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La pratique du travail social en santé mentale: Apprendre, comprendre, s'engager
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La pratique du travail social en santé mentale: Apprendre, comprendre, s'engager
Livre électronique684 pages7 heures

La pratique du travail social en santé mentale: Apprendre, comprendre, s'engager

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À propos de ce livre électronique

La pratique du travail social en santé mentale s’est transformée et dépasse maintenant les frontières des organisations rattachées exclusivement à ce domaine. Les travailleurs sociaux sont quotidiennement en situation d’intervention auprès de personnes ayant des troubles mentaux, diagnostiqués ou non, et dont la gravité varie.

Aujourd’hui, cette pratique se déploie principalement dans la communauté, à proximité des personnes atteintes et des familles qui les soutiennent. Elle allie différentes méthodes d’intervention et s’appuie sur des approches variées, avec comme ancrage transversal la perspective du rétablissement. La complexité et la richesse de cette discipline proviennent des multiples aspects devant être considérés dans un contexte d’intervention, soit la personne et ses vulnérabilités, de même que les environnements familiaux, groupaux, communautaires et collectifs, et leurs interactions.

Cet ouvrage, qui s’adresse tant aux étudiants qu’aux intervenants des milieux institutionnels et communautaires, vise à fournir des repères pour bien apprendre, comprendre et s’engager dans ce champ d’action du travail social désormais multiforme.

Christiane Bergeron-Leclerc est travailleuse sociale et professeure au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses recherches portent sur les processus et les pratiques d’inclusion sociale et de rétablissement des personnes ayant des troubles mentaux.

Marie-Hélène Morin est travailleuse sociale et professeure au Département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ses activités de recherche et de formation
portent sur l’intervention familiale et les proches aidants dans le domaine de la santé mentale.

Bernadette Dallaire est professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval. Elle combine des expertises en santé mentale et en gérontologie, et a étudié l’approche du
rétablissement en santé mentale, de même que les interventions psychosociales et médicales auprès des jeunes en difficulté.

Cécile Cormier est travailleuse sociale spécialisée en santé mentale et professeure au Département de psychosociologie et travail social de l’UQAR. Elle est aussi responsable de la formation pratique
du campus de Lévis et membre du Collectif de recherche participative sur la pauvreté en milieu rural.
LangueFrançais
Date de sortie12 juin 2019
ISBN9782760551558
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    Aperçu du livre

    La pratique du travail social en santé mentale - Christiane Bergeron-Leclerc

    LA COMPLEXITÉ, LA DIVERSITÉ ET LA SPÉCIFICITÉ DU TRAVAIL SOCIAL DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ MENTALE

    Christiane Bergeron-Leclerc, Marie-Hélène Morin, Bernadette Dallaire et Cécile Cormier

    Plus que jamais, l’exercice du travail social, particulièrement dans le domaine de la santé mentale, est marqué par la complexité. Une complexité qui porte son lot d’enjeux, autant pour les travailleurs sociaux (TS)¹ débutants que pour ceux plus chevronnés, mais qui est en revanche source de défis stimulants et de réussites souvent porteuses d’espoir. La complexité de l’intervention sociale en santé mentale découle non seulement des troubles mentaux eux-mêmes, dont les manifestations ont des conséquences sur le fonctionnement social de la personne atteinte, mais également de ses répercussions plus larges, telles que la stigmatisation, l’isolement social et l’exclusion, l’itinérance et la pauvreté, ou la présence d’autres problèmes associés, notamment la toxicomanie. Ces répercussions ont, à leur tour, des impacts sur l’état mental.

    La pratique dans ce domaine est également marquée par sa diversité et la pluralité de ses champs d’action. Le travail social en santé mentale dépasse désormais les frontières des organisations rattachées exclusivement au domaine de la santé mentale. C’est ainsi que les travailleurs sociaux exerçant dans des domaines variés (par exemple, les services à l’enfance et à la jeunesse, la violence conjugale, le vieillissement, etc.) sont quotidiennement en situation d’intervention auprès de personnes ayant des troubles mentaux, diagnostiqués ou non, et dont la gravité varie. Par ailleurs, les modalités d’intervention de même que les approches préconisées en santé mentale sont des plus diversifiées. D’une pratique individuelle, quasi exclusivement intrahospitalière, la pratique actuelle se vit principalement dans la communauté, à proximité des personnes atteintes et des familles qui les soutiennent. Elle allie différentes méthodes d’intervention (individuelle, familiale, de groupe et auprès des collectivités) et elle s’appuie sur des approches variées (systémique, écosystémique, centrée sur les forces, le pouvoir d’agir et les solutions, pour ne nommer que celles-là) – avec comme ancrage transversal la perspective du rétablissement.

    Le travail social actuel occupe également une place de choix parmi les professions du champ de la relation d’aide. La profession s’actualise à travers des pratiques avec les personnes vivant avec des troubles mentaux, auprès des membres de la famille qui exercent un rôle de soutien important pour elles et dans les communautés. Toutes ces pratiques sont réalisées dans des contextes de collaborations interprofessionnelles. Plus souvent qu’à leur tour, les travailleurs sociaux qui exercent en santé mentale adoptent une posture d’intermédiaire, parfois de médiateur, et s’assureront de créer ou de maintenir les liens entre les différents acteurs et champs disciplinaires. La formation de base en travail social, notamment par l’acquisition de compétences relationnelles relatives aux habiletés de communication, prépare bien les travailleurs sociaux à exercer ce rôle au sein des équipes d’intervention en milieu tant institutionnel que communautaire. Toutefois, afin de pouvoir mettre pleinement ce rôle en pratique, des connaissances spécifiques provenant de champs disciplinaires variés sont désormais requises.

