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Quand le deuil se complique: Variété des manifestations et modes de gestion des complications du deuil
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Quand le deuil se complique: Variété des manifestations et modes de gestion des complications du deuil
Livre électronique437 pages4 heures

Quand le deuil se complique: Variété des manifestations et modes de gestion des complications du deuil

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À propos de ce livre électronique

Le deuil est un processus complexe. Il évolue avec le temps et il influence autant qu’il est influencé par différents facteurs liés au type de pertes encourues, aux sentiments éprouvés face à celles-ci, au contexte social ou individuel, etc. Souvent, ce processus de deuil peut être court et apaisant. Mais, parfois, certaines personnes vivent une période de deuil pouvant s’étendre sur plusieurs mois, voire de nombreuses années, qui se caractérise par des problèmes majeurs de fonctionnement social. C’est ce que l’on appelle un « deuil compliqué ». Bien que cette notion soit reconnue internationalement, elle ne fait pas l’unanimité et n’est toujours pas reconnue officiellement comme un trouble par l’American Psychological Association dans son fameux DSM-5.

Cet ouvrage collectif porte un regard pluriel et multidisciplinaire sur les complications du deuil, à partir de récits cliniques et d’études empiriques réalisées dans des contextes culturels différents et lors de divers événements : le décès – inattendu ou non – d’un enfant, d’un conjoint ou d’une autre personne qui nous est chère, la perte de biens significatifs et celle d’objets immatériels importants (par exemple, le sentiment de sécurité). Ce livre s’adresse aux chercheurs qui s’intéressent à cette problématique et aux intervenants de la santé et des services sociaux qui accompagnent des personnes confrontées à la perte d’un être cher ou d’un bien significatif. Il propose notamment des approches et des outils d’intervention pour donner du sens à ce qui, parfois, n’en a pas.

Danielle Maltais, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est directrice de la Chaire de recherche Événements traumatiques, santé mentale et résilience depuis novembre 2015. Elle est cochercheuse principale du Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) – volet services sociaux.

Jacques Cherblanc, Ph. D. en sciences des religions et en science politique, est professeur agrégé et directeur de l’Unité d’enseignement en études religieuses, éthique et philosophie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Il est responsable du Laboratoire d’expertise et de recherche en anthropologie rituelle et symbolique (LERARS-UQAC).
LangueFrançais
Date de sortie18 nov. 2020
ISBN9782760554276
Quand le deuil se complique: Variété des manifestations et modes de gestion des complications du deuil
Auteur

Danielle Maltais

Danielle Maltais, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est directrice de la Chaire de recherche Événements traumatiques, santé mentale et résilience depuis novembre 2015. Elle est cochercheuse principale du Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) – volet services sociaux.

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    Quand le deuil se complique - Danielle Maltais

    /

    Les deuils et leurs complications : similitudes et distinctions

    Jacques Cherblanc et Danielle Maltais

    Entre 2007 et 2016, plus de 60000 personnes ont perdu la vie en raison de leur exposition à une catastrophe naturelle (Centre for Research on the Epidemiology of Disasters [CRED], 2017) et des centaines de milliers lors de conflits armés ou d’attentats. Ces personnes ont laissé dans le deuil des enfants, des parents, des membres de la fratrie ou de la famille élargie tout comme des amis, des voisins ou des confrères ou consœurs de travail. Parmi ces endeuillés, plusieurs ont éprouvé des difficultés à faire face à la perte de leur être cher qui ont pu être marqué par la présence de dysfonctionnement social accompagné de divers problèmes de santé physique ou mentale comme la présence de manifestations de stress post-traumatique, de dépression ou d’anxiété ainsi que par un sentiment de culpabilité persistant (Bacqué, 2006 ; Cardoso et al., 2017 ; Dyregrov, Dyregrov et Kristensen, 2014 ; Johannesson et al., 2011).

    Les victimes de catastrophes, naturelles ou anthropiques, ont également perdu des biens tangibles et intangibles avec lesquels elles entretenaient des liens significatifs ou de profonds sentiments d’attachement. Il arrive que le deuil de ces pertes puisse lui aussi devenir compliqué. Si le contexte traumatique de la perte peut accroître le risque de complications du deuil, à lui seul il n’est pas suffisant. Ainsi, le lien avec la personne (enfant, conjoint, etc.), l’âge et la présence de maladies mentales, entre autres choses, sont autant de conditions déterminant dans une certaine mesure les risques de développer un deuil compliqué. Mais qu’entend-on au fait par « deuil compliqué » ?

