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Regards croisés sur l'itinérance
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Livre électronique397 pages4 heures

Regards croisés sur l'itinérance

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À propos de ce livre électronique

Comprendre l’itinérance, c’est dépasser les préjugés et les stéréotypes véhiculant qu’elle serait la conséquence directe des mauvais choix de vie des individus pour appréhender les dynamiques collectives et institutionnelles qui la produisent. C’est réaliser que la rue est la place que la société accorde à la personne en situation d’exclusion. Car il n’y a pas que des facteurs de nature individuelle (problèmes relationnels, conflits familiaux, violence, etc.) qui contribuent à la fragilité sociale des personnes. Les mutations du marché du travail, le désengagement de l’État, la pénurie de logements sont tous des facteurs qui peuvent conduire des personnes à vivre dans la rue.

Cet ouvrage propose plusieurs lectures de l’itinérance qui apportent une aide précieuse à sa compréhension et proposent une critique éclairante des solutions existantes pour y remédier. Les auteurs définissent l’itinérance actuelle, décrivent ses visages, nomment les difficultés associées à la vie des personnes en situation d’itinérance et présentent différentes approches d’intervention. Le phénomène de l’itinérance est ainsi abordé de manière globale dans ses différentes facettes: la santé mentale, la criminalité, la dépendance, l’émergence dans les régions éloignées, sa particularité dans le milieu autochtone, sa croissance chez les femmes, les processus qui amènent les personnes dans la rue et la vie quotidienne dans les refuges.

S’adressant aux chercheurs, aux étudiants et aux intervenants, l’ouvrage montre que l’itinérance recouvre une réalité complexe, résultant d’un ensemble de problématiques, qui nécessite une combinaison de solutions.
LangueFrançais
Date de sortie18 nov. 2016
ISBN9782760543201
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    Aperçu du livre

    Regards croisés sur l'itinérance - Saïd Bergheul

    DES REGARDS CROISÉS SUR L’ITINÉRANCE

    Saïd Bergheul

    En moyenne, chaque nuit au Canada, quelque 30 000 personnes se retrouvent dans des refuges, dorment à l’extérieur ou cherchent à obtenir une protection contre la violence conjugale. Jusqu’à 50 000 personnes feraient partie de la catégorie des «itinérants invisibles». Ces personnes sont temporairement hébergées chez des parents ou des amis, puisqu’elles ne peuvent aller nulle part ailleurs¹.

    En 2007, la Sheldon Chumir Foundation a estimé qu’au Canada les interventions d’urgence à l’itinérance coûtaient entre 4,5 et 6 milliards de dollars par an aux contribuables. Cela comprend non seulement le coût des abris d’urgence, mais aussi les services sociaux, les soins de santé et les services correctionnels (Laird, 2007).

    L’itinérance est un phénomène qui a pratiquement toujours existé, mais qui a varié selon les endroits et les époques. Ces variations semblent dépendre d’un ensemble de facteurs personnels, économiques, sociaux et culturels.

    1. UNE DÉFINITION DE L’ITINÉRANCE

    Le terme «itinérance» recouvre une réalité complexe, résultant d’un ensemble de problèmes qui nécessite une combinaison de solutions. En 2012, une nouvelle définition de l’itinérance canadienne a été publiée par le Réseau canadien de recherches sur l’itinérance:

    L’itinérance décrit la situation d’un individu ou d’une famille qui n’a pas de logement stable, permanent et adéquat, ou qui n’a ni la possibilité ni la capacité immédiate de s’en procurer un. Elle est le résultat d’obstacles systémiques et sociétaux, d’un manque de logements abordables et adéquats ou de défis financiers, mentaux, cognitifs, de comportement ou physiques qu’éprouve l’individu ou la famille, et de racisme et de discrimination. La plupart des gens ne choisissent pas d’être des sans-abri et l’expérience est généralement négative, stressante et pénible (Gaetz et al., 2012).

    L’itinérance englobe aussi une variété de situations de vie physique, organisées selon la typologie suivante:

    •  les personnes sans abri qui vivent dans la rue ou dans les lieux non conçus pour l’habitation adéquate;

    •  les personnes utilisant les refuges d’urgence qui sont offerts à l’utilisateur gratuitement ou pour un coût réduit;

    •  les personnes logées provisoirement, parce que leur hébergement est temporaire ou n’offre pas la sécurité de permanence, comme les logements transitoires, ou les personnes qui vivent temporairement chez une autre personne;

    •  les personnes à risque d’itinérance qui ne sont pas des sans-abri, mais dont la situation économique actuelle ou en matière de logement est précaire et ne répond pas aux normes de la santé et de la sécurité publique.

    L’itinérance se diversifie selon différentes situations. Trois types sont généralement connus:

    •  l’itinérance chronique, plus visible, qui concerne les personnes qui n’ont pas eu de logement stable depuis longtemps;

    •  l’itinérance cyclique, qui fait référence aux personnes qui vont et viennent entre un logement et la rue;

    •  l’itinérance situationnelle, qui se rapporte aux personnes momentanément sans logement alors qu’elles ont généralement un toit.

    Il n’y a pas d’âge ni de race pour se retrouver à la rue. Un nombre grandissant d’adolescents et de jeunes adultes se retrouvent sans domicile fixe. De plus en plus d’Autochtones s’exilent vers les grands centres. Le nombre de femmes itinérantes ne cesse d’augmenter. Parmi les sans-abri, la majorité sont des citoyens canadiens, mais les immigrants sont de plus en plus nombreux à vivre dans la rue.

    2. LES POPULATIONS TOUCHÉES

    Les hommes constituent le groupe d’itinérants le plus important. Pour certains, la trajectoire de vie est parsemée de difficultés depuis l’enfance, si bien que l’arrivée à la rue paraît indissociable de leur destin. Ces hommes ont connu dès leur enfance des difficultés qui ne leur ont pas permis de s’ancrer socialement. Pour d’autres, l’arrivée dans la rue semble plus accidentelle. Perte d’emploi, rupture amoureuse, problèmes de santé ont été les déclencheurs d’un passage à la rue. Que ce passage relève d’un accident dans la trajectoire de vie de la personne ou qu’il soit le résultat d’une trajectoire chaotique, l’expérience de l’itinérance renforce l’exclusion et condamne ces hommes à la marginalisation.

    La proportion de mineurs et de jeunes adultes serait également à la hausse (Commission des affaires sociales du Québec, 2008). Souvent passagère, la présence des jeunes dans la rue s’explique, entre autres, par les ruptures familiales, la violence familiale, la négligence, les placements répétitifs et la toxicomanie. Selon Roy et al., en 2004 «les jeunes de la rue sont une population difficile à rejoindre. Ils sont exclus des enquêtes fondées sur le lieu de résidence ou le milieu scolaire en raison de l’instabilité de leurs conditions de vie et de leur interaction limitée avec le système d’éducation. Ils sont marginalisés sur le plan financier et social à cause de leur âge, de leur état de sans-abri et de leur manque d’instruction et de compétences professionnelles» (p. 573).

    Les recherches démontrent que la proportion de femmes parmi les personnes en situation d’itinérance est en croissance. Les femmes ont cependant un parcours plus marqué par la violence conjugale. Peu présentes avant les années 1980, elles constituent selon le recensement de Fournier et al. (1998) 22,8% de la population itinérante de Montréal et 36,5% de celle de Québec.

    37% des Autochtones de Montréal vivant en milieu urbain affirment que le fait de connaître leurs origines leur apporte une meilleure connaissance d’eux-mêmes et une identité plus forte (Environics Institute, 2010). Il n’existe pas de données sur le pourcentage de ceux qui connaissent des difficultés d’adaptation. Val-d’Or est une ville du nord qui attire beaucoup d’Autochtones, alors que Montréal accueille la plupart de ceux qui vivent dans un centre urbain.

