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Séparation parentale, recomposition familiale: Enjeux contemporains
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Livre électronique545 pages6 heures

Séparation parentale, recomposition familiale: Enjeux contemporains

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À propos de ce livre électronique

Près de deux familles sur cinq sont aujourd’hui monoparentales ou recomposées. En effet, les profonds changements de valeurs vécus au cours des cinquante dernières années ont donné lieu à une diversité structurelle et à une complexité relationnelle grandissante chez les couples et les familles contemporaines. Dans certains cas, la séparation parentale et la recomposition familiale permettront de vivre la parentalité de façon nouvelle et stimulante. Dans d’autres situations, elles augmenteront les vulnérabilités sociales, psychologiques ou économiques des familles. Enfin, dans des cas extrêmes, elles exposeront les familles à des situations comportant de hauts risques d’inadaptation sociale pour les parents et les enfants. L’enrichissement des pratiques sociales et juridiques en ce domaine est donc nécessaire.

Cet ouvrage, issu du travail interdisciplinaire de chercheurs et d’intervenants, traite des enjeux contemporains associés à la séparation parentale et à la recomposition familiale. Par la présentation de résultats de recherche originaux, d’états de la question et de récits de pratique, il traite de toutes les phases vécues par les familles, de la séparation conjugale à la famille recomposée en passant par la garde partagée. Chaque chapitre s’ouvre par ailleurs sur une vignette clinique qui expose un cas concret. Des sujets plus particuliers, comme les parents LGBT ou la violence conjugale, sont également abordés.

Chercheurs, étudiants, intervenants et responsables de programmes et de politiques trouveront dans cet ouvrage unique matière à enrichir leurs réflexions et leurs pratiques. Seront également intéressés tous ceux, nombreux, qui vivent les péripéties, heureuses ou malheureuses, de cette famille contemporaine toujours en mouvance.
LangueFrançais
Date de sortie27 avr. 2016
ISBN9782760544710
Séparation parentale, recomposition familiale: Enjeux contemporains

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    Aperçu du livre

    Séparation parentale, recomposition familiale - Marie-Christine Saint-Jacques

    d’accès

    Introduction

    Marie-Christine Saint-Jacques, Caroline Robitaille,

    Annick St-Amand et Sylvie Lévesque

    Une alliance de chercheurs et de partenaires issus de la communauté¹ a été créée en 2010 afin de permettre à plusieurs acteurs concernés par la séparation parentale et la recomposition familiale d’unir leurs forces. Notre équipe faisait alors le pari que le développement de réponses sociales et juridiques tenant compte de la spécificité et des besoins des familles séparées et recomposées nécessitait la mise en commun des expertises des différents membres de la société appelés à intervenir auprès d’elles. Nous constations en effet que les efforts destinés à mieux soutenir ces familles étaient freinés par le travail en vase clos et qu’il fallait plutôt miser sur le regroupement des expertises pour continuer à avancer. Au terme de nos cinq premières années de travail, il est apparu pertinent de faire état des travaux menés dans le cadre de cette alliance. Ce livre poursuit donc l’objectif de laisser une trace tangible des connaissances qui ont émergé de nos recherches, de nos discussions et des pratiques développées par des chefs de file du domaine au Québec et en Ontario.

    La séparation parentale et la recomposition familiale constituent les thèmes centraux de ce livre. Ces transitions familiales, assimilées parfois sans nuances à des problèmes sociaux, témoignent des transformations que connaissent les liens conjugaux et familiaux contemporains. En effet, les profonds changements de valeurs que l’Occident a connus au cours des cinquante dernières années ont donné lieu à une diversité structurelle et à une complexité relationnelle grandissante chez les couples et les familles contemporaines (Afonso, 2007; Dandurand et Hurtubise, 2008). Passant d’une conception où il est une unité en soi, le couple devient un «duo» dans lequel l’individualité de partenaires a priori égaux est reconnue et valorisée (Théry, 2000). La relation conjugale devient graduellement plus à risque de rupture, car les partenaires fondent leur union sur l’amour et l’épanouissement personnel plutôt que sur des considérations financières ou pratiques (Singly, 1996, 2000; Tap, 2007). Toutefois, parce que les ex-conjoints demeurent parents, la dissolution de la relation conjugale ne met pas un terme au couple parental (Cloutier, Filion et Timmermans, 2012; Frascarolo-Moutinot et al., 2007). En outre, plusieurs de ces ex-conjoints formeront un nouveau couple conjugal, ce qui contribuera à multiplier les figures parentales. Enfin, si la relation établie à l’intérieur du couple recomposé est jugée de piètre qualité, les conjoints seront enclins à mettre un terme à leur union. Ces derniers entraîneront leurs enfants respectifs dans une recherche toujours renouvelée de bonheur conjugal (voir le chapitre 2).