    Enfin, le travail social en santé mentale est depuis longtemps une spécialité à part entière, qui inclut des pratiques généralistes tout autant que des pratiques de pointe associées à des troubles mentaux spécifiques. Des travailleurs sociaux sont d’ailleurs à l’origine ou ont contribué directement au développement et au déploiement de programmes de gestion de cas, de suivi intensif en équipe dans la communauté, d’intervention familiale dans le contexte des troubles psychotiques et des troubles de l’humeur, notamment. Il importe d’ailleurs de souligner que plusieurs de ces pratiques psychosociales développées dans le domaine de la santé mentale ont été ensuite adaptées pour être appliquées auprès d’autres populations ou clientèles. Plus souvent qu’à leur tour, ces pionniers du travail social en santé mentale, en majorité des femmes, ont contribué à faire valoir la place du travail social et à faire reconnaître la spécificité de cette pratique dans un domaine particulièrement teinté par les disciplines biomédicales et la psychologie.

    Partant de la perspective selon laquelle la plupart des problèmes sociaux, communautaires et familiaux ont des tenants et des aboutissants qui dépassent largement la seule sphère individuelle, le travail social se trouve dans une position privilégiée pour être le «gardien du social». Parce que leur formation et leurs pratiques tiennent compte à la fois de l’individu, de l’environnement et de l’interaction entre les deux, les travailleurs sociaux sont en effet les plus à même de préserver la conscience des dynamiques micro, méso et macrosociales qui marquent nos existences et notre développement. Pensons ici à toute la perspective du rétablissement en santé mentale, un courant qui est maintenant au cœur du travail social contemporain et dont les assises théoriques et pratiques ont été établies en grande partie par des chercheurs et cliniciens de cette discipline. Pour les travailleurs sociaux, la santé mentale n’est pas (ou ne devrait pas être) uniquement une question de psychologie ou de psychiatrie: il s’agit d’un phénomène social, et les solutions qu’ils proposent intègrent toujours cette dimension, d’où la contribution spécifique du travail social dans ce champ. Toutefois, pour des professions en mouvance comme le travail social, il y a toujours le risque de laisser définir notre rôle par les autres. Nous espérons que cet ouvrage puisse non seulement contribuer à la mise en lumière de cette spécificité du travail social, mais aussi à augmenter notre fierté envers notre profession. Il se veut un appel à assumer les analyses et les façons de faire propres au travail social, afin de contribuer du même coup à raffermir notre identité professionnelle.

    LA PERTINENCE DE L’OUVRAGE POUR LE TRAVAIL SOCIAL

    Pourquoi proposer un ouvrage sur le travail social en santé mentale? Et pourquoi le faire maintenant? Dans un premier temps, des raisons pédagogiques et de formation à la pratique du travail social en santé mentale ont motivé notre démarche de rédaction. Alors qu’il existe des ouvrages décrivant les méthodologies générales de l’intervention de travail social (individuel, de groupe ou auprès des collectivités), ainsi que des ouvrages généraux (non disciplinaires) centrés sur le champ de la santé mentale, à ce jour, aucun livre francophone n’a été publié en ce qui a trait à la pratique du travail social dans le champ spécifique de la santé mentale. Or la plupart des programmes universitaires en travail social, déployés sur les territoires urbains et ruraux au Québec, offrent au moins un cours (obligatoire ou optionnel) portant précisément sur la santé mentale, sans toutefois pouvoir s’appuyer sur un ouvrage de référence en langue française pour accompagner l’enseignement de ces contenus. L’ouvrage que nous proposons ici permettra donc de combler ce vide et sera utile tant pour la formation initiale que pour la formation continue des travailleurs sociaux. Il propose un ensemble de connaissances qui sont désormais essentielles dans ce champ de pratique, offrant aussi la possibilité de développer une perspective critique de ces pratiques². La pertinence de l’ouvrage est multiple: les travailleurs sociaux, peu importe leur lieu ou leur domaine de pratique, sont de plus en plus appelés à intervenir auprès d’adultes ayant des troubles mentaux et font partie d’équipes d’intervention qui doivent répondre aux besoins de personnes présentant des problématiques de plus en plus complexes.

    Dans un deuxième temps, les changements législatifs et organisationnels vécus plus particulièrement depuis 2009 dans le champ de la relation d’aide et de la santé mentale sont venus justifier la nécessité d’un ouvrage présentant l’état des lieux actuels de la pratique du travail social. Que la pratique soit ou non formellement liée au domaine de la santé mentale, les interventions en travail social au Québec sont balisées par un cadre législatif (Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines) prévoyant que l’évaluation du fonctionnement social (acte réservé en partage) se doit d’être non seulement globale, mais aussi circulaire: à savoir, que les manifestations des troubles mentaux qui sont prises en compte dans l’évaluation doivent être considérées à la fois comme causes et comme conséquences des autres problèmes observés et qui touchent non seulement les personnes et leur entourage, mais aussi leur environnement social proximal et la société elle-même. Tenant compte de ces diverses réalités, ce livre propose un contenu théorique et pratique essentiel pour l’apprentissage de l’intervention de travail social dans les différents contextes (sociaux, organisationnels, législatifs) qui marquent les conditions actuelles de l’exercice de la profession.

