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Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales: Perspectives interdisciplinaires et internationales
Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales: Perspectives interdisciplinaires et internationales
Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales: Perspectives interdisciplinaires et internationales
Livre électronique610 pages7 heures

Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales: Perspectives interdisciplinaires et internationales

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À propos de ce livre électronique

La réalisation des projets de couple et familiaux constitue des préoccupations importantes des individus contemporains. Ces projets font l’objet de représentations sociales générées par diverses sources : œuvres littéraires, philosophiques, scientifiques, populaires, mais aussi cinématographiques ou médiatiques. Ces représentations proposent des modèles et fournissent des supports à des imaginaires alimentant les scénarios personnels, créant des attentes qui se heurtent aux réalités quotidiennes, et qui entrainent souvent des désillusions et des déceptions, mais aussi des adaptations.

Dans le but de mieux saisir les logiques à l’œuvre dans les attentes conjugales et familiales, cet ouvrage composé de treize chapitres rédigés par des chercheuses et chercheurs québécois, canadiens et internationaux (Brésil, Espagne, France, Suisse), issus de disciplines variées (anthropologie, démographie, psychologie, sexologie, sociologie et travail social), vise à mettre en évidence l’influence des imaginaires sur les itinéraires conjugaux et familiaux. La richesse des contributions à cet ouvrage collectif devrait aider à mieux saisir l’importance des études sur les imaginaires familiaux, autant pour la communauté scientifique que pour toute personne intéressée à mieux comprendre, et possiblement à mieux accompagner, les imaginaires, les attentes et les désillusions conjugales et familiales vécues par les individus et les couples.

Laurence Charton, PhD., est sociodémographe et professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. Elle est directrice de la revue internationale Enfances, Familles, Générations. Ses intérêts de recherche portent sur les représentations familiales, les transitions à la parentalité et les pratiques de (pré)nomination.

Chantal Bayard est candidate au doctorat au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. Sa thèse porte sur les représentations, les discours et les expériences de la maternité à l’ère numérique.
LangueFrançais
Date de sortie9 juin 2021
ISBN9782760555136
Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales: Perspectives interdisciplinaires et internationales
Auteur

Laurence Charton

Laurence Charton, PhD., est sociodémographe et professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. Elle est directrice de la revue internationale Enfances, Familles, Générations. Ses intérêts de recherche portent sur les représentations familiales, les transitions à la parentalité et les pratiques de (pré)nomination.

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    Aperçu du livre

    Des imaginaires aux réalités conjugales et familiales - Laurence Charton

    INTRODUCTION

    L’AMOUR, LE COUPLE, L’ENFANT, LA FAMILLE

    RÉFLEXIONS SUR LA PLACE DES IMAGINAIRES, FANTASMES ET MYTHES DANS LES RÉALITÉS CONJUGALES ET FAMILIALES CONTEMPORAINES

    Laurence Charton et Joseph Josy Lévy

    Imaginaire collectif, mythes, fantasmes, rêves, autant de mécanismes qui alimentent la vie sociale et personnelle, qui servent à enrichir, à enchanter et à déformer le réel, non sans susciter, quand l’écart entre illusions et réalités devient trop grand, déceptions et désillusions pouvant conduire à une rupture ou à une réorganisation des relations. Ces mécanismes psychiques et sociaux jouent un rôle considérable, sous leurs différentes formes, dans l’organisation de la relation de couple, la famille et la parentalité, tout autant que dans la structuration de l’identité personnelle, ce que nous tenterons de dégager dans ce chapitre.

    1. L’IMAGINAIRE COLLECTIF ET LE MYTHE SOCIÉTAL

    Si l’on se penche, en premier lieu, sur la construction de l’imaginaire collectif, défini par Giust-Desprairies (2009, p. 20) comme l’« ensemble des éléments qui, dans un groupe donné, s’organisent en une unité significative pour le groupe, et ce à son insu » et qui, comme le souligne L’Italien-Savard (2012, p. 32) « se construit comme le mythe, à partir des représentations déformées, idéalisées, simplifiées dans lesquelles on parvient à synthétiser cette réalité », on se rend compte de l’importance de l’imaginaire collectif dans le « fonctionnement du groupe, car il assure une cohérence suffisante entre les projets, les objectifs, les volontés d’agir » (Giust-Desprairies, 2009, p. 20).

    En analysant plus précisément les caractéristiques de l’imaginaire québécois, L’Italien-Savard (2012) met en relief ce qui le distinguerait dans son organisation sociétale et familiale de son voisin étasunien. Elle relève par exemple qu’au Québec, la position de l’homme et du père n’est « ni un conquérant ni un dominant » (p. 37), et que la femme, dès les débuts de la Nouvelle-France, a eu une position importante dans la structure familiale comme épouse et mère. Le thème de la famille serait par conséquent, selon cette auteure : « LE thème dominant, auquel bien souvent viennent se greffer tous les autres » (L’Italien-Savard, 2012, p. 37), en particulier dans la littérature, à travers l’exploration des variations de construction des figures paternelle et maternelle et des relations entre les générations.

    Ruffiot (2011, p. 148) insiste quant à lui sur l’importance de la notion de « mythe sociétal » qui renvoie à « la représentation commune (partagée par l’ensemble des membres) que se donne une société de son passé historique, des structures familiales qui la sous-tendent, ainsi que des fantasmes individuels partagés. Le mythe est une transposition et une explication du réel, une médiation, sur le plan de l’imaginaire, permettant d’accéder à une compréhension primaire de l’univers objectif et du monde intérieur […] ». Ainsi, les thèmes des mythes sociétaux seraient, toujours selon Ruffiot (2011, p. 148) « une tentative de symbolisation des fonctions familiales », comme le suggèrent aussi les mythes classiques analysés selon les perspectives psychanalytiques.