    Ces transformations viennent modifier les façons d’exercer la parentalité. Aujourd’hui, les enfants sont de plus en plus nombreux à entretenir des liens avec leurs deux parents à la suite de la séparation. De ce fait, un nombre grandissant de parents apprennent à exercer leur rôle parental en solo et, parallèlement, à adapter leurs pratiques de coparentalité. De la même façon, les recompositions appellent à repenser la manière d’exercer la parentalité, car, contrairement à l’époque où le beau-parent se substituait au parent décédé, aujourd’hui, les recompositions ont ceci de particulier qu’elles surviennent le plus souvent dans un contexte où les deux parents sont présents. Le beau-parent représente une figure parentale qui s’additionne à celles déjà présentes.

    La séparation² des parents et la recomposition familiale ne sont toutefois pas des réalités homogènes. Selon la manière dont elles s’actualisent, elles pourront refléter des façons émergentes de vivre sa parentalité et fournir de nouveaux environnements stimulants pour se développer. Dans d’autres situations, elles se révéleront des contextes augmentant les vulnérabilités sociales, psychologiques ou financières des familles. Enfin, dans des cas extrêmes, elles s’actualiseront de telle manière qu’elles exposeront les familles à des situations comportant de hauts risques d’inadaptation sociale pour les parents et les enfants. Dans tous les cas, cependant, il s’agit de phénomènes dynamiques en pleine évolution qui soulèvent des enjeux précis et qui nécessitent la création ou le développement de réponses sociales et juridiques adaptées.

    Pour mieux comprendre ces enjeux contemporains et les défis que l’on voit poindre à l’horizon, il apparaissait important de prendre du recul afin d’examiner comment les préoccupations à l’égard de ces questions ont évolué dans les dernières décennies. Qui, mieux que Renée B. Dandurand, pionnière au Québec des travaux sur la monoparentalité, pouvait porter ce regard avec tout le recul et toute l’expérience qu’on lui connaît au sujet de l’évolution de la famille québécoise? Le lecteur trouvera ses réflexions en préface de cet ouvrage.

    Ce livre comprend quatorze chapitres regroupés en trois parties. Il est apparu pertinent de situer d’abord le contexte dans lequel se déploient la séparation parentale et la recomposition familiale. Aussi, l’ouvrage s’ouvre sur un chapitre, rédigé par Castagner Giroux, Le Bourdais et Pacaut, qui offre une synthèse des statistiques démographiques les plus pertinentes afin de décrire ces réalités. Le lecteur pourra, d’une part, repérer les principales enquêtes québécoises et canadiennes ayant collecté des données sur la séparation parentale, la recomposition familiale et les structures familiales. D’autre part, on trouve dans le livre différents angles de prise pour appréhender ces phénomènes, comme une description des dernières statistiques sur les structures familiales dans lesquelles grandissent les enfants ou la présentation de données longitudinales permettant de cerner les trajectoires familiales. Les auteurs s’attardent aussi à d’autres manières de prendre en compte ces phénomènes afin de dépasser certaines limites, dont celle de la résidence, qui obscurcissent le portrait que l’on peut dresser de ces familles. Ce chapitre fait bien ressortir le défi social, mais aussi statistique que constitue la documentation de ces phénomènes. Un deuxième chapitre poursuit l’idée de faire le point sur ces réalités en appréhendant cette fois ces phénomènes de l’intérieur. Comment les adultes vivent-ils la séparation conjugale et les différents moments qui marquent la suite de leur trajectoire, dont l’adaptation à la parentalité en solo, l’établissement de liens coparentaux alors qu’ils ne forment plus un couple ou leur engagement dans une recomposition familiale? Ce chapitre, rédigé par Parent, Saint-Jacques, Drapeau, Fortin et Beaudry, traite aussi des facteurs qui contribuent à la qualité de la relation conjugale et à la satisfaction éprouvée par les adultes à son endroit, fournissant du même coup plusieurs cibles intéressantes sur le plan de l’intervention conjugale.