    LE POSITIONNEMENT DE L’OUVRAGE

    Cet ouvrage provient aussi, en filigrane, d’une histoire d’amitié entre des professeures-chercheures qui partagent une passion pour le travail social dans le champ de la santé mentale. Il est le fruit de plusieurs années d’expérience d’intervention, d’enseignement et de recherche dans ce domaine, en milieu tant urbain que rural, représentant la diversité des pratiques qui se déploient en dehors des grands centres urbains. Il se veut une première tentative de rassembler, à l’intérieur d’un même ouvrage, des repères théoriques et pratiques essentiels à l’exercice du travail social. Le champ de la santé mentale est vaste, de même que le sont les pratiques sociales qui s’y inscrivent. C’est ainsi que certaines options ont été privilégiées et d’autres ont été écartées. Les besoins exprimés par les étudiants, de même que ceux perçus lorsque nous enseignons ces contenus, ont guidé certaines orientations éditoriales. Au-delà de ces besoins, c’est le principe de cohérence qui a principalement guidé la préparation de cet ouvrage. Il y a d’abord eu l’intention d’une cohérence entre les sections du livre: c’est sur la base de ce principe que chacune des éditrices a assumé la responsabilité de la rédaction de plusieurs chapitres, tout en agissant comme réviseure pour les chapitres rédigés par d’autres qu’elles. Il y a ensuite eu le souhait d’une cohérence axiologique, c’est-à-dire par rapport aux valeurs du travail social qui sont si chères à nos yeux, et qui ont orienté nos choix, quels que soient les termes utilisés, pour décrire et analyser les différentes facettes de cette pratique du travail social. Enfin, dernier élément et non le moindre, il y a eu le désir de voir incarner la philosophie du rétablissement tout au long de cette publication. Cette conviction profonde – que la souffrance ne doit pas remplir et traverser toute la vie, qu’un mieux-être est possible et que l’espoir est décidément envisageable – est au cœur de cet ouvrage. En effet, dans les pages qui suivent, il sera question d’informations à considérer, d’analyses à réaliser, de gestes à poser. Mais nous y expliquerons également ce qui constitue la posture particulière du travail social en santé mentale, à savoir qu’au-delà des manifestations des troubles, des mots utilisés et des diagnostics se trouve une personne unique envers laquelle nous devons fermement nous engager, en défendant sa singularité et en la mettant au centre de nos actions. Notre souhait est que la considération et le respect – que nous avons envers les personnes, les familles et les intervenants qui vivent, ou côtoient, la souffrance quotidiennement et qui contribuent par leurs façons d’être et de faire au rétablissement –, immenses, se reflètent dans cet ouvrage.

    LA DESCRIPTION DE L’OUVRAGE

    Devant ces réalités, les travailleurs sociaux doivent disposer d’un large éventail de connaissances et de compétences pour intervenir. Cet ouvrage, qui s’adresse tant aux étudiants qu’aux intervenants des milieux institutionnels et communautaires dont la pratique s’inscrit de manière large dans le champ de la santé mentale, vise à fournir des repères conceptuels et pratiques adaptés aux particularités de l’exercice du travail social dans le champ, désormais multiforme, de la santé mentale. Il est constitué de onze chapitres regroupés en trois parties. Les chapitres sont construits à partir d’exemples, de vignettes cliniques ou d’extraits d’entrevues menées auprès de travailleurs sociaux qui exercent en santé mentale.

    Partie 1: Le travail social dans le champ de la santé mentale: un regard spécifique et une action particulière

    La première partie, qui comprend quatre chapitres, a pour but de situer le travail social dans l’univers de la santé mentale. Le chapitre 1, rédigé par Christiane Bergeron-Leclerc et Marie-Hélène Morin, avec la collaboration de Marc Boily, permet de situer historiquement les principales phases du développement et de l’évolution du travail social en santé mentale, de la désinstitutionnalisation jusqu’à nos jours. Également dans un registre combinant analyse critique et repères pratiques, le chapitre 2, écrit par Marie-Hélène Morin et Michèle Clément, pose quant à lui un regard sur le poids des mots utilisés pour décrire les personnes ayant un trouble mental et les troubles eux-mêmes. Si l’inventaire des mots présenté dans ce chapitre reflète bien la complexité de ce champ de pratique, le contenu permet de distinguer certaines notions utiles, qui sont aussi des repères pour l’intervention. Plus encore, ce chapitre permet de prendre conscience que la stigmatisation et la discrimination associées aux troubles mentaux sont étroitement liées aux mots utilisés pour désigner ces réalités. Dans le chapitre 3, Christiane Bergeron-Leclerc, avec la collaboration de Cécile Cormier, Marie-Hélène Morin et Bernadette Dallaire, aborde un concept pivot dans le travail social en santé mentale, à savoir le rétablissement. Elle en décrit les multiples significations qui peuvent sembler contradictoires et montre que le rétablissement est à la fois un mouvement porté par les personnes vivant des problèmes de santé mentale, un concept pour l’analyse scientifique des cheminements des personnes, et une philosophie d’intervention dans laquelle les travailleurs sociaux trouvent naturellement leur place… mais rencontrent aussi des défis qui interpellent directement les valeurs et pratiques centrales de leur discipline. Dans cet esprit, ce chapitre aborde aussi les compétences, approches, stratégies et attitudes susceptibles d’intégrer la philosophie du rétablissement dans l’intervention sociale en santé mentale. Finalement, dans le chapitre 4, Bernadette Dallaire et Michel Desrosiers présentent des concepts et analyses essentiels aux compétences de contextualisation dans le travail social en santé mentale. En particulier, ils y expliquent les analyses centrées sur les déterminants sociaux de la santé et de la maladie mentale. Ce faisant, ils démontrent comment et pourquoi ces analyses font partie intégrante des processus d’intervention en ce domaine, toutes méthodes incluses.