    Le deuil : normal, compliqué, prolongé, complexe et persistant, traumatique, pathologique…

    Traditionnellement, la notion de deuil renvoyait aux comportements attendus et suivis par et avec les personnes confrontées au décès d’une personne significative de leur entourage : « Jadis, il y a quelques décennies, le deuil était essentiellement social ; le mot était toujours lié à la mort et désignait les devoirs et les interdits sociaux qui entouraient la mort d’une personne proche : on était en deuil et on portait le deuil » (Hanus, 2006, p. 350).

    Aujourd’hui, le deuil s’est élargi à la perte non seulement d’un proche, mais aussi de tout objet d’attachement qu’il soit tangible ou intangible (groupe d’amis, animal de compagnie, pays, maison, travail, sensation, sentiment, etc.). C’est ainsi qu’aujourd’hui le mot est utilisé dans un sens particulièrement proche de son étymologie (dolere : souffrir) et dans une perspective plus intimiste et personnelle de travail sur soi : « on ressent un deuil », « on vit un deuil », « on fait son deuil ». Ainsi, dès 1915, Freud, s’inspirant des travaux antérieurs de Karl Abraham, propose dans Deuil et mélancolie, une définition plus inclusive et individuelle selon laquelle le deuil est « régulièrement la réaction habituelle à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. » (cité dans Bacqué et Hanus, 2016, p. 22). Selon cette conception toujours reconnue à l’heure actuelle, le deuil est donc un processus normal et naturel. Plus précisément, on peut dire aujourd’hui que le deuil est un construit psychologique, social, culturel et spirituel d’adaptation à la perte qui regroupe trois dimensions distinctes (Crunk et al., 2017) :

    une dimension sociale et situationnelle : correspondant à l’idée de soustraction identitaire (le veuvage ou l’orphelinage par exemple), il s’agit de l’état d’une personne qui a vécu la disparition d’un proche significatif par la mort ou celle de tout autre objet d’attachement significatif, également perdu de façon définitive. Cette dimension correspond au terme bereavement en anglais (Shear, 2012).

    une dimension psychologique : correspondant au chagrin, il s’agit de la réponse psychologique d’adaptation complexe à la situation de perte, qui comprend les émotions, les pensées et les attitudes induites par la perte. Cette dimension correspond à la notion de grief en anglais (Stroebe et al., 2008).

    une dimension sociale et spirituelle : il s’agit des expressions (surtout comportementales) de réponse à la perte selon le sens qui lui est donné par des récits, des rituels particuliers et des coutumes qui peuvent varier selon les croyances, les sociétés et les cultures. Cette dimension renvoie à la notion de mourning en anglais (Shear, 2012).

    Le deuil « normal »

    Le deuil se manifeste dans chacune de ces trois dimensions et il se caractérise « normalement » (c’est-à-dire que c’est ce qui est culturellement attendu) par une certaine actualisation de chacune de celles-ci. Cette actualisation s’exprime notamment par des perturbations du fonctionnement cognitif, émotionnel, physique, social (Bonanno et Kaltman, 2001) et spirituel (crise de sens). Un deuil normal se caractérise donc par des perturbations douloureuses, mais modérées de la vie quotidienne au cours des premiers mois suivant la perte. Cette souffrance peut être très aiguë et intense lors de la perte d’une personne très proche ou selon les circonstances du décès, mais cette souffrance incapacitante apparaît tout de même naturelle et ne constitue pas un deuil compliqué, notamment parce qu’elle ne prend pas « toute la place » et qu’elle ne s’éternise pas au-delà d’une période attendue (six mois ou un an selon les modèles).