    Les contextes dans lesquels se déploient la séparation des parents ou leur engagement au sein d’une famille recomposée se transforment actuellement à une vitesse accélérée et constituent des enjeux contemporains qu’il faut, en tant que société, mieux comprendre. Aussi la deuxième partie de ce livre s’intéresse-t-elle à ces questions. Il en va ainsi de l’engagement accru des pères à la suite d’une rupture conjugale. Le chapitre de Dubeau, Deslauriers, Théorêt et Villeneuve invite le lecteur à se familiariser avec l’expérience et le point de vue des pères et des mères à l’égard de l’engagement postrupture des hommes et du meilleur intérêt des enfants concernés. Les auteurs rappellent que 80% des séparations relèvent d’une décision unilatérale d’un des conjoints (souvent celle de la femme), ce qui ne manque pas d’influencer la trajectoire qui s’ensuit. Le chapitre met l’accent sur les stratégies utilisées par les pères et les enjeux liés au genre au moment de la séparation, de même que sur certains moments clés du processus, dont celui de la recherche d’aide ou de la prise de décisions entourant la garde des enfants. Le texte intéressera aussi les personnes qui cherchent des pistes pour réduire les biais de genre qui peuvent limiter la réponse aux besoins des hommes concernés et, par ricochet, leur engagement paternel.

    Ces transitions familiales sont généralement examinées dans la perspective de couples hétérosexuels. Mais ces phénomènes font également partie intégrante de la vie des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans (LGBT) et de leurs enfants. Le chapitre de Lavoie, Bédard et Petit vise à documenter la réalité de ces parents en proposant un état des connaissances sur le sujet. Le lecteur constatera que les modes d’accès à la parentalité pour les personnes LGBT sont nombreux et qu’ils engendrent une diversité de configurations familiales dans lesquelles peuvent survenir une séparation parentale ou une recomposition familiale. Les études recensées montrent qu’à plusieurs égards, l’expérience de la séparation et de la recomposition chez les familles LGBT s’apparente à celle des familles hétéroparentales. Les premières vivent cependant des défis qui leur sont spécifiques et qui sont souvent liés à l’hétérosexisme auquel elles font face.

    L’environnement des enfants dont les parents se séparent a aussi connu plusieurs changements importants dans les dernières années, dont le fait que ces ruptures surviennent de plus en plus tôt dans la trajectoire des familles et que ces dernières optent davantage pour une garde partagée. Ce mode de garde soulève de nombreux débats et fait couler beaucoup d’encre: devrait-on avoir une présomption favorable à son égard? Permet-elle de répondre aux besoins des très jeunes enfants? Qu’en est-il lorsque les parents sont en conflit? Pour nous aider à y voir plus clair, Baude et Drapeau ont réalisé une recension systématique des écrits traitant de l’adaptation des enfants qui expérimentent la garde partagée en la comparant avec celle d’enfants en garde unique. En outre, elles font ressortir le rôle des caractéristiques du jeune et des dynamiques familiales sur le développement de ce dernier. Leur analyse minutieuse des études montre bien les limites de ce que l’on peut véritablement affirmer au sujet des avantages et des inconvénients de ces deux modes de garde et fournit des pistes très intéressantes pour poursuivre les recherches sur cette question.

    Nos connaissances à l’égard des familles séparées se sont accompagnées, ces dernières années, d’un examen attentif des dynamiques familiales qui particularisent leur fonctionnement. On a ainsi vu apparaître des travaux portant sur la coparentalité postrupture qui permettent d’examiner la nature et l’ampleur de la coopération dans la prise en charge des enfants (Drapeau et al., 2008). Le chapitre de Saini, Drozd et Olesen, traitant de la veille parentale (gatekeeping), s’inscrit dans cette foulée. Cette notion renvoie à la fois à une théorie et à une manière d’évaluer la dynamique familiale dans un contexte de séparation. Se situant à l’intersection des notions de conflit, d’alliance et de relation parent-enfant, elle se focalise sur les comportements et les attitudes des parents qui facilitent ou limitent la relation de l’autre parent avec son enfant. La recherche empirique menée sur cette question amène les auteurs à proposer une typologie qui permet de distinguer des comportements de veille parentale adaptés d’autres qui ne le sont pas. Le lecteur trouvera dans ce chapitre les dimensions importantes dont il faut tenir compte pour réaliser cette évaluation.