    Partie 2: La pratique du travail social dans le champ de la santé mentale

    La deuxième partie, qui comprend quatre chapitres, porte sur la pratique du travail social en santé mentale, dans ses déclinaisons individuelles, familiales et communautaires. Le chapitre 5, rédigé par Cécile Cormier, Christiane Bergeron-Leclerc, Annie Lévesque et Marjolaine Tremblay, avec la collaboration de plusieurs travailleuses sociales issues des milieux de pratique, situe les particularités du processus d’intervention sociale dans le champ de la santé mentale. Structuré autour des cinq étapes du processus d’intervention individuelle, il propose une présentation théorique de chacune d’elles, pour ensuite s’attarder aux enjeux qui leur sont rattachés. Les propos de travailleuses chevronnées du domaine viennent appuyer et illustrer différents éléments de contenu, donnant une couleur spécifique à la pratique du travail social en santé mentale. Dans le chapitre 6, Cécile Cormier et Christiane Bergeron-Leclerc, avec la contribution de plusieurs collaboratrices issues de la pratique qui ont rédigé des vignettes cliniques, s’intéressent également à l’intervention individuelle, mais sous un angle différent: celui des manifestations associées aux troubles mentaux. C’est ainsi qu’à partir des manifestations les plus souvent rencontrées dans la pratique en santé mentale, des repères d’intervention sont proposés, plus particulièrement sous l’angle des stratégies à éviter et celles à adopter. Le chapitre 7, rédigé par Marie-Hélène Morin et Myreille St-Onge, concerne l’intervention familiale dans la pratique du travail social en santé mentale. Elles situent la réalité des familles qui exercent un rôle de soutien pour une personne atteinte d’un trouble mental en apportant un éclairage sur leurs besoins, pour ensuite s’intéresser aux modalités d’intervention qui devraient être mises en place afin de les combler. Plus encore, elles illustrent les particularités de l’intervention familiale à travers des exemples de bonnes pratiques à mettre en place afin de les soutenir, notamment celles qui touchent le partage d’informations et la gestion de la confidentialité. Finalement le chapitre 8, écrit par Bernadette Dallaire et Sabrina Tremblay, porte sur l’intervention communautaire en santé mentale. Elles y expliquent d’abord le rôle des communautés en matière de santé mentale, en particulier comment celles-ci peuvent agir autant comme facteurs de protection que comme facteurs de risque en matière de santé mentale. Puis, à l’aide d’une vignette clinique décrivant une communauté (fictive) exposée à des changements structurels qui affectent la santé mentale de ses membres, les auteures montrent comment les bases de l’intervention collective en travail social (approches, étapes et stratégies) peuvent être adaptées et appliquées dans le contexte de l’intervention en santé mentale.

    Partie 3: Les particularités de l’intervention sociale dans le champ de la santé mentale

    La troisième partie, qui comprend trois chapitres, est dédiée aux particularités et défis inhérents au travail social dans le champ de la santé mentale. Nous y posons un regard pragmatique et critique sur les enjeux légaux, interprofessionnels et liés à la santé des travailleurs sociaux. D’entrée de jeu, le chapitre 9, rédigé par Jacques Cherblanc, Christiane Bergeron-Leclerc, Mychelle Beaulé, Jessica Mathieu et Julie Bouchard, situe le cadre éthique et légal de l’intervention sociale dans le champ de la santé mentale. Prenant la forme d’un dialogue entre deux intervenantes et à partir de situations concrètes d’intervention, il aborde des notions fondamentales rattachées aux aspects déontologiques, éthiques et légaux liés directement au champ d’action des travailleurs sociaux. À travers ces échanges qui permettent de démystifier ce champ complexe émergent des principes fondamentaux qui devraient fournir des repères utiles pour guider la pratique du travail social. Le chapitre 10, écrit par Christiane Bergeron-Leclerc, Élise Milot, Anne-Claire Museux et Annie Plante, s’intéresse à l’interprofessionnalité et aux modes de collaboration entre les professionnels qui gravitent dans l’univers de la santé mentale. La pertinence, la complexité de même que les modalités de collaboration et ses facteurs facilitants sont abordés. Enfin, dans le chapitre 11, rédigé par Jacques Cherblanc, Danielle Maltais, Andrew Freeman, Philippe Roy et Christiane Bergeron-Leclerc, avec la collaboration de David Goudreault, notre attention se dirige vers le bien-être du travailleur social. En raison de la complexité des situations et la multiplicité des enjeux auxquels il fait face, demeurer en santé est un défi. Ce chapitre, tout en situant les risques pour la santé des travailleurs sociaux, est surtout axé sur les solutions qui peuvent être mises en place sur différents plans dans une optique préventive.

    Nous concluons l’ouvrage en ciblant certaines tendances de fond influençant la pratique actuelle et future du travail social dans le champ de la santé mentale. Nous mettons en évidence non seulement les influences macrosociales, législatives, systémiques, organisationnelles et interprofessionnelles qui s’exercent sur la profession et la discipline, mais aussi les défis constructifs et les potentialités que ces tendances recèlent.

