendant quelque temps (généralement de six à dix-huit mois). Les objectifs de ce type de séjour sont évalués en fonction des besoins spécifiques des femmes qui y sont admises et de leur capacité à s’engager tant dans une démarche personnelle d’empowerment que dans le respect des règles de ce nouveau milieu de vie.

    Les maisons d’hébergement ont également développé un volet éducatif à leur intervention au moyen, entre autres, d’ateliers de sensibilisation à la violence dans les rapports amoureux chez les jeunes. Ces ateliers sont offerts dans les écoles, les maisons de jeunes, aux intervenantes et aux intervenants du réseau et aux autres groupes qui en font la demande.

    Ce volet éducatif rejoint la mission politique de plusieurs maisons d’hébergement et favorise la revendication des droits des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Celle-ci s’exerce à travers la mobilisation et la représentation politique locale, régionale, provinciale et nationale.

    1.2. Le contexte de la demande d’aide et d’hébergement

    Les femmes victimes de violence conjugale qui font appel aux services des maisons d’hébergement sont, pour la plupart, en situation de crise. Elles souhaitent se protéger et protéger leurs enfants du contrôle et des comportements violents du conjoint. Quelles que soient les formes de violence subies qui les amènent ou non à craindre pour leur sécurité ou celle de leurs enfants, il arrive qu’un événement de violence se produise et que celui-ci devienne l’élément déclencheur d’une demande d’aide. Le seuil de tolérance des femmes est franchi. Elles pourront alors faire appel aux intervenantes de S.O.S. violence conjugale, qui les écouteront et les dirigeront vers les maisons d’hébergement. Certaines femmes feront appel aux policiers pour les conduire dans les ressources d’hébergement. D’autres arriveront d’elles-mêmes.

    À leur arrivée en maison, les femmes vivent toute une gamme d’émotions. Certaines ressentent un vif sentiment d’injustice, considérant le fait qu’en plus d’être victimes de violence, elles ont à se cacher, à changer de milieu et à briser les habitudes de vie des enfants. La majorité des femmes ont peur et vivent dans une crainte de tous les instants : peur des représailles, d’être harcelées, menacées, retrouvées, tuées ; peur que leurs enfants ne s’adaptent pas à ce changement subit, qu’ils ne comprennent pas la situation, qu’ils soient kidnappés ; peur de perdre leurs biens ; peur de l’inconnu sur le plan financier, légal, familial, social, émotif, psychologique, etc. Elles craignent aussi la nouveauté de la vie dans un milieu communautaire en compagnie d’étrangères et avec des règles qui ne ressemblent pas tellement à celles de leur vie d’avant. Elles ressentent de la fatigue liée à l’obligation de s’adapter, de la peur d’agir et de s’occuper de tout en étant seules, avec l’angoisse de ne pas y arriver. Elles vivent aussi une grande tristesse liée à un sentiment d’échec, d’usure, d’humiliation et d’impuissance.

    Dans ce contexte, et même s’ils ne sont pas toujours exprimés très clairement, les besoins sont nombreux : assurer leur sécurité et celle de leurs enfants, comprendre ce qui leur arrive, faire réfléchir leur conjoint, briser leur isolement, dénoncer la violence dont elles sont victimes, être accompagnées, soutenues, confrontées aussi. Ces femmes doivent pouvoir, sans être jugées, exprimer ce qu’elles ressentent, leur ambivalence, leur sentiment d’impuissance et de révolte, leurs craintes, leur colère, leur amour, leur désarroi et se retrouver comme femmes, comme mères.

    En violence conjugale, les ruptures évolutives², associées autant à l’espoir des femmes par rapport aux promesses du conjoint qu’aux pressions sociales qui leur sont faites et au sentiment de culpabilité ainsi généré, peuvent ramener ces femmes en maison d’hébergement à plus d’une reprise. Quelle que soit la situation des femmes qui se présentent, toutes les intervenantes souhaitent que ce passage en maison d’hébergement favorise l’expérimentation positive d’un processus d’autonomie qui les mène vers des actions concrètes et constructives.

