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Le travail social: Théories, méthodologies et pratiques
Le travail social: Théories, méthodologies et pratiques
Le travail social: Théories, méthodologies et pratiques
Livre électronique837 pages9 heures

Le travail social: Théories, méthodologies et pratiques

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À propos de ce livre électronique

Ce livre vise à introduire de nouvelles façons de concevoir, de théoriser et d’intervenir sur le social en ce XXIe siècle. En revisitant d’une manière créative les postulats de base du travail social, les auteurs proposent des lectures inédites des problèmes sociaux, un regard plus nuancé sur les populations marginalisées, un renouvellement des politiques sociales comme levier de citoyenneté ainsi que des pistes d’intervention plus respectueuses des individus.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2013
ISBN9782760531055
Le travail social: Théories, méthodologies et pratiques
Auteur

Elizabeth Harper

Elizabeth Harper is an internationally acclaimed teacher, intuitive, and healer with an extensive clientele including royalty, celebrities, government officials, and professionals from all walks of life. She is rapidly developing a powerful voice as a speaker while establishing herself as an authority on intuitive and psychic development. Elizabeth trained at the College of Psychic Studies and the Spiritualist Association of Great Britain, both renowned institutions. Today she leads popular workshops at the Omega Institute for Holistic Studies in Rhinebeck, New York, and writes regular columns and articles for magazines in the United States, Australia, and South Africa. She has appeared on American and British television and is creator of the Chakra Workout Meditations CD and Rainbow Spirit Jewelry.

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    Aperçu du livre

    Le travail social - Elizabeth Harper

    femmes.

    Elizabeth Harper et Henri Dorvil

    Au Québec et ailleurs, la base de connaissances sur laquelle le travail social est construit a considérablement évolué depuis la naissance de la profession. Les pionnières de la profession, activité charitable basée sur des valeurs philanthropiques, ont développé des approches et des méthodologies d’intervention et d’action sociale à partir de connaissances surtout expérientielles (Bogo, 2005). Au fil du temps, et en s’inspirant de théories provenant d’autres disciplines comme la psychiatrie, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et même la philosophie, le travail social a consolidé cette base en développant un ensemble de savoirs sur l’impact de problèmes sociaux tels que la pauvreté, les troubles mentaux, la violence, l’itinérance et les processus des dynamiques d’exclusion sociale, ainsi que sur les différentes populations ciblées par le travail social. Comme d’autres professions de relation d’aide, le travail social a expérimenté de nouvelles approches dans divers milieux d’intervention auprès d’un ensemble de populations aux prises avec des problèmes sociaux spécifiques, ce qui a eu comme effet de diversifier les connaissances sur les pratiques d’intervention pour venir en aide aux individus, aux groupes, aux familles et aux communautés. Malgré cette diversification des connaissances produites en travail social, que ce soit à propos des approches d’intervention, des populations visées par les pratiques ou encore des grands débats qui continuent d’accompagner la profession dans son développement au sujet de ses finalités ou de l’articulation entre la théorie et la pratique, un besoin de mettre à jour et de diffuser les connaissances aux futurs intervenants et travailleurs sociaux apparaît de plus en plus évident.

    Depuis quelques décennies, tant les universités que les milieux de pratique s’inquiètent du manque d’outils théoriques et méthodologiques en travail social au Canada, ce qui n’est pas le cas en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre et aux États-Unis. Au Québec, en ce moment, il existe un corpus de littérature qui représente un ensemble d’ouvrages incontournables s’adressant aux étudiants qui commencent leur formation en travail social. Nous relevons entre autres : Le travail social : théories et pratiques dirigé par Adje Van de Sande, Michel-André Beauvovolsk et Gilles Renault (2011) ; Introduction au travail social dirigé par Jean-Pierre Deslauriers et Yves Hurtubise (2007) : et le Traité de travail social de Guy Bilodeau (2005). Il faut souligner aussi la contribution de quatre tomes portant sur les problèmes sociaux et les méthodologies de l’intervention sociale publiés dans la collection « Problèmes sociaux et interventions sociales » (Dorvil et Mayer 2001a ; Dorvil et Mayer, 2001b ; Dorvil, 2007a ; Dorvil, 2007b) dans lesquels plusieurs contributions reflètent les expertises développées en travail social autour de différents problèmes sociaux et de divers types d’interventions auprès des personnes touchées par ces phénomènes. En ce qui concerne la méthodologie de l’intervention conçue en travail social, on peut compter quelques livres sur l’intervention auprès des communautés (Bourque, Comeau, Favreau et Fréchette, 2007 ; Lamoureux et al., 2011) ; l’intervention interculturelle (Legault et Rachédi, 2007) et le service social de groupe (Berteau, 2006 ; Turcotte, Lindsay et Roy, 2008). Bien que nous saluions la parution récente d’un ouvrage sur l’intervention auprès des individus (Turcotte et Deslauriers, 2011), il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de la seule référence de cette ampleur en la matière. Finalement, il n’existe aucun ouvrage sur les fondements théoriques en travail social, et ce, malgré le fait que des débats et des tensions autour des usages de connaissances et d’articulation du lien entre la théorie et la pratique ont été au cœur des préoccupations de la profession et des milieux de formation tout au long de son histoire. Le présent livre est donc à la fois en continuité avec ce qui a été écrit sur le travail social auparavant, mais aussi en rupture, car il vise à introduire de nouvelles façons de conçevoir, de théoriser et d’intervenir sur le social au début du XXIe siècle.

