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La paternité en contexte migratoire
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Livre électronique661 pages7 heures

La paternité en contexte migratoire

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À propos de ce livre électronique

Depuis plusieurs années, l’immigration a largement participé au renouvellement de la population québécoise. Même si une grande proportion de ces immigrants sont des pères, on connaît peu leur réalité au sein de la société d’accueil. Immigrer avec sa famille amène un ensemble de modifications sur les plans psychologique, social, culturel, familial, relationnel et économique. Il s’agit d’une transition nécessitant un ajustement important qui est fréquemment lié à une plus grande vulnérabilité.

Cet ouvrage collectif s'adresse aux chercheuses, aux chercheurs et aux personnes qui étudient ou travaillent dans le milieu de l'intervention. Il constitue une synthèse de travaux menés dans un cadre interdisciplinaire et vient combler un manque constaté de publications sur les pères immigrants. Le phénomène de la paternité en contexte migratoire est abordé selon différentes approches parmi lesquelles les processus identitaires chez les pères immigrants, le rôle paternel perçu par les enfants, la naissance d’un enfant en contexte migratoire, la violence conjugale ou encore la place du père sur le marché du travail. La pluralité des thématiques abordées par les autrices et les auteurs de ce collectif montrent que la paternité en contexte migratoire nécessite des forces et des ressources afin de s’adapter à une réalité complexe.
LangueFrançais
Date de sortie23 nov. 2022
ISBN9782760557758
La paternité en contexte migratoire

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    Aperçu du livre

    La paternité en contexte migratoire - Saïd Bergheul

    Introduction

    Regards croisés sur la paternité et l’immigration

    Saïd Bergheul et Jean Ramdé

    1.   L a paternité : conception, définition et évolution

    Au cours des 30 dernières années, un peu partout en Occident, la question des pères a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs dans le domaine des sciences humaines et sociales, de même que d’intervenants dans diverses spécialités. L’engagement paternel favorise le développement cognitif (Yogman, Kindlon et Earls, 1995), social (Harris, Furstenberg et Marmer, 1998) et psychologique (Flouri et Buchanan, 2003) de l’enfant. Le Québec a ainsi mis en œuvre, dans les années 2000, un ensemble d’interventions publiques visant à inscrire au cœur de ses actions la valorisation du rôle des pères et leur engagement auprès de leurs enfants (Ministère de la Famille et des Aînés, 2011).

    La famille traditionnelle, constituée d’un père sur le marché du travail à temps plein, marié à une femme qui procure les soins aux enfants et s’occupe des tâches domestiques, n’est donc aujourd’hui que l’un des types de familles. Par le passé, les rôles du père et de la mère étaient clairement différenciés. L’homme, en devenant père, endossait un rôle déjà établi, bien défini. La paternité étant une notion définie par la société, elle est continuellement en transformation. Pour comprendre le contexte de cette transformation, il est important d’explorer l’histoire de la famille. Nous sommes passés d’une époque où le père endossait presque uniquement le rôle de pourvoyeur, où il était peu présent dans la sphère privée, et où le lien biologique suffisait pour porter le statut de père, à une époque où l’engagement paternel est valorisé et où les dynamiques familiales sont différentes.

    Le premier constat qui émerge du dernier recensement canadien est qu’il y a eu une évolution des structures et des dynamiques familiales au cours des dernières décennies (Statistique Canada, 2016). Trois enfants sur dix vivent dans une famille monoparentale, dans une famille recomposée ou sans leurs parents. Près de deux enfants sur dix vivent au sein d’une famille monoparentale et un enfant sur dix vit au sein d’une famille recomposée. Environ 83 000 enfants âgés de 0 à 14 ans vivent sans leurs parents biologiques ou adoptifs. La proportion d’enfants vivant dans une famille monoparentale ou une famille recomposée augmente pendant l’enfance. Au Québec, il y a une forte hausse de la proportion d’enfants vivant dans une famille monoparentale ou une famille recomposée à mesure qu’ils avancent en âge.