    Il n’y a pas d’étapes normales du deuil

    On comprend trop souvent le processus normal du deuil comme une succession d’étapes, dans la lignée du modèle inspiré de Bowlby (1961) et proposé par Kübler-Ross (1969). Ces étapes seraient plus ou moins les suivantes : 1) déni-dissociation-isolement, 2) colère, 3) négociation, 4) dépression et 5) acceptation. Cette succession d’étapes a eu beaucoup de succès et continue d’être le modèle le plus enseigné encore aujourd’hui. Par exemple, l’actuel Que-sais-je ? sur le deuil reprend globalement ces cinq phases : 1) l’état de choc ou blocage somato-psychique, 2) les comportements de recherche et la régression, 3) l’agressivité et la colère, 4) l’expression du chagrin et 5) la terminaison du travail de deuil (Bacqué et Hanus, 2016, p. 26-34). Selon cette conception, un deuil normal devrait donc globalement comporter ces différents moments.

    Toutefois, cette modélisation en étapes ne correspond pas à la réalité observée et c’est ce que démontrent bon nombre de recherches et d’études empiriques depuis près de 40 ans (Stroebe et al., 2008 ; Bonanno, 2009 ; Maciejewski et al., 2007 ; Barrett et Schneweis, 1981). De façon synthétique, on peut retenir de ces études que ce modèle en étapes :

    1 ne correspond pas à la grande majorité des trajectoires réellement suivies par les endeuillés, mais seulement de 2-3% (Shear, 2015) à 10-11% d’entre elles (Bonanno, 2009) ;

    2 n’explique pas la diversité des processus du deuil qui peuvent être différents selon, notamment, la souffrance ou les problèmes de santé (mentale notamment) dont souffrait le défunt. Ces processus peuvent se caractériser, par exemple, par des épisodes de détresse prémortem suivie d’une amélioration postmortem ;

    3 tend donc à prescrire une (bonne) façon de vivre le deuil, alors qu’il devrait chercher à le comprendre et l’expliquer ;

    4 ne permet pas de qualifier un deuil de normal ou de pathologique ou au moins nécessitant un soutien particulier (Stroebe et al., 2008).

    Il faut donc déconstruire cette croyance, bien ancrée dans les pratiques et largement diffusée selon laquelle une personne endeuillée doit normalement suivre une série d’étapes, quelles qu’elles soient. Chaque deuil est particulier et aucune trajectoire n’est en soi meilleure ou plus saine qu’une autre.

    Le deuil normal est très varié

    Derrière cette reconnaissance de la singularité de chaque deuil et de la diversité de ses trajectoires émerge tout de même un relatif consensus autour du constat qu’un deuil peut être normal (la phase critique ne devrait pas dépasser six mois à un an) ou compliqué (se prolonger au-delà de 12 mois et se caractériser par d’importantes difficultés psychosociales notamment). Des études estiment ainsi que si de 85% à 98% des personnes adultes endeuillées des sociétés occidentales passent par un processus de deuil simple, autour de 2% à 15% d’entre elles sont susceptibles d’avoir des complications préjudiciables à la suite d’un deuil, tels que le trouble de stress post-traumatique (TSPT), la dépression ou les troubles anxieux (Bonanno et Kaltman, 1999 ; Shear, 2015). Il convient de retenir que l’immense majorité des deuils est donc considérée comme normale selon les catégories diagnostiques en usage.

    Il est possible d’utiliser certains outils cliniques et de recherche pour caractériser ce qui constitue le deuil normal. Le plus connu est le Texas Revised Inventory of Grief (TRIG) (Faschingbauer et al., 1981) qui présente les symptômes bénins ou habituels du deuil, les distinguant ainsi du deuil qui serait anormalement compliqué (Neimeyer et Hogan, 2001 ; Prigerson et al., 1995). Ces symptômes incluent une évaluation de la relative acceptation de la perte ainsi que l’importance des pleurs et des pensées intrusives. Ces caractéristiques sont considérées comme étant naturelles pour un deuil normal. Elles peuvent grandement varier d’une personne à l’autre. Ce qui les distingue d’un deuil compliqué serait leur intensité, leur durée et surtout leur association avec un dysfonctionnement global de la personne.

    En effet, il arrive que le deuil se complique. Il peut alors prendre diverses appellations selon les écrits scientifiques, notamment celles de deuil compliqué, trouble du deuil prolongé, deuil traumatique, deuil pathologique, trouble du deuil complexe persistant (Wagner et Maercker, 2010). Tout en se recoupant sur de nombreux points – le deuil est anormalement long et intense et il nuit très fortement au fonctionnement de la personne – chacune de ces qualifications du deuil possède ses caractéristiques propres ainsi que ses outils d’évaluation. Nous présentons ici les principales particularités des appellations les plus utilisées afin de les distinguer, ainsi que les outils en usage pour les repérer.

