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Perspectives internationales sur la gestation pour autrui: Expériences des personnes concernées et contextes d'action
Perspectives internationales sur la gestation pour autrui: Expériences des personnes concernées et contextes d'action
Perspectives internationales sur la gestation pour autrui: Expériences des personnes concernées et contextes d'action
Livre électronique623 pages8 heures

Perspectives internationales sur la gestation pour autrui: Expériences des personnes concernées et contextes d'action

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À propos de ce livre électronique

Parmi les techniques de reproduction assistée, la gestation pour autrui (GPA) – également appelée « maternité de substitution » – demeure sans contredit la plus controversée. Les discours sur le sujet, qu’ils apparaissent dans des médias, des manifestations publiques ou des écrits savants, révèlent souvent des positions clivées et dichotomiques. Il est ainsi peu fréquent d’entendre la voix des personnes directement concernées par le sujet, soit celle des personnes qui réalisent leur désir d’avoir un enfant par GPA ou celle des femmes porteuses.

À partir de recherches empiriques conduites dans différents contextes sociolégislatifs, le présent ouvrage fait état des débats qui entourent la pratique de la GPA. Le lecteur y découvrira comment cette pratique interroge les normes de parenté et de genre de même que la construction de la maternité. Il n’y trouvera pas un portrait exhaustif – pas plus que l’expression de positions idéologiques en faveur ou en défaveur de la GPA –, mais plutôt le témoignage inédit de différents acteurs, qu’il s’agisse de parents, de femmes porteuses, d’intervenants médicaux œuvrant dans des services de reproduction assistée, de groupes militants associatifs dont l’action vise la reconnaissance juridique de la pratique dans leur pays d’origine ou encore de magistrats ayant à statuer sur la filiation d’enfants nés dans un contexte où la GPA est interdite.

Étudiant, professeur, chercheur, intervenant ou quiconque s’intéresse à la famille et à la procréation assistée trouvera ici un accès privilégié aux diverses dimensions sociales de la GPA.
LangueFrançais
Date de sortie28 févr. 2018
ISBN9782760548909
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    Aperçu du livre

    Perspectives internationales sur la gestation pour autrui - Isabel Côté

    PENSER LA GESTATION POUR AUTRUI À PARTIR DES EXPÉRIENCES VÉCUES

    UN ANCRAGE EMPIRIQUE ET MULTIDISCIPLINAIRE

    Isabel Côté, Kévin Lavoie et Jérôme Courduriès

    Bien qu’elle compte comme une pratique marginale au regard des autres techniques de procréation assistée, la gestation pour autrui (GPA) demeure la plus controversée. Pour les uns, cette pratique apparaît d’autant plus répréhensible qu’elle cautionnerait la marchandisation du corps des femmes, tout en chosifiant les enfants en biens de consommation (Agacinski, 2009; de Koninck, 2015). Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer cette technique comme vecteur de domination masculine, les répercussions nocives de leur usage sur le corps des femmes, l’emprise médicale et les dérives potentielles sur le plan moral (Agacinski, 2009; Fabre-Magnan, 2013; Vandelac, 1987). D’aucuns y voient le recul de l’apport des femmes dans l’engendrement alors que leur potentiel reproducteur est asservi au désir d’enfant exprimé par autrui (de Koninck, 2015). Il s’agirait là d’un «rapport de servitude humaine qui ne peut que susciter l’indignation» (Comité consultatif sur le droit de la famille, 2015, p. 170). Cette association entre instrumentalisation des femmes et GPA est d’autant plus conséquente qu’elle est basée sur une représentation de la maternité qui est indivisible, à savoir que la conception, la gestation, l’accouchement et l’éducation d’un enfant sont considérés comme un tout (Gaille, 2016). Le libre marché et la mondialisation de l’économie néolibérale capitaliste seraient au fondement même de cette industrie déshumanisante pour les femmes, concourant à les réduire à de la marchandise procréative (Ekman, 2013; Lafontaine, 2014; Lange, 2014). Les conditions socioéconomiques historiquement défavorables aux femmes favoriseraient le maintien de la pratique (Roman, 2012). C’est pourquoi, de ce point de vue, nul ne peut prétendre au consentement éclairé des femmes qui s’impliquent dans un processus de GPA puisqu’il est basé sur un rapport d’inégalité économique.

    Pour les autres, l’agentivité des femmes qui acceptent de porter un enfant pour le compte d’autrui et les avantages qu’elles en tirent ne peuvent être évacués de l’analyse (Bureau et Guilhermont, 2011). La GPA recèlerait alors un potentiel permettant l’émancipation des femmes, ou du moins, une appropriation de leur corps et de leurs choix reproductifs qui correspond à leur volonté personnelle (Busby et Vun, 2010; Iacub, 2004; Teman, 2010). Dans certains contextes, porter un enfant pour le compte d’autrui amènerait des femmes à renégocier leur place et leur rôle dans leur propre réseau de parenté et produirait aussi des changements de perspective quant à la nature de la contribution féminine à la procréation et à l’établissement des liens de parenté (Pande, 2014). En ce sens, ne pas tenir compte de leurs motivations profondes et de leur sentiment d’accomplissement participe à l’infantilisation des femmes porteuses, tout en niant leurs regards singuliers sur la pratique (Delaisi de Parseval et Depadt-Sebag, 2010). Certains chercheurs plaident d’ailleurs pour une GPA éthique (Merchant, 2012) et féministe (Ainsworth, 2014) du moment que son encadrement soit à l’avantage – y compris en termes de rétribution – des femmes qui agissent comme gestatrice. La rétribution de ces femmes constitue la principale pierre d’achoppement des débats sur la GPA. Pour le philosophe Ruwen Ogien, le fait d’associer la rémunération des femmes porteuses à de la vente d’enfant ne constitue rien de moins qu’une enflure rhétorique. Comme l’explique Ogien (2016, p. 18), la femme porteuse, lors de la remise de l’enfant aux parents d’intention, ne leur «transfère pas des droits d’utiliser l’enfant comme un objet, ou de le traiter comme un esclave, mais des devoirs d’éducation et de protection». Pour l’auteur, la notion de marchandisation, trop souvent galvaudée et d’application sélective, sert principalement à justifier l’exclusion de certaines pratiques, principalement dans les sphères familiales et sexuelles au nom de principes conservateurs ou religieux qui ne disent pas leur nom.