    Nous assistons à une évolution des représentations du père pourvoyeur vers le père coparent (Pieck, 1997). Pleck et Stueve (2001) se sont basés sur le concept initial de la coparentalité de Cohen et Weissman (1984) pour libeller leurs propres formulations. Selon eux, la coparentalité est la notion où chaque parent s’investit en ce qui a trait à l’éducation et aux soins à l’enfant, où chaque parent valorise l’importance de l’autre parent, où chaque parent respecte le jugement de l’autre et où il existe une communication claire entre les deux parents. L’élément clé dans la notion de coparentalité est que ces rôles n’ont pas de genre. Bien que la reconnaissance de la paternité, pour une grande partie de l’histoire, ait été basée sur le critère fondamental du rôle de pourvoyeur, l’existence de ce nouvel idéal de coparent amène une réflexion à propos des rôles et des attentes du genre. Quéniart (2002) soutient cette idée et précise que l’expérience parentale apparaît aujourd’hui comme un arrangement à construire, en collaboration avec l’autre parent.

    La configuration variée de la famille d’aujourd’hui se développe particulièrement par les revendications des femmes pour l’égalité avec les hommes dans la sphère privée (divorce, contraception, tâches domestiques, etc.) et dans la sphère publique (vote, emploi, salaire, etc.) (Lacharité, 2009 ; Cabrera et al., 2000). Sous l’influence des facteurs sociaux et de la montée du féminisme, les pères participent davantage aux soins et aux activités liées aux enfants. L’activité accrue des femmes sur le marché du travail a également entraîné des modifications sur le plan des structures d’emplois des familles (Kent, 2009 ; Fox et al., 2013).

    Les travaux sur la paternité explorent divers objets d’études que l’on peut regrouper en quatre catégories distinctes selon Dubeau, Clément et Chamberland (2005), soit : 1) les études qui comparent les familles en fonction de la présence ou de l’absence du père (Walker et Hennig, 1997) ; 2) les études centrées sur l’évaluation des différences entre les comportements maternels et paternels (Hasting et Grusec, 1998 ; Pratt et al., 1999) ; 3) les études comparatives de différents groupes de pères (Pronovost et al., 1995) ; et enfin 4) les études qui adoptent une perspective systémique de la famille en analysant l’influence des différents sous-systèmes familiaux (Bouchard et Lee, 2000).

    Plusieurs chercheurs ont également tenté de déterminer les facteurs qui influencent un engagement plus élevé de la part des pères. Selon Turcotte et Gaudet (2009), les caractéristiques individuelles du père, son contexte familial et son contexte social auraient une incidence sur son niveau d’implication. Trois constats principaux concernant l’engagement paternel se dégagent de ces travaux : une augmentation continuelle de l’engagement paternel dans différentes sphères de responsabilités familiales (Pleck et Masciadrelli, 2004) ; les effets positifs de cet engagement pour les différents membres de la famille (Dubeau, Coutu et Lavigueur, 2007) et un engagement qui varie d’une famille à l’autre (Turcotte et al., 2001).

    Nous recensons très peu de recherches sur les typologies de la paternité. Certains chercheurs ont aussi conceptualisé la paternité en tenant compte des perceptions des pères, du sens qu’ils donnent à leur paternité. Ils ont développé des typologies qui appréhendent la paternité comme un phénomène social, historique et psychologique. Quéniart et Fournier (1994) et Quéniart (2004), se référant à leurs travaux auprès de pères et à la diversité des typologies proposées à ce jour dans les écrits, retiennent trois types récurrents dans les recherches sur la paternité : 1) le père traditionnel, dont le rôle est essentiellement de pourvoir aux besoins économiques de la famille et dont la relation avec l’enfant passe par l’entremise de la mère ; 2) le nouveau père, celui qui envisage la paternité comme une responsabilité à multiples aspects à partager avec la mère et qui favorise une relation directe avec l’enfant ; 3) le père entre deux repères ou le père assistant, qui privilégie son rôle de pourvoyeur, accorde à la mère la primauté dans les autres sphères de la parentalité et, en même temps, manifeste un intérêt pour développer une relation directe avec son enfant. Pour tenir compte de l’ensemble des pères, de ceux faiblement engagés jusqu’à ceux très engagés, Palm et Palkovitz (1988) considèrent deux autres catégories, soit les pères désintéressés et non disponibles et les pères qui assument seuls le rôle de parent. Donc, à partir de cinq idéaux types, des chercheurs (Ouellet, Milcent et Devault, 2006) ont aussi envisagé que les pères puissent se déplacer dans le temps sur ce continuum d’engagement selon la quantité de temps passé avec l’enfant, sans préciser cependant les motifs de ces déplacements.

