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Lac-Mégantic: De la tragédie... à la résilience
Lac-Mégantic: De la tragédie... à la résilience
Lac-Mégantic: De la tragédie... à la résilience
Livre électronique762 pages7 heures

Lac-Mégantic: De la tragédie... à la résilience

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À propos de ce livre électronique

Le 6 juillet 2013 en pleine nuit, non seulement la communauté de Lac-Mégantic était sous le choc, mais aussi le Québec tout entier. Un train à la dérive, comprenant 72 wagons remplis de pétrole brut, explosait en plein centre-ville, provoquant le décès de 47 personnes, la destruction de plusieurs immeubles, la perte de centaines d’emplois et le désarroi de plusieurs milliers d’endeuillés d’un proche, d’un ami ou d’un voisin. Très rapidement, des policiers, des pompiers, des infirmières et des travailleurs sociaux se sont rendus sur les lieux pour assurer la sécurité physique et psychologique des victimes directes et indirectes.

Différentes interventions tant curatives que préventives ont été mises en place dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi. Les organismes publics et communautaires de Lac-Mégantic, de l’Estrie et de plusieurs autres muni­ci­palités du Québec ont fait preuve d’ingéniosité pour répondre aux différents besoins de soutien de la population.

Cet ouvrage s’adresse aux formateurs, aux étudiants ainsi qu’aux professionnels du réseau de la santé et des services sociaux, aux intervenants municipaux et à toute personne qui a à intervenir en cas de catastrophe. Il permet aux lecteurs de se familiariser avec différents moyens pouvant être mis en œuvre lors des étapes de secours, d’intervention et de rétablissement en cas de sinistre. Plus d’une trentaine d’auteurs partagent les leçons qu’ils ont apprises au cours de leur expérience sur le terrain. Tous estiment que le contenu de cet ouvrage pourra être utile à d’autres intervenants et communautés qui seront aux prises avec une catastrophe naturelle ou anthropique.
LangueFrançais
Date de sortie16 nov. 2016
ISBN9782760546332
Lac-Mégantic: De la tragédie... à la résilience
Auteur

Danielle Maltais

Danielle Maltais, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est directrice de la Chaire de recherche Événements traumatiques, santé mentale et résilience depuis novembre 2015. Elle est cochercheuse principale du Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) – volet services sociaux.

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    Aperçu du livre

    Lac-Mégantic - Danielle Maltais

    Introduction

    Danielle Maltais et Céline Larin

    En juillet 1996, il y a eu les inondations du Saguenay; en janvier 1998, c’était la tempête de verglas en Montérégie, puis en juillet 2013, ce fut le déraillement d’un train à Lac-Mégantic. Ces trois événements ont marqué l’histoire du Québec pour de multiples raisons, notamment le nombre important de pertes de vie, la destruction massive de biens collectifs et individuels ainsi que le nombre de personnes qui ont dû temporairement ou définitivement quitter leur domicile. Ce genre d’événement, comme celui du déraillement d’un train à Lac-Mégantic, marque à tout jamais une communauté ainsi que ses citoyens qui doivent surmonter maints obstacles pour retrouver leurs habitudes de vie, reprendre leur routine quotidienne et donner un sens à leur vie. De plus, quand un centre-ville est détruit, comme cela a été le cas à Lac-Mégantic, et que des dizaines de jeunes adultes et de personnes âgées perdent la vie dans des circonstances tragiques, leurs parents, amis, voisins et connaissances doivent également s’adapter à leur départ cruel tout autant qu’inattendu. Sentiment de culpabilité, détresse, anxiété et manifestations de stress post-traumatique peuvent alors être au rendez-vous. Toutefois, il existe des solutions pour se relever d’une telle épreuve et à Lac-Mégantic, de nombreux projets de soutien à la communauté et à ses citoyens ont vu le jour.

    L’intervention en cas de catastrophe, lors de ses étapes de secours et de rétablissement, nécessite la collaboration de plusieurs acteurs qui œuvrent dans divers domaines, que ce soit en santé publique, en sécurité civile, en santé mentale, en organisation communautaire ou en intervention de milieu. Chacun de ces acteurs partage dans ce volume ce qu’il a mis en œuvre comme stratégie d’intervention en soulignant les leçons qu’il a tirées de son expérience avec humilité et franchise. Ainsi, chacun des auteurs souhaite apporter de précieuses informations en décrivant les étapes vécues tout au long de son implication auprès de la communauté de Lac-Mégantic afin que toutes les municipalités du Québec puissent être mieux préparées pour intervenir en cas de sinistres naturels ou anthropiques. Car, au cours des prochaines années, il faut prévoir que d’autres catastrophes causées par le réchauffement climatique ou par la négligence humaine les affecteront.