    DES PRÉCISIONS SÉMANTIQUES ET CONCEPTUELLES

    La controverse entourant la GPA se répercute sur les termes utilisés pour la désigner. À cet effet, Löwy, Rozée Gomez et Tain (2014) soulignent à quel point la sémantique joue un rôle important dans le débat entourant la pratique de la GPA et les femmes qui y participent. Deux positions s’opposent: d’une part, celle liant la pratique à la maternité (Langevin, 2012; Comité consultatif pour le droit de la famille, 2015), d’autre part, celle l’associant à une assistance à la reproduction (Bureau et Guilhermont, 2010), voire un don de gestation (Delaisi de Parseval et Depadt-Sebag, 2010; Théry, 2010). Les tenants de la première position privilégient le recours à l’expression mère porteuse et ses dérivés (maternité de substitution, maternité pour autrui) de façon à mettre en avant le rôle joué par la femme, de même que tous les risques associés à la grossesse, à l’accouchement et les conséquences psychologiques éventuelles liées à la remise de l’enfant aux parents d’intention (Conseil du statut de la femme, 2016; Langevin, 2010; Neirinck, 2013). Pour d’autres, le recours à la maternité pour qualifier la pratique implique, faussement, l’abandon maternel d’un enfant au profit de tiers et participerait d’une certaine mythification des liens entretenus entre la femme et l’enfant à naître durant la grossesse. C’est pourquoi les personnes concernées privilégient plutôt les expressions gestation pour autrui, procréation pour autrui, gestatrice ou encore femme porteuse (Bureau et Guilhermont, 2010; Côté et Sauvé, 2016; Delaisi de Parseval et Depadt-Sebag, 2010). S’il ne s’agit aucunement de minimiser le rôle unique joué par ces femmes, les termes gestation pour autrui, gestatrice et femme porteuse ont le mérite, pour les tenants de cette position, de respecter la façon dont ces femmes se représentent elles-mêmes leur rôle (Mehl, 2008) «qui bien que fondamental et unique, n’est en aucun cas celui de parent lorsqu’elles entrent dans un tel arrangement» (Bureau et Guilhermont, 2010, p. 46). Davantage marginale et polémique, l’expression location d’utérus met de l’avant l’idée d’exploitation de la femme et de son corps, qui serait prise dans une relation où elle est nécessairement exploitée par une ou plusieurs personnes, parfois qualifiées de proxénètes de l’utérus. Selon ce point de vue, la pratique s’inscrit inévitablement dans un système néolibéral d’exploitation allant nécessairement à l’encontre des intérêts de la femme qui porte un enfant pour le compte d’autrui (Ekman, 2013). Cette polysémie définitionnelle de la pratique se retrouve chez les auteures et auteurs du présent ouvrage qui utilisent différentes expressions, témoignant ainsi de leur posture personnelle différenciée.

    Peu importe la position des acteurs sur le sujet, Kroløkke, Foss et Sandoval (2010) remarquent que la GPA est un sujet épineux, et que le pouvoir décisionnel des femmes en matière de procréation est toujours un motif de controverses. Ce phénomène illustre les mises en tension provoquées par les projets parentaux de couples infertiles ou inféconds à l’aide de tierces reproductrices. D’une part, leur désir d’enfant est disqualifié et assimilé à une manifestation d’un «droit à l’enfant» (Comité consultatif sur le droit de la famille, 2015). D’autre part, leur projet parental est réduit à une survalorisation des liens biogénétiques dans l’apparentement (Courduriès et Herbrand, 2014) ou à une démonstration de l’injonction à la maternité que subissent les femmes, y compris celles ne pouvant procréer sans l’intervention de tiers (Almeling, 2009; Roman, 2013). Pourtant, plusieurs recherches présentées dans cet ouvrage témoignent, dans un certain nombre de contextes, du lien amical, voire sororal, existant entre la femme porteuse et la mère d’intention alors que ces deux femmes partagent une expérience de solidarité féminine (voir le chapitre de Teman); d’autres démontrent que les parents d’intention maintiennent les contacts avec la femme porteuse, et ce, des années après la naissance de l’enfant (voir les chapitres de Côté et Sallafranque St-Louis, de Courduriès et de Gross). Les couples privilégient également le recours à la même femme pour la naissance d’un deuxième enfant, ce qui témoigne des liens familiaux et relationnels tissés entre les protagonistes. En ce sens, la GPA s’inscrit comme une véritable pratique de parenté (Courduriès, dans le présent ouvrage).

    DES ARRANGEMENTS LOCAUX À L’ÉMERGENCE DE CIRCUITS TRANSNATIONAUX

    La GPA s’inscrit résolument dans la mondialisation des échanges et de la mobilité des personnes, puisque son usage ne se limite plus uniquement à l’enceinte du pays des bénéficiaires et des femmes impliquées à titre de tierces reproductrices. De fait, dans les situations où la femme porteuse est ressortissante d’un pays différent de celui des parents d’intention qui retourneront, une fois l’enfant né, dans leur pays de résidence pour l’y élever, le recours à la GPA est transnational et transcontinental. La portée internationale de la GPA sous-tend généralement une dimension commerciale, les intermédiaires privés étant alors responsables d’orchestrer chaque étape du processus transnational de procréation.