    Le deuil « anormalement » long et éprouvant

    Les premières conceptualisations du deuil ont dès le départ mis l’accent sur les manifestations anormales de certains deuils, les reliant à la dépression, au stress et à l’anxiété, mais également en considérant le facteur temps : il existe des deuils qui durent trop longtemps.

    Le deuil non résolu et pathologique

    Jusqu’aux années 1970, les psychologues parlaient généralement de deuil non résolu (DeVaul et al., 1976, 1979) pour qualifier les réactions de souffrance intense et aiguë qui ne diminuent pas avec le temps et qui empêchent donc la personne de « résoudre son deuil ». Par la suite, des chercheurs et cliniciens américains ont cherché à déterminer les spécificités expliquant et décrivant les manifestations particulières de dépression liées à la mort d’une personne significative (Clayton, 1990) et ont alors parlé de « deuil pathologique » (Horowitz et al., 1980) ou « traumatique » (Prigerson et al., 1999). Aujourd’hui la notion de deuil pathologique ou psychopathologique tend à être réservée aux deuils au cours desquels survient un trouble mental (ou physique), celui-ci pouvant ou non déjà être présent avant le décès, et être (ré)activé par cet événement tragique (Philippin, 2006).

    Le deuil traumatique

    Synonyme de deuil compliqué dans le passé, le concept de « deuil traumatique » a été utilisé concurremment afin de mettre l’accent sur les symptômes principaux du deuil anormal : la détresse de séparation, la détresse traumatique ainsi que les émotions négatives associées (Wagner et Maercker, 2010). En effet, au cours des années 1980, les premières recherches sur les complications du deuil se sont portées sur les relations entre stress et deuil, menant aux premières théories sur le stress trauma-tique (Zisook, 1997) puis sur le deuil traumatique. Par la suite, le concept a considérablement évolué (Prigerson et al. 1999) avant de perdre de sa pertinence (Wagner et Maercker, 2010). Il a récemment fait une nouvelle apparition dans un outil de mesure commun pour les diagnostics de Trouble du deuil prolongé et de Trouble du deuil complexe et persistant (Boelen et Smid, 2017) que nous présentons plus loin.

    Le deuil compliqué

    Dans le même temps, Horowitz et ses collègues ont développé les premiers critères diagnostiques pour un trouble spécifique au deuil, appelé deuil « pathologique » puis « compliqué » (DC) ou Complicated Grief (CG) en anglais (Horowitz et al., 1993, 1997). Ce premier modèle concevait le DC comme une réponse particulière au stress, distincte du TSPT, et qui se produirait en réaction à la perte d’un être cher. C’est notamment cette distinction avec le TSPT qui amenait les auteurs à rejeter la terminologie de « deuil traumatique », jugée confondante. Selon ce premier modèle du DC, ce trouble se manifestait par des préoccupations intrusives, de l’évitement et des émotions négatives intenses suivant le décès d’un proche (Killikelly et Maercker, 2018). Par la suite, dans le but de faire reconnaître le DC dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie (le DSM), diverses études ont permis d’enrichir ce modèle.

    Aujourd’hui, selon la conceptualisation la plus actuelle (Shear et al., 2011 ; Shear, 2015), l’idée est que, parfois, des complications empêchent de faire le deuil d’une personne aimée et conduisent à une période de chagrin vif et accablant, qui demeure intense sur une période prolongée (au moins six mois après la mort de l’être cher). Le DC est ainsi caractérisé par un état de manque profond (yearning) de la personne défunte, des sentiments de solitude ou de vide intenses et l’impression que la vie sans cette personne n’a aucun but ni signification. Les complications conduisent également à des pensées dysfonctionnelles, à des comportements inadaptés et à une dérégulation des émotions : des ruminations perturbantes au sujet des circonstances ou des conséquences de la mort, des sentiments persistants de choc, d’incrédulité ou de colère à propos de la mort, des sentiments d’éloignement des autres, un évitement excessif des rappels de la perte ou, à l’inverse, une impossibilité de parler d’autre chose et une volonté de se sentir plus proche du défunt, allant parfois jusqu’au désir de mourir pour rejoindre le défunt, voire des comportements suicidaires. Tout cela s’accompagne d’une détresse et d’incapacités sociales et fonctionnelles cliniquement significatives (Shear et al., 2011).