    2. LES FICTIONS LITTÉRAIRES, MÉDIATIQUES ET PORNOGRAPHIQUES

    Cet imaginaire collectif (ou mythe sociétal) se nourrit aussi, et de façon très prégnante, des fictions issues de la littérature, du cinéma, des médias télévisés et des réseaux socionumériques qui jouent un rôle important dans la structuration des représentations contemporaines de l’amour, du couple, de la sexualité et de la famille, ainsi que dans la construction des identités personnelles. Ainsi, Weitman (1999, p. 73-74) est d’avis par exemple que « [la société contemporaine] est caractérisée par la tendance des individus […] à être guidés dans la vie réelle par des dispositions d’habitus acquises au cours d’une immersion prolongée dans le monde imaginaire de la fiction, et moins par les dispositions acquises au cours de l’adaptation à la vie et aux personnes réelles ». Bourneuf (2007, p. 10) insiste sur les fonctions du livre qui « suscite émotions et sentiments, active, relance la réflexion [faisant que] tout ensemble nourrit l’imaginaire et nous rapproche de la vie palpable, décrit les existences réelles et fictives, propose des modes d’être possibles, trace des voies pour notre évolution individuelle et collective ».

    À propos du sentiment amoureux, Kaufmann (2012, p. 3) précise aussi que sa conception actuelle

    résulte en partie de celle qui est diffusée par le roman, par le biais d’instruments puissants que sont le théâtre, les feuilletons, les chansons, puis la presse féminine. Cette fiction devient peu à peu réalité, pour s’incorporer en nous selon des lieux communs, bien que nous soyons amenés à prendre conscience d’un décalage entre mythe et réalité (ce qui peut donner lieu à des « stratégies d’arrangement du réel »).

    2.1. Les fictions littéraires

    L’analyse des scénarios de romans d’amour met en évidence pour Constans (2009, p. 6), la présence d’« une répétitivité lassante, la récurrence nombreuse des topos, le moralisme visible ou sous-jacent, un sexisme plus ou moins appuyé ». Dans Une histoire des romans d’amour, Lepape (2011) trace notamment les itinéraires temporels et géographiques de ce genre qui se fonde sur des tentatives de description la plus complète possible de ce sentiment, qui dessine l’évolution des codes et des réalités amoureuses tout en les inventant et en leur servant de guide pour leur apprentissage. À travers l’analyse de romans sentimentaux féminins des collections Harlequin, plusieurs chercheuses (Jensen, 1984 ; Helgorsky, 1987 ; Houel, 1997 ; Damian-Gaillard, 2011) ont porté leur attention aux différents scénarios amoureux proposés à des groupes de femmes. Damian-Gaillard (2011, p. 318) souligne par exemple que cette littérature véhicule « des normes pratiques autant que psychiques […] qui constituent l’une des modalités de construction du for intérieur féminin ». Les différentes études sur ces collections ont montré également leur contribution au maintien d’une binarité de genre et d’une norme hétérosexuelle ainsi qu’à son contrôle. Elles soulignent en particulier le regroupement de ces romans en thématiques stéréotypées, en particulier en ce qui concerne des relations de couple où l’éthos masculin hégémonique et l’idéologie amoureuse ne sont jamais remis en question, et l’absence du point de vue féminin.

    Bigey et Olivier (2010) se sont penchées, quant à elles, sur la réception de ces romans par des lectrices pour montrer l’agentivité associée à la diversité des modalités d’appréhension des textes : identification aux personnages masculins ou féminins surtout chez les jeunes lectrices, implication affective dans la narration tout en gardant cependant une perspective critique faisant la part du réel et de l’imaginaire, conscientisation des limites de ces romans sans remettre néanmoins en question leur idéologie sous-jacente. Les procédés de lecture font appel à des stratégies basées sur la distanciation ou, au contraire, sur une implication émotionnelle. Plusieurs fonctions psychologiques sont ainsi associées à la lecture de ce type de littérature : compensation en rapport avec les déceptions de la vie quotidienne, en particulier dans la sphère conjugale ; réduction des frustrations en permettant l’évasion momentanée, notamment en raison de la facilité de la lecture. Cette littérature alimente aussi les rêves et les fantasmes en présentant des scénarios de couple idéal. Selon Bigey et Olivier (2010), l’analyse du contenu de discussions rapportées sur un site consacré aux romances confirme, entre autres, l’existence de lexiques remettant en question les intrigues et leurs conclusions trop irréalistes ou, au contraire, reflétant une adhésion non critique à l’idéologie amoureuse proposée.

    Dans l’imaginaire littéraire, la famille fait aussi l’objet d’autres types de productions, notamment dans le monde francophone, où dominent les thèmes des relations parents et enfants, frères et sœurs, de la maternité et de la paternité (Clément et van Wesmael, 2008).

    La production littéraire LGBTQIA+ (lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queers, intersexes et assimilées) met pour sa part surtout en relief les enjeux spécifiques rencontrés par ces populations (traumatismes, stigmatisation, homophobie, non-dévoilement, etc.) tout en contribuant à soutenir des jeunes LGBTQIA+, qui font face à ces problématiques (Lloyd, 2015). L’épidémie du VIH/sida, qui a frappé lourdement cette communauté, a aussi conduit l’imaginaire romanesque à explorer les intersections entre la maladie, la mort et la sexualité et leurs répercussions sur les relations familiales et de couple (Lévy et Nouss, 1994 ; Lévy et Quévillon, 2010).