    1.Bien que les auteures auraient préféré féminiser le contenu de ce livre pour rendre compte de la forte majorité de femmes dans la profession du travail social, le masculin y est utilisé de manière générique et sans discrimination afin de respecter les règles d’édition des Presses de l’Université du Québec, elles-mêmes fixées en vue d’alléger les textes publiés.

    2.Ce livre est un ouvrage de base qui vise à donner une vue d’ensemble de ce champ de pratique. Les formateurs, intervenants et étudiants qui le souhaitent pourront toutefois utiliser ses contenus pour développer une perspective critique et analytique.

    LE TRAVAIL SOCIAL DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ MENTALE

    UN REGARD SPÉCIFIQUE ET UNE ACTION PARTICULIÈRE

    L’EXERCICE DU TRAVAIL SOCIAL DANS LE CHAMP DE LA SANTÉ MENTALE

    REPÈRES HISTORIQUES, POLITIQUES ET PRATIQUES

    Christiane Bergeron-Leclerc et Marie-Hélène Morin

    Avec la collaboration de Marc Boily

    Objectifs

    À la fin de ce chapitre, vous serez en mesure de:

    –Reconnaître les moments clés du développement historique de la pratique du travail social dans le champ de la santé mentale.

    –Comprendre l’influence de l’adoption et de la mise en œuvre des politiques sociales sur la pratique du travail social en santé mentale.

    –Comprendre l’influence des changements vécus dans l’organisation des soins et des services sur l’exercice du travail social.

    La pratique du travail social dans le champ de la santé mentale au Québec s’est transformée de façon importante des années 1960 jusqu’à nos jours. D’une pratique intrahospitalière (dans les asiles ou les services de psychiatrie des hôpitaux) qui visait presque exclusivement les personnes atteintes de troubles mentaux graves, nous sommes passés à une pratique de proximité, dans la communauté, en incluant les personnes ayant des troubles mentaux (dont l’ampleur et la sévérité varient) de même que leurs familles (Bergeron-Leclerc et al., 2003). La pratique hospitalière existe toujours, mais considérant que la majorité des personnes ayant des troubles mentaux peuvent se rétablir et résident majoritairement dans la communauté, les modèles contemporains de pratique se situent «hors des murs». Si de manière générale le développement du travail social comme discipline a suivi les transformations sociales du concept de la pauvreté et des solutions mises en œuvre pour la contrecarrer, l’exercice du travail social dans le champ de la santé mentale s’est transformé au gré des changements vécus dans les sphères sociales et politiques influençant du même coup l’organisation des services et les pratiques.

    Ce chapitre vise à rendre compte de l’évolution du travail social dans cet univers précis, à travers des périodes historiques qui renvoient aux vagues de désinstitutionnalisation qu’a connues le Québec. Le contenu est découpé en cinq périodes distinctes marquant trois tendances: l’institutionnalisation, la désinstitutionnalisation¹ et la non-institutionnalisation. Pour chacune de ces périodes, il sera question des principaux événements historiques, politiques, législatifs et organisationnels ayant marqué le champ de la santé mentale, de même que de l’évolution de la pratique du travail social. Des figures synthèses compléteront ce portrait descriptif. Bien que certains faits historiques puissent être communs à d’autres pays occidentaux et industrialisés, nous prévenons les lecteurs que ce qui est abordé dans ce chapitre est essentiellement ancré dans la réalité francophone québécoise et ne permet pas d’éclairer le développement des pratiques vécues ailleurs, incluant dans les milieux anglophones de la province².

    Ce chapitre est ponctué d’extraits d’entrevues menées auprès de deux pionnières³ du travail social dans le champ de la santé mentale et qui viennent illustrer nos propos par leur savoir expérientiel. Comme il y a peu de culture de transmission de l’expérience chez les TS⁴, nous avons jugé pertinent de donner une voix originale à ces pionnières, qui posent un regard «de l’intérieur» sur l’histoire du travail social. Si le recours à ces quelques extraits d’entrevue ne rend pas justice à leur vaste expertise ni à celle de l’ensemble des travailleuses sociales de l’époque, cela donne néanmoins accès à un pan d’histoire qui aurait été oublié autrement. À terme, l’objectif est de fournir des repères d’abord comme exercice de mémoire, afin de ne pas perdre de vue les racines historiques de l’exercice du travail social dans ce champ de pratique, mais surtout de solidifier les pratiques actuelles afin de paver la voie à celles à venir.

    1.1.LA PÉRIODE ASILAIRE AU QUÉBEC

    Rappelons d’abord qu’au Québec, la période asilaire s’étend jusqu’aux années 1960 (Lecomte, 1997). Cette période est caractérisée par l’important rôle exercé par les élites religieuses dans la gestion des établissements et l’administration de l’assistance sociale et médicale (Boudreau, 1984). S’il y a eu une spécialisation de l’internement amenant à distinguer le fou, le pauvre et le délinquant, qui ont alors été relégués à des institutions différentes (prisons, asiles, hébergement en hôpitaux généraux) (Dorvil, 1990; Mayer, 2002), les modalités de soutien pour les personnes ayant des troubles mentaux étaient très limitées et se résumaient le plus souvent à l’internement prolongé. Les asiles correspondaient alors au principal mode de traitement pour les troubles mentaux; elles fonctionnaient sans ouverture sur le monde environnant et préconisaient un retrait de la société. Lorsque les personnes étaient internées dans les asiles, elles n’en ressortaient qu’en de rares exceptions; leurs familles, quant à elles, étaient encouragées à limiter leurs contacts, puisqu’elles étaient considérées comme responsables de l’émergence du trouble (Boudreau, 1984). Bien que des traitements, le plus souvent expérimentaux (p. ex. lobotomie, sismothérapie, coma insulinique) étaient offerts, la très grande majorité était inefficace, ce qui augmentait la conviction que les troubles mentaux étaient incurables et chroniques. Le positionnement thérapeutique suivant prévalait alors: «On peut seulement héberger, interner, prendre soin du corps jusqu’à ce que la science médicale et neurobiologique vienne percer le secret de cette triste maladie» (Boudreau, 1984, p. 47-48). La découverte des neuroleptiques dans les années 1950 viendra renverser cette conviction et alimentera les espoirs de guérison des troubles mentaux. Ce sont toutefois les années 1960 qui ont amené cette remise en question du système asilaire et le processus de désinstitutionnalisation qui s’en est suivi.