    Plusieurs motifs sont évoqués par les couples qui choisissent de se tourner vers l’international pour concrétiser leur projet parental par GPA afin de justifier leur décision (Löwy et al., 2014). Outre les interdictions légales concernant l’accès ou la disponibilité de la GPA comme technique de procréation assistée dans le pays d’origine des parents d’intention, l’aspect financier et la fiabilité des soins dans certaines cliniques étrangères de même que les préférences personnelles (la distance géographique facilitant la mise à distance des tierces reproductrices ou le maintien du secret auprès des enfants, par exemple), sont autant de motivations qui stimulent la demande pour une offre de GPA internationale.

    Les recours transnationaux ont souvent été qualifiés de «tourisme procréatif», tant dans les médias que dans les écrits scientifiques. Comme le rappellent Löwy et al. (2014), cette expression s’avère néanmoins stigmatisante pour plusieurs personnes ou couples pour qui ce processus empreint de stress et de souffrance liée à l’infertilité est en décalage avec la connotation de loisir et de plaisir associée au mot tourisme. Les hommes et les femmes qui ont recours à la GPA en dehors de leur pays de résidence témoignent en effet des démarches lourdes et coûteuses auxquelles ils et elles s’astreignent pour concrétiser leur projet parental et ainsi fonder une famille (Inhorn et Patrizio, 2009). Aussi, cette notion met l’accent sur la perspective des parents d’intention, et ne prend pas en compte le point de vue des tierces reproductrices, qu’il s’agisse des femmes porteuses ou des donneuses d’ovules, ni celui des autres acteurs en présence comme les gestionnaires des agences spécialisées ou les propriétaires des cliniques (Nahman, 2013; Rozée et Tain, 2010), qui ne peuvent être réduits à des contrées que l’on visite.

    Cela va sans dire que la GPA s’inscrit dans un système traversé par plusieurs rapports sociaux, dont le genre comme système d’organisation sociale des catégories de sexe et la société globale comme vecteur d’inégalités socioéconomiques. Un des changements majeurs provoqués par la GPA transnationale concerne le déploiement d’une «chaîne mondiale du travail reproductif» (Tain, 2013), laquelle renferme divers dispositifs susceptibles de consolider les hiérarchies sociales entre le Nord et le Sud, mais aussi de créer de nouvelles voies pour les femmes concernées (Rudrappa, 2015; Panitch, 2013). Cette mondialisation récente de l’arène procréative exacerbe, dans une certaine mesure, les sentiments défavorables associés aux usages des technologies de la reproduction exprimés depuis leur apparition (Lozanski, 2015; Agacinski, 2009). Dans un avis publié il y a près d’une dizaine d’années, la Commission de l’éthique de la science et de la technologie du Québec (2009, p. 84) résume les enjeux éthiques, culturels et sociaux découlant de la GPA transnationale:

    La reproduction outre-frontière dérange pour plusieurs raisons: elle n’est envisageable que pour ceux et celles qui en ont les moyens financiers, tout contrôle de la qualité ou de la sécurité des services offerts à l’étranger est impossible – ce qui peut poser des risques pour les mères et les enfants –, elle implique et augmente le risque d’exploitation des femmes résidant dans des pays émergents par des ressortissants étrangers mieux nantis. En outre, comme les interdictions légales sont généralement le reflet de consensus sociaux, il est gênant que des gens contournent les lois d’un pays pour aller là où les lois sont plus laxistes.

    Selon Crozier et Martin (2012), la variabilité des régulations à l’échelle mondiale participe à la cristallisation des inégalités entraînées par les reconfigurations du travail reproductif dans la société globale. D’un côté, la rémunération des femmes porteuses et la présence d’intermédiaires comme des agences privées sont illégales dans certains pays comme le Canada, tandis que dans d’autres pays comme la France et l’Espagne, la GPA est une pratique interdite. De l’autre, le recours aux services de cliniques étrangères demeure une voie alternative viable pour les citoyens occidentaux souhaitant contourner les règles instaurées dans leur pays d’origine, lesquelles sont souvent perçues comme des embûches dans leur volonté de fonder une famille.

    LA RÉGULATION DE LA GESTATION POUR AUTRUI À L’ÉCHELLE MONDIALE

    Plusieurs législations partout dans le monde se sont penchées sur la question de la régulation de la GPA en formulant des réponses variées (Brunet et al., 2013; Dos Reis et al., 2013). De fait, quatre formes de régulation étatique peuvent être envisagées, du laisser-faire à l’encadrement législatif, en passant par la prohibition et la reconnaissance des conventions (Conseil du statut de la femme, 2016). Dans un même pays, plusieurs régulations peuvent cohabiter, ce qui complexifie la compréhension du phénomène et la portée d’une approche comparative. La pluralité de ces régulations suggère des contextes d’action différenciés ainsi que des expériences culturellement enracinées, lesquelles se manifestent par les pratiques des actrices et des acteurs sociaux documentées dans le présent ouvrage.

    Le laisser-faire signifie qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’a été adoptée, comme c’est le cas au Luxembourg, en Roumanie, en Thaïlande et en Pologne, par exemple. À la naissance d’un enfant né par GPA, ce sont les tribunaux ou les autorités administratives qui doivent trancher en fonction des lois existantes sur la filiation et de la jurisprudence en la matière.