    Les œuvres à contenu sexuel explicite ou érotique constituent également une autre facette de l’imaginaire qui irrigue les représentations personnelles (Boisclair et Dussault Frenette, 2013). Les nombreux travaux sur cette question mettent en effet en évidence des thèmes variés, comme le souligne aussi Salaün (2010) à travers l’analyse d’un corpus de romans québécois. Dans son étude, Salaün constate que :

    [l’]érotisme littéraire se donne à lire et revêt toute sa puissance thématique à l’intérieur de conventions esthétiques qui gouvernent les récits. Les différentes esthétiques chapeautent, à travers un consensus intellectuel et artistique, les œuvres d’une époque donnée et celles-ci partagent un nombre relativement restreint et stable de valeurs sociales, morales et émotionnelles concernant la sexualité (p. 12).

    Ainsi, nombreux sont les romans qui, tout au long de l’histoire, ont irrigué sous des formes esthétiques diverses les représentations de l’amour. Citons par exemple les romans de John Cleland (Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1749), Leopold von Sacher-Masoch (La Vénus à la fourrure, 1870), Oscar Wilde (Teleny, 1893), Guillaume Apollinaire (Les onze mille verges, 1907), Georges Bataille (Histoire de l’œil, 1928), Louis Aragon (Le con d’Irène, 1928) ou encore Jean Genest (Querelle de Brest, 1947).

    Les courants littéraires contemporains font aussi depuis les années 1960 une large place à la littérature érotique en mettant l’accent sur le désir, la sensualité ou encore le renouvellement des interdits (Destais, 2014), tout autant que sur les représentations pornographiques de la sexualité, en la dissociant du sentiment amoureux. La lecture de ces livres peut servir de stratégies d’initiation ou d’éducation à la sexualité, mais aussi de support à la recherche d’excitations sexuelles, d’où son intérêt thérapeutique, souligné par plusieurs (Hubin, De Sutter et Reynaert, 2011 ; Palaniappan, Mintz et Heatherly, 2016 ; Van Lankveld, 2017 ; Guitelman et al., 2019). Les scénarios proposés semblent en effet pouvoir aider à stimuler et à élargir les fantasmes sexuels personnels et contribuer à l’éveil ou au renforcement du désir sexuel chez les personnes souffrant d’un déficit dans ce domaine (Hubin, De Sutter et Reynaert, 2008). Cet usage thérapeutique du recours à une littérature érotique a été confirmé empiriquement, notamment auprès de femmes ayant un faible désir sexuel, sur la base d’une comparaison d’interventions bibliothérapeutiques comprenant le recours à des ouvrages de psychologie populaire ou à des textes provenant de fictions érotiques rédigées par des auteurs connus dans le domaine de l’érotique féminine (Palaniappan, Mintz et Heatherly, 2016). Le recours aux deux types d’ouvrages, mais surtout au second (fiction érotique), a montré une augmentation du désir sexuel et des indices physiologiques et psychologiques rattachés à la réponse sexuelle (excitation, orgasme, fonctionnement sexuel général, satisfaction, etc.). Ces créations littéraires peuvent ainsi aider à mieux saisir « les stratégies ou les représentations de l’artiste qui s’y jouent, mais également la façon dont il témoigne des représentations collectives d’un état de société donné » (Brière et Lamarre, 2010) et leur influence sur les individus, et ce, à travers le recours à l’imaginaire.

    2.2. Les fictions médiatiques

    Selon Galician (2004), les mythes romantiques (par exemple, le coup de foudre, la prédestination cosmique des partenaires, la complétude relationnelle, la perfection du véritable amour, le fait de suivre ses sentiments plutôt que des évaluations rationnelles, la capacité de lire dans les pensées de son partenaire, la confusion entre amour et sexualité) diffusés par les différents médias engendrent des attentes irréalistes chez les spectateurs. Ces mythes constituent des représentations hégémoniques « stéréotypées et archétypiques » (p. 70) venant renforcer l’ordre social établi et offrant des modèles de rôles distordus non conformes aux réalités sociales vécues, ce qui peut entraîner, à cause de ces dissonances cognitives, de fortes insatisfactions.

    Les imaginaires collectifs et personnels nourris notamment par les séries télévisuelles et les comédies romantiques ont, comme le montrent par exemple Segrin et Nabi (2006) dans le contexte américain, et Lavoie Mongrain et Piazzesi (2019) en contexte québécois, des répercussions sur les attentes, en particulier au regard du couple. Le visionnement de ces productions apparaît en effet positivement associé à des attentes idéalisées, non seulement à l’égard des intentions conjugales, mais aussi envers la vie de couple et, en particulier aux États-Unis, maritale.

    L’ensemble des productions cinématographiques aborde aussi de façon significative des thèmes liés à la famille, à l’amour et au couple. Dans le cinéma québécois, par exemple, les films, comme l’observent notamment Saint-Martin (2009), Bachand (2010) ou encore Fortin (2016, dans cet ouvrage), traitent différentes facettes de la famille et de son évolution telles que les figures de l’orphelin, les relations père-fils, mère-fille et fraternelles, leurs conflits et leurs résolutions, les relations de couple et les ruptures, les monoparentalités ou encore les transmissions intergénérationnelles. Fortin (2016, p. 39), en se basant sur une rétrospective historique, conclut notamment que « les récits familiaux et de filiation dans le cinéma québécois posent l’électivité comme idéal de la relation familiale, la solidarité et l’entraide au sein de la famille découlant de cette électivité ». Elle observe aussi que le :

    partage de l’espace entre frères et sœurs, celui de la maison, renvoie […] à une communauté dont il faut retracer les frontières et les modes d’habiter [et que si] chaque enfant doit entrer en relation avec ses parents comme personne et s’inscrire dans une histoire, l’ensemble des enfants doivent partager l’espace hérité et s’inventer ensemble une identité partagée (Fortin, 2016, p. 39).