    Cette partie se termine par un chapitre de Saint-Jacques, Godbout, Parent, Drapeau, Robitaille et Gherghel qui, à la lumière de la théorie du cours de la vie, tentent de mieux comprendre la plus grande instabilité observée chez les couples recomposés. Les dynamiques au sein de ces familles ayant leurs particularités, les auteures ont choisi de comparer les familles recomposées entre elles, en examinant les trajectoires et les expériences de couples recomposés dont l’union a franchi, ou non, le cap critique des cinq ans. Le lecteur pourra prendre connaissance de ces trajectoires, mais aussi des événements qui ont marqué l’enfance des membres de ces couples, leur adolescence de même que leur vie conjugale antérieure, et qui semblent influencer leurs manières de vivre l’épisode de recomposition. Il sera dès lors à même de constater la diversité des trajectoires menant à l’établissement d’une recomposition familiale, mais aussi des dynamiques qui s’activent et qui participent au maintien de l’union conjugale ou, à l’inverse, semblent entraîner la rupture. Plusieurs éléments modérant ou accentuant les tensions au sein des couples fournissent des pistes d’intervention pour soutenir les adultes qui s’engagent dans ces unions recomposées.

    La troisième partie du livre est consacrée aux pratiques d’intervention sociale auprès des adultes et des enfants qui vivent dans ces transitions familiales. Nous avons particulièrement ciblé des dimensions de l’intervention qui sont innovantes ou peu documentées. C’est le cas notamment des ruptures au masculin. Guilmette, Tremblay, Genest-Dufault, Audet et Léveillée visent un double objectif dans leur chapitre: décrire la nature des difficultés rencontrées par certains hommes lors d’une séparation et proposer des pistes d’intervention permettant de mieux répondre aux besoins de ces hommes. De plus en plus de chercheurs et d’intervenants reconnaissent en effet la nécessité de mieux comprendre comment se vit la rupture en fonction du genre afin de répondre aux besoins spécifiques des hommes et des femmes. Ce chapitre se situe dans cette perspective. Le lecteur verra ainsi comment les hommes, et particulièrement ceux qui éprouvent des difficultés d’adaptation à cette transition, appréhendent ce processus de manière singulière et il découvrira les éléments qui contribuent ou non à une meilleure adaptation. Il y trouvera également des pistes pour mieux intervenir auprès de cette clientèle.

    Le chapitre suivant, rédigé par Richard en collaboration avec Lavergne, présente les résultats d’une étude exploratoire sur l’expérience de parents séparés dont les enfants ont participé au processus de médiation familiale. La participation directe des enfants dans ce processus est une pratique émergente à laquelle un nombre grandissant de médiateurs ont recours, notamment pour tenter de dénouer les situations plus conflictuelles. Les résultats indiquent que cette pratique peut être perçue favorablement ou non par les parents. Selon certains, elle les a aidés à prendre une distance par rapport aux conflits et à se recentrer sur les besoins de leurs enfants. D’autres parents ont toutefois l’impression que l’enfant a été manipulé dans le processus ou qu’il a hérité d’un trop grand pouvoir décisionnel. Ces résultats soulignent l’importance de continuer à documenter les effets de ces pratiques émergentes et de les baliser.

    Cette partie se poursuit avec le premier de deux récits de pratique, présentés ici afin de contribuer à la transmission des savoirs développés par des intervenantes chevronnées à ceux et celles qui prendront le relais. Fortes de plus de trente ans de pratique au sein du Service d’expertise psychosociale et de médiation à la famille du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire, mesdames Lorraine Filion, travailleuse sociale, et Élise-Mercier Gouin, psychologue, ont contribué au développement et à l’animation de nombreux groupes de parents récemment séparés. Elles relatent dans cette entrevue les besoins de ces parents et le rationnel qui sous-tend l’importance de leur offrir une courte intervention de groupe en complémentarité avec d’autres services, tels que la médiation familiale. Le lecteur cernera à travers ce récit les grandes lignes du fonctionnement de ces ateliers interactifs de communication parentale, les thèmes abordés ainsi que les compétences nécessaires pour animer ces groupes.

    Lorsque les parents n’arrivent pas à s’entendre sur les modalités de garde et que les autres modes de résolution de conflit échouent, le tribunal est appelé à trancher. À cette fin, juges et experts s’appuient sur la notion de meilleur intérêt de l’enfant (MIE), qui constitue le seul critère permettant de déterminer la garde. Le caractère ambigu de ce principe ainsi que sa subjectivité soulèvent cependant d’importants enjeux sociaux, scientifiques et pratiques lorsque vient le temps de l’appliquer. Le fait que ce critère soit issu du droit, mais qu’il doive être interprété en termes psychosociaux, crée également des incompréhensions entre professionnels de formations diverses. En se basant sur la théorie des représentations sociales, Godbout, Parent et Saint-Jacques tentent de mieux cerner les contours du MIE en se basant sur le discours et les pratiques de juges et d’experts qui interviennent régulièrement dans des situations de séparations hautement conflictuelles. L’analyse réalisée permet de mieux comprendre comment les juges et les experts le définissent et fait émerger certains principes organisateurs de la représentation susceptibles de teinter leur examen de la situation.