    1.2.L’AMORCE DE LA RÉINSERTION SOCIALE: LES ANNÉES 1960-1970

    Il a été présumé que si une personne était traitée vigoureusement et précocement, près de sa maison, et pouvait rester dans la communauté avec l’aide des médicaments, la maladie mentale chronique allait disparaître. Il a été présumé que les hospitalisations à long-terme [sic] n’étaient plus nécessaires et qu’en l’occurrence les hôpitaux d’État pouvaient fermer.

    SMITH et HART, 1975, cité dans BACHRACH, 1978, p. 573, traduction libre.

    C’est dans les années 1960 que s’est amorcée, au Québec, la première vague de désinstitutionnalisation. Celle-ci s’inscrivait dans l’esprit de la Révolution tranquille et des multiples réformes qu’a connues le Québec à cette époque, dont l’un des principaux effets a été la séparation de l’État et de l’Église⁵. Elle a également pris racine dans le mouvement de santé mentale communautaire valorisant la recherche de solutions dans le milieu de vie des personnes et préconisant un recours parcimonieux à l’hospitalisation (Lecomte, 1997). Les coûts faramineux engendrés par les hospitalisations prolongées comparés aux économies qui pourraient être réalisées en traitant dans la communauté ont également fait partie des arguments en faveur de la désinstitutionnalisation (Dorvil et Guttman, 1997, p. 240). Enfin, le contexte de dénonciation des conditions inhumaines dans les hôpitaux psychiatriques de même que des effets néfastes des internements prolongés renforceront l’idée que les asiles ne doivent plus constituer le principal lieu de traitement des personnes présentant des troubles mentaux. À ce titre, la parution du livre Les fous crient au secours (Pagé, 1961) a engendré une véritable révolution au Québec. Elle est à l’origine de la commission d’enquête sur les hôpitaux psychiatriques, ce qui correspondra au point de départ du processus québécois de désinstitutionnalisation.

    FIGURE 1.1.

    Les faits saillants pour la période des années 1960 à 1970

    Les recommandations issues de la commission Bédard, Lazure et Roberts (1962) visaient essentiellement une plus grande humanisation des soins (Lecomte, 1997). C’est ainsi qu’il a été suggéré d’arrêter de construire des hôpitaux psychiatriques, de réaménager les unités de soins dans les hôpitaux psychiatriques, de créer des services de psychiatrie dans les hôpitaux généraux et de mieux redistribuer les montants investis entre les soins physiques et psychiatriques (Bédard et al., 1962). Le processus de désinstitutionnalisation s’est donc amorcé en ayant un double mandat: a) éviter les hospitalisations en libérant les personnes dont l’état ne requiert plus une hospitalisation prolongée, en réduisant les durées de séjour lorsque les admissions sont inévitables et en prévenant les hospitalisations non nécessaires; b) développer des services dans la communauté afin d’offrir une réponse aux besoins cliniques, familiaux et sociaux des personnes ayant des troubles mentaux (Mayer, 2002).

    1.2.1.Le début de la pratique du travail social en santé mentale

    Les premiers services de service social ont vu le jour dans le contexte de désinstitutionnalisation des années 1960. À cette époque, ceux-ci étaient constitués de quelques TS pour des populations avoisinant les 5 000 personnes internées. Bien que certaines résistances se sont fait sentir à l’époque, la discipline du travail social en psychiatrie a gagné tranquillement sa place⁶, par l’entremise du casework social, une méthode structurée d’intervention individuelle conçue et diffusée par Mary Ellen Richmond (1917)⁷. Le recours au casework a permis aux TS «d’effectuer des interventions dans les aspects psychosociaux de la vie d’une personne afin d’améliorer, de restaurer, de maintenir ou d’accroître son fonctionnement social en améliorant son action dans ses rôles sociaux» (Leczinska, 1967, p. 109). Parallèlement, la méthode du travail social des groupes utilisée dans les milieux médicaux et psychiatriques a contribué au développement du travail social (Émond, Lindsay et Perreault, 1985).

    Dès leur intégration dans les milieux psychiatriques, les TS se sont vus attribuer le rôle de voir à la réinsertion sociale de la personne atteinte et ont été désignés pour intervenir auprès des familles (Leczinska, 1967; Mayer, 2002). Ils ont donc rapidement eu un double mandat: celui de la réinsertion sociale⁸, qui vise non seulement la sortie de l’institution, mais également l’adaptation réciproque de l’individu et de son environnement, et celui du maintien dans la communauté des personnes ayant des troubles mentaux (Bergeron-Leclerc et Cormier, 2009; Leczinska, 1967). Si certaines théories explicatives des troubles mentaux en vogue à l’époque contribuaient à entretenir la méfiance des professionnels à l’endroit des familles, des TS soutenaient que la collaboration avec ces dernières était essentielle (Corriveau, 1967).