    En contexte américain, les films ont en dehors d’une analyse de contenu fait aussi l’objet de celle des répercussions psychologiques sur les spectateurs. Pour Hefner et Wilson (2013) et Galloway, Engstrom et Emmers-Sommer (2015), notamment, les films américains, des comédies sentimentales et des drames, qui, par ailleurs, sont consommés partout dans le monde, peuvent ainsi inclure l’expression d’idéaux romantiques les plus fréquents ou encore une remise en question de ces idéaux, mais le plus souvent, ils se réfèrent à ces deux dimensions conjointes. De ce fait, ces films contribuent à renforcer chez les spectateurs les scénarios liés aux idéaux amoureux en insistant plus que sur le coup de foudre, sur une leçon de morale où l’amour est plus fort que tout, suivi de l’idéal de la rencontre de l’âme sœur (Holmes, 2007). Dans une analyse basée sur le genre, les personnages masculins exprimeraient par ailleurs des idéaux chevaleresques plus fréquemment que les femmes et ces idéaux seraient plus souvent récompensés que punis (Lippman, Ward et Seabrook, 2014). Les personnages féminins exprimeraient pour leur part plus de remises en question que les personnages masculins, et les premiers seraient plus souvent punis que récompensés (Timmermans, Coenen et Van den Bulck, 2019). Les analyses psychologiques sur les préférences de visionnement de types de films suggèrent par ailleurs un lien significatif associé à l’approbation des idéaux amoureux, à l’idéalisation des partenaires et à l’éros comme style amoureux, en particulier chez les gros consommateurs de ces films (Zurbriggen, Ramsey et Jaworski, 2011). Enfin, ces films semblent aussi avoir une certaine fonction éducative dans la mesure où leur visionnement permet de réaliser, voire d’accepter, l’existence d’idéaux romantiques (Hefner, 2019).

    2.2. Les fictions pornographiques

    La diffusion des productions pornographiques, qui se sont multipliées avec les technologies numériques, constitue aussi un angle important pour l’étude de l’imaginaire contemporain et des difficultés associées à les distinguer du réel (Constance, 2002 ; Boisvert, 2017). Comme le souligne par exemple Cochand (2016), ces productions offrent de façon anonyme des milliers de vidéos en ligne, professionnelles ou amateurs, obéissant à des critères de segmentation de plus en plus poussés, visionnées surtout par des hommes et dont les contenus sont de plus en plus violents et sadiques avec la mise en scène de pratiques sexuelles extrêmes. Ce visionnement induit un mimétisme important chez de nombreux spectateurs, qui reproduisent des scènes dans leurs scénarios interpersonnels ou dans leurs pratiques sexuelles (Malamuth, Addison et Koss, 2000). Cet engouement atteint en particulier les adolescents et les jeunes adultes avec des effets négatifs importants sur le plan sociopsychologique (problèmes de conduite, santé mentale, relations interpersonnelles, violence sexuelle, dysfonctions sexuelles, instrumentalisation des jeunes filles) (Owens et al., 2012). Chez les adultes, les conduites agressives, les problèmes relationnels et sexuels, la compulsion et la dépendance sont aussi rapportés, mais les observations problématiques ne font pas l’unanimité, des chercheurs notant aussi des effets plus positifs (notamment pour ce qui est des attitudes, des connaissances sexuelles, du renforcement du lien amoureux et de l’augmentation du plaisir) (Wright et al., 2017). Par ailleurs, l’émergence depuis quelques années d’une production pornographique dite « féministe », tendant à redéfinir les rapports de pouvoir à l’écran et mettant l’accent sur le plaisir féminin, tout en se préoccupant des conditions de travail des « performeurs » et de leurs effets sur les spectateurs, contribue aussi à renouveler les fictions pornographiques et les imaginaires érotiques (Élie, Lavigne et Maiorano, 2017 ; Lavigne, Élie et Maiorano, 2019).