    Dans le chapitre suivant, Blanchet et Poitras s’intéressent aux pratiques des experts appelés à se prononcer dans les situations familiales traitées par la Cour supérieure. Le rôle de ces experts est déterminant, puisque les juges accueillent le plus souvent favorablement les recommandations qu’ils formulent. Toutefois, les pratiques de ces professionnels sont peu documentées et plusieurs acteurs déplorent le manque d’homogénéité des expertises produites. La recension systématique des écrits scientifiques réalisée par les auteures permet d’abord de documenter les méthodes utilisées par ces professionnels dans leurs évaluations, puis de formuler certains constats qui pourront alimenter les réflexions sur le développement de ce champ de pratique.

    Le second récit de pratique rend compte de l’expérience de Francine Cyr auprès de familles où les parents séparés demeurent en conflit sévère malgré le recours à d’autres formes d’intervention. Dans cette entrevue, la psychologue relate comment elle en est venue à adopter une pratique innovante auprès de ces familles pour qui les autres modalités de résolution de conflit échouent et qui se retrouvent constamment à la cour pour trancher leurs litiges. Cette pratique mise sur un suivi psychojudiciaire sur mesure et sur une alliance interdisciplinaire entre les intervenants du domaine psychosocial et judiciaire.

    S’il peut sembler logique de croire que la séparation du couple met un terme aux situations de violence conjugale et familiale, l’analyse des faits montre que la réalité est tout autre. Pour de nombreuses femmes, les comportements violents de l’ex-conjoint se maintiennent ou augmentent à la suite de la séparation conjugale, notamment lorsqu’elles ont un enfant avec celui-ci. Pourtant, peu d’études se sont intéressées particulièrement à la période postrupture, de sorte que les effets de ce phénomène sur les enfants, tout comme les enjeux sociojuridiques qu’il génère, demeurent méconnus. Dans ce chapitre, Alvarez-Lizotte, Lessard et Rossi tracent un portrait de la violence conjugale postséparation et exposent les différentes manifestations et conséquences de cette violence sur les enfants et sur les femmes. Elles exposent ensuite les enjeux que soulève cette réalité sur le plan de l’intervention psychosociale et des suivis judiciaires tout en proposant certaines stratégies et pratiques novatrices pour leur faire face.

    Ce livre a été conçu de manière à traiter des nombreuses thématiques qui révèlent les enjeux contemporains associés à la séparation parentale et à la recomposition familiale. Il vise à faire ressortir la diversité des facettes de ces phénomènes, de même qu’à fournir un éclairage sur la manière de mettre en œuvre ou d’enrichir les pratiques sociales juridiques et judiciaires dans ce domaine.

    1L’Alliance de recherche université-communauté Séparation parentale, recomposition familiale () est subventionnée par Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (programme des ARUC).

    2Le Lecteur remarquera qu’il est parfois question de «divorce» dans ce Livre, parfois de «séparation conjugale ou parentale». Les auteurs utilisent généralement Le terme divorce pour parler de personnes mariées qui se sont séparées Légalement. Le recours à ce terme reflète aussi La nature des échantillons constitués dans Les études traitant de ces questions.

    PARTIE I /

    LA MISE EN CONTEXTE

    Des chiffres et des trajectoires

    CHAPITRE 1 /

    La séparation parentale et la recomposition familiale

    Esquisse des tendances démographiques au Québec

    Catherine Castagner Giroux, Céline Le Bourdais et Philippe Pacaut

    Arthur est né en 1955. En 1977, il est devenu le père de Nathalie qui, 28 ans plus tard, a donné naissance à Édouard. Durant les cinquante années qui séparent la naissance du grand-père de celle du petit-fils, qu’est-ce qui a changé sur le plan de la vie familiale au Québec? Il suffit de regarder autour de nous pour voir à quel point les transformations ont été profondes, d’une génération à l’autre, dans le déroulement de la vie familiale des hommes, des femmes et des enfants. Les mariages se font moins nombreux, et de plus en plus de couples choisissent dorénavant de vivre et d’élever leurs enfants hors mariage, comme l’a fait Nathalie. Les unions sont aussi devenues plus instables et une part grandissante des enfants voient leurs parents se séparer, et ce, de plus en plus tôt dans leur vie. Contrairement à Nathalie, qui a grandi entourée de ses deux parents, Édouard a vécu la séparation de ses parents et a connu un épisode de monoparentalité. Il risque fort de vivre d’autres bouleversements familiaux lorsque l’un ou l’autre de ses parents formera une union avec un nouveau conjoint, lequel aura peut-être déjà des enfants issus d’une union antérieure.