    2. LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

    2.1. Qui sont les victimes de violence conjugale ?

    Les femmes qui recourent aux services des maisons d’hébergement proviennent de toutes les classes socioéconomiques, ainsi que de cultures et de religions différentes. Il existe cependant des facteurs qui accroissent leur vulnérabilité à un contrôle extérieur. Les femmes plus démunies financièrement, enceintes, autochtones, âgées, handicapées, nouvellement immigrantes ou issues de milieux criminalisés sont davantage à risque. L’isolement, la précarité économique et le manque d’accès à l’information et aux ressources maintiennent leur dépendance envers un conjoint violent :

    Même si l’ensemble des femmes, comme groupe social, subit ou peut subir une violence causée et maintenue par les inégalités structurelles entre les sexes, plusieurs facteurs accentuent la vulnérabilité de certains groupes de femmes face à la violence. Ainsi la pauvreté ou la dépendance financière diminuent les possibilités de réorganisation de vie d’une femme violentée par son conjoint (Cantin, 1997, citée dans Denis, 2003, p. 15).

    2.2. Les conséquences de la violence conjugale

    2.2.1. Chez les femmes

    Intervenir en violence conjugale, c’est prioritairement intervenir sur les conséquences de la violence conjugale. Selon les formes de violence utilisées et la durée de la relation dans un contexte de violence conjugale, les conséquences de celle-ci sur la santé physique et psychologique des femmes sont nombreuses. Sur le plan physique, ces dernières peuvent souffrir, entre autres, de problèmes alimentaires, digestifs ou cardiaques, de migraines, d’insomnie, de troubles sexuels, de difficultés de concentration ou d’oublis fréquents, d’asthme ou de crises d’hyperventilation, de fractures ou de foulures. Du point de vue psychologique, ces femmes peuvent vivre, entre autres, une perte de confiance et d’estime de soi, de la confusion, des doutes et une certaine ambivalence, de l’anxiété, des crises de panique, de l’hypervigilance et du stress continuel, des sentiments d’humiliation, d’incompétence, de honte, de colère et d’impuissance, la perte d’intérêt dans la vie, en soi et par rapport aux autres, des pensées suicidaires et des tentatives de suicide, le repli sur soi, de la dépendance à l’alcool ou aux médicaments, de l’automutilation, etc.

    2.2.2. Chez les enfants

    Les enfants qui accompagnent leur mère sont également aux prises avec de nombreuses conséquences liées au contexte de violence conjugale. Le fait de vivre constamment dans un climat de tension, en attendant le prochain éclat ou en le reconnaissant lorsqu’il se produit, suscite chez les enfants de la peur, de l’inquiétude, de l’impuissance et un grand sentiment de solitude. Toutes ces conséquences laissent évidemment des traces. La sécurité, la confiance et l’estime nécessaires à leur développement sont généralement compromises. Leur intégrité psychique peut tout autant être atteinte. Or, il est fréquent que ces symptômes psychologiques et physiques ne soient pas reconnus comme étant les conséquences directes de la violence qu’ils subissent ou ont subie. De plus, il est rare que des difficultés d’apprentissage, des troubles de comportement, une agressivité éclatée, du stress ou de l’hypervigilance, un repli sur soi, des maux de ventre ou de tête, des idées noires ou de l’anxiété intériorisée soient investigués en lien avec de la violence vécue à la maison.

    Les enfants, malgré la dureté de leur milieu de vie, protègent leurs parents. Il faut prendre le temps de les aider à ouvrir leur cœur, en toute sécurité, et à trouver les mots qui leur permettent de parler de ce qu’ils vivent sans avoir à se débattre avec un conflit de loyauté, si lourd à porter. Cela demande aux adultes qui les entourent de faire preuve d’écoute et d’empathie, et d’avoir une réelle conscience de la vulnérabilité de ces enfants, et ce, malgré tout ce qu’ils peuvent exprimer et ce à quoi ils peuvent nous confronter.

    3. LE CADRE THÉORIQUE D’ANALYSE DE L’INTERVENTION EN MAISON D’HÉBERGEMENT

    Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale utilisent, dans une large mesure, l’intervention féministe comme modèle d’intervention. En plus de celle-ci, nous présenterons dans les prochaines pages deux autres approches, introduites dans les maisons d’hébergement au fil des ans, et qui appliquent plus concrètement les valeurs et principes de l’idéologie féministe et du modèle d’intervention en découlant.