    3. LES IMAGINAIRES AMOUREUX ET LES FANTASMES SEXUELS

    3.1. Les imaginaires amoureux

    Les études philosophiques et sociopsychologiques sur les scénarios intrapsychiques et interpersonnels mettent également en évidence l’importance de l’imaginaire et des fantasmes dans la construction du sentiment amoureux et des relations de couple (Gély, 2012). Plusieurs courants philosophiques, pour ne citer ici que les plus modernes, se sont ainsi attachés à cerner le rôle de ces composantes dans l’amour, notamment en mettant en relief des points de vue opposés. On retrouve ainsi, chez Sartre par exemple, une vision problématique de l’amour qui ne peut se réaliser, comme chez Proust d’ailleurs, « que dans l’imaginaire et n’est qu’un mirage absolument vain, susceptible de s’évanouir à tout instant » (Dufourcq, 2005, p. 303). Pour Sartre, l’imaginaire est « pauvreté essentielle », contrairement à la perception du monde réel beaucoup plus riche. De ce fait, l’amour est illusion et renvoie à des représentations et des présentations fictives de soi et des autres et ne se fonde que sur l’aveuglement réciproque, la fascination, la duperie, la facticité, la comédie, tout en restant irréalisable comme projet tant les individus sont enfermés dans leur isolement et leur égoïsme auxquels ils tentent d’échapper en recourant à des mythes, à des stratégies factices vouées à l’échec. Merleau-Ponty rejette pour sa part cette perspective pessimiste, tout en conservant le rôle problématique de l’imaginaire dans le sentiment amoureux « qui consiste pour le sujet à s’irréaliser dans un soi fictif » (Dufourcq, 2005, p. 309) ou à se fonder sur « la croyance à la fiction d’un être aimé » (p. 310). Merleau-Ponty reconnaît néanmoins la possibilité d’un engagement, d’une rencontre débouchant sur une relation amoureuse « sincère » et véridique, en introduisant des nuances sur la construction de l’imaginaire (Dufourcq, 2005, p. 309). Selon lui, malgré les illusions et les déceptions amoureuses, un amour « authentique » a aussi le « pouvoir d’éveil et d’exaspération du désir » qui permet « la sublimation de l’être aimé [et] le pressentiment de cet univers inconnu » (Dufourcq, 2005, p. 335). Badiou et Truong (2009) et Badiou (2018) reprennent aussi cette problématique du rôle de l’imaginaire amoureux dans la vie, mais en critiquant la position des moralistes sceptiques qui, à l’instar de Schopenhauer, considèrent l’amour comme une ruse utilisant l’imaginaire pour masquer le fondement sexuel de l’attraction interpersonnelle avec comme objectif caché la reproduction de l’espèce : « Ce que l’on nomme Amour est cette figure imaginaire par où passe le désir libidinal, cette superstructure illusoire et ornementale du réel du sexe » (Badiou, 2018, p. 37). Selon Badiou (2018, p. 37), le désir sexuel est au contraire un aboutissement qui signe la déclaration d’amour, qui « implique la totalité de l’être » et l’engagement dans la relation qui se construit dans un réel quotidien, et ce non sans risque, permettant l’expérience profonde de l’altérité véritable.

    Les travaux dans le domaine de la psychologie, et en particulier dans celui de la psychanalyse, ont aussi tenté d’élucider la place de l’imaginaire et du fantasme dans la construction du sentiment amoureux et du couple. Ainsi, dans la théorie freudienne (Ruffiot, 2011 ; Benhaïm, 2013), le point de départ de l’état amoureux se constitue par l’« investissement d’objet », qui prend son origine dans le rapport primitif à la mère, sous l’effet des pulsions sexuelles en vue de la satisfaction sexuelle pour ensuite disparaître. Cet état est associé à deux processus, d’une part celui de la surestimation sexuelle (liée à l’atténuation des facultés critiques et à l’évaluation fausse des qualités de l’objet) et, d’autre part, celui de l’idéalisation (qui renvoie à la magnification de l’objet), associée au narcissisme. Avec l’amplification de l’état amoureux, une régression peut survenir, le sujet amoureux se plaçant dans une situation de soumission pouvant aller jusqu’au sacrifice de soi. Sur cette thèse initiale viennent s’articuler d’autres développements théoriques qui permettent de mettre à jour et de préciser la présence d’autres mécanismes liés à l’imaginaire. Ainsi, dans ses réflexions sur l’état amoureux, Jadoulle (2004) reprend la définition proposée par David (1971, p. 38) sur l’effet que cet état renvoie à une

    constellation dynamique de désirs, de sensations, de fantasmes et d’affects, conscients et inconscients, qui modifie, pour un temps, l’ensemble de l’organisation personnelle et qui se traduit par une disposition irréversible à constituer l’objet élu en tant que source et centre de toute satisfaction, de tout bonheur, mobilisant l’essentiel des ressources énergétiques.

    Benhaïm (2013) élargit l’analyse de l’état amoureux pour y inclure celle de l’« objet-couple » qui est ce « que les amoureux investissent […] [mais aussi] la relation elle-même, le couple en tant qu’entité » (p. 6), renforçant ainsi l’illusion amoureuse, où le couple devient « le lieu d’accomplissement imaginaire de désirs et de menaces » (p. 7), mais aussi d’angoisses. Contrairement à Freud, chez qui l’illusion rejoint la question des fantasmes alimentés par le désir, Benhaïm analyse aussi ce concept à partir d’autres points de vue théoriques qui mettent l’accent sur la contribution créatrice de l’illusion à la vie psychique du couple sous la forme d’un renforcement de la relation et de la confiance. Cette perspective permet ainsi, selon Berhaïm, le développement des capacités de création, de jeu, d’imagination, d’une mise en commun de l’énergie libidinale et de son ressourcement. Pour Lacan (1975, p. 407), c’est sous la forme de passion que l’amour, qui relève à ses yeux du comique, est clairement un affect de l’ordre de l’imaginaire, lié à la quête d’un autre semblable à soi, « une catastrophe psychologique, un phénomène imaginaire qui provoque une véritable subduction du symbolique, une sorte d’annulation, de perturbation de la fonction d’idéal du moi », une tendance suicidaire à associer à la pulsion de mort (rejoignant en cela Ricoeur, 2007). Parallèlement à ces perspectives plutôt négatives, d’autres études (voir notamment Murray, Holmes et Griffin, 1996 ; Fletcher et Boyes, 2010), s’inscrivant dans des contextes théoriques fonctionnalistes, ont essayé de repérer le rôle protecteur de l’idéalisation, de l’illusion et de l’exagération des similarités dans la formation du couple, sa satisfaction et son maintien dans le temps. Ces études incitent aussi à mieux saisir comment les individus réussissent à concilier ces deux stratégies d’apparence contradictoire, en naviguant entre la réalité et l’imaginaire.

