Longtemps, on a jugé Edouard Philippe embarrassé par le sujet. Ceux qui lui voulaient du bien pointaient du doigt son juppéisme, ceux qui voulaient sa peau évoquaient pêle-mêle sa déconnexion de conseiller d’Etat, l’obsession pour les comptes publics qui l’accompagne, et une indifférence vis-à-vis des questions, souvent complexes et inflammables, touchant davantage à ce que nous sommes en tant que nation. Certains le disaient craintif, d’autres le croyaient aveugle. En acceptant de nous accorder un entretien sur le thème de l’immigration et ses conséquences, l’ex- Premier ministre ambitionnait certainement de manifester sa présence dans le débat qui agite les oppositions et tiraille le gouvernement et la majorité, depuis qu’a été exprimée la volonté présidentielle de réformer la politique migratoire dans les mois à venir. Mais l’épreuve du pouvoir, la prise de recul qui permet la contemplation calme de « la France sous nos yeux » semblent avoir précisé, affermi la pensée philipienne.
Dans son vaste bureau de l’hôtel de ville du Havre, Edouard Philippe ne se contente plus de « manifester sa présence », il lance un cri d’alarme contre ce qu’il appelle « l’immigration du fait accompli »: « Il nous appartient en tant que nation de dire qui nous sommes et qui nous voulons accepter sur notre territoire. » Parce qu’il juge le projet de loi porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin « nécessaire mais pas suffisant », il plaide, notamment, pour la dénonciation de l’accord conclu avec l’Algérie en 1968, facilitant les conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants algériens. Polémique en vue. Manifestement déterminé à ne plus esquiver – une photo du boxeur Mohamed Ali trône toujours sur une étagère –, l’ancien locataire de Matignon évoque aussi son inquiétude face à l’obscurantisme religieux, qui « concerne principalement l’islam aujourd’hui ».
« Edouard Philippe nous rappelle qu’il est un homme de droite », diront ses contempteurs. Et s’il nous rappelait simplement que fermer les yeux ou refuser d’affronter les questions migratoires, les interrogations sur notre identité et sur le vivre ensemble qui en découlent, les communautarismes toujours plus forts, s’apparenteraient aujourd’hui à une forme d’irresponsabilité…
La crise migratoire est devant nous, avez-vous eu l’occasion de dire. Est-ce que la politique publique d’immigration a besoin en France de rupture ou de continuité?
Elle a besoin des deux. Vous savez, quand il y a bien longtemps, on se demandait si pour lutter contre l’insécurité il fallait plus de prévention ou plus