    2.  Q uand la paternité croise l’immigration

    Le concept d’immigration est un phénomène de plus en plus courant à l’ère de la mondialisation (Booth, Crouter et Landale, 2012 ; Adams et Kirova, 2006 ; Antonucci, 2006). La migration a toujours attiré de nombreuses populations à la recherche d’une vie meilleure.

    La définition de la notion de pères immigrants a toujours posé de grandes difficultés aux chercheurs sur le terrain. On trouve, en sciences humaines et sociales, plusieurs définitions et approches de ce terme. La définition utilisée par les démographes aux États-Unis se résume ainsi : les pères immigrants sont les pères qui vivent avec leurs enfants à charge (biologiques ou par alliance), qui sont eux-mêmes nés en dehors du pays d’accueil et qui vivent avec une épouse née à l’étranger (Hernandez et Brandon, 2002). Cette définition peut aider les chercheurs à clarifier les besoins de leurs études particulières. L’origine nationale est sans doute l’aspect le plus important de la diversité des pères immigrants. Cette définition est acceptable, mais elle exclut certains sous-groupes qui pourraient être considérés comme des pères immigrants. Ces sous-groupes sont présentés et analysés par Auerbach et al. (2008).

    Les conséquences de l’immigration sur la paternité ont été très peu étudiées (Shimoni, 1991 ; Bergheul et al., 2018). La plupart des études considèrent l’immigration comme une transition complexe qui affecte la stabilité et la continuité des rôles familiaux. L’immigration contemporaine est un phénomène mondial qui modifie l’écologie sociale de sociétés entières (Kandel et Massey, 2002). L’importance de la famille dans l’immigration est essentielle (Rumbaut, 1997). De nombreuses études ont révélé que la motivation première des immigrants est d’offrir une meilleure vie à leurs enfants (Suárez-Orozco, 2001). Les familles ont tendance à se regrouper dans des communautés ethniques qui restent centrées sur la famille (Parrillo, 1991). Les familles offrent la sécurité et la confiance émotionnelles nécessaires pour soutenir les efforts de l’immigrant dans une culture nouvelle et potentiellement antagoniste.

    La plupart des études sur l’immigration se concentrent sur les conséquences négatives de l’immigration sur les familles et sur le rôle parental. Ainsi, l’immigration est principalement perçue dans la littérature comme une source de stress et un facteur de risque pour les familles et les enfants. Elle est également perçue comme un facteur qui mine la capacité du père à exercer sa fonction paternelle (Berry et al., 1987 ; Espin, 1992 ; Bourgois, 1998 ; Roer-Strier, 2001). Les facteurs de stress que le processus d’acculturation dans le pays d’accueil impose aux pères sont associés à une crise psychologique et culturelle, à la détérioration de la santé, aux difficultés sociales et à l’épuisement émotionnel et physique. Hernandez et McGoldrick (1999) affirment que l’immigration amorce un processus de changement et d’adaptation étendu dans tous les domaines de la vie d’un parent. Ces changements comprennent l’adaptation à un nouveau foyer, à un nouvel environnement social, à la langue, à la culture, au lieu de travail et à la profession. Cette perspective théorique du déficit met en valeur les effets négatifs de l’immigration sur les pères (Cabrera et Bradley, 2012).

    Dans une approche plus optimiste, on trouve une perspective théorique générative ou résiliente qui admet que l’immigration a, au contraire, des effets positifs sur la cohésion familiale et des bénéfices pour les enfants, car les pères sont plus engagés. Si certains pères immigrants priorisent leur rôle de pourvoyeur plutôt que la proximité avec leurs enfants, plusieurs études rapportent le développement d’une relation parentale plus intime après l’immigration entre le père, sa conjointe et ses enfants (Strier et Roer-Strier, 2010 ; de Montigny et al., 2015 ; Gervais et al., 2015).

    Malgré le nombre important de pères qui immigrent, il existe très peu d’études sur cette population ou sur les services qui leur sont offerts. Cet ouvrage collectif, qui vient combler ce manque, est une synthèse des travaux de chercheurs qui travaillent dans un cadre interdisciplinaire. Le phénomène de la paternité en contexte migratoire est abordé selon différentes approches : les processus identitaires chez les pères immigrants, le rôle paternel perçu par des enfants, la naissance d’un enfant en contexte migratoire, la violence conjugale, la place du père sur le marché du travail, le soutien des pères en contexte migratoire et en période prénatale et l’intervention auprès des pères immigrants.