    Le présent ouvrage démontre bien qu’à Lac-Mégantic, dès que l’alerte a été déclenchée par les autorités locales, de nombreux intervenants rémunérés et bénévoles se sont présentés sur les lieux de rassemblement des sinistrés pour apporter leur aide et leur soutien. Tous les jours, les autorités gouvernementales et municipales ainsi que les responsables de l’application des mesures d’urgence tant pour ce qui est des services municipaux, psychosociaux que de ceux de la santé publique ont veillé à informer la population de l’évolution de la situation (chapitre 14).

    Rapidement, les autorités en place, avec l’aide d’organismes sans but lucratif, comme la Croix-Rouge, ont aussi partagé leur expertise et leurs connaissances pour prendre adéquatement en charge la sécurité de la population ainsi que sa santé tant physique que psychologique (chapitres 8 à 12). Des interventions novatrices tant curatives que préventives et des modes de collaboration encore jamais expérimentés au Québec ou au Canada ont alors vu le jour. Les autorités municipales ont également voulu impliquer l’ensemble de la population dans le processus de reconstruction du centre-ville dans le cadre d’une initiative de participation citoyenne alors nommée «Réinventer la ville» (chapitre 21). Ce ne sont pas les seules initiatives innovatrices qui ont vu le jour à Lac-Mégantic à la suite du déraillement du train dans le but de se rapprocher le plus possible des citoyens perturbés ou traumatisés par l’ampleur des pertes humaines et matérielles subies. Il y a eu aussi le travail de proximité (chapitre 18), la mise en place d’une équipe de rétablissement (chapitre 17) ainsi que plusieurs autres interventions effectuées par les organisateurs communautaires du CSSS du Granit (chapitre 19). Divers individus ont également contribué au rétablissement de la communauté comme l’illustre très bien le chapitre 20 où des citoyens, à la fois victimes et survivants, témoignent de leur désir de se prendre en main et d’aider leurs pairs. Le Théâtre des Petites Lanternes et ses collaborateurs ont aussi innové par l’entremise de la Grande Cueillette des mots (chapitre 22), où plus de 500 personnes ont partagé par le biais de l’écriture leurs sentiments en ce qui a trait à un repère qui a marqué leur vie. Le matériel recueilli à l’aide de carnets de parole a alors servi pour la création de la pièce de théâtre Comme un grand trou dans le ventre (chapitre 23).

    Comme le dit si bien Monique Phérivong Lenoir dans la conclusion du chapitre 20: «Recommencer, s’adapter, changer, s’impliquer, se mobiliser: autant de verbes d’action pour illustrer autant de manières différentes de réagir à un événement tragique, de se protéger pour pouvoir continuer.» C’est ainsi que chacun des chapitres informe, à sa manière, les lecteurs sur les divers mécanismes de résilience tant individuels que communautaires qui ont été mis en place et expérimentés dans un contexte où une communauté tout entière déclarait au monde entier sa volonté de se reconstruire tout en innovant. Ainsi donc, après la lecture de cet ouvrage, les mots qui vous viendront à l’esprit quand vous penserez à Lac-Mégantic ne seront plus déraillement de train, désespoir et destruction mais plutôt dévouement, courage, rétablissement et résilience.

    PARTIE 1 /

    LES BASES THÉORIQUES

    CHAPITRE 1 /

    Les conséquences des catastrophes technologiques sur la santé globale des individus

    Danielle Maltais et Vanessa Bolduc

    Au cours des 25 dernières années, le Québec a été confronté à de graves catastrophes naturelles ou technologiques qui ont provoqué la mort de plusieurs personnes, perturbé la vie de milliers d’autres et forcé les autorités publiques à appliquer des mesures d’urgence. Pensons, entre autres, aux inondations de juillet 1996 au Saguenay–Lac-Saint-Jean, à la tempête de verglas de 1998 en Montérégie, aux inondations récurrentes de la Montérégie et de la Beauce, aux fortes tempêtes de neige en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, et bien sûr, au déraillement d’un train de wagons-citernes remplis de pétrole brut, provoquant des explosions ainsi qu’un incendie majeur au centre-ville de la municipalité de Lac-Mégantic au cours de l’été 2013. Cet événement, des plus tragiques, a eu et a encore de graves conséquences autant pour les individus (chapitre 7 – «Un portrait de la santé psychologique de la population du Granit en 2015») que pour la communauté tout entière (chapitre 6 – «La ville de Lac-Mégantic et la catastrophe de juillet 2013»).