    Pour le moment, le DC semble culturellement et cliniquement valable pour un certain type d’endeuillés seulement (Maciejewski et al., 2016). En outre, il peut difficilement être décelé d’un point de vue clinique ou de recherche puisque si quelques outils spécifiques existent (p. ex. Bui et al., 2015), ils sont encore rares et méritent de toute façon davantage d’études et de validations (Maciejewski et al., 2016).

    Le Trouble du deuil prolongé

    En parallèle au concept de DC, une autre terminologie a fait son apparition au début des années 2000, afin de mettre l’accent sur un aspect clé du trouble, soit la durée du chagrin ressenti : il s’agit du Trouble du deuil prolongé (TDP) ou Prolonged grief disorder (PGD). Deux modèles du TDP existent actuellement : 1) le modèle original (Prigerson et al., 2009) (encadré I.1) et 2) son adaptation réalisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’inclure en 2018 dans la 11e édition de sa Classification internationale des maladies (CIM-11).

    Le modèle original du TDP s’inscrit en continuité des travaux antérieurs sur le DC (Horowitz et al., 1997 ; Prigerson et al., 1999) et vise notamment à distinguer le TDP de la dépression, du stress post-traumatique et de l’anxiété de séparation. À ce titre, les recherches tendent à confirmer que le TDP est relativement performant : la valeur prédictive et la distinction du diagnostic ont été constamment confirmées (Killikelly et Maercker, 2018).

    Dans une perspective d’utilisation clinique, l’OMS a adopté ce modèle du TDP mais l’a adapté. Cette adaptation visait à rendre l’évaluation de ce diagnostic plus flexible, à faire davantage place au jugement clinique ainsi qu’aux facteurs culturels et à réduire le nombre de caractéristiques et de sous-catégories (encadré I.2).

    ENCADRÉ I.1 / Les caractéristiques du Trouble du deuil prolongé selon Prigerson et al. (2009)

    Se produit à la suite de la perte d’une personne significative.

    L’endeuillé vit une détresse de séparation (un état de manque insupportable qui se caractérise, quotidiennement ou de façon invalidante, par un désir puissant de retrouver le défunt et par une souffrance physique ou émotionnelle résultant de ce désir non satisfait).

    L’endeuillé doit avoir au moins cinq des neuf symptômes cognitifs, émotionnels et comportementaux suivants :

    Une confusion quant à son rôle dans la vie ou une perte de l’identité (une part de soi est morte) ;

    Des difficultés à accepter la perte ;

    Un évitement des rappels de la réalité de la perte ;

    Une incapacité à faire confiance aux autres depuis la perte ;

    De l’amertume ou de la colère liée à la perte ;

    Une difficulté à poursuivre sa vie (par exemple, se faire de nouveaux amis, poursuivre des intérêts) ;

    Un engourdissement émotionnel (absence d’émotion) depuis la perte ;

    Le sentiment que la vie est insatisfaisante, vide ou vide de sens depuis la perte ;

    Se sentir étourdi ou choqué par la perte.

    En ce qui concerne la durée, le TDP ne peut être prononcé avant que six mois au moins ne se soient écoulés depuis le décès.

    Ce trouble entraîne une incapacité significative sur le plan du fonctionnement global (notamment social, occupationnel et domestique).

    Et on ne peut pas mieux expliquer les perturbations constatées par un autre diagnostic : dépression majeure, trouble d’anxiété généralisée ou trouble de stress post-traumatique.

    Source : Adapté de Prigerson et al., 2009, p. 9.

    ENCADRÉ I.2 / Les caractéristiques du Trouble du deuil prolongé selon l’Organisation mondiale de la santé

    Doit présenter au moins un des éléments suivants :

    Un état de manque insupportable et omniprésent de la personne défunte

    Ou

    Une préoccupation persistante et omniprésente envers la personne défunte.