    Cet ouvrage est divisé en quatre parties. Dans le premier chapitre, Jean Ramdé, Nebila Jean-Claude Bationo et Saïd Bergheul décrivent les différentes façons d’exercer la paternité dans différentes cultures. Ce chapitre explique les différentes modalités selon lesquelles les hommes participent à la vie de leurs enfants et les répercussions des différents niveaux d’implication paternelle sur le développement des enfants dans différentes communautés culturelles. La suite de la première partie expose les enjeux identitaires des pères en contexte migratoire. Dans ce contexte, Saïd Bergheul, Nebila Jean-Claude Bationo, Jessica Godin, Tano Hubert Konan et Jean Ramdé présentent, dans le deuxième chapitre, une étude menée sur des pères immigrants installés au Québec. L’approche méthodologique qualitative adoptée par l’étude permet d’approfondir l’influence de l’immigration sur les fonctions et les engagements paternels à partir de la perception des pères interviewés. Cette étude est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Quatre objectifs précis sont visés : décrire les perceptions de la paternité ; comprendre et décrire l’influence de l’immigration sur les rôles et les engagements paternels ; déterminer les facteurs favorables et les facteurs nuisibles à l’engagement paternel ; documenter les perceptions des pères immigrants au regard de l’éducation de leur enfant.

    Dans les années 1970, de nombreuses familles maghrébines immigrantes en France, isolées et déstabilisées face à la culture d’accueil, tentent de se réorganiser. Cette situation amène les auteures du chapitre 3 à poser de nombreuses questions : lorsque l’héritage culturel est remis en cause, comment un jeune parent construit-il son identité de père ? Les angoisses générées par le manque de repères culturels fiables entraînent-elles un repli sur la culture d’origine ou un rejet de celle-ci ? Le dépassement de ces angoisses permet-il une construction harmonieuse et personnalisée de l’identité de père entre les deux cultures ? Myriam Kettani et Majda Lahrichi proposent de retracer le parcours transgénérationnel de l’identité paternelle en contexte d’immigration maghrébine en France. Dans le chapitre 4, Fabienne Berton, Marie-Christine Bureau et Barbara Rist analysent des figures de pères récemment immigrés en France, non pas à partir de leur parcours de migration, mais au regard des transformations contemporaines de la famille marquées par le déclin du patriarcat et l’émergence de nouvelles formes d’engagement paternel. Elles observent de multiples formes novatrices d’engagement paternel, qui vont d’un partage plus égalitaire du travail domestique et des soins aux enfants à la définition de rôles inédits. Ce travail exploite les données d’une recherche financée par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) de France et mobilise une vingtaine d’entretiens auprès de familles dont les pères ont récemment immigré.

    Le contexte d’immigration demande une réorganisation des rôles selon les nouveaux besoins éprouvés par la famille. Lors de cette recherche d’équilibre dans la famille, l’une des modifications importantes est le rôle parental des enfants plus âgés. Par exemple, en cas d’absence prolongée du père à la suite de la réunification familiale retardée, certains enfants se retrouvent responsables de tâches habituellement attribuées aux pères. Lorsque le père arrive, reprendre son rôle dans une famille qui a trouvé les moyens de fonctionner sans lui devient un défi. Le chapitre 5, proposé par Assumpta Ndengeyingoma et Maria Helena Jacob, permet de comprendre les éléments influençant la redéfinition de l’identité paternelle en les structurant autour de la dimension d’intégrité, de continuité et d’interactivité. Dans le chapitre 6, Odile Baudot Pinaton présente le fruit d’une recherche universitaire qualitative sur les enjeux intrapsychiques et intersubjectifs de pères originaires d’Afrique centrale au contact de la culture française. La pratique de psychologue de l’auteure de ce chapitre auprès des parents et des familles dans divers contextes a, durant les 15 dernières années, nourri sa réflexion sur le caractère incontournable d’un travail régulier de communication, d’information, d’échange et de débat avec les pères immigrants.