    1 /Les conséquences des désastres naturels ou anthropiques

    Les catastrophes naturelles et anthropiques (catastrophes technologiques et celles causées par le désespoir ou la négligence humaine), en raison de leurs multiples caractéristiques traumatisantes, ainsi que par les perturbations qu’elles impliquent pour une collectivité tout entière, sont susceptibles d’être à l’origine de diverses répercussions négatives sur la santé physique et mentale ainsi que sur la vie personnelle, conjugale, familiale, professionnelle et sociale des victimes directes et indirectes¹. Les catastrophes peuvent également avoir des conséquences directes sur le dynamisme et le développement des communautés dans leur ensemble (Arnberg et al., 2011; Auger et al., 2003; Maltais, 2003; Maltais, Robichaud et Simard, 2001; Maltais et al., 2002; Suzuki et al., 2011). À ce sujet, Donovan et al. (2011) ont souligné que bien que tous les types de catastrophes soient difficiles à vivre, les désastres technologiques le sont davantage pour trois raisons principales: 1) ce type de catastrophe est imprévu, soudain et inattendu; 2) les victimes ont tendance à ressentir de la colère envers les personnes responsables de l’accident; et 3) ce type de sinistre peut créer des conflits au sein des communautés.

    Ainsi, sur le plan individuel, les catastrophes peuvent provoquer différents stress et entraîner, sur le plan émotionnel, des chocs, de la peur, de la colère, de l’irritabilité, de la tristesse ainsi que la présence de manifestations de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression (Bromet, Havenaar et Guey, 2011; Grievink et al., 2007; Cohidon et al., 2009; Elklit, 2007; HelpAge International, 2005; Priebe et al., 2011; Suzuki et al., 2011; Van Achterberg, Rohrbaugh et Southwick, 2001; Warsini et al., 2014). Sur le plan cognitif, les manifestations suivantes ont été souvent documentées: confusion et troubles de la mémoire, de l’attention et de la concentration (Broberg, Dyregrov et Lilled, 2005; Diène et al., 2007). Par ailleurs, sur le plan physique, diverses recherches ont constaté la présence de tensions musculaires, de douleurs, de fatigue, d’agitation, de diminution de la libido, de perte de l’appétit ainsi que de troubles du sommeil (Grievink et al., 2007) ainsi que l’apparition ou l’aggravation de problèmes de santé physique comme l’hypertension, des nausées, des douleurs à la poitrine (Maltais et al., 2000; Maltais et Simard, 2005a). De plus, les personnes exposées à un sinistre, comparativement à celles qui ne le sont pas, auraient, en général, une perception plus négative de leur état de santé. Dans les communautés affectées par un sinistre, il a également été possible de remarquer une augmentation du recours aux services médicaux ambulatoires ainsi qu’une morbidité et une mortalité plus importantes (Maltais, Robichaud et Simard, 2001; Maltais et Simard, 2005a). Enfin, sur le plan comportemental, maintes études ont remarqué la présence de changements en ce qui a trait à la consommation de médicaments (surtout chez les femmes), d’alcool, de drogue ou de cigarettes (en particulier chez les hommes), ainsi qu’à la fréquence des conflits familiaux (Donovan et al., 2011). De plus, les tentatives de suicide seraient aussi plus nombreuses chez les personnes exposées à des catastrophes technologiques que chez celles non exposées à ce type d’événement (Auger et al., 2003; Rahu et al., 2006). Chez les enfants et les adolescents, divers auteurs ont aussi souligné la présence de troubles du comportement et de la conduite, d’hyperactivité et de pertes de concentration (Broberg, Dyregrov et Lilled, 2005; Boer et al., 2009), des changements dans les habitudes alimentaires et de sommeil ainsi que l’adoption de comportements régressifs (Donovan et al., 2011).

    Lors de sinistres, la présence de pertes matérielles, humaines et animales, l’absence de couverture d’assurance, la relocalisation de divers groupes de citoyens ainsi que l’apparition ou l’accentuation temporaire ou permanente de malaises physiques sont toutes des causes qui peuvent occasionner les séquelles psychologiques à court, à moyen ou à long terme exposées au paragraphe précédent (Maltais, Robichaud et Simard, 2001). Diverses études révèlent ainsi qu’un bon nombre de sinistrés adultes peuvent vivre différents stresseurs ainsi que différentes difficultés d’adaptation se manifestant habituellement par des problèmes psychologiques, des changements dans l’état de santé physique ou par des modifications dans la condition de vie en général (Aldrich et Benson, 2008; Lamb, O’Brien et Fenza, 2008; Maltais et al., 2002; Organisation mondiale de la santé – OMS, 2010).