    La prohibition peut viser tous les types de GPA, comme c’est le cas en France, en Allemagne, en Italie, en Suisse et en Espagne, sous le principe d’indisponibilité du corps humain ou du maintien de l’ordre public. L’interdiction peut aussi viser certaines facettes de la pratique. Par exemple, au Canada, seule la GPA commerciale est interdite, puisque la rémunération d’une femme porteuse canadienne est illégale en vertu de la loi fédérale sur la procréation assistée. Cette situation est similaire au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark et au Brésil, où la GPA dite «altruiste» est permise, mais pas celle à titre onéreux. La prohibition peut aussi concerner le mode de procréation. Ainsi, en Finlande, la GPA gestationnelle est interdite, mais aucune disposition législative particulière ne vise la GPA génétique, c’est-à-dire lorsque la femme porteuse donne naissance à un enfant conçu à l’aide de ses propres gamètes. À l’opposé, la GPA gestationnelle est la seule forme admise dans l’État américain du Dakota du Nord au regard du caractère exécutoire des ententes contractuelles. La prohibition n’est pas sans conséquence pour les enfants et leurs parents, notamment sur le plan de l’établissement de la filiation lors de la transcription des actes de naissance délivrés à l’étranger (Côté et Sauvé, 2016; Courduriès, 2016, 2017). L’interdiction peut aussi porter préjudice aux femmes porteuses, puisqu’elles n’ont alors aucun recours pour défendre leurs droits ou revendiquer de meilleures conditions de vie (Pande, 2014).

    La reconnaissance de l’accord contractuel signifie que les conventions signées entre les parties sont reconnues par l’État, dont le rôle se limite généralement à assurer l’exécution et le respect des règles contractuelles. Les conditions négociées et établies entre les personnes concernées dans le contrat ne font généralement pas l’objet d’une révision étatique. Selon le Conseil du statut de la femme (2016), les pays qui autorisent la GPA posent toujours des conditions d’accès, aussi minimales soient-elles.

    La GPA peut aussi être explicitement autorisée par l’État selon une approche d’encadrement législatif ou réglementaire. Cette forme de régulation peut concerner autant le processus de procréation que l’établissement de la filiation de l’enfant ainsi né. Israël est un exemple probant d’une forte institutionnalisation de la pratique, puisqu’une commission étatique évalue soigneusement chaque projet parental par GPA au regard de nombreuses règles concernant le parcours procréatif des parents d’intention et la situation personnelle et familiale de la femme porteuse pressentie. La GPA est aussi encadrée dans cinq provinces canadiennes, soit l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et Terre-Neuve. Dans l’État américain de l’Illinois, il est possible par exemple de déterminer avant la naissance de l’enfant que les parents d’intention en seront les parents légaux.

    Outre les conditions prévues par les lois et les règlements, l’encadrement volontaire réfère aux balises adoptées par des organisations médicales, comme c’est le cas en Belgique, au Royaume-Uni et dans certaines provinces canadiennes. Ainsi, des associations spécialisées ou des cliniques de fertilité peuvent élaborer leurs propres protocoles pour évaluer et intervenir lors de situations impliquant le recours à la GPA. Comme son nom l’indique, les critères et les modalités de cette approche sont élaborés sur une base volontaire et sont généralement non contraignants.

    LA GESTATION POUR AUTRUI, UNE TECHNIQUE DE PARENTÉ

    Dans toutes les sociétés, l’infécondité est un problème sérieux qui contrarie la succession des générations et la perpétuation des lignages. Partout, des solutions ont donc été trouvées pour permettre à des personnes jusque-là sans enfant de devenir à leur tour des parents. L’anthropologue britannique Edward-Evan Evans Pritchard a par exemple montré que les Nuer du Soudan, société où la filiation est patrilatérale et où la résidence est patrilocale, pratiquaient le lévirat (Evans Pritchard, 1973 [1951]). Une veuve sans enfant devait s’unir avec un frère – ou un proche parent – de son époux décédé, après qu’il eut sacrifié un mouton pour apaiser le ressentiment du mort et en quelque sorte briser le lien qui préexistait entre la veuve et le parent du défunt et rendait l’union incestueuse. Elle restait alors dans le même village et les enfants nés de cette nouvelle union étaient réputés être ceux du défunt. Le nom du défunt pouvait ainsi se perpétuer. L’institution de lévirat a été rapportée dans d’autres sociétés par exemple chez les Wolof (Dores, 1981), dans l’État de Haryana, en Inde (Bharadwaj, 2012, p. 252) ou encore chez les anciens Hébreux si on se fie à l’histoire de Ruth et de Booz relatée dans la Bible.

    Chez les Nuer, la veuve avait aussi la possibilité de prendre un amant dans un autre village. Là encore, les enfants nés étaient ceux du mari défunt et pouvaient être concrètement cédés au patrilignage. L’amant-concubin n’avait aucun statut paternel. La même société des Nuer connaissait ce que l’on a parfois appelé de manière malhabile le «mariage entre femmes»: une femme stérile et possédant le bétail nécessaire pour payer la compensation matrimoniale pouvait épouser une femme qui, avec un amant, procréerait en son nom (Evans Pritchard, 1973). La femme stérile était traitée par son épouse comme un mari et devenait le père des enfants mis au monde par son épouse. Cette forme d’union avait pour but de procurer des enfants à un lignage qui en manquait, faute de fils devenus pères, et se retrouve dans d’autres sociétés comme le Dahomey.