    Nous examinerons dans ce chapitre la séparation parentale et la recomposition familiale sous l’angle des travaux démographiques qui ont analysé les profonds bouleversements qu’a connus la famille québécoise au cours des dernières décennies. L’étude des changements familiaux a une longue et riche tradition en démographie québécoise. Plus particulièrement depuis une trentaine d’années, de nombreux travaux ont documenté l’évolution des phénomènes qui ont transformé la vie familiale au Canada et au Québec et ont ainsi permis d’affiner notre compréhension des mécanismes à l’œuvre (Pronovost, 2004).

    L’objectif de ce chapitre est double. Nous visons d’abord à fournir une mesure de l’ampleur des principaux changements qui ont modifié le visage des familles au cours des cinquante dernières années et qui ont affecté les trajectoires familiales des adultes et des enfants. Cette analyse servira par la suite à contextualiser les différents enjeux contemporains associés à la séparation parentale et à la recomposition familiale qui seront analysés dans les chapitres suivants.

    Notre recension prend en compte les travaux démographiques qui s’appuient sur l’exploitation de grands échantillons, lesquels permettent d’étudier non seulement les comportements dominants, mais également ceux qui sont adoptés par un nombre plus restreint d’individus ou qui sont en émergence. Ces travaux ont recours à la statistique dite officielle que constituent les recensements et la statistique de l’état civil. Ils utilisent aussi plusieurs des grandes enquêtes menées au cours des dernières années par Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec, notamment l’Enquête sociale générale (ESG), l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) et l’Étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec (ELDEQ).

    Le présent chapitre comporte trois parties. Dans la première partie, nous traçons une brève esquisse des transformations de la fécondité et de la conjugalité qui sous-tendent l’évolution des changements familiaux observés. Dans la deuxième, nous analysons la diversification des situations familiales, abordée sous l’angle de la répartition, de la structure et de la composition des divers types de familles. Notre analyse s’intéresse plus particulièrement aux familles monoparentales et aux familles recomposées, que nous examinerons du point de vue des adultes et du point de vue des enfants dont l’environnement familial se modifie au rythme des comportements conjugaux de leurs parents. Enfin, la troisième partie, qui adopte une perspective résolument longitudinale, s’attache à montrer les conséquences des changements observés sur le déroulement de la vie familiale des individus. Nous examinons la propension des parents à se séparer au fil des générations ainsi que la proportion d’enfants qui risquent de connaître la séparation parentale et la vie en famille recomposée.

    1/Les transformations de la fécondité et de la conjugalité

    La séparation parentale et la recomposition familiale sont étroitement associées aux transformations profondes de la fécondité et de la conjugalité que la majorité des sociétés occidentales, y compris le Québec, ont connues à partir des années 1960. C’est à ce moment-là, en effet, que la fécondité a commencé à décliner. Au plus fort du baby-boom, au Québec, une femme pouvait s’attendre à avoir en moyenne près de quatre enfants au cours de sa vie, selon les comportements observés à la fin des années 1950 (Institut de la statistique du Québec, 2014a). Ce nombre a diminué rapidement par la suite, passant en 1970 sous la barre des 2,1 enfants nécessaires pour assurer le remplacement des générations. Depuis 1977, le nombre moyen d’enfants qu’aurait une femme, si les tendances du moment se maintenaient, se situe continuellement sous le seuil de 1,7 enfant et il a même atteint le plancher de 1,36 enfant en 1987. Après avoir enregistré une série de fluctuations, ce nombre connaît une légère remontée depuis le début des années 2000; il se situait ainsi à 1,67 en 2012.

    La fécondité constitue le premier phénomène démographique à avoir marqué de manière profonde la vie familiale. Ce sont toutefois les changements notés dans les comportements conjugaux qui ont sans doute le plus fortement bousculé la vie familiale et modifié la composition des familles. Jusqu’au début des années 1970, le mariage était quasi universel et constituait la porte d’entrée obligée dans la conjugalité; il représentait alors une alliance pratiquement indissoluble (Péron, 2003). On estimait à l’époque que près de neuf femmes et neuf hommes sur dix se marieraient au moins une fois dans leur vie (Institut de la statistique du Québec, 2014b). Au cours des trente années qui ont suivi, le mariage a connu un recul marqué. Les données les plus récentes indiquent qu’à peine une femme sur trois se mariera au moins une fois dans sa vie au Québec si les comportements observés depuis le tournant du millénaire se poursuivent (Pacaut, 2013).