    Tous les sinistres ne mènent pas nécessairement à une vaste détresse psychologique à court, moyen ou à long terme chez tous les individus, étant donné que ces derniers impliquent une multitude de facteurs qui peuvent intervenir positivement ou négativement dans le processus de rétablissement des individus (Fergusson et Boden, 2014)². En ce qui a trait aux facteurs de risque associés à l’apparition de symptômes de détresse psychologique à la suite de l’exposition à une catastrophe, Norris et al. (2002), dans une recension exhaustive de plus de 250 études, rapportent que les facteurs suivants fragilisent les individus: l’âge (jeunes et personnes âgées sont plus à risque que les adultes), le sexe (les femmes plus que les hommes), la situation géographique (le fait de vivre dans un pays en voie de développement), le type de sinistre (actes de terrorisme par rapport à d’autres types de sinistres), le degré d’exposition (proximité géographique avec les lieux de l’incident, ampleur des pertes subies, durée de la catastrophe), l’origine ethnique (appartenance à une minorité ethnique), la présence de troubles de santé mentale ou de stress chronique préexistants ainsi que le manque de soutien social perçu et reçu. Pour leur part, dans une recension de 39 articles scientifiques publiés entre 2002 et 2012 portant sur les impacts psychologiques des catastrophes naturelles, Warsini et al. (2014) indiquent que les facteurs de risque associés à la présence de manifestations de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression les plus couramment mentionnés demeurent: le sexe (femme), l’âge (personnes âgées), le statut matrimonial (le fait de ne pas être marié), la place occupée au sein de la famille (chef de famille), l’occupation (ne pas occuper un emploi rémunéré), le niveau de scolarité (faible), la présence de problèmes de santé mentale antérieurs à la catastrophe, le fait de subir la perte d’un être cher, des blessures, des dommages à sa demeure ainsi qu’une relocalisation et la proximité géographique avec l’épicentre de la catastrophe en plus d’être aux prises avec des difficultés financières à la suite de leur exposition à ce type d’événement.

    Ainsi, en cas de désastre, certains groupes seraient plus vulnérables que d’autres soit parce qu’ils dépendent d’autres personnes pour s’éloigner des dangers ou recevoir l’aide requise, soit parce qu’ils font face à des incapacités physiques, cognitives ou mentales ou qu’ils n’ont pas facilement accès aux ressources de la communauté. Les personnes âgées, les femmes, particulièrement celles monoparentales ayant de jeunes enfants, les personnes présentant des incapacités physiques ou cognitives ou des problèmes de santé mentale ainsi que les familles à faible revenu font partie de ces groupes de la population vulnérabilisés ou défavorisés pendant la période de crise et dans les mois et les années qui suivent (Maltais et Gauthier, 2013). Dans le contexte d’une catastrophe, la vulnérabilité constitue la capacité d’une personne ou d’un groupe à anticiper l’impact d’un danger, à composer avec, à y résister et à se rétablir (Blaikie et al., 1994). Selon Watts et Bolhe (1993), le concept de vulnérabilité comprend trois éléments: 1) le risque d’être plus souvent et plus sévèrement exposé à des situations de crise (l’exposition); 2) le risque de ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire face à la situation (capacité à s’en sortir); et 3) le risque d’encourir des conséquences négatives à la suite de l’exposition à des crises et de ne pas pouvoir récupérer les pertes subies (potentialités). Les personnes vulnérables sont plus à risque de ne pas recevoir les services qu’elles requièrent pendant la période d’application des mesures d’urgence et de développer des problèmes de santé post-désastre que les autres sous-groupes de la population.

    2 /Les effets à long terme des désastres

    Même si les effets à long terme de l’exposition à un désastre ont été moins documentés, les recherches démontrent qu’il peut y avoir une période de latence entre l’exposition à un événement traumatique, comme celui de la municipalité de Lac-Mégantic, et l’apparition de problèmes de santé physique et psychologique (Maltais, Côté et Gauthier, 2007). De plus, les symptômes post-traumatiques peuvent être cycliques ou présents pendant de nombreuses années, et même tout au long de la vie d’un individu (Green et al., 1990).