    Chez d’autres peuples, tout particulièrement africains, un homme marié à une femme stérile pouvait «gratuitement ou contre paiement, obtenir d’une femme féconde qu’elle le désigne» comme père (Lévi-Strauss, 2013, p. 95). Dans le même texte, initialement paru sous la forme d’une tribune dans le journal italien La Repubblica et réédité dans un ouvrage posthume, Claude Lévi-Strauss citait l’exemple des Samo du Burkina Faso, où chaque jeune fille, mariée très jeune, devait avant de rejoindre son mari, avoir un amant officiel et où le mari devenait le père de l’enfant qu’elle avait eu de l’amant, ou encore les situations où, dans des sociétés africaines, un mari quitté par son ou ses épouses conservait le droit d’être le père des enfants qu’elles concevraient ultérieurement avec un autre, pourvu qu’il ait eu avec elles le premier rapport post-partum. Dans ces différents cas, on distingue deux hommes: celui qui insémine et le père de l’enfant. Dans le dernier cas, Claude Lévi-Strauss définissait, outre le «donneur inséminateur», «la femme qui loue son ventre à un autre homme ou à un couple sans enfant» (Lévi-Strauss, 2013, p. 95). Comme l’écrivait l’anthropologue française Denise Paulme, «la paternité physique est donc distincte de la paternité sociale, le pater n’est pas nécessairement le genitor» (Paulme, 1960, p. 23).

    Ces différents arrangements qui reposent sur le recours à des tiers supplétifs s’imposaient le plus souvent aux personnes concernées, qui d’ailleurs avaient peu la possibilité de se dérober, en vertu du fait que le mariage et la filiation étaient l’affaire des groupes de parenté et non des individus. Il s’agissait de pratiques sociales qui visaient à planifier les conditions procréatives qui permettent, dans des cas limites, commandés par la situation d’infertilité d’un couple ou par les conditions prévues pour l’initiation genrée et l’accession au statut de mère et de père, à un homme et une femme de devenir parents et, par-delà eux-mêmes, à des lignages de se perpétuer. L’ensemble des sociétés a par ailleurs organisé, en aval de la procréation, des formes de circulation d’enfants de natures diverses. Souvent, il s’agit de donner des enfants à des couples qui en sont dépourvus; la raison qui justifie alors le don d’enfants réside dans la nécessité de pallier là encore l’infertilité. Mais ce n’est pas la seule raison qui justifie que des enfants soient confiés à d’autres que les personnes qui les ont mis au monde. Par exemple, il arrive que l’on considère qu’un enfant non sevré court un danger si ses parents reprennent une activité sexuelle ou si une nouvelle naissance s’annonce. Plus encore, dans certaines sociétés, les femmes infertiles (le plus souvent, l’infertilité est envisagée comme essentiellement féminine) ne peuvent précisément pas adopter. Par exemple, chez les Sulka, sur l’île de Nouvelle-Bretagne, on considère qu’une femme qui ne peut devenir mère ne pourrait pas élever correctement un enfant (Jeudy-Ballini, 1998, p. 26). Dans cette petite société, les pratiques de circulation d’enfants sont si courantes que plus de 80% des enfants sont concernés. Il ne s’agit bien évidemment pas ici de remédier à l’infertilité; cela correspond plutôt à la manière dont on envisage la filiation, détachée de la sexualité conjugale du couple parental et de l’ancestralité génétique. L’adoption n’y est pas l’exception, mais plutôt la norme et relie des parents adoptifs et des enfants, sans conformité au principe d’exclusivité puisque si les distances entre la résidence des parents adoptifs et celle des parents géniteurs le permet, ceux-ci peuvent continuer à prodiguer des soins à l’enfant (Jeudy-Ballini, 1998, p. 24); d’ailleurs, le plus souvent, on adopte dans la parenté ou dans l’entourage. Ces usages du fosterage (pratique qui consiste à confier le plus souvent temporairement un enfant à d’autres que ses géniteurs) et de l’adoption sont destinés à favoriser l’éducation des enfants, à donner consistance à des relations de coopération au sein de l’entourage (Lallemand, 1993; Fonseca, 2000). Ces circulations d’enfants pallient l’absence d’enfant dans un lignage plutôt que dans un foyer. Le problème n’est pas tant qu’un couple ne puisse s’accomplir en tant que parents, mais qu’il ne puisse contribuer, comme on l’attend d’eux, à la perpétuation du lignage. L’ensemble de ces logiques sous-jacentes à l’adoption n’est pas réservé à des sociétés lointaines. Elles caractérisaient la circulation des enfants dans la France rurale jusqu’au milieu du XXe siècle (Fine, 1998) et ne sont pas absentes des sociétés occidentales contemporaines, comme l’a par exemple montré Chantal Collard à propos de l’adoption d’enfants haïtiens au Québec (Collard, 2004).

    Aujourd’hui, s’il s’agit toujours de donner des héritiers à des personnes qui en sont jusque-là dépourvues, pratique ancienne puisqu’elle était déjà attestée dans l’Antiquité (Leduc, 1998) et des parents à des enfants orphelins¹, l’adoption est surtout animée dans les sociétés contemporaines par le désir de couples infertiles de devenir parents. La prégnance croissante au cours du XXe siècle du foyer conjugal et l’affaiblissement relatif du groupe de parenté², associés à la maîtrise grandissante de la fécondité et à la transformation du statut de l’enfant, ont contribué à la transformation des raisons pour lesquelles on décide aujourd’hui de remédier à l’absence d’enfants. L’adoption et les techniques de reproduction assistée, qui ont connu un développement considérable depuis les années 1970, sont ainsi essentiellement animées aujourd’hui pour permettre à des personnes infertiles de fonder une famille et de s’épanouir en tant que parents (Ouellette, 2000).