    La deuxième partie de ce livre présente la relation père-enfant comme un levier important d’intégration. Le chapitre 7 de l’ouvrage, élaboré par Nebila Jean-Claude Bationo, Jean Ramdé et Simon Larose, a pour objectif de décrire l’engagement des pères en situation d’immigration et les facteurs susceptibles d’influencer cet engagement. À travers un questionnaire sur l’engagement paternel et un questionnaire sociodémographique, les auteurs ont recueilli les données auprès de 86 pères provenant d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de l’Amérique latine. Les résultats montrent qu’en général, les pères immigrants ont un niveau d’engagement élevé auprès de leurs enfants. Cependant, cet engagement varie selon les dimensions, et quelques caractéristiques du père et de l’enfant sont susceptibles de l’influencer.

    L’objectif du chapitre 8, présenté par Christine Gervais, Isabel Côté, Renée-Pier Trottier-Cyr et Francine de Montigny, est de décrire les représentations qu’ont les enfants immigrants de leur relation avec leur père et les transformations de cette relation au cours du processus migratoire. Les résultats mettent en lumière les représentations des enfants au sujet du rôle paternel, leur compréhension de l’engagement de leur père dans leur vie, ainsi que sa contribution à leur adaptation au processus migratoire. Ces résultats contribuent à l’avancement des connaissances sur les représentations des enfants immigrants quant à l’engagement paternel et à son importance pour leur adaptation.

    La troisième partie analyse les défis qui attendent les pères immigrants. Les couples qui vivent l’immigration, puis la naissance d’un enfant font face à de nombreux changements de rôles, de relations et de valeurs, encore méconnus, qui peuvent se répercuter sur la relation conjugale. Le chapitre 9, rédigé par Lori Leblanc, Christine Gervais et Francine de Montigny, s’intéresse aux modifications de la relation conjugale après l’immigration et la naissance d’un enfant. Des entrevues qualitatives réalisées auprès de huit pères immigrants permettent de déterminer les changements vécus par les pères et les enjeux qu’ils rencontrent dans l’intégration de leur rôle de parent et de conjoint.

    L’expérience de la migration entraîne de profondes mutations, se traduisant par un changement des rôles et des statuts au sein du couple. L’homme, perdant son statut de pourvoyeur en raison de la transition migratoire, peut remettre en question son autorité sur son épouse et ses enfants. De plus, la promotion de l’égalité entre les sexes et du droit des enfants est ressentie par certains hommes immigrants comme une perte de leur pouvoir. Fanta Fané et Marie Beaulieu abordent le chapitre 10 de ce livre avec le titre « La violence conjugale et familiale en contexte migratoire : lorsque l’autorité du père est remise en question ». Les auteures se questionnent sur la possibilité qu’une perte d’autorité implique une situation de violence familiale.

    En partant d’une étude qualitative et longitudinale auprès d’une trentaine de familles habitant dans un même quartier classé « zone urbaine sensible » en banlieue parisienne, Zineb Rachedi, dans le chapitre 11 de l’ouvrage, s’intéresse à la transmission de la valeur « travail » en France, dans un contexte économique marqué par le chômage et la précarité. Sur le plan méthodologique, des jeunes interrogés classent leurs familles en plusieurs catégories : les « familles traditionnelles » sont celles où le père travaille et la mère est au foyer, les « familles aisées » sont celles où les deux parents travaillent, les « familles pauvres » sont celles où aucun des deux parents ne travaille, les « familles éclatées » sont celles où la mère occupe un emploi salarié, tandis que le père est au chômage. C’est à cette dernière catégorie de famille, et plus particulièrement aux pères qui la composent, que s’intéresse ce chapitre.

    La dernière partie traite du soutien à apporter aux pères immigrants. Le chapitre 12, développé par une équipe composée de Francine de Montigny, Tamarha Pierce, Deborah da Costa, Christine Gervais, Caroline René et Paméla Hamel-Hilareguy présente une étude longitudinale menée auprès de 320 pères, incluant 73 pères immigrants de première génération (arrivés au Canada après l’âge de 16 ans), qui confirme le plus faible soutien social des pères immigrants et en examine les conséquences sur leur bien-être. Les résultats sont complétés de données qualitatives recueillies auprès de 20 pères immigrants, qui permettront d’apporter des précisions sur l’aide qui peut être offerte aux hommes immigrants par le réseau officiel (p. ex. services de santé) et par le réseau non officiel en période périnatale.