    Les tâches allouées aux TS se sont étendues à mesure de la reconnaissance de leur rôle spécifique. L’examen de l’histoire sociale de la personne (la méthode d’évaluation de l’époque) était préalable à la sortie et au retour dans le milieu de vie. Il y avait certes un travail préparatoire avant le départ de l’institution (p. ex. le développement d’habiletés nécessaires à la vie en communauté), mais le soutien offert une fois la personne «à l’extérieur des murs» était variable selon le type de milieu de vie (p. ex. famille d’accueil, résidences de groupe, chambre ou logement autonome). Ce travail préparatoire ne concernait alors que les personnes atteintes; les familles n’ont pas été préparées à ce retour massif dans la communauté. Dans le même ordre d’idées, les services qui devaient être mis en place dans la communauté ont tardé à voir le jour, ce qui a eu pour effet de compromettre le parcours des personnes désinstitutionnalisées, ce qui s’est traduit notamment par des conditions de vie précaires, la désertion des familles, des périodes d’errance et d’itinérance et des réadmissions à l’hôpital (Tessier et Clément, 1992). Les TS détenaient alors peu de moyens d’intervention pour contrer le «syndrome de la porte tournante⁹», un phénomène qui a touché plusieurs personnes atteintes et leurs familles.

    1.2.2.Le point de vue des pionnières en travail social sur cette période historique

    Les pionnières qui ont participé à des entrevues pour partager leur point de vue sur le développement du travail social pendant cette période ont connu la pratique intrahospitalière des premiers services de psychiatrie. Les deux extraits présentés ici témoignent de l’émergence de la reconnaissance à l’endroit de l’expertise psychosociale des TS. On peut notamment voir comment l’évaluation psychosociale effectuée permettait parfois de préciser le diagnostic, mais surtout d’orienter le traitement qui s’ensuivait:

    J’ai eu la chance de connaître un patron qui appréciait le service social, qui m’a intégrée dans son équipe médicale, mais d’une façon extraordinaire: il m’invitait le lundi matin aux réunions avec ses internes, quand il faisait la tournée des patients pour décider le programme de la semaine, alors moi j’étais là pour voir ou déceler si je pouvais être utile au plan psychosocial, si je percevais une difficulté quelconque parce que la façon dont on percevait le travail, c’était de dire: quels seraient les facteurs psychosociaux qui ont une incidence sur la maladie ou quels sont les facteurs médicaux qui ont une incidence sur les facteurs psychosociaux? Je rencontrais le patient, je faisais une évaluation. […] Nos normes c’était 48 heures pour poser un diagnostic psychosocial et l’écrire pour l’insérer dans le dossier et à partir de ça, on établissait un plan de traitement. On a eu la reconnaissance d’avoir accès aux dossiers médicaux, alors quand on voyait un malade on pouvait aller voir, j’ai appris beaucoup de choses évidemment sur les maladies (Denise Daunais Pinson).

    Ils se sont aperçus qu’avec l’évaluation psychosociale que l’on faisait, que je faisais à l’urgence, qu’il y avait des liens à faire avec la maladie et le vécu des personnes qui étaient là et puis, on facilitait des congés. […] Alors c’est là que le service social a démontré qu’il y avait un lien avec la maladie, l’aspect psychosocial et puis aider au diagnostic aussi, selon l’évolution de la maladie, selon les caractéristiques, le vécu du patient, alors de plus en plus, j’étais admise au niveau de l’urgence, j’ai eu mon bureau dans l’urgence (Suzanne Thibodeau-Gervais).

    Les pionnières mentionnent également la place qu’elles ont occupée et qu’elles ont prise dans les pratiques hospitalières de l’époque, ce qui a entraîné une plus grande reconnaissance de la contribution du travail social dans les pratiques en santé mentale:

    C’est en démontrant nos capacités, les notes dans les dossiers étaient claires et à ce moment-là, on faisait nos notes à la suite dans le dossier, c’était pas des feuilles à part comme maintenant, alors tout le monde lisait où le patient était rendu socialement et puis, quelle décision qu’on peut rendre. On était consulté, ce qui n’existait pas avant. Je pense que c’est à ce moment-là que le service social a fait un grand pas pour être reconnu au niveau médical, comme collègue, comme profession faisant partie du milieu médical (Suzanne Thibodeau-Gervais).

    Pouvoir prendre des initiatives, être entendue et le fait de la multidisciplinarité qui était sur place: ça, ça été une époque magnifique! Je ne sais pas pourquoi mais le milieu médical c’est triste mais pour moi, ce n’était pas triste: j’aimais ça rentrer à l’hôpital le matin, un peu comme l’urgentologue. J’ai eu aussi la chance d’avoir une certaine reconnaissance, alors que dans d’autres milieux, la reconnaissance, il ne fallait pas que tu aies ça, il fallait que tu t’investisses, que tu donnes le mieux que tu peux et que tu n’attendes rien! (Denise Daunais Pinson).