    Les techniques de reproduction assistée, dont la GPA, sont en effet mises en œuvre pour permettre à des hommes et des femmes en mal d’enfants de devenir parents. Si une forme de nouveauté réside dans le fait que le problème est moins l’absence d’héritiers que celle d’enfants à chérir, nous avons vu que cela n’a rien de très spécifique puisque chaque société a imaginé avec les techniques à leur disposition des moyens de remédier à l’absence d’enfant. La GPA est bien une pratique de parenté dans la mesure où elle permet à des personnes jusque-là sans enfant de devenir parents. Dans ce sens, la GPA est comparable aux autres techniques de reproduction assistée, mais elle est aussi à rapprocher de pratiques telles que l’adoption et le fosterage et d’autres techniques traditionnelles. En effet, la GPA est également une technique de parenté dans la mesure où, autour de l’enfant, tout un réseau de relations se tisse, entre lui-même et ses propres parents et, plus largement, les membres de son groupe de parenté (frères et sœurs, grands-parents, oncles, tantes et cousins). La question se pose de connaître la nature des relations tissées entre ces différents acteurs (l’enfant et ses apparentés) et les membres de la surrogate family. Avant même qu’il ne vienne au monde, le futur enfant, dont on ne connaît pas bien le statut dans nos sociétés – à titre provisoire, Anne-Sophie Giraud (2015) le qualifie d’être anténatal –, se trouve déjà au cœur de relations qui se tissent avec lui au sein de sa propre parenté bien sûr, mais aussi aux marges de son groupe de parenté, avec la femme qui le porte dans son ventre et ses relatifs.

    LA PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

    Cet ouvrage est né du désir de mettre en lumière les données empiriques disponibles aujourd’hui sur la GPA afin de mieux appréhender cette question dans une perspective multidisciplinaire et internationale. Jusqu’à maintenant, les actrices et acteurs du débat sont principalement des juristes, des sociologues et des éthiciens spécialisés dans le champ des réalités familiales. Les ouvrages publiés ces dernières années en français sur la GPA ou la maternité de substitution proposent principalement des analyses en droit comparé et des réflexions théoriques dans le champ bioéthique. Hormis quelques reportages ou récits anecdotiques diffusés dans les médias, les voix des personnes directement concernées sont rarement, voire jamais, entendues, ni a fortiori ne font l’objet d’analyses dans les écrits scientifiques. Les contributions, provenant de contextes socio-juridiques et culturels variés, abordent des points de vue différenciés sur la pratique, qu’il s’agisse de faire état des expériences des femmes porteuses, des parents d’intention et des intermédiaires du monde médical ou du milieu juridique qui interviennent à un moment ou à un autre du projet parental par GPA. Cet ouvrage n’a pas pour objectif de nier les difficultés qui peuvent résulter d’un processus de GPA, mais plutôt d’y apporter un éclairage ancré dans les expériences vécues. Cet ouvrage collectif regroupe 13 chapitres subdivisés en trois parties distinctes.

    Les expériences des parents d’intention

    La première partie regroupe des textes faisant état de l’expérience des parents d’intention. Ces contributions illustrent comment la relation existant entre la femme porteuse et le couple qui deviendra parent grâce à elle détermine la satisfaction des parties sur l’ensemble du processus. À partir d’une étude de cas de prise en charge de GPA en Belgique, Françoise Cailleau démontre que l’aspect relationnel favorise, chez les parents d’intention, l’élaboration du bébé imaginaire et l’accueil du bébé réel. Pour la psychologue, cela contribue non seulement à l’élaboration de la construction psychique de l’enfant par la mère d’intention lors de la grossesse, mais favorise également le développement d’aptitudes empathiques à l’égard de celle qui porte son enfant.

    Le chapitre d’Isabel Côté et François Sallafranque St-Louis, de même que celui de Martine Gross, explorent le cheminement d’hommes gais qui ont choisi de recourir à une GPA pour devenir pères, ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec les femmes qui ont porté leurs enfants. Côté et Sallafranque St-Louis éclairent les mécanismes à l’œuvre pouvant expliciter la dynamique relationnelle entretenue entre des pères gais québécois et les gestatrices à la suite de la remise de l’enfant. Pour ces chercheurs en travail social, l’affinité développée entre les pères et les femmes concernés lors de la période anténatale et l’accouchement, l’intégration des familles immédiates et élargies de tous les protagonistes dans le processus de GPA et l’importance que ces hommes accordent au fait de pouvoir expliquer à leurs enfants les circonstances particulières de leur naissance peuvent notamment expliquer la satisfaction de ces hommes quant à la réalisation de leur projet parental par GPA. Mais comment évoluent ces liens à travers le temps? Est-ce qu’ils se perpétuent ou, au contraire, s’amenuisent-ils?

    Le chapitre de Martine Gross tend à apporter quelques éléments de réponse à ces questions. À partir de deux temps de mesures, la sociologue explore ce que sont devenues, au fil des années, les relations des pères avec les femmes qui ont contribué à donner la vie à leurs enfants alors qu’ils avaient préalablement exprimé le désir de maintenir le lien. Cette pérennité des liens, souvent même encouragée par les enfants ainsi nés, peut être expliquée par le fait que l’absence de mère dans les familles homo-paternelles contribue à préserver un certain statut à la gestatrice qui n’a alors pas à se positionner à l’encontre d’une autre femme, comme cela peut être le cas dans les familles hétéroparentales.