    L’évaluation de l’incidence de Relais-Pères au Québec démontre la pertinence de cette approche de proximité, qui mise sur l’accompagnement pour joindre les pères immigrants dans leur milieu naturel, leur offrir une présence et un soutien continus, leur faire connaître les ressources du milieu et favoriser leur participation sociale. Le chapitre 13, rédigé par Diane Dubeau, Geneviève Turcotte et Miguel Salmon, se penche sur les résultats obtenus pour 21 des 40 études de cas réalisées pour l’évaluation d’impact, qui concernaient un contexte d’immigration récente des familles. L’approche qualitative des entrevues réalisées auprès des pères et des intervenants illustre la diversité des types d’accompagnement réalisés et les effets perçus dans les différentes sphères de vie de ces pères.

    Les intervenants appelés à travailler auprès des pères immigrants peuvent vivre des expériences déstabilisantes, être heurtés dans leurs valeurs, de façon plus ou moins consciente, au risque de susciter de la méfiance mutuelle et de nuire à la relation intervenant-père immigrant. Dans le dernier chapitre, Stéphane Hernandez propose d’analyser certains facteurs qui sont en jeu dans cette relation. Muni d’une longue expérience sur le terrain, l’auteur cherche d’abord à saisir ce qui constitue, au Québec, un bon père de famille, et comment la représentation de celui-ci s’est construite au fil des dernières décennies. Il se penche ensuite sur les pères immigrants traditionnels, notamment sur les enjeux d’adaptation culturelle auxquels ceux-ci font face. Quelques aspects du contre-transfert chez l’intervenant sont présentés. La description de différentes situations cliniques vient ensuite illustrer le choc culturel. Enfin, un outil est présenté et plusieurs recommandations sont émises afin que le choc culturel constitue non pas un frein à l’intervention, mais plutôt l’occasion d’une véritable rencontre. La conclusion recense les différentes problématiques soulevées dans ce collectif et détermine des pistes de réflexions et d’interventions.

    Nous espérons que cet ouvrage saura intéresser les chercheurs, formateurs, étudiants, intervenants et citoyens, qui auront une vision juste et objective du sujet. Le message transmis par les auteurs de ce collectif est un message de sensibilisation à l’adresse des décideurs et de la société en général concernant les possibilités d’offrir, dans l’avenir, plus de services spécialisés aux pères immigrants afin de favoriser une meilleure intégration des familles immigrantes dans les pays d’accueil.

    Bibliographie

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    Partie

    1

    Les enjeux identitaires des pères en contexte migratoire

    Chapitre

    1

    Culture et paternité

    La culture définit-elle le rôle et l’engagement paternels ?

    Jean Ramdé, Nebila Jean-Claude Bationo et Saïd Bergheul

    Les perspectives culturelles de la paternité suscitent l’intérêt de chercheurs de différentes disciplines afin de comprendre les processus de socialisation familiale. Un défi majeur pour les chercheurs et les intervenants est relatif au rôle du père dans le développement de l’enfant et les divers types d’engagements dans différentes cultures.

    Lamb (2004) définit cet engagement paternel comme : 1) le temps consacré par le père aux interactions directes avec l’enfant, de nature ludique, affective et sociale ; 2) la disponibilité du père à l’enfant ; 3) la responsabilité assumée par le père dans le soin et l’éducation des enfants et dans le partage des tâches parentales. De manière générale, deux formes d’engagement paternel s’observent dans les interactions père-enfant : d’une part, un engagement direct caractérisé par les soins, l’autorité et le jeu et, d’autre part, un engagement indirect caractérisé par le rôle de pourvoyeur envers l’enfant et la mère. Selon les cultures, l’une ou l’autre forme sera davantage favorisée.