    Pourquoi ce livre maintenant ? Parce que le travail social se situe à la croisée des chemins. Il peut prendre un chemin qui conduit à une accélération de l’instrumentalisation de l’intervention et à la prise en charge des personnes et des communautés jugées à risque ou, encore, il peut en prendre un autre qui exige qu’il soit équipé pour supporter l’incertitude, la complexité et le doute associés au travail sur des problématiques portées par un individu, une famille, un groupe ou une communauté. Cette manière de faire constituerait une posture de compréhension et de prise en compte telle que décrite par Karsz (2004). Les directeurs de cet ouvrage croient que le travail social devrait s’engager résolument dans cette deuxième voie. Voilà pourquoi une invitation a été lancée à un ensemble de chercheurs et d’intervenants pour contribuer à ce projet en vue de positionner le travail social du XXIe siècle. Dans les pages qui suivent, nous explorons des enjeux en lien à la fois avec la pratique du travail social, le développement et l’usage de connaissances en travail social.

    LE TRAVAIL SOCIAL AU DÉBUT DU XXIE SIÈCLE À LA CROISÉE DES CHEMINS

    Le travail social est en rapide transformation. Cette situation s’explique par un certain nombre d’éléments. D’abord, comme il est mentionné dans plusieurs ouvrages sur le travail social publiés ici et ailleurs, les transformations économiques et sociales des dernières décennies, liées aux phénomènes de la mondialisation (Villeneuve, 2007) et à la « crise de la modernité » (Bourgon et Gusew, 2007), ont eu un impact énorme sur les conditions de vie des personnes qui fréquentent les services sociaux et les organismes d’aide. On peut penser entre autres à la polarisation des revenus d’emplois, à l’accentuation de l’écart entre les riches et les pauvres, à la précarisation de l’emploi, à la croissance de la bureaucratie organisationnelle, aux compressions budgétaires dans le secteur des services sociaux, à la mouvance vers la privatisation de services, etc. (Villeneuve, 2007 ; Van de Sande, Beauvolsk et Renault, 2010). Dans un tel contexte, les travailleurs sociaux sont amenés à travailler avec des individus, des familles et des collectivités en situation de précarité accrue et aux prises avec un ensemble de problèmes sociaux complexes. Au-delà de l’utilisation du sens commun et des valeurs personnelles en intervention – dont la visée est de permettre aux individus d’améliorer leur situation en se réappropriant un pouvoir d’agir individuel, en conformité avec les orientations des politiques sociales traitant des problèmes sociaux –, en principe, ce qui distingue le travail social d’autres professions de relation d’aide est la manière d’observer, d’examiner et d’analyser les situations que vivent les individus, les familles et les communautés.

    Et quel est ce regard ? Il est vrai que les écrits en travail social sont parsemés de débats portant sur les questions existentielles à propos de la profession et de ses finalités. Mais en soi, ce que cette littérature introduit comme étant propre au travail social est le regard sur le social, c’est-à-dire la prise en compte de la personne en situation, les aspects qui contribuent à l’émergence d’une telle situation ainsi que les dynamiques liées aux rapports sociaux qui contribuent au positionnement social de la personne dans cette situation et dans la société en général. Le travail « du social » dans le travail social est la mise en évidence dans la compréhension, l’interprétation et l’action de la primauté du contexte social (Grey et Webb, 2009). Cependant, pour maintenir ce regard sur le « social » et ainsi agir dessus, cela exige que les travailleurs sociaux fassent usage de connaissances provenant des sciences humaines et sociales pour tenir compte du contexte social et du comportement humain et pour coconstruire en interaction avec les personnes concernées des compréhensions de leurs situations et des interventions qui ont un sens pour elles. Nous souhaitons que ce livre apporte une contribution aux débats sur les usages des connaissances en intervention ainsi que sur le rôle du travail social à la lumière des contraintes sociales, politiques et intellectuelles auxquelles font face les travailleurs sociaux au XXIe siècle.

    La mouvance de modernisation des pratiques en santé mentale et en relations humaines exerce une influence considérable sur le travail social. Il n’y a pas longtemps, le gouvernement du Québec a adopté le projet de loi 21, dont le but général est de réformer l’encadrement des pratiques professionnelles dans le réseau de la santé et des services sociaux. Les travailleurs sociaux ont toujours été habitués à faire des évaluations psychosociales, à développer des projets d’intervention individualisés, à accompagner des individus, des groupes et des familles dans la résolution des situations problématisées dans lesquelles ils se trouvent. Or, par l’entremise de cette loi, le gouvernement s’introduit dans l’exercice du champ professionnel du travail social, mais à travers un autre langage. Au lieu d’utiliser l’expression évaluation psychosociale, qui fait partie du vocabulaire traditionnel des travailleurs sociaux, la loi emploie l’expression évaluation de fonctionnement social qui porte le sceau du fonctionnalisme, s’inscrivant ainsi dans une terminologie générique commune à l’ensemble des professions d’aide touchées par cette politique. Ce qui nous éloigne de l’interactionnisme/constructivisme si cher aux TS.

    Comme Howe (2002) le souligne dans ses écrits, on ne doit pas sous-estimer les effets d’un changement de terminologie pour parler du travail social, ni ignorer le chemin emprunté pour s’introduire dans le vocabulaire. « Lorsque la langue utilisée et l’environnement conceptuel qu’elle soutient subissent des changements, les utilisateurs de cette langue commencent à penser et à agir différemment. Des changements dans le langage amènent des changements dans la réalité » (Howe, 2002, p. 93 ; traduction libre). Dans le contexte de l’application de la « loi 21 », l’objet d’évaluation devient alors les capacités d’adaptation et de fonctionnement de l’individu plutôt que la situation comme telle. Certaines questions se posent ici : comment le travail social peut-il s’assurer que l’évaluation comme telle va demeurer axée sur la situation que vit un individu ou une famille et non sur leurs capacités de fonctionnement et d’adaptation sociale ? Comment maintenir l’accent sur le social, les situations comme telles, les problèmes sociaux en jeu dans la situation ainsi que les dynamiques et les effets des inégalités sociales qui sont évidentes ? Comment faire en sorte que les connaissances et le langage sur lesquels la profession se base restent ancrés dans la pratique du travail social ? C’est pour cette raison que nous avons demandé aux auteurs de porter une attention particulière à l’évaluation et à l’articulation entre les connaissances et la pratique. Et ce, d’autant plus que malgré la place qu’occupe l’évaluation en travail social, nous constatons qu’il existe peu d’écrits en français ; nous avons recensé Cadre de référence : l’évaluation du fonctionnement social publié par l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (Boily et Bourque, 2011a) et un chapitre de livre (Boily et Bourque, 2011b) qui porte sur ce même cadre.

    LES CONNAISSANCES À LA CROISÉE DES CHEMINS

    Lorsqu’on fait un survol de la littérature sur l’évolution du travail social d’ici et d’ailleurs, on constate l’absence d’un corpus de connaissances propre au travail social (Healy, 2005). Plus encore, le travail social s’appuie surtout sur des pylônes fabriqués par les sciences humaines et sociales, notamment la psychologie et la sociologie. Cependant, comme le soulignent un certain nombre d’auteurs, tout au long de son histoire, l’influence prédominante d’idées de différentes disciplines était une source de tension en regard des connaissances générées par la profession (Alary, 1967 ; Jones, 2002 ; Mayer, 2002 ; Healy, 2005).

    Le travail social a pris naissance dans les mouvements religieux du XIXe siècle. Les intervenantes/bénévoles de l’époque, mieux connues sous l’appellation « visiteuses sociales », ont développé des interventions basées sur des valeurs charitables et l’accumulation de connaissances expérientielles (Bogo, 2006). À l’aube du XXe siècle, les pionnières de la formation en intervention sociale se sont inspirées des théories provenant de l’économie et de la sociologie afin de se distancier de ces racines religieuses et de bâtir une pratique scientifique (Healy, 2005). À partir de 1910, arrive la parution des premiers écrits théoriques sur la méthodologie d’intervention sociale incluant le Social Diagnosis et What is Social Casework de Mary Richmond (1917 ; 1922), et sur les travaux de Jane Addams comme Democracy and Social Ethics (1902) et Twenty Years at Hull House (1910) (Opdycke, 2012). C’est autour des années 1920 que le travail social s’est éloigné du « social » en mettant de côté les connaissances des sciences économiques et de la sociologie pour adopter parfois aveuglément les référents de la psychiatrie et de la psychologie, plus particulièrement les théories psychanalytiques et les modèles d’intervention sous-jacents (Dubéchot, 2005 ; Healy, 2005). Comme le suggèrent Deslauriers (2007) et Healy (2005), il est possible que la popularité de ces approches en travail social soit une réaction aux limites du modèle casework de Mary Richmond. Bien que les forces de ce modèle aient été l’analyse des problèmes sociaux des « clients », ses faiblesses se situaient sur le plan de l’intervention (Healy, 2005 ; Deslauriers, 2007). Jones (2002) soutient qu’à cette époque, l’expérimentation de la pensée psychoanalytique en travail social « a fourni au travail social dans ces années-là un semblant de cohérence théorique, voire scientifique, ce qu’il n’a jamais retrouvé » depuis (Jones, 2002, p. 195 ; traduction libre). Certains historiens de l’évolution de la pensée en travail social expliquent que ce mouvement vers le modèle psychodynamique était lié aux préoccupations langagières (Jones, 2