    Les anthropologues Nancy Anne Kovalinka et Sandra Fernández García cherchent, quant à elles, à mieux comprendre le processus d’apparentement et de «désapparentement» que déploient des parents d’intention espagnols afin de réclamer l’enfant comme faisant partie de leur lignée. Ce processus complexe implique, dans certains cas, de déconstruire la gestatrice comme mère de l’enfant pour ensuite mieux pouvoir l’inscrire dans un réseau plus large de parenté, ce qui est d’autant plus facile à faire qu’elle n’est pas liée biologiquement à l’enfant. De multiples influences entrent en ligne de compte dans ce processus, dont le fait que l’enfant soit issu ou non des gamètes de ses parents d’intention, la crainte qu’ils peuvent avoir que la gestatrice usurpe un rôle maternel ou, encore, leurs représentations de la parenté et de la maternité. Ces influences détermineront, jusqu’à un certain point, la juridiction retenue pour la GPA alors que les agences situées dans certains pays exhortent les parents à maintenir une certaine proximité affective avec les femmes qui portent leurs enfants tandis que d’autres, situées ailleurs, la proscrivent. Dans tous les cas, ce processus vise, du point de vue des parents concernés, à ce que l’enfant puisse mieux intégrer les circonstances particulières de sa naissance.

    Enfin, Jérôme Courduriès s’intéresse à la manière dont se noue la relation entre les parents et leur enfant. Dans un premier temps, on découvre que la façon dont se tisse la relation entre ceux qui ne sont encore que des parents intentionnels et l’enfant est étroitement liée au contexte et aux conditions dans lesquelles se déroule la GPA. L’anthropologue analyse le rôle et la place des parents pendant l’accouchement, lorsqu’ils ont pu être présents, et dans les instants qui ont suivi la naissance, ainsi que leurs gestes à l’égard de leur enfant. Nous comprenons alors, y compris dans des situations où l’enfant a été mis au monde par une femme qui n’en sera pas la mère, comment, par des gestes de soin, de care et de nourrissage, l’acquisition de la qualité de parents fait également l’objet d’une forme d’incorporation.

    Les expériences des femmes impliquées en tant que tierces

    La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement à l’expérience des femmes agissant comme tierces reproductrices dans les conventions de GPA. En ouverture, Sarah Jacob-Wagner propose une synthèse des études empiriques documentant, dans différents pays occidentaux, le profil, les motivations et les expériences de ces femmes sur le plan psychologique. Pour la politologue, il importe de ne pas offrir une perspective clivée de la pratique qui, d’une part, en dresserait un portrait négatif et sans nuance ou, d’autre part, en offrirait une vision démesurément positive. Il s’agit plutôt de rendre compte des enjeux soulevés par le phénomène dans toute leur complexité, ce qui représente un défi de taille.

    La contribution suivante fait état de la pratique de la GPA en Inde, un pays souvent perçu comme étant particulièrement problématique pour les femmes qui portent un enfant pour le compte d’autrui. À partir d’entretiens menés auprès de femmes porteuses indiennes et de couples devenus parents grâce à elles, Virginie Rozée démontre que la GPA telle qu’elle est pratiquée en Inde est révélatrice non seulement des constructions et relations de genre dans cette société patriarcale et patrilinéaire, mais aussi des rapports sociaux de classe et d’origine dans une société fortement hiérarchisée et inégalitaire. De façon réciproque, soutient-elle, ces rapports permettent de comprendre le développement du commerce de la GPA dans le pays et son organisation. Ainsi, pour la sociologue, les controverses sur la GPA en Inde, dont les médias et les débats sociaux se font l’écho, semblent davantage liées à la condition des femmes dans le pays qu’à la pratique en tant que telle.

    Elly Teman nous transporte en Israël tandis qu’elle met en dialogue les voix des mères d’intention et celles des femmes qui acceptent de porter un enfant pour elles. Ce dialogue met en scène une orchestration complexe, alors que les gestatrices déploient un processus de désincarnation de la grossesse afin de se distancier de l’attribution du rôle maternel qu’induit socialement le fait de porter un enfant. Non seulement les femmes porteuses rencontrées par l’anthropologue refusent d’être considérées comme la mère de l’enfant qu’elles portent pour autrui, mais elles opèrent une nette distanciation entre cette grossesse et celle de leurs propres enfants. Les mères d’intention, quant à elles, se livreront à différentes pratiques ritualisées visant à incarner la grossesse par procuration dans l’optique de s’arroger ce statut maternel si convoité. La maternité par GPA est alors analysée comme un aboutissement, un travail interactif et dyadique opéré sous le signe de la sororité. Pour Teman, cette «maternité distribuée» n’est pas sans témoigner d’une certaine critique des hypothèses naturalistes et essentialistes voulant que l’identité maternelle se développe de façon naturelle lors de la grossesse.

    Kévin Lavoie et Isabel Côté explorent les nouveaux modes de mise en relation et de négociation des ententes qu’introduisent les réseaux socionumériques entre les parents d’intention et les tierces reproductrices. À partir d’une observation des interactions au sein d’une communauté en ligne vouée à la GPA et au don d’ovules, de même que d’entrevues conduites auprès de femmes concernées, Lavoie et Côté rendent compte de la complexité des interactions de part et d’autre, que ce soit lorsqu’il s’agit de recherche de l’information générale sur la procréation assistée ou encore, plus particulièrement, de trouver une femme susceptible d’accepter de collaborer à un projet de GPA. Les auteurs constatent que les communautés en ligne procurent aux tierces reproductrices – qu’elles soient donneuses d’ovules ou femmes porteuses – un espace de discussion et de négociation favorisant la sélection d’un couple convenant à leurs attentes et aspirations, ainsi que la mise en place d’une entente élaborée en fonction de leurs besoins. Tout cela concourt à l’agentivité que ces femmes affirment ressentir à l’égard du processus.