    Dans certaines sociétés, comme la société Moaga au Burkina Faso, seule la filiation agnatique est généralement prise en considération, c’est-à-dire que l’enfant appartient toujours au père (Badini, 1994). Dans ce contexte, l’enfant relève socialement de la famille du père. Cependant, l’engagement du père envers son enfant est plutôt indirect, d’après les observations des anthropologues. Il y a certes des études sur la conception des enfants en Afrique, leur évolution dans le milieu naturel et leur processus de socialisation. Ces études ont été réalisées par des anthropologues, des ethnologues et, surtout, des sociologues (Badini, 1994 ; Erny, 1987, 2001). Toutefois, les études systématiques sur la paternité ne sont pas encore très développées dans ces sociétés. Quelques recherches sur ce thème ont été menées en Afrique centrale, plus particulièrement au Cameroun (Dubeau, Devault et Forget, 2009 ; Hewlett, 2004 ; Paquette, 2012). Cependant, elles sont encore embryonnaires comparativement aux nombreuses études sur la paternité dans les sociétés occidentales (Lamb, 2004 ; Hewlett, 1992). Or, la paternité chez les humains, tout comme dans le règne animal, n’est pas un phénomène unique et uniforme. « Les proscriptions culturelles et sociétales s’entremêlent avec les situations et les croyances personnelles pour créer différents modèles de comportements paternels » (Adamsons, 2016, p. 1). Le rôle et l’engagement du père deviennent de plus en plus des thèmes importants dans les recherches en Occident. Les études dans ces sociétés ont pu établir les différents facteurs qui favorisent l’engagement paternel. Une revue de littérature de Turcotte et al. (2001) nous renseigne sur ces facteurs, notamment les caractéristiques du père, du noyau familial et de l’environnement socioéconomique. Si les facteurs qui influencent l’engagement paternel sont différents d’une culture à l’autre, on observe un certain nombre de points communs quant au rôle du père à travers les cultures. Par exemple, les pères donnent moins de soins directs que les mères, sauf chez les Aka en Afrique centrale où il est courant qu’un père s’occupe de son enfant autant que la mère (Hewlett, 2000). Dans la majorité des cas, il est du rôle du père d’offrir un soutien économique à ses enfants et d’appuyer les mères économiquement et émotionnellement. Cependant, la disparité est grande quand nous changeons de milieu culturel. Dans certaines cultures, l’engagement paternel, tel que conçu en Occident, est très faible.

    Les objectifs du chapitre sont d’exposer l’importance de l’engagement paternel, le concept de culture et les facteurs qui influencent l’engagement paternel à travers les cultures, ainsi que la nature de l’engagement paternel et la paternité en situation migratoire. Il ne s’agit pas dans ce chapitre de faire des jugements de valeur de la paternité dans les autres cultures, mais plutôt de comprendre la conception de la paternité dans d’autres communautés. Il est question de déterminer les forces de ces différentes paternités dans les autres cultures et de s’en servir comme levier d’intervention¹.

    1.   L ’importance et les conséquences de l’engagement paternel

    De nos jours, il est démontré que le père est tout aussi essentiel que la mère au développement socioaffectif, physique et cognitif de l’enfant dès la naissance. Les réactions d’attachement et l’angoisse de la séparation existent pour le père comme pour la mère (Lamb, 2004 ; Le Camus, 2000). Selon Le Camus (1998), si nous considérons l’ensemble des travaux des dernières années, les pères peuvent figurer comme objet d’attachement au même titre que les mères. Ils peuvent être « comme des partenaires du bébé, émotionnellement compétents » (Ramdé, 2015, p. 4).

    Plusieurs auteurs (Lamb, 2010 ; Le Camus, 2000 ; Pleck, 2010) estiment qu’à l’état actuel des connaissances acquises sur le père et le développement de l’enfant, des preuves substantielles démontrent que les nourrissons peuvent former des attachements aussi bien avec la mère qu’avec le père, à peu près au même moment pendant la première année de vie. Le père joue un rôle très important dans le développement socioaffectif de l’enfant (Lamb, 2010).

    L’engagement paternel a des effets certains sur le développement cognitif et socioaffectif de l’enfant (Lamb, 2004). Sur le plan cognitif, ces effets sont perceptibles dès l’âge de 6 mois. Par exemple, le jeune enfant dont le père est engagé obtient un score plus élevé sur les échelles du développement, démontre des capacités cognitives plus élevées, est capable de mieux résoudre les problèmes et obtient un score aux tests du quotient intellectuel (QI) plus élevé. On note également chez cet enfant une scolarité plus linéaire. Ces conséquences positives de l’engagement paternel peuvent légèrement varier en fonction du sexe de l’enfant. Les garçons, en particulier, ont de ce fait une meilleure carrière professionnelle, notamment parce que leur désir de réussite ne serait pas entravé par une trop grande fermeture (autoritarisme) ou par trop d’ouverture (coopératisme). Sur le plan socioaffectif, l’engagement paternel permet aux enfants d’être plus confiants dans leurs capacités, d’être plus responsables et d’échanger plus facilement avec les adultes et les pairs dès l’âge préscolaire. L’engagement paternel a aussi été associé à une satisfaction globale chez l’enfant et à une diminution des risques de dépression, de détresse émotionnelle, d’expression d’émotions négatives – comme la peur et le sentiment de culpabilité –, de problèmes comportementaux et de détresse psychologique. Le paradigme de l’engagement et du rôle paternels devient de ce fait incontournable dans l’étude du développement socioaffectif et cognitif de l’enfant, d’autant plus que le père peut y figurer à titre de compagnon, donneur de soins, protecteur, modèle, guide moral, instructeur et pourvoyeur (Lamb, 2010).