    Ainsi que :

    une douleur émotionnelle intense (tristesse, culpabilité, colère, déni, blâme) ;

    une difficulté à accepter la mort ;

    le sentiment d’avoir perdu une part de soi ;

    l’incapacité à se sentir de bonne humeur ;

    un engourdissement émotionnel ;

    de la difficulté à s’engager dans des activités sociales ou autres.

    Le tout clairement en dehors des normes socioculturelles et religieuses attendues et causant des incapacités psychosociales importantes au-delà de six mois après le décès.

    Source : Adapté de Killikelly et Maercker, 2018, p. 3.

    Dans la définition typologique de l’OMS, on remarque l’importance accordée à la sensibilité culturelle ainsi que l’absence de consignes sur le nombre des éléments qui doivent être rencontrés pour pouvoir parler de TDP. Cela est consciemment conçu pour laisser une plus grande latitude interprétative au clinicien (Killikelly et Maercker, 2018).

    Le TDP, sous l’une ou l’autre de ses modélisations, peut être déterminé en recherche et en clinique à l’aide d’outils classiques qui sont disponibles en français, comme le Prolonged Grief Disorder Tool à 13 éléments (PG-13) ou l’Inventory of Complicated Grief – Revised (ICG-R). Pour l’ICG-13, il convient tout de même d’ajouter certains éléments pour rejoindre les critères diagnostiques du CIM-11 (p. ex. Xiu et al., 2016 ; Boelen et Smid, 2017). Killikelly et Maercker (2018) proposent également d’utiliser comme outil diagnostique les critères du CIM-11 en précisant que trois des cinq critères doivent être présents pour poser le diagnostic de TDP.

    Le Trouble du deuil complexe et persistant (TDCP)

    Dans une tentative de synthèse réunissant deux théories concurrentes du deuil anormal (le DC et le TDP) (Maciejewski et al., 2016), l’American Psychatric Association (APA) (2013) a proposé le concept de Trouble du deuil complexe et persistant (TDCP). Voir l’encadré I.3.

    Celui-ci se manifesterait par : 1) un deuil persistant au-delà de 12 mois suivant la perte, 2) plus intense qu’il devrait l’être selon les normes sociales et 3) causant des problèmes de fonctionnement importants chez les individus endeuillés. L’APA (2013) considère ce type d’affection psychologique avec prudence dans le DSM-5, reconnaissant le manque de consensus dans la distinction du DC et du TDP et recommandant donc que des études supplémentaires soient réalisées avant de le qualifier plus avant.

    ENCADRÉ I.3 / Les caractéristiques du Trouble du deuil complexe et persistant selon le DSM-5

    La personne a perdu par décès un de ses proches.

    Depuis le décès, au moins un des symptômes suivants est ressenti, la plupart des jours, à un degré cliniquement significatif, et persiste depuis au moins 12 mois après la mort chez l’adulte et six mois chez l’enfant :

    Fort désir/besoin persistant concernant la personne défunte ;

    Peine intense et douleur émotionnelle en réponse à la mort ;

    Préoccupation à propos de la personne décédée ;

    Préoccupation à propos des circonstances du décès.

    Depuis le décès, au moins six des symptômes suivants sont ressentis, la plupart des jours, à un degré cliniquement significatif, et persistent depuis au moins 12 mois chez l’adulte :

    Détresse réactionnelle à la mort :

    Difficultés marquées à accepter le décès ;

    Incapacité ou engourdissement émotionnel à propos de la perte ;

    Difficultés causées par le rappel de souvenirs positifs relatifs à la personne défunte ;

    Amertume ou colère liée à la perte ;

    Évaluation inadaptée de soi-même par rapport à la personne décédée ou à son décès (p. ex. autoaccusation) ;

    Évitement excessif de ce qui rappelle la perte (p. ex. évitement des individus, des endroits ou des situations associées à la personne défunte) ;

    Rupture sociale/identitaire

    Désir de mourir afin d’être avec la personne décédée ;

    Difficulté à faire confiance à d’autres individus depuis le décès ;

    Sentiment de solitude ou d’être détaché des autres personnes depuis le décès ;

    Sentiment que la vie n’a plus de sens ou est vide sans la présence de la personne défunte, ou croyance que l’on ne peut pas fonctionner sans celle-ci ;

    Confusion au sujet de son rôle dans la vie ou sentiment de perte d’une partie de son identité (p. ex. penser qu’une partie de soi est morte avec la personne décédée) ;

    Difficulté ou réticence à maintenir des intérêts depuis la perte ou à se projeter dans le futur (p. ex. amitiés, activités).

    La perturbation cause une détresse cliniquement significative ou un retentissement significatif dans les domaines sociaux, professionnels ou dans d’autres domaines importants.

    La réaction de deuil est hors de proportion ou en contradiction avec les normes adaptées à la culture, à la religion ou à l’âge.

    Source : Adapté de APA, 2013, p. 1018-1019.

    La principale différence de ce modèle du TDCP par rapport aux deux diagnostics qu’il vise à synthétiser est l’allongement du temps entre le décès d’une personne et la formulation du diagnostic. Ainsi, alors que pour le DC et le TDP on peut parler de deuil anormal si les critères sont rencontrés à partir de six mois après le décès, le TDCP double cette période et indique qu’on ne peut parler de complication du deuil avant qu’une année ne se soit écoulée depuis le décès.

    Comme pour le deuil compliqué, il paraît pour le moment difficile d’utiliser un outil particulier et validé pour déterminer le TDCP, d’un point de vue clinique ou de recherche. Généralement, l’ICG-R est utilisé, mais il demanderait à être adapté pour être moins approximatif et plus sensible (Maciejewski et al., 2016). Certaines recherches sont réalisées en ce sens (Lee, 2015 ; Boelen et Smid, 2017), mais il paraît important de les valider auprès d’une population cliniquement et culturellement diversifiée.

    En résumé : le concept de « trouble du deuil prolongé » est à privilégier

    Tous ces concepts renvoient-ils à la même réalité ou existe-t-il des différences objectives concernant ce qui est considéré comme une complication majeure du deuil ? Une importante étude a été réalisée récemment afin d’évaluer les différences entre ces principaux diagnostics (Maciejewski et al., 2016). Le résultat de cette recherche est que les concepts de TDP et de TDCP sont en fait un seul et même diagnostic – les différences entre les deux étant purement sémantiques – mais le DC, lui, est un diagnostic différent, peu spécifique, dont l’évaluation a été jugée peu congruente et avec une faible valeur prédictive.

    Les auteurs de cette même étude recommandent en outre d’adopter une terminologie plus simple que celle proposée dans le DSM-5 et donc de nommer le trouble spécifique aux complications du deuil le Trouble du deuil prolongé (Prolonged Grief Disorder). Nous pourrions ajouter qu’il apparaît pour l’instant pertinent de retenir le critère discriminant de la durée de 12 mois depuis le décès avant de poser un diagnostic de TDP ; cela afin d’entendre une partie des critiques formulées envers ces diagnostics, notamment celles concernant la pathologisation du deuil (Cabut, 2013).

    Les chapitres de ce volume

    Ce volume explore les différentes terminologies présentées ici et utilise soit l’une soit l’autre selon le contexte culturel, les outils diagnostiques ou cliniques utilisés et parfois aussi pour éviter les répétitions de termes. L’ensemble de l’ouvrage est ainsi consacré à la diversité des formes de complication du deuil, en particulier en contexte traumatique, mais pas uniquement. Il apporte un regard diversifié sur ce phénomène qui, on l’a vu, n’est pas encore totalement circonscrit dans un diagnostic formel. L’intention est d’apporter une attention toute particulière aux conséquences que le deuil – compliqué, complexe et persistant ou prolongé – peut avoir sur les individus de tout âge : l’enfant ayant perdu une tante lors d’un tremblement de terre ; l’enseignante qui éprouve des difficultés à faire face au décès prématuré d’une élève ; les personnes de tout âge – notamment des jeunes adultes – éprouvées par la mort d’un membre significatif de leur entourage à la suite d’une catastrophe ; la femme fortement perturbée par la perte de son chez-soi dans des circonstances traumatiques ; le parent du bébé qui ne vit que quelques heures ou qui ne naîtra jamais…

    L’ensemble des textes que nous retrouvons dans ce volume portant sur les complications du deuil en contexte d’événements individuels ou collectifs nous sensibilisent, en

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