    3.1. L’intervention féministe

    Introduite au Québec à la fin des années 1970, l’approche féministe a eu pour but d’offrir une alternative aux analyses sexistes des problématiques vécues par les femmes. Le féminisme, qui dénonçait l’organisation sociale patriarcale comme étant l’élément déterminant du manque de pouvoir des femmes, tant individuellement que collectivement, a permis de développer une analyse davantage politique que psychologique. De fait, il a donc fallu construire une intervention spécifique adaptée au vécu des femmes, en tenant compte de leurs conditions de vie, de leurs expériences de vie et de leur socialisation.

    Ayant pour épicentre la compréhension de la production et de la reproduction des rapports de force sociaux dans la vie privée des femmes et l’analyse de leur impact sur leur réalité, l’intervention féministe favorise la mise en place de valeurs qui s’opposent aux valeurs dominantes : rapports les plus égalitaires possible, solidarité, coopération, transparence et autonomie sous toutes ses formes. L’intervention féministe vise en premier lieu la conscientisation des femmes à une socialisation sexiste qui les détourne de leurs besoins et de leurs droits, les conditionnant de façon plus ou moins implicite à la dépendance envers l’autre. En second lieu, l’intervention féministe propose et valorise l’expression de nouvelles valeurs et expériences de vie, permettant aux femmes de développer une meilleure estime et une plus grande confiance en leur potentiel, un sentiment de dignité qui impose le respect et l’exercice adéquat de leur pouvoir d’action.

    3.2. L’approche en dévictimisation : regard sur la socialisation des femmes

    Un autre modèle d’intervention utilisé en maison d’hébergement est l’approche en dévictimisation. Les bases théoriques de cette approche féministe apparaîtront en 1984, dans un texte publié par La Riposte des Femmes et intitulé On apprend à être victime, on peut le désapprendre. Reprise par la suite par le RMFVVC, elle se déploie autour de quatre schémas théoriques qui conceptualisent l’impuissance acquise des femmes et une reprise de leur pouvoir personnel, considérée comme un geste politique pour lutter contre l’oppression subie.

    Le premier schéma démontre comment s’intègre le processus de socialisation des filles et par quels moyens cette socialisation, qui favorise généralement la victimisation des femmes, les conditionne à la peur et à l’impuissance, et favorise leur oppression. Le second schéma démontre comment l’éducation et différentes institutions apprennent aux filles, dans des situations où elles sont agressées, à se responsabiliser de la situation et à douter d’elles-mêmes. Ce doute de ne pas avoir tout fait pour éviter l’agression sème la confusion et entraîne chez les filles de la peur et de la culpabilité plutôt qu’un sentiment légitime d’affirmer le droit d’être respectées. Le troisième schéma explique les étapes que franchissent les femmes au fur et à mesure qu’elles expérimentent des situations d’agression ou de menace, pour en arriver à un sentiment d’impuissance généralisé. Finalement, le dernier schéma sert à définir le processus de reprise de pouvoir et d’autonomie des femmes.

    L’approche de dévictimisation vise donc à déconstruire les fausses croyances qui conduisent à l’impuissance en empêchant les femmes de développer une perception juste d’elles-mêmes, de leur situation et de la réalité. Par cette approche, les femmes peuvent expérimenter le passage à l’action et reprendre ainsi confiance en leur potentiel. Elles réapprennent à développer des comportements, des pensées et des valeurs qui favorisent leur autonomie, leur liberté, voire leur empowerment, et ce, dans toutes les sphères de leur vie.

    3.3. Coopération Forces Action, une approche intégrée de l’empowerment

    Développée il y a une dizaine d’années pour les professionnel (le) s de l’intervention, cette approche intégrée est utilisée dans plusieurs maisons d’hébergement pour soutenir et outiller les intervenantes dans l’élaboration d’une intervention axée sur l’empowerment des femmes et des enfants hébergés.

    Ayant pour fondements théoriques l’idéologie féministe, l’analyse transactionnelle³ et la thérapie radicale⁴, les éléments clés de

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