    Les écrits scientifiques sur les conséquences à long terme des désastres relèvent généralement une baisse des manifestations symp-tomatiques, mais cette situation ne concerne pas tous les symptômes observés ni tous les groupes de victimes (Maltais et Simard, 2005b). Par exemple, des chercheurs ont démontré que les personnes exposées à des catastrophes technologiques se rétablissent généralement moins rapidement que celles ayant vécu une catastrophe naturelle (Aptekar, 1994; Norris et al., 2002). Les victimes de désastres technologiques demeureraient plus longtemps en état d’anticipation à propos des conséquences néfastes liées à leur exposition à des produits toxiques et manifesteraient plus de récriminations à l’égard des autorités, se sentant trahies par ces dernières.

    Il est également important de souligner que la présence d’effets positifs à long terme a été observée à la suite d’une catastrophe. L’on note par exemple la découverte de forces intérieures insoupçonnées, des changements dans ses priorités de vie, une plus grande attention accordée aux membres de sa famille, ainsi qu’une augmentation de son estime personnelle étant donné que l’on a été capable de faire face à l’adversité (Maltais, 2003; Maltais et Gauthier, 2010).

    3 /Les conséquences propres aux accidents ferroviaires et aux désastres technologiques

    Après plusieurs mois, les accidents ferroviaires seraient associés à la présence de problèmes de santé mentale, dont l’état de stress post-traumatique (de 25 à 51%), et à des manifestations d’anxiété et de somatisation chez les témoins de ce type d’événement (Chung, Easthope et al., 2003; Chung, Farmer et al., 2001; Engelhard et al., 2002). Un nombre non négligeable de témoins ressentiraient aussi d’autres symptômes venant affecter leur qualité de vie, dont des pensées récurrentes et des difficultés à s’endormir (20%) ainsi que des cauchemars fréquents (5%). En outre, plusieurs témoins de catastrophes ferroviaires utiliseraient l’évitement comme stratégie d’ajustement et essaieraient d’effacer la catastrophe de leur esprit (Chung, Farmer et al., 2001). Les résidents vivant près du site d’un déraillement de train souffriraient davantage de problèmes de santé physique et mentale que ceux plus éloignés (Chung, Easthope et al., 2003).

    En ce qui a trait aux explosions et aux incendies d’établissements récréatifs ou d’usines, les études sur les effets à moyen et à long terme de ces deux types de catastrophes arrivent à des conclusions similaires. Les résidents affectés par des incendies à la suite d’explosions accidentelles dans des usines présenteraient, plusieurs mois après leur exposition (entre 18 et 24 mois), deux à trois fois plus de problèmes de dépression, d’anxiété et de troubles du sommeil que des répondants d’un groupe contrôle (Grievink et al., 2007) et près de 50% des travailleurs éprouvaient toujours de la détresse psychologique deux ans après l’explosion de l’usine à Toulouse en 2000 (Cohidon et al., 2009). De plus, la présence de symptômes de l’état de stress post-traumatique serait plus élevée chez les femmes que chez les hommes de 12 à 15 mois après l’explosion de cette usine. De même, la présence de troubles psychologiques comprenant, entre autres, le désespoir et des difficultés à dormir et à se concentrer serait significativement associée à la distance entre le lieu de l’explosion et l’endroit où vivent les personnes exposées à l’événement (Diène et al., 2007).

    De plus, dans le cadre d’une méta-analyse présentant le bilan de plusieurs études sur les effets à moyen et à long terme de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, Bromet, Havenaar et Guey (2011) ont rapporté que les femmes, mères de jeunes enfants, sont particulièrement affectées par cette tragédie en raison, entre autres, des inquiétudes persistantes qu’elles ressentent par rapport à l’état de santé des différents membres de leur famille. De plus, selon Rivière et al. (2008), la présence de manifestations de stress post-traumatique, 18 mois après l’exposition à l’explosion d’une usine, serait associée à trois grands types de facteurs: a) les facteurs individuels de vulnérabilité (âge plus avancé, niveau socioéconomique inférieur, antécédents de problèmes de santé mentale), b) les facteurs liés à l’exposition à la catastrophe (proximité, blessures, relocalisation, fait d’avoir secouru des victimes), ainsi que c) des facteurs post-traumatiques (inconvénients liés à la fermeture des services publics, difficultés financières subséquentes).

    4 /Les conséquences des désastres technologiques chez les enfants et les adolescents

    Chez de jeunes élèves âgés de 4 à 9 ans, Boer et al. (2009) démontrent, dans une étude réalisée auprès de 264 répondants, que l’exposition à un incendie d’une usine de feux d’artifice est associée, cinq ans plus tard, à la présence de plus de problèmes de santé physique et psychologique, de réactions de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression que chez leurs pairs non exposés. Les problèmes psychologiques rapportés seraient, par contre, davantage extériorisés (troubles de conduite, hyperactivité) qu’intériorisés (anxiété et dépression). Chez des enfants âgés de 8 à 13 ans, des corrélations ont été trouvées entre la détresse vécue par les parents et la présence de manifestations de stress post-traumatique chez les enfants (Vila et al., 2001).