    Enfin, Marcin Smietana, à partir d’une enquête menée dans le contexte étatsunien, s’intéresse aux relations nouées entre les femmes porteuses et les parents intentionnels. Dans les États fédérés où la GPA est encadrée, elle est organisée sur un mode commercial. Pour le dire autrement, des agences intermédiaires organisent et accompagnent les processus de GPA et mettent en relation les différents acteurs. Sont alors rémunérés par les parents intentionnels tous les acteurs impliqués: la femme porteuse et, le cas échéant, la donneuse d’ovocyte, l’avocat, les services médicaux et, bien sûr, l’agence. Cependant, comme le montre Smietana, la monétarisation de la GPA, même dans un contexte économique ultralibéral, n’exclut pas nécessairement une reconnaissance mutuelle et l’émergence d’une relation élective spécifique.

    Les expériences des acteurs publics

    La troisième et dernière partie fait état de l’expérience d’actrices et d’acteurs publics impliqués dans des conventions de GPA, mais dont la voix est rarement mise de l’avant. Cela apparaît d’autant plus important qu’elles et ils ont un rôle à jouer non négligeable et qui contribue à charpenter l’expérience du processus de GPA dans lequel les parents d’intentions et les femmes porteuses sont impliqués, de par les actions qu’ils posent ou, encore, les décisions qu’ils rendent. Ainsi, la sociologue et sagefemme Hélène Malmanche s’intéresse aux pratiques des professionnels de santé qui interviennent dans des situations de GPA, dans le cadre des services offerts dans un centre de procréation médicalement assistée en Belgique, où quelques cas par an de GPA côtoient l’ensemble des prises en charge en infertilité (insémination et FIV [fécondation in vitro] intraconjugales, mais aussi don d’ovocyte et don de sperme, notamment pour des femmes seules et des couples lesbiens). Vis-à-vis du silence de la loi sur la GPA, Malmanche montre que la pratique professionnelle a dû s’organiser autour de plusieurs contraintes. La première dintinguée réside dans l’imposition de critères internes à la structure pour envisager des gestations pour autrui dans un contexte où la loi reste silencieuse, et où aucune réglementation ne vient protéger ni la femme porteuse et son éventuel conjoint, ni le couple de parents intentionnels, ni la filiation et le devenir de l’enfant à naître. La seconde consiste à définir les bases sur lesquelles les professionnels peuvent faire reposer la légitimité de leurs décisions, et dans la manière dont les professionnels envisagent la question de la responsabilité vis-à-vis de ces situations.

    Le chapitre présenté par Martine Gross, Laurence Brunet et Michelle Giroux, ainsi que celui de Marta Roca i Escoda et Vicent Borràs Català, abordent l’épineuse question de la reconnaissance de la filiation d’enfants nés dans des pays où la GPA est reconnue alors qu’elle est prohibée dans celui d’où proviennent leurs parents d’intention. Ainsi, Gross et ses collègues analysent la réception, par le droit français, de la reconnaissance de la filiation d’un enfant conçu par GPA grâce à une transcription à l’état civil français ou par l’adoption de l’enfant du conjoint. À partir d’entretiens conduits auprès de magistrats français, les auteures explorent les arguments mobilisés et leurs interrogations lorsqu’ils sont sollicités pour établir la filiation d’un enfant ainsi conçu. Comme la GPA est interdite en France, les magistrats rencontrés se trouvent en présence d’un dilemme, à savoir reconnaître une pratique qui est contre l’ordre public en accueillant la requête sur la reconnaissance de la filiation d’un enfant né par GPA ou la refuser et, ce faisant, rendre un jugement évalué comme étant contre l’intérêt de l’enfant.

    Les sociologues Roca i Escoda et Borràs Català retracent, quant à eux, la genèse de la mobilisation de pères gais espagnols visant à faire reconnaître la filiation de leurs enfants nés à la suite d’une GPA s’étant déroulée à l’extérieur de leur pays d’origine. C’est grâce à une logique d’action axée sur la mobilisation juridique de même que le démarchage auprès des instances politiques que ces pères ont pu favoriser l’inscription de leurs enfants à l’état civil espagnol. Ne souhaitant pas s’avancer sur le terrain miné de la légitimité de la concrétisation d’un projet parental à l’aide de la GPA, ces hommes ont plutôt souhaité mettre de l’avant, par pragmatisme, l’intérêt de leur enfant de pouvoir bénéficier d’une filiation en bonne et due forme. Par ailleurs, pour favoriser l’adhésion populaire à l’égard de leurs démarches en reconnaissance juridique, un important travail d’éducation et d’inscription dans l’espace public de leur parcours de paternité a permis de rendre visible, voire de normaliser, leur réalité. Pour les auteurs, la synergie de ces actions, mais surtout la visibilisation des réalités vécues par ces hommes ont été un facteur déterminant dans leur lutte.

    L’ambition de ce livre est de contribuer à éclairer des débats souvent très polarisés, à partir de recherches empiriques menées dans différents contextes nationaux et aux législations contrastées. Les lecteurs n’y trouveront bien entendu pas un point de vue exhaustif sur la question. Ils n’y trouveront pas non plus l’expression de positions idéologiques tranchées, pour ou contre la GPA. Les auteurs ont été réunis pour donner à voir, et de façon inédite, l’expérience de différentes actrices et différents acteurs de la GPA: parents, femmes porteuses, magistrats, médecins de services de reproduction assistée, groupes de militants associatifs. Au fil de cette incursion dans les pratiques entourant la GPA les lecteurs découvriront également la façon dont elle interroge, tant du point de vue des représentations que des pratiques, les normes de parenté et de genre, la construction de la maternité, l’embarras des magistrats et des professionnels de l’assistance à la reproduction dans des contextes où des GPA sont menés en dehors de toute prise en charge légale dans le pays des parents intentionnels, et l’action des activistes politiques. Ce faisant, les recherches exposées ici rendent compte de la vie sociale et contemporaine de la gestation pour autrui.

    RÉFÉRENCES

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    CONSEIL DU STATUT DE LA

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