    L’étude empirique de Hippert (2012) sur les débuts de la relation amoureuse montre, par exemple, la place de l’idéalisation et de l’enchantement qui interviennent dans le processus amoureux. D’une part, l’idéalisation est associée au bouleversement lié à une rencontre ponctuelle, ou qui s’effectue dans une temporalité et qui provoque une sorte de révolution émotionnelle définie comme un « coup de foudre » ou un « choc amoureux » qui comprend la réalisation d’un émerveillement réciproque, de l’exceptionnalité du partenaire quant à ses caractéristiques singulières, rappelant le mécanisme de « cristallisation » de Stendhal (1965 [1822]). D’autre part, l’idéalisation est associée à un phénomène d’« enchantement » où les individus vivent une période fusionnelle intense, idéalisant le vécu partagé, dans un état liminaire renvoyant à une conscience altérée où se superposent, pour une durée variable, rêve et réalité. L’attente du prince charmant, une figure possédant à la fois la noblesse, un statut social et moral élevé dans l’imaginaire amoureux, rejoint aussi cette problématique. Cette attente semble notamment jouer un rôle important dans les scénarios contemporains de nombreuses femmes célibataires (Kaufmann, 2001), induisant au gré des constructions personnelles, déceptions et désillusions ou remplissant une fonction compensatoire associée à la rêverie.

    Avec le temps, la relation amoureuse peut aussi se défaire et mener à une réévaluation dans un processus de désamour. Selon Benhaïm (2013), ce désamour suivrait les mêmes processus psychiques qui sont survenus dans la construction de l’état amoureux, mais cette fois-ci de façon négative. Les individus vivent alors une déception, une désillusion associée à un processus de désidéalisation. Pour le surmonter et réaffirmer son lien, le couple peut essayer de recourir à des mécanismes de défense, sans toujours réussir à passer à travers cette crise qui peut conduire à la rupture. Hippert (2012) souligne aussi l’importance de la désidéalisation qu’elle définit comme un travail de « désacralisation », le plus souvent douloureux, pour réussir à faire le deuil de la relation, un objectif qui, pour certains étant incapables d’accomplir une déconstruction réussie, reste hors d’atteinte, la nostalgie l’emportant sur la réalité.

    L’imaginaire joue également un rôle important dans le jeu amoureux impliqué dans la quête d’un partenaire sur les sites Internet, des espaces de plus en plus utilisés dans les tentatives de rencontres (Bergström, 2019). Ces dernières, en raison des caractéristiques liées à ce type de communication (anonymat, fausses présentations de soi, informations partielles, manque de points de repères visuels, absence des signaux non verbaux) et du jeu des affects, de la curiosité et du mystère qu’il peut faire naître, alimentent l’imagination des internautes, l’« autre virtuel devenant un écran de projection de ses propres désirs » selon Dröge et Voirol (2011). Face à la possibilité d’un emballement prématuré, des internautes s’évertuent aussi à essayer de contrôler l’imagination et les émotions liées à la séduction en ligne. L’idéalisation de l’autre peut néanmoins survenir et les déceptions aussi quand la rencontre en présentiel se produit (Marquet, 2009 ; Dröge et Voirol, 2011). La rencontre peut aussi ne pas déboucher, volontairement, sur un présentiel des internautes, qui préfèrent prolonger les dimensions anonymes de la relation pour le maintien de fantasmes et de l’idéal de la « princesse et du prince charmant » (Lejealle, 2008).

    Le recours à l’imaginaire amoureux peut aussi prendre des formes extrêmes, comme c’est le cas dans le syndrome de Clerembault, plutôt rare et plus connu sous le nom d’érotomanie, qui est caractérisé par la conviction délirante d’être aimé. Chez une jeune femme, ce symptôme peut se manifester, par exemple, à travers le sentiment qu’un homme, de profession ou de statut supérieurs, est amoureux d’elle, malgré toutes les preuves du contraire, et qu’il la poursuit de ses assiduités sans qu’elle ne puisse échapper à son emprise affective (Jordan et Howe, 1980 ; Jordan et al., 2006). Ce syndrome, qui se manifeste aussi chez des hommes (Menzies et al., 1995), comprend plusieurs phases. La personne atteinte peut être convaincue que quelqu’un l’aime en secret et qu’il ne peut lui déclarer son amour. Cette phase est suivie d’une phase où elle espère et attend la déclaration d’amour, ce qui peut se prolonger pendant une très longue période, toute la vie même, suivie d’une période de dépit marquée par l’isolement, la dépression, l’agressivité et des tendances suicidaires. Dans certains cas, l’individu touché par ce syndrome harcèle la personne censée l’aimer et peut l’attaquer, allant, dans certains cas, jusqu’au meurtre. L’obsession amoureuse s’observe, quelle que soit l’orientation sexuelle du sujet (Boast et Coid, 1994), comme le rapporte aussi Orion (1998), une psychiatre ayant été harcelée par l’une de ses patientes, et ce, pendant des années. Ces situations se manifestent souvent dans le cas d’une rupture amoureuse inacceptable associée à un harcèlement physique ou en ligne (Harmon, Rosner et Owens, 1995 ; Lloyd-Goldstein, 1998), dans des relations entre collègues ou chez des admirateurs de vedettes du cinéma ou de la chanson convaincus d’un amour réciproque, malgré les indices contraires. L’imaginaire peut aussi prendre des formes intrapsychiques avec l’invention d’une relation de couple avec un partenaire fictif qui peut prendre plusieurs formes (compensation contre la solitude, en parallèle à une relation réelle, à la suite d’une rupture ou de déceptions dans le couple) ou constituer une stratégie pour provoquer la jalousie du partenaire ou réduire les pressions familiales, non sans soulever des questionnements sur la normalité de ces conduites (Lévy, chapitre 3 dans cet ouvrage). Une autre forme d’amour imaginaire est celle de la « fictophilie », qui renvoie au désir, à l’attraction sexuelle ou à l’amour pour un personnage fictionnel (bande dessinée, cinéma) et qui est encore peu étudiée et problématisée (Leonzini, 2018).