    Bien que le mariage ait perdu de son attrait, la relation conjugale n’est pas disparue pour autant, comme en témoigne la progression remarquable de l’union libre. Les individus optent en effet aujourd’hui massivement pour l’union libre lorsqu’ils se lancent dans la vie conjugale. Ainsi, la proportion d’unions libres est passée de 20%, pour les premières unions formées au début des années 1970, à 80%, pourcentage enregistré depuis le début des années 1990 (Dumas et Bélanger, 1997). L’union libre occupe au Québec une place particulièrement importante aujourd’hui dans la vie des couples, comparativement à la situation qui prévaut ailleurs au Canada et dans la majorité des pays occidentaux. Mesurée pour la première fois en 1981, la proportion de couples en union libre était au début relativement faible au Québec, où moins d’un couple sur dix (7%) cohabitait sans être marié. En forte progression au cours des trente années qui ont suivi, ce pourcentage est passé à 19% en 1991, puis à 30% en 2001, se situant à 38% en 2011 (Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk, 2004; Statistique Canada, 2012). Ce pourcentage contraste avec celui observé dans les autres régions canadiennes, lequel varie entre 12% et 18%. Et il surpasse nettement la proportion recensée dans de nombreux pays reconnus pour la place importante qu’y occupe l’union libre, comme la Suède (29,0% en 2010), la Finlande (24,7% en 2010) ou la Norvège (23,9% en 2011) (Statistique Canada, 2012).

    L’union libre ne constitue plus seulement la porte d’entrée dans la vie conjugale des femmes et des hommes, elle sert aussi de plus en plus souvent de cadre à la formation des familles. En effet, un nombre croissant de couples en union libre décident dorénavant de donner naissance sans légaliser leur union. En témoigne l’augmentation constante de la proportion de naissances hors mariage qu’on observe au Québec depuis les années 1970. En 1976, environ un enfant sur dix naissait de parents en union libre ou d’une mère vivant seule. En 2013, donc 37 ans plus tard, plus de 60% des naissances sont survenues hors mariage (Institut de la statistique du Québec, 2014c); cette proportion est deux fois plus élevée que celle observée dans l’ensemble du Canada (Girard, 2012). Au Québec, on estime aujourd’hui qu’un peu plus de 55% des enfants naissent de parents en union libre (C. Girard, communication personnelle, 15 avril 2013) et qu’un peu plus de 5% des naissances sont le fait d’une mère vivant sans conjoint.

    La baisse de la popularité du mariage et la progression soutenue de l’union libre ont été accompagnées d’une fragilisation des unions, tant des mariages que des unions libres. On sait par les statistiques de l’état civil et les enquêtes que les divorces et les séparations surviennent de plus en plus fréquemment et de plus en plus tôt après le début de l’union. Depuis 1985, l’indice synthétique de divortialité, qui mesure la propension des couples à divorcer avant d’atteindre leur 25e anniversaire de mariage, indique qu’un mariage sur deux se terminera par un divorce, comparativement à un sur dix en 1970 (Institut de la statistique du Québec, 2014d). Par ailleurs, les données d’enquêtes montrent que près de la moitié (46%) des unions libres formées dans les années 1990 ont mené à une séparation dix ans après le début de la vie commune, comparativement à 38% de celles formées pendant les années 1970¹.

    L’accroissement de l’instabilité des couples, que la venue des enfants n’atténue que partiellement, a entraîné une augmentation de la monoparentalité. À ces épisodes de monoparentalité succède fréquemment par la suite une phase de recomposition familiale, qui s’organise le plus souvent autour du noyau formé d’une mère et de ses enfants, auquel se joint un nouveau conjoint. Ces profonds changements dans les situations et les itinéraires familiaux induits par les transformations de la fécondité et de la conjugalité, esquissées ici à grands traits, font l’objet d’une description détaillée dans les deux prochaines sections.