    Chez les adolescents, l’exposition à de graves incendies serait également associée à la présence de manifestations de stress post-traumatique, à une baisse des résultats, au décrochage scolaire (Broberg, Dyregrov et Lilled, 2005), ainsi qu’à la présence de problèmes psychologiques (anxiété), de problèmes musculosquelettiques et de réactions de stress (Dirkzwager, Kerssens et Yzermans, 2006). Dans cette dernière étude, les facteurs de risque associés à la présence de problèmes chez les adolescents sont la présence de problèmes psychologiques préexistants antérieurs au désastre, le fait d’avoir été relocalisé et de vivre dans une famille dont les revenus sont modestes.

    5 /Les conséquences de l’évacuation de son domicile

    Être évacué à la suite de graves incendies serait aussi associé à la présence de manifestations de stress post-traumatique (Elklit, 2007). Ce type de manifestations après 15 mois à la suite d’une exposition à un incident industriel serait un bon indice que ces symptômes ne sont pas susceptibles de disparaître (Bui et al., 2010). La présence de différents stress et réactions qui perturbent les habitudes de vie des individus et des différents membres de leur famille a également été constatée chez les familles ayant dû quitter définitivement leur demeure à la suite d’un grave sinistre (Maltais, Robichaud et Simard, 2000). La relocalisation involontaire est d’ailleurs généralement vécue comme une crise majeure pour les sinistrés où différents obstacles et stress se succèdent les uns après les autres (quitter son logement précipitamment, se chercher un abri temporaire, faire face à de nombreux changements de milieux de vie, s’inquiéter pour ses biens et ses souvenirs, s’endetter, changer ses habitudes de vie et les rituels familiaux, faire face à un nouvel environnement, se demander si l’on recevra des compensations financières, etc.). Souvent, une grande tristesse accompagne les personnes relocalisées, ce sentiment trouvant sa source dans la signification que l’on accorde à son chez-soi et à son ancien quartier. Parmi les réactions qui ont été documentées dans le cadre d’une étude réalisée au Québec, l’on retrouve de la nostalgie persistante, de la détresse, des manifestations dépressives et des symptômes somatiques ainsi que des sentiments d’impuissance, de colère et d’idéalisation de l’ancienne demeure (Maltais, Robichaud et Simard, 2000).

    Conclusion

    La plupart des études recensées dans le domaine des conséquences des catastrophes abordent la fréquence des problèmes physiques ou psychologiques développés comme l’état de stress post-traumatique, les troubles anxieux ou les troubles dépressifs. Différents autres aspects de la vie des individus peuvent être aussi perturbés comme leur vie personnelle, conjugale, familiale, sociale ou professionnelle. Les réactions et la symptomatologie constatées chez les individus peuvent être diverses et dépendent d’un ensemble varié de facteurs, dont le sexe, l’âge, l’état de santé préexistant et les conditions de vie. Cette brève recension des écrits permet aussi de constater que les sinistres correspondent à des types d’expériences au potentiel particulièrement traumatisant étant donné qu’ils sont susceptibles de générer une cascade d’événements stressants, malgré le fait que ceux-ci soient fréquemment perçus comme des épisodes uniques. Ce phénomène est particulièrement perceptible lorsqu’on prend conscience de la juxtaposition des différents stresseurs que peuvent vivre les individus confrontés à une catastrophe pendant et après leur exposition à ce genre d’événement. La présence d’impacts autant positifs que négatifs à long terme des catastrophes sur la santé des individus devrait forcer les intervenants de la santé et des services sociaux à demeurer alertes au sein de leur communauté pendant de nombreux mois, voire années, après la survenue de tels événements.

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    1Sont considérées comme des victimes directes, les personnes traumatisées, blessées, évacuées, endeuillées ou ayant subi des dommages ou des pertes concernant leurs biens personnels, professionnels ou commerciaux. Les victimes indirectes sont, quant à elles, les membres de l’entourage des victimes directes ainsi que les intervenants rémunérés ou bénévoles de première et de deuxième ligne.

    2Les facteurs qui interviennent positivement dans le processus de rétablissement des individus sont présentés au chapitre 3.

    Vivre c’est être utile aux autres.

    Vivre c’est être utile à soi.