    3.2. Les fantasmes sexuels

    Un autre angle d’étude de l’imaginaire renvoie à celui des fantasmes sexuels décrits par Crépault (2007, p. 61) comme : « une représentation mentale plus ou moins imagée à contenu sexuel explicite ou symbolique ; [qui] s’accompagne d’une sensation de plaisir susceptible d’induire ou d’alimenter une excitation sexuelle » et qui occupe une place importante dans les scénarios intrapsychiques, révélant des caractéristiques de la vie intrapsychique inconsciente. Les recherches sur cette problématique (Person, 1998 ; Gavin, 2015) mettent en évidence la place importante que les fantasmes sexuels jouent dans la vie psychique chez une majorité d’individus. Elles révèlent aussi la diversité des scénarios, présentant des différences entre les hommes et les femmes plus ou moins importantes, une diversité de thématiques et une variété de pratiques sexuelles allant des plus « courantes », aux paraphiliques, à des pratiques sadomasochistes et violentes.

    4. LES MYTHES DU COUPLE ET DE LA FAMILLE

    Les études sur les imaginaires du couple et de la famille constituent un axe de recherche important qui montre leur rôle dans la construction de la relation et son maintien, insistant sur leur fonction mythopoïétique (fabrication de fables) (Hachet, 2001). Dans le cas du couple, celui-ci a recours dans sa construction à un mythe lié à son origine et à des rituels qui en assurent théoriquement la permanence et le font exister hors des temporalités liées au quotidien (Lafage, 2012). Neuberger (2000) propose ainsi la notion de « mythe de destin » pour désigner les légendes qui entourent la rencontre et tenter d’en expliquer les ressorts les plus mystérieux qui relèvent d’« une pensée magique et poétique » (Maestre, 2009, p. 74). Cette importance du mythe se prolonge dans le contexte parental et surtout familial, devenant un élément fondamental dans la structuration familiale, d’où son importance dans le cadre des thérapies familiales et systémiques (Eiguer, 2009). Les mythes sont présents dans toutes les familles, devenant dans certains contextes pathologiques lorsque les normes qui en dérivent deviennent trop contraignantes, empêchant ainsi toute expression libre et réduisant l’adaptation à de nouvelles conditions (Grobost, 2012).

    Ces mythes familiaux, situés culturellement et sociologiquement, des hybrides de réalités et de fantasmes, se fondent sur un certain nombre de caractéristiques dégagées à partir de la généalogie de ce concept. Ils constituent ainsi un récit qui renvoie à un « système de croyances » sur lequel se fondent les rôles et les communications dans la famille (Ruffiot, 2011).

    Ces mythes s’entretiennent aussi à travers le partage de convictions entre les membres de la famille qui, malgré leur connaissance du caractère fictionnel et illusoire de ces croyances, ne les remettent pas en question, d’où l’existence d’une pseudoréalité (Eiguer, 2011).

    Les fonctions de ces mythes, qui se transmettent transgénérationnellement, sont multiples dont, entre autres, assurer la mémoire familiale, remplir les lacunes présentes dans l’histoire familiale, garantir les liens familiaux, permettre l’homéostasie (maintien de la cohésion de la famille), réduire les conflits au profit d’un consensus (fonction économique), établir les frontières de la famille, permettre l’attribution des rôles et des contre-rôles, et donc la répartition des pouvoirs (Onnis, 2010). Dans le contexte thérapeutique, le génogramme imaginaire (Mérigot et Ollié-Dressayre, 2005), dérivé du génogramme filiatif, constitue un outil important dans la pratique clinique systémique dans différents contextes proposant, comme l’expliquent Mérigot et Ollié-Dressayre (2005, p. 260), que :

    soit représentée non pas la famille de l’état civil, mais la façon dont nous projetons et transformons en permanence sur ceux qui nous entourent l’empreinte de notre histoire et de nos configurations familiales. Il nous révèle la manière dont nous nous construisons au quotidien une « famille d’affiliation » parmi les personnes de notre entourage, qu’elles soient vivantes ou mortes, qu’il s’agisse d’amis, de collègues de travail ou de membres de cette famille d’origine dont l’état civil nous fixe la trace. Il redonne ainsi à chacun sa responsabilité dans ce qui est conservé vivant ou au contraire « résilié » de son histoire familiale.