    2/La diversification des situations familiales

    La progression des séparations parentales et des recompositions familiales peut d’abord être illustrée à partir d’un examen de l’évolution des situations familiales au fil du temps. La typologie des familles retenue pour cet examen repose sur le critère de corésidence des membres de la famille, traditionnellement utilisé dans les sources statistiques dont on dispose pour étudier la composition des familles. Selon la terminologie utilisée par Statistique Canada, une famille dite intacte est formée de deux conjoints mariés ou en union libre vivant avec leurs enfants biologiques ou adoptés. Une famille recomposée est un couple marié ou en union libre résidant avec des enfants dont au moins un est issu d’une union antérieure de l’un ou l’autre des conjoints. Enfin, une famille monoparentale comprend un parent seul vivant avec ses enfants.

    Le tableau 1 présente la distribution des familles avec enfants selon la composition de la famille et le type d’union en 1990, 2001 et 2011. On remarque d’abord que les familles monoparentales et recomposées constituaient près de quatre familles avec enfants sur dix (37,7%)² en 2011. Les familles intactes représentaient encore la majorité des familles avec enfants de moins de 25 ans en 2011, mais on constate que leur part dans l’ensemble des familles a diminué depuis 1990, passant de 69% à 62%. Le recul des familles intactes s’est surtout effectué au profit des familles monoparentales, dont le pourcentage, en hausse, est passé de 20% à 26%. Ces dernières sont très majoritairement sous la responsabilité des mères, lesquelles avaient charge de plus des trois quarts de l’ensemble des familles monoparentales en 2011 (19,4% sur 25,8%). Les familles recomposées, moins nombreuses, constituaient autour de 11% de l’ensemble des familles. Ce pourcentage est semblable à celui observé aux États-Unis et dans plusieurs pays européens (Sweeney, 2010, cité dans Le Bourdais, Lapierre-Adamcyk et Heintz-Martin, 2013, p. 6).

    On aurait pu s’attendre à ce que la proportion de familles recomposées augmente de façon marquée au cours des années 1990 et 2000. Lapierre-Adamcyk et Le Bourdais (2008, p. 11) rappellent cependant que «ces familles sont marquées par la grande mobilité de leurs membres: départ d’un parent, arrivée d’un beau-parent, circulation des enfants en garde partagée, choix des enfants d’aller vivre avec l’un ou l’autre parent». Cette mobilité, qui ne peut être prise en compte dans le portrait des familles basé sur la notion de corésidence, explique sans doute en partie le peu de variations observé dans le temps. Nous y reviendrons plus loin.

    Le tableau 1 révèle également un paysage familial de plus en plus diversifié lorsque l’on prend en compte le type d’union des couples dans les familles biparentales. Il montre le net recul de la famille dans sa forme la plus traditionnelle, c’est-à-dire la famille intacte fondée sur le mariage. La part de ce type de famille dans l’ensemble des familles avec enfants est passée de 63% à 39% entre 1990 et 2011. La figure 1 illustre de façon très nette la place prépondérante que l’union libre occupe dorénavant parmi les familles biparentales avec enfants. Alors que moins d’une famille intacte sur dix était formée de conjoints en union libre en 1990, cette situation était le fait de près de quatre familles sur dix (37,7%) en 2011. Le pourcentage de couples en union libre est encore plus élevé parmi les familles recomposées: leur part est passée de 63% en 1990 à 69% en 2011.

    Les configurations variées que revêtent les familles recomposées constituent une autre illustration de la diversification de l’environnement familial dans lequel évoluent les enfants. En 2011, ainsi qu’on peut le voir à la figure 2, environ 40% des familles recomposées québécoises comprenaient une mère vivant avec ses enfants issus d’une union antérieure et un beau-père, et 20%, un père vivant avec une conjointe – une belle-mère -qui n’était pas la mère de ses enfants. On parle alors de recomposition simple. Les autres cas de recomposition, dits complexes car ils mêlent plusieurs fratries, sont le fait de quatre familles recomposées sur dix. Le plus souvent (30%), ces familles comprennent des enfants nés de l’union en cours qui sont venus s’ajouter aux enfants issus d’une union précédente du père ou de la mère. Moins fréquentes (8%) sont les familles recomposées qui regroupent des enfants nés d’une union antérieure de chacun des deux conjoints sans qu’il y ait d’enfant commun. Enfin, plus rares (1,6%) sont les familles qui mêlent trois fratries, c’est-à-dire les enfants issus d’une union antérieure des deux conjoints et des enfants nés de l’union en cours.

    L’évolution des familles avec enfants décrite à partir du point de vue des adultes peut être enrichie par l’étude des situations familiales abordée cette fois du point de vue des enfants, lesquels voient leur environnement modifié au gré des aléas des comportements conjugaux de

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