    SÉNÈQUE

    CHAPITRE 2 /

    Les conséquences de l’intervention en situation d’urgence sur la santé des intervenants

    Danielle Maltais et Suzie Robichaud

    Les répercussions des sinistres sur la santé et la performance au travail des intervenants ainsi que les facteurs de risque ou de protection qui sont liés à ces deux éléments demeurent encore peu étudiés comparativement à ce que l’on peut trouver sur les conséquences des désastres sur la santé des victimes primaires (Kanno, 2010; Morris, 2011). Les stéréotypes relatifs aux intervenants qui font de ces derniers des êtres forts et pleins de ressources, à l’opposé des caractéristiques des victimes perçues comme des individus ayant besoin d’aide, ont probablement joué pendant longtemps un rôle d’occultation des conséquences des sinistres sur la santé des intervenants. Mais au cours des dernières années, plusieurs chercheurs ont commencé à s’intéresser à ce sujet (Allen, 2010; Antares Foundation, 2007; Bjerneld et al., 2006; Doman, 2010; Ehrenreich et Elliot, 2004; Hearns et Deeny, 2007; Linley et Joseph, 2006, 2007; Maltais et al., 2015; Thomas, 2004). Ces études soulignent, entre autres, que les intervenants appelés à agir auprès des victimes et de leurs proches observent à la fois des effets positifs et négatifs de leur implication dans leur vie personnelle (santé physique, psychologique, valeurs et croyances), conjugale, sociale et professionnelle.

    1 /Les facteurs pouvant affecter la santé des intervenants

    Plusieurs éléments externes entrent en considération quand il s’agit de déterminer les conséquences de l’intervention en situation d’urgence sociale sur la santé des personnes qui s’impliquent à divers degrés auprès des victimes ou dans la gestion générale des opérations liées au sinistre. Ceux-ci semblent le plus souvent associés au contexte dans lequel doivent agir les intervenants. Ce contexte est lui-même déterminé par les caractéristiques propres au désastre, comme sa nature (naturel ou technologique), son intensité, sa durée, sa soudaineté, son degré de dévastation, etc. Ce sont également ces caractéristiques qui détermineront le degré d’engagement des intervenants en termes de durée et d’exposition à divers risques ou menaces.

    Une variété de facteurs tels que la cause du désastre (naturel ou technologique) et son étendue (taux de mortalité, degré de destruction) ainsi que le degré d’exposition aux récits des événements traumatiques vécus par les personnes peuvent influencer le degré et le type de symptômes psychologiques développés par les intervenants (Badger, Royse et Craig, 2008; Brotheridge et Grandey, 2002; Linley et Joseph, 2007; Radey et Figley, 2007). Un désastre collectif impliquant de nombreuses victimes et des pertes importantes aux biens des individus et de leur collectivité, par exemple, est plus susceptible d’aggraver le stress vécu par les intervenants et de susciter un fardeau psychologique additionnel (Paton, 2003). L’étendue et l’envergure du sinistre sur le plan géographique, de par l’importance du territoire à couvrir ou à desservir, peuvent exacerber le sentiment de dépassement chez les intervenants (Maltais, Robichaud et Simard, 2001a). Les désastres caractérisés par l’horreur et la terreur et par de nombreux décès et blessures, sont aussi de bons prédicteurs de désordres émotionnels (Alexander, 1990; Paton, 2003). Il ressort également que les intervenants qui vivent une expérience traumatisante, à la fois dans leur vie professionnelle et personnelle, verraient augmenter leurs probabilités d’éprouver des difficultés de tout ordre (Luce et al., 2002). Il en va de même pour ceux qui demeurent dans la même communauté que les victimes (Dekel et Baum, 2010).

    Affronter des conditions dangereuses ou menaçantes, travailler dans des lieux surpeuplés, répondre à des demandes souvent supérieures à la normale, opérer sur un terrain inconnu ou un site étranger, endurer des conditions climatiques problématiques, agir sous une forte pression, subir l’excessive attention des médias ont également été identifiées comme des caractéristiques difficiles ou génératrices de stress qui peuvent faire perdre aux intervenants une partie de leurs moyens et ressources (Maltais et al., 2015). Le manque d’équipement, les délais d’attente et la forte demande contribuent aussi à augmenter les probabilités que les intervenants vivent de la détresse psychologique (Maltais et al., 2015). Les réactions psychologiques des intervenants apparaissent aussi comme pouvant être associées au degré ou à l’intensité des contacts avec les victimes primaires. Un certain sentiment d’exaspération peut également se manifester chez les intervenants soumis à une forte demande de soutien de la part des victimes (Bartone et al., 1989; Raphael, 1986; Saakvitne et Stamm, 2003).

    Intervenir en contexte de désastre, c’est aussi être exposé à une lourde tâche dans un environnement inhabituel où des difficultés particulières peuvent se manifester (Maltais, 2005; Maltais et al., 2015). Certains auteurs ont mentionné que de nombreuses heures de travail sans repos et un environnement de travail déficient constituaient des facteurs de stress importants (Radey et Figley, 2007). De plus, le manque d’autonomie et de contrôle dans l’exercice de ses fonctions est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’on évalue la santé psychologique des intervenants sociaux (Maltais, Lachance et Bolduc, 2015). Selon Mitchell et Dyregrov (1993), il a été démontré qu’un maximum de 12 heures passées sur les lieux modère les séquelles psychologiques et qu’un minimum de 6 heures passées à l’extérieur du site devrait être respecté avant d’y retourner. Les auteurs ont aussi observé plusieurs facteurs de stress chez les non-professionnels, tels l’accomplissement des tâches, l’attente, le danger, la magnitude du désastre. Pour leur part, Maltais et al. (2015) ainsi que Maltais, Robichaud et Simard (2001a) ont relevé plusieurs facteurs qui peuvent perturber les intervenants, notamment le surcroît de travail, l’éloignement de leur domicile, le sentiment de culpabilité et l’obligation de composer avec des pertes humaines.

    Le manque d’intimité pour protéger la confidentialité en raison d’équipements ou de locaux inappropriés exige également l’ingéniosité des intervenants. Une situation d’urgence implique notamment la réception et la transmission d’une foule d’informations et de communications. Sous cet angle, le personnel répartiteur est particulièrement à risque de subir un stress intense, pouvant même s’avérer supérieur à celui que peuvent éprouver tous les autres types d’intervenants. Et ce stress peut les affecter dans une mesure encore plus importante. De surcroît, les intervenants qui reçoivent les appels, lors de certains incidents, peuvent également être les dernières personnes à recevoir le message de victimes confrontées à une mort imminente.

    La gestion de tout désastre, que celui-ci soit considéré comme collectif ou plus restreint, sous-tend que des intervenants de divers organismes publics, parapublics, privés ou bénévoles risquent d’être concernés par les différentes opérations qui s’en suivent. La manière dont sont gérées ces opérations a un effet sur les résultats, mais également sur le degré de bien-être psychologique actuel et à venir des intervenants. À ce sujet, plusieurs facteurs de stress ou d’inconfort liés à la gestion de la crise et à l’intervention sont présentés dans les écrits consultés. C’est ainsi que, selon Paton (2003), la lourdeur bureaucratique, incluant les nombreuses règles et procédures que doivent suivre ou observer les intervenants et qui sous-entend bien souvent des délais et de l’incertitude, augmente leur niveau de stress. Les changements de politiques de l’organisation sont également des facteurs de stress (Armstrong, O’Callahan et Marmar, 1991). Les nombreux ajustements ou modifications dans les manières d’opérer et d’agir des intervenants qui en remplacent d’autres ou leur succèdent peuvent engendrer un sentiment de frustration. Pour les mêmes auteurs ainsi que pour Maltais et al. (2015), un facteur commun de stress chez les intervenants était la perception négative de la coordination des opérations. Ces auteurs ont pu également constater que les problèmes administratifs, les conflits de personnalité entre travailleurs et les différentes façons d’intervenir auprès des sinistrés constituaient les stresseurs les plus importants.

    Le stress peut aussi provenir de la cohabitation de plusieurs organismes ou de plusieurs catégories d’intervenants à l’intérieur d’une même organisation ou d’un même site, car les organismes et intervenants ne fonctionnent pas nécessairement selon les mêmes méthodes ou procédés (Bradford et John, 1991; Gauthier, 2015). La nature même du désastre ainsi que les actions complexes qu’il suscite provoquent la rencontre de diverses organisations et l’interaction entre leurs membres qui, de par leurs différences en ce qui a trait à leur champ d’intervention ou à leur profession, ne possèdent pas le même langage. En l’occurrence, l’absence de langage commun peut nuire à l’efficacité des interventions (Maltais et al., 2015).

    Cela dit, ni les intervenants ni les gestionnaires ne semblent à l’abri d’éventuels problèmes psychologiques liés au travail en situation de désastre. En effet, quel que soit le rang qu’ils occupent dans la hiérarchie organisationnelle, la prise de décision dans des délais limités avec une information incomplète, l’interruption des communications avec les secouristes, l’impossibilité de prodiguer des encouragements et d’expliquer les décisions qui sont prises constituent des éléments de

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