    1.3.LES SUITES DE LA RÉINSERTION SOCIALE: LES ANNÉES 1970-1988

    La Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (mieux connue sous le nom de commission Castonguay-Nepveu, 1967-1972) a marqué le début de la deuxième vague de désinstitutionnalisation. L’adoption de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) et la mise en place du régime universel d’assurance maladie ont permis le déploiement d’un réseau de services dans la communauté. L’intention générale était d’offrir une intervention globale et de rendre le système plus équitable en démocratisant l’accès aux services de base (Mayer, 2002). En cohérence avec le principe d’universalité des soins, la santé mentale comme droit de tous a été au cœur de ces changements (Tremblay, 1996). C’est ce qui a notamment favorisé le développement de services de prévention et de promotion de la santé par la mise sur pied des centres locaux de services communautaires (CLSC) en parallèle des services curatifs qui étaient déjà offerts afin de traiter les troubles mentaux. Alors que les CLSC s’occupaient des services sociaux généraux, les centres de services sociaux (CSS) étaient dédiés aux services sociaux spécialisés, notamment dans le champ de la psychiatrie adulte¹⁰. En même temps que ces structures se sont développées, des professionnels d’autres disciplines (p. ex. psychologues et ergothérapeutes) ont été embauchés, venant bonifier l’offre de services par la présence d’équipes multidisciplinaires en santé mentale.

    FIGURE 1.2.

    Les faits saillants pour la période des années 1970-1988

    Les années 1970 ont été une période riche en changements. En effet, en réaction à la psychiatrie traditionnelle considérée comme un moyen de contrôle social, se sont déployées des ressources alternatives en santé mentale, en parallèle des services publics. Le développement de ces ressources était porté par le courant de psychiatrie radicale ou d’antipsychiatrie, le tout dans une perspective de défense des droits des personnes utilisatrices de services (Tremblay, 1996). Ces organisations de défense de droits revendiqueront autant de meilleures conditions d’hospitalisations que de meilleurs traitements dans la communauté (Kaufmann, 1999; Tremblay, 1996)¹¹. Le nombre croissant de ressources qui adhèrent à une approche alternative en santé mentale ou dont le mandat concerne la défense des droits des personnes ayant des troubles mentaux a donné lieu à la naissance de regroupements et d’associations provinciales¹² exerçant une influence sur les pratiques en santé mentale.

    En plus de ces organisations, d’autres visant à briser l’isolement des personnes, à soutenir l’intégration au travail ou encore à offrir du soutien aux familles des personnes ayant des troubles mentaux ont vu le jour au cours de cette même période, notamment la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM)¹³. Portée par l’émergence du mouvement des familles (family consumer movement), cette association regroupant différents organismes communautaires et groupes d’entraide a contribué à faire valoir les droits des familles ainsi que la reconnaissance réelle de leur apport dans la réadaptation de leurs proches atteints. Ayant une visée éducative, d’entraide et de défense de droits, ce regroupement a permis aux familles de prendre conscience de leurs forces de revendication une fois regroupées entre elles (Tessier et Clément, 1992).

    Poursuivant l’objectif de réfléchir aux principaux enjeux et à l’amélioration de la qualité des services dans le champ de la santé mentale, un regroupement d’experts réunis sous le nom de Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ) (1971 à 2005) a été mis en place au cours de cette même période. Le CSMQ a toujours été porteur de la vision «sociale» à l’intérieur du champ de la santé mentale et cela s’est notamment traduit par des travaux portant par exemple sur la pauvreté, la réadaptation, l’intégration au travail. Actif pendant plus de trente ans, ce comité-conseil relevant du ministère de la Santé et des services sociaux (MSSS) a produit plus de cinquante rapports, études et avis sur diverses questions liées à la santé mentale¹⁴. Son influence a été marquante tant sur les pratiques que sur les politiques sociales développées au cours de son existence.

    Par ailleurs, les pratiques interventionnistes de l’État de l’époque ont toutefois eu pour conséquence d’augmenter considérablement les dépenses du système en matière de santé. Conjuguée au choc pétrolier (1973) et à la période de récession qui a suivi (1980), cette hausse a eu pour effet d’entraîner l’État-providence dans une crise à la fois fiscale et sociale, ce qui a amené des compressions dans les services offerts à la population. En réponse à cette crise, une commission ayant pour but de faire le point sur les services de santé et les services sociaux¹⁵ a été créée (la commission Rochon, 1988). Les recommandations de cette commission ont mené à limiter les coûts du système, elles ont entraîné un désengagement de l’État dans le domaine du social ainsi qu’une réduction considérable des institutions publiques (Tremblay, 1996). Dans la même foulée, la pénurie de ressources pour accompagner les personnes dans la communauté a été dénoncée par les groupes communautaires et des critiques ont été formulées par rapport aux pratiques institutionnelles, notamment celles liées à une médication considérée comme abusive.

    La pratique du travail social s’est développée et diversifiée de façon importante dans cette période florissante des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980. La création des CLSC et des CSS a favorisé le déploiement des TS dans la communauté, multipliant ainsi les lieux d’exercice de la profession, bien que ce transfert ne se soit pas déroulé sans résistance. Par ailleurs, le travail social, jusque-là majoritairement ancré dans une perspective individuelle, s’est diversifié pour inclure les méthodes auprès des collectivités et des groupes. Le milieu communautaire a d’ailleurs contribué au développement d’alternatives et à la diversification des modes d’intervention. Puis, le principal outil diagnostic des TS, auparavant nommé l’«histoire sociale», est devenu au fil du temps l’«évaluation psychosociale». S’appuyant sur le modèle biopsychosocial, les TS ont pris en considération les aspects sociaux des troubles mentaux en s’intéressant, d’une part, à

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