    L’analyse des mythes dans la sphère familiale précise aussi la portée des mythes parentaux associés au souhait (ou au non-souhait) de réaliser un projet de parentalité, au sens qui lui est attribué et à ses relations, dans une perspective transgénérationnelle avec les mythes familiaux (Maestre, 2009). L’imaginaire parental se projette dans l’enfant à venir, qui se voit intégré dans la structure familiale (Charton, 2006). Ce processus imaginaire semble particulièrement important pour la future mère qui, selon certaines psychologues (Merg et Bader, 2005), va plus fréquemment s’« investir » dans l’enfant en projetant sur lui « aspirations », « manques » et « distorsions personnelles ». Le recours aux technologies échographiques, tout en assurant la réalité de la présence de l’enfant, vient aussi servir de support à l’imaginaire, à l’investissement des parents et à l’attachement à l’enfant, non sans provoquer angoisses, stress et préoccupations dans l’attente de l’annonce de la normalité du fœtus (Descamps et Jurga, 2012) et de manières distinctes selon le genre des parents (Rollet-Echalier et al., 2014). Comme le souligne Lupton (2013), et le dit Viaux-Savelon (2013, p. 23) : « la portée de ces images dépasse l’échographiste à son insu, car elles viennent exposer l’invisible de la création et du développement de l’être humain et de ce fait sont en prise avec le champ de l’imaginaire et des représentations des origines propres à chacun ». En cas de handicap de l’enfant, les attentes alimentées par l’imaginaire se verront annulées, provoquant de nombreux affects (déceptions, perte, tristesse, deuil, désespoir, angoisses, peurs, culpabilité, etc.), avant une adaptation aux nouvelles réalités (Jaquinot, 2003 ; Reeves et al., 2016). Le rôle de l’imaginaire apparaît également particulièrement significatif dans le cas de l’adoption (Rinaldi, chapitre 6 dans cet ouvrage), en particulier internationale, en raison d’une idéalisation de l’enfant, et de l’absence fréquente d’informations concernant son histoire précédant son adoption ou encore d’images diverses liées à son pays d’origine (Labaudinière, 2012). L’écart entre l’imaginaire et la réalité manifestée à la rencontre de l’enfant peut ainsi interférer dans l’établissement du lien d’attachement tout autant que dans le soutien (ou non) au « narcissisme des parents » (Combier-Veuillet, 2005).

    5. L’IMAGINAIRE DE L’ENFANT ET L’IDÉAL DE FAMILLE

    Quel que soit son rapport à l’enfant en tant que sujet faisant de l’adulte un parent ou un non-parent, l’enfant participe à la construction d’un idéal de famille. Cet idéal peut se faire dans un désir de parentalité ou à travers son rejet volontaire. Certaines personnes peuvent aussi devenir parents sans l’avoir forcément désiré à l’annonce de la grossesse ou peuvent aussi ne jamais le devenir malgré leur souhait (Charton et Panaite, chapitre 5 dans cet ouvrage). Quelle que soit la situation au regard de l’enfant, et ses modalités d’entrée éventuelle en parentalité, cette situation et ces modalités répondent à des logiques qui se façonnent selon son modèle socioculturel d’appartenance. Ce modèle teinte les imaginaires et les représentations, notamment d’entrée ou de non-entrée en parentalité. Plus largement dans l’histoire, les rapports de genre, par exemple, ont participé à la construction de la maternité comme une « chasse gardée » des mères (maternal gatekeeping) (Allen et Hawkins, 1999), mais aussi aux développements de pratiques associées à la « maternité intensive » (intensive motherhood) (Hays, 1996). Comme l’écrit Lécossais (2016, p. 1), les discours sont « à la fois contrôlé[s] et policé[s] (Foucault, 1971), [et] fonctionne[nt] en tant que système de représentation (Hall, 2003) et participe[nt] à forger les imaginaires autant que les attentes vis-à-vis de ce que signifie aujourd’hui être mère, mais plus encore être une bonne mère. » Ces imaginaires peuvent conduire autant à idéaliser sa vie et à s’alimenter à travers ses interactions parentales qu’à regretter sa vie et, pour certains, d’avoir eu des enfants (Donath, 2017).

    6. LE ROMAN FAMILIAL ET LES AMIS IMAGINAIRES

    Les (non-)parents ne sont enfin pas les seuls à recourir à l’imaginaire dans l’organisation de leurs rapports avec l’enfant. Ce dernier peut aussi recourir à l’imaginaire et au fantasme à travers la production d’un roman familial. Ce concept développé par Freud puis par Rank « désigne la manière dont un sujet, dans une construction inconsciente, modifie les liens généalogiques en s’inventant, par un récit ou un fantasme, une autre famille que la sienne » (Voldman, 2014, p. 9), une stratégie qui constitue une modalité « de correction de l’existence ». Cette invention fantasmatique prend place dans le contexte d’une relation de filiation biologique, mais elle survient aussi chez les enfants abandonnés ou adoptés (Dayan, 2016), prenant appui sur une remise en question de la perfection des parents pour se convaincre que ces parents ne sont donc pas leurs « vrais parents », cherchant ainsi à réaliser un idéal de grandeur qui intervient dans la structuration de la personnalité. Cette « échappatoire familiale imaginaire » s’observe également à travers l’importance que peuvent prendre des amis imaginaires. Ces derniers, bien que généralement « sollicités » par des enfants en phase de développement psychosocial, le plus souvent entre trois et sept ans, peuvent aussi se voir « appelés » par des préadolescents. Par ailleurs, des différences s’observent selon le sexe des enfants. Ainsi, les filles commenceraient ce processus avant les garçons, qui privilégieraient des figures imaginaires plus imposantes sur le plan de l’âge, de la corpulence et du pouvoir, tandis que les filles préféreraient des personnages féminins plus jeunes et à l’égard desquels elles

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