    Deux formes d’engagement paternel s’observent dans les interactions père-enfant : un engagement direct caractérisé par les soins, l’autorité et le jeu. Un engagement indirect caractérisé par le rôle de pourvoyeur de ce dont l’enfant et la mère ont besoin pour survivre. Selon les cultures, une forme sera plus favorisée que l’autre.

    2.   L e concept de culture

    Selon Hofstede, Hofstede et Minkov (2010), la culture est la programmation collective de l’esprit humain qui permet de distinguer un groupe d’individus d’un autre. La culture détermine des manières de penser, de sentir, de communiquer, de produire des objets concrets. Elle est acquise, transmise par des codes, des symboles : langue, gestes, expressions, etc. Les fondements de la culture sont constitués de mythes, de croyances et de toutes les valeurs qui leur sont attachées (Hofstede et al., 2010). Plusieurs auteurs se sont intéressés à la relation entre la culture et le comportement (Troadec, 2007 ; Vinsonneau, 1999 ; Berry, 2008 ; Hewlett et Macfarlan, 2010 ; Harkness, Super et Keefer, 1992 ; Boesch, 1995). Suivant une approche constructiviste, Boesch (1995) estime que la culture est un champ d’action dont le contenu s’étend sur des objets faits et utilisés par les êtres humains jusqu’aux institutions, aux idées et aux mythes. La culture offre des possibilités d’actions, mais définit également des conditions ; elle circonscrit des objectifs et les moyens pour les atteindre, mais elle trace également des limites pour les actions correctes, possibles et même déviantes. La relation entre les contenus matériels et idéatoires du champ culturel d’action est d’ordre systémique ; autrement dit, des transformations dans une partie du système peuvent entraîner des répercussions dans d’autres parties. En tant que champ d’action, la culture induit et contrôle l’action, mais comme elle est aussi continuellement transformée par celle-ci, la culture est autant un processus qu’une structure. La culture est donc dynamique et non statique. L’implication du père étant une action, dans l’approche de Boesch, la culture définit ce que sont l’engagement et le rôle paternels et les conditions d’exercice de ces actions. La culture a sans nul doute une influence sur l’investissement que les pères ont à l’égard de leurs enfants (Super et Harkness, 1986, 1999). Pour comprendre les facteurs qui influencent le rôle du père, il faut d’abord comprendre les conditions de vie des parents, les habitudes alimentaires, le travail et la relation du père avec son enfant, en un mot, la culture du groupe d’appartenance du père. Les contextes dans lesquels les pères sont censés prendre soin de leurs enfants et les croyances que les pères ont au sujet de leur paternité comme telle ont une influence sur la forme d’engagement paternel.

    3.   L a culture et l’engagement paternel

    Selon Hewlett (1992, 2000, 2004) et Hewlett et Macfarlan (2010), l’engagement paternel diffère d’une culture à l’autre. L’engagement du père varie selon les conditions socioéconomiques et les objectifs d’éducation de la société. Dans une société où la survie est une préoccupation quotidienne, le père aura accompli sa mission s’il est capable de nourrir la mère et les enfants, d’assurer la sécurité de la famille. Le bon père sera celui qui protégera toute la famille des dangers éventuels. Les rôles des pères sont ceux de pourvoyeur et de protecteur.

    Dans un contexte comme celui de l’Occident en 2022 où la survie n’est plus un défi quotidien, le bon père sera celui qui se montrera chaleureux et proche émotionnellement de son enfant (Pleck, 2010). Ce père soutiendra la mère dans les soins directs donnés à l’enfant. Cette différence de contexte rend une comparaison interculturelle très difficile.

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