    Les personnes immigrantes rencontrent les mêmes facteurs de risque quant à l’itinérance que l’ensemble de la population. Toutefois, malgré l’aide gouvernementale disponible, des difficultés propres à leur condition de nouvel arrivant ou de minorité ethnoculturelle s’ajoutent à ces facteurs de risque: méconnaissance de la langue, discrimination exercée à leur endroit, ou habitudes culturelles ou sociales qui rendent difficile leur intégration. À leur arrivée, les personnes immigrantes à faible revenu sont plus à risque de vivre dans des logements [inadéquats. Durant] un certain temps, leur réseau social peut être limité ou inexistant, un facteur de vulnérabilité supplémentaire (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2014, p. 16).

    3. LES CAUSES MULTIPLES DE L’ITINÉRANCE

    L’itinérance présente de multiples visages. Les recherches et les travaux en ce domaine, notamment ceux du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale (CRI) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), conviennent de la dimension multifactorielle du phénomène (Commission des affaires sociales du Québec, 2007). Trois grands facteurs explicatifs sont observés, auxquels sont associés quatre types de problèmes.

    •  Les facteurs de nature structurelle. Ils concernent l’appauvrissement, la crise du logement et la faiblesse de revenu. Ces facteurs contribuent à la précarité et à la vulnérabilité des personnes.

    •  Les facteurs de nature individuelle. Ils renvoient à des situations telles que les problèmes relationnels, les conflits familiaux ou le divorce, la violence, les abus sexuels, les placements répétés en centre d’accueil ou en maison d’hébergement. Ces problèmes, lorsqu’ils sont combinés à d’autres facteurs, peuvent fragiliser la personne au point d’ouvrir le chemin menant à la rue.

    •  Les facteurs de nature institutionnelle. Ils font intervenir des facteurs comme la désinstitutionnalisation, la non-institutionnalisation, la judiciarisation, la criminalisation et l’éclatement-reconfiguration de la famille. La vague de fermetures d’hôpitaux psychiatriques dans les années 1990 a contribué à modeler le profil des personnes de la rue dans les grandes villes. Plus récemment, nous avons assisté à une augmentation de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance.

    À ces facteurs sont associés quatre types de problèmes:

    •  La santé physique. Les itinérants souffrent très souvent de problèmes de santé physique reliés à leur mode de vie, dont ceux résultant de leurs nombreux déplacements, des excès de la température et de l’absence de conditions d’hygiène adéquates.

    •  La santé mentale. On estime que de 30% à 40% de la population itinérante éprouve des problèmes de santé mentale et que 10% souffre de maladies mentales sévères et persistantes.

    •  La dépendance à l’alcool ou aux drogues. L’alcoolisme et la toxicomanie sont largement associés à la vie itinérante. Ils peuvent être l’explication principale, la conséquence ou encore un facteur aggravant de la condition de la personne en situation d’itinérance. L’étude de Chevalier et Fournier (2001) révèle que 46% de cette population au Québec vit un problème lié à la consommation d’alcool ou de drogues. Les intervenants du milieu soulignent par ailleurs que le jeu pathologique est un problème de plus en plus répandu parmi les personnes en situation d’itinérance.

    •  Les problèmes découlant de la judiciarisation. Il est connu que l’augmentation de mesures d’infraction dans les espaces publics, conjuguée aux infractions liées à la mendicité, à la prostitution ou à la vente de drogue, constitue un facteur aggravant ayant pour effet d’accroître la judiciarisation des personnes sans abri.

    L’itinérance constitue l’expression extrême de la pauvreté. Pour les hommes et les femmes qui la vivent, elle est synonyme de grande précarité, d’isolement ainsi que d’absence de logements et de ressources. Les conséquences négatives qui en découlent sur le plan humain, social et économique affectent non seulement les personnes itinérantes elles-mêmes, mais la société dans son ensemble.

    C’est un processus de désaffiliation qui se traduit chez la personne par une multiplication de ruptures, d’impasses et de difficultés propices à la dégradation des liens sociaux et dont l’aboutissement est la rue.

    Elle s’explique par une combinaison de plusieurs facteurs qui s’inscrivent dans le parcours de vie d’une personne. Ces facteurs peuvent être à la fois des éléments déclencheurs ou des conséquences de l’itinérance. C’est la multiplication de ces facteurs qui contribue à la détérioration des liens sociaux, dont l’aboutissement ultime est l’itinérance.

    Cet ouvrage collectif est une synthèse des travaux de chercheurs qui travaillent dans un cadre interdisciplinaire. Le phénomène de l’itinérance est abordé de manière globale dans ses différentes facettes: la santé mentale, la criminalité, la dépendance, l’émergence dans les régions éloignées, sa spécificité dans le milieu autochtone, sa croissance chez les femmes, les processus qui amènent les personnes dans la rue et la vie quotidienne dans les refuges.

    Nous avons divisé ce livre en plusieurs parties décrivant l’approche théorique, la dimension du problème, la réalité anthropologique et territoriale ainsi que la réalité sociologique de l’itinérance. Nous exposerons d’abord les différentes problématiques abordées dans cet ouvrage, les analyserons en suggérant des pistes de solutions et d’interventions.

    Grâce au «réseau des ressources» (Roy et Hurtubise, 2008) qui soutient les personnes en situation d’itinérance, celles-ci peuvent être accueillies et aidées. Dans ce réseau, chacun trouve des réponses adaptées à ses besoins. Dans cette première partie et selon une approche théorique, Shirley Roy et Carolyne Grimard s’interrogent sur la problématique de la cohérence et sur les failles du système de la prise en charge des personnes à la rue. Les auteures formulent la question suivante: quelles sont les réponses actuelles à l’itinérance et sont-elles adaptées à la situation complexe des personnes qui vivent dans la rue? Elles proposent trois figures qui illustrent à la fois les caractéristiques des organismes et des services ainsi que la perception qu’en ont les itinérants qui vivent en refuge et y circulent. Ce sont le repère, le labyrinthe et le repoussoir.

    Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs évoquent les différents problèmes rattachés à l’itinérance, comme la santé mentale, la judiciarisation et les dépendances.

    Une part importante des personnes en situation d’itinérance sont affectées par des problèmes de santé mentale (Zerger, 2002; Rew et al., 2001). Par ailleurs, une très faible proportion des personnes présentant ces problèmes disent être suivies en psychiatrie ou en psychologie. Sarah Pakzad, Julie Ringuette et Saïd Bergheul remarquent que les problèmes de santé mentale sont des problèmes majeurs chez les itinérants. Ils dressent un portrait de ces problèmes au Canada et au Nouveau-Brunswick.

    Les personnes en situation d’itinérance présentent aussi des problèmes de santé physique particuliers, tels que des carences nutritives sévères, des problèmes de dermatoses, de parasites, d’hypothermie, de coups de chaleur ou de tuberculose (McQuistion et al., 2003). Malheureusement, cet aspect important de la question n’a pu être exploré dans cet ouvrage.

    Certains préjugés sur l’itinérance favorisent très souvent l’émergence dans la population d’un sentiment d’insécurité qui peut être renforcé par les comportements asociaux adoptés par les personnes vivant dans la rue. Ces personnes peuvent aussi se livrer à la prostitution, à la vente de stupéfiants et à différentes activités criminelles (Novac et al., 2006). L’itinérance a donc toujours été liée au phénomène du crime et de la délinquance. Saïd Bergheul et Sarah Pakzad s’interrogent sur les processus de criminalisation des itinérants. Contrairement à certaines idées reçues, les deux auteurs notent que les itinérants sont plus souvent les victimes que les auteurs de crimes.

    Les personnes en situation d’itinérance vivent fréquemment des problèmes de dépendance (Caton et al., 2000). La durée des épisodes d’itinérance est un facteur associé au passage à une dépendance qui peut devenir chronique. Jean-Pierre Bonin, Louise Fournier et Vincent Girard présentent dans leur chapitre les résultats d’enquêtes menées en France et au Québec. Ils décrivent la dépendance chez les sans-abri dans chaque population, puis comparent et analysent les résultats obtenus.

    La troisième partie expose une réalité territoriale et anthropologique de l’itinérance. L’itinérance est considérée comme une particularité des grandes métropoles; elle est cependant de plus en plus visible à l’extérieur des grands centres urbains (Cloutier et Lévesque, 2011; Lévesque et Cloutier, 2012). Stéphane Grenier, Saïd Bergheul et Oscar Labra traitent de l’itinérance vécue en collectivité éloignée. Ils s’interrogent sur les ressemblances entre l’itinérance urbaine et l’itinérance dans les collectivités éloignées. Ils dressent un portrait des services en itinérance dans la Vallée-de-l’Or.

    De plus en plus de personnes issues de communautés autochtones viennent grossir les rangs de la population itinérante des grandes villes (Gouvernement du Québec, 2009). Carole Lévesque, Anne-Marie Turcotte, Jean-Luc Ratel et Alexandre Germain présentent un travail sur la condition itinérante au sein de la population autochtone au Québec. Bien que le phénomène prenne de l’ampleur, très peu d’études sont consacrées au sujet. La portée géographique, les facteurs et les formes de la condition itinérantes chez les personnes autochtones sont décrits ici.

    Les intervenants observent que les immigrants représentent une proportion de plus en plus grande de la population itinérante (Chevalier et Fournier, 2001). Cette réalité très peu étudiée demande à être mieux documentée.

    La dernière partie de cet ouvrage aborde la réalité sociologique de l’itinérance. Nous nous y interrogeons sur les refuges pour les itinérants et les processus qui mènent les femmes vers la rue. Le travail qui est fait dans les refuges est nécessaire, puisqu’il assure la survie d’une population. Pourtant, ces refuges ne bénéficient pas des moyens suffisants pour bien effectuer ce travail (Roy et al., 2006; Simard, 2005). Carolyne Grimard décrit la prise en charge des femmes effectuée par les refuges, de leur arrivée au moment de leur sortie. Elle constate que les refuges ont pour vocation de recevoir une population de manière temporaire. Or, l’institution semble fidéliser les hommes dans les lieux et les y maintenir.

    Tous les facteurs examinés par ce collectif ne laissent aucun doute sur le caractère varié et complexe de la réalité des personnes itinérantes ou qui risquent de le devenir. En conséquence, la prise en charge exige un large éventail de ressources et de services. Les pouvoirs publics, les communautés et les citoyens doivent s’engager et se mobiliser pour lutter contre l’itinérance.

    Les hommes ont formé et forment encore aujourd’hui une part importante de la population itinérante. Les personnes qui interviennent sur le terrain observent toutefois que de plus en plus de femmes se retrouvent en situation d’itinérance, et ce, même si leur présence dans la rue est moins apparente (Conseil du statut de la femme, 2012). Marie-Christine Plante s’intéresse dans son texte à la question des jeunes femmes en situation d’itinérance et au processus de sortie de la rue. Elle nous fait part des résultats de son étude et nous explique comment se construit le projet de sortie de la rue, de même que le travail d’insertion résidentielle, professionnelle et sociale présent dans les trajectoires de femmes itinérantes.

    Nous osons croire que cet ouvrage intéressera les chercheurs, formateurs, étudiants, intervenants et citoyens qui auront une vision juste et objective du sujet, loin des stéréotypes et préjugés véhiculés par la société. Le message transmis par les auteurs de ce livre est un message de sensibilisation à l’adresse des décideurs et de la société en général concernant un problème qui prend de plus en plus d’ampleur.

    RÉFÉRENCES

    CATON, C.L.M., D. HASIN, P.E. SHROUT, L.A. OPLER, S. HIRSHFIELD, B. DOMINGUEZ et al. (2000). «Risk factors for homelessness among indigent urban adults with no history of psychotic illness: A case-control study», American Journal of Public Health, vol. 90, p. 258-263.

    CHEVALIER, S. et L. FOURNIER (2001). Enquête auprès de la clientèle des ressources pour personnes itinérantes des régions de Montréal-Centre et de Québec, 1998-1999, Québec, Institut de la statistique du Québec, vol. 1, coll. «Santé et bien-être», 131 p.

    CLOUTIER, E. et C. LÉVESQUE (2011). «Un regard autochtone urbain tourné vers l’avenir», Développement social, vol. 11, n° 3, p. 6-8.

    COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES DU QUÉBEC (2008). Le phénomène de l’itinérance au Québec, Québec, Assemblée nationale.

    CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (2012). Réflexion sur l’itinérance des femmes en difficulté: un aperçu de la situation, Québec, Gouvernement du Québec, 29 p.

    ENVIRONICS INSTITUTE (2010). L’étude sur les Autochtones vivant en milieu urbain, Toronto, Environics Institute, <http://www.uaps.ca/wp-content/uploads/2010/03/UAPS-report-FRENCH.pdf>, consulté le 19 mars 2015.

    FOURNIER, L., S. CHEVALIER, M. OSTOJ, M. CAULET, R. COURTEMANCHE et N. PLANTE (1998). Dénombrement de la clientèle itinérante dans les centres d’hébergement, les soupes populaires et les centres de jour des villes de Montréal et de Québec, 1996-1997, Montréal, Santé Québec, 5 p.

    GAETZ, S., J. DONALDSON, T. RICHTER et T. GULLIVER (2013). État de l’itinérance au Canada, 2013, Toronto, Réseau canadien de recherches sur l’itinérance, <http://www.homelesshub.ca/sites/default/files/SOHC2013_FR_0.pdf>, consulté le 17 septembre 2015.

    GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2009). Plan d’action interministériel en itinérance 2010-2013, Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Gouvernement du Québec.

    LAIRD, G. (2007). Shelter: Homelessness in a Growth Economy: Canada 21st Century Paradox, Calgary, Sheldon Chumir Foundation for Ethics in Leadership.

    LÉVESQUE, C. et E. CLOUTIER (2012). «Les Premiers Peuples dans l’espace urbain au Québec: trajectoires plurielles», dans S. Gervais, M. Papillon et A. Beaulieu (dir.), Les Autochtones et le Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 281-297.

    McQUISTION, H.L., M. FINNERTY, J. HIRSCHOWITZ et E.S. SUSSER (2003). «Challenges for psychiatry in serving homeless people with psychiatric disorder», Psychiatric Services, vol. 54, n° 5, p. 669-676.

    MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DU QUÉBEC (2014). Ensemble pour éviter la rue et en sortir. Politique nationale de lutte à l’itinérance, Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Gouvernement du Québec.

    NOVAC, S., J. HERMER, E. PARADIS et A. KELLEN (2006). Justice and Injustice: Homelessness, Crime, Victimization, and the Criminal Justice System, Toronto, Centre for Urban and Community Studies, University of Toronto, et The John Howard Society.

    REW, L., M. TAYLOR-SEEHAFER et M.L. FITZGERALD (2001). «Sexual abuse, alcohol, and other drug use, and suicidal behaviors in homeless adolescents», Issues in Comprehensive Pediatric Nursing, vol. 24, p. 225-240.

    ROY, É. et al. (2004) «Mortality in a cohort of street youth in Montreal», The Journal of American Medical Association, août 2004, vol. 292, n° 5.

    ROY, S. et R. HURTUBISE (2008). La lutte à l’itinérance. Une responsabilité collective qui nécessite un leadership de l’État, Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur l’itinérance, Montréal, CRI.

    ROY, S., D. MORIN, F. LEMÉTAYER et C. GRIMARD (2006). Itinérance et accès aux services: problèmes et enjeux, Montréal, Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale.

    SIMARD, M. (2005). Le système d’urgence sociale du pavillon Webster de la Mission Old Brewery, Rapport de recherche produit pour la Mission Old Brewery, Trois-Rivières, Mission Old Brewery.

    ZERGER, S. (2002). A Preliminary Review of Literature. Chronic Medical Illness and Homeless Individuals, Nashville, National Health Care for the Homeless Council.

    1.   Rapport déposé conjointement en 2013 par les organisations l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance et le Réseau canadien de recherches sur l’itinérance.

    APPROCHE THÉORIQUE SUR L’ITINÉRANCE

    L’AIDE AUX PERSONNES À LA RUE

    COHÉRENCE ET FAILLES D’UN SYSTÈME

    Shirley Roy et Carolyne Grimard

    Périodiquement, la question de l’itinérance refait surface dans les médias. Cela se produit généralement lors d’un événement dramatique qui met en jeu la vie de personnes vivant à la rue. Un de ces événements s’est produit au début de janvier 2012 lorsqu’un sans-abri a été abattu par un policier dans le métro de Montréal¹. Les médias traditionnels et électroniques ont été inondés de témoignages, d’analyses, de commentaires spontanés ou longuement réfléchis et documentés, de coups de colère et de propos cherchant à comprendre, excuser, décortiquer, examiner ce qui avait bien pu se passer. Qui est responsable? Y a-t-il un ou des responsables? Notre propos n’est pas de discuter de cet événement en soi, mais de saisir l’occasion pour tenter de comprendre cette situation complexe. Nous souhaitons par là réfléchir aux multiples modalités des réponses existantes, aux difficultés rencontrées dans la mise en place d’une diversité de services, à l’impuissance d’agir dans certaines circonstances et, enfin, aux propositions novatrices et à leur efficacité relative. Un article de La Presse titrait «Les sans-abri: peut-on les sortir de l’itinérance?» (Ouimet et Plante-Fréchette, 2012, p. A2-A3). Nous formulerions plutôt la question de la manière suivante: quelles sont les réponses actuelles à l’itinérance et sont-elles adaptées à la situation complexe des personnes qui vivent à la rue?

    Depuis plusieurs années, nous menons des travaux dans lesquels nous nous interrogeons sur les aides offertes aux personnes à la rue (Grimard, 2006; Roy et al., 2006; Roy et Morin, 2007; Roy et Hurtubise, 2008; Roy et Grimard, 2006; Grimard, 2011). Poursuivant cette recherche, nous nous proposons de discuter ici de la complexité des réponses possibles et satisfaisantes pour les personnes qui vivent en situation d’itinérance. Nous interrogerons aussi les enjeux relatifs à la pertinence des réponses offertes, en tenant compte des caractéristiques des personnes concernées par l’aide. Cela va de l’existence effective de ces aides aux conditions de leur accessibilité et à leur arrimage, en passant par la diversité des réponses proposées.

    À partir du constat que ce que l’on nomme communément le «réseau des ressources» pour les personnes itinérantes regroupe une diversité d’organismes communautaires et de services institutionnels, nous explorerons les différentes facettes et les divers sens qui apparaissent si l’on considère les organismes et les services eux-mêmes, mais aussi les caractéristiques des personnes qui y ont recours et les contextes de leur évolution. Il nous semble important d’interroger de nouveau ces différents sens qui rendent le réseau tantôt facilitant, tantôt contraignant, voire enfermant. Celui-ci a une existence qui va au-delà des bonnes volontés de chacun; des mécanismes se construisent et produisent des effets bénéfiques ou nuisibles dans le processus de prise en main et de sortie de rue, autant du côté des services que de celui des personnes visées.

    Dans ce texte, tout d’abord, nous verrons l’itinérance comme une condition de vie disqualifiée qui illustre l’envers des normes socialement valorisées. Puis nous reviendrons sur la configuration du «réseau des ressources» en interrogeant ses points forts et ses limites (Roy et al., 2006). Nous chercherons ensuite à voir, à travers différentes pratiques de recours à ce «réseau», les sens que celui-ci prend selon les réponses qu’il offre aux sans-abri: réseau repère, réseau labyrinthe ou réseau repoussoir, donc une diversité de sens liés à une diversité de trajectoires.

    La trame de ce texte, ou son fil conducteur, consiste à déterminer, à partir des réponses des personnes à la rue, comment les conditions permettent ou non à ce réseau d’atteindre ses objectifs: lutter contre l’itinérance et chercher à améliorer par divers moyens la vie des personnes qui vivent dans la rue. La situation complexe et compliquée des personnes en situation d’itinérance et de nouvelles données sur les refuges montréalais (Grimard, 2011) nous amènent à nous demander si, comment et à quel prix les objectifs initialement prévus peuvent s’actualiser, autant pour la société que pour les individus concernés.

    1. L’ITINÉRANCE, UN MODE DE VIE COMPLEXE

    Le terme «itinérance» a si largement pénétré le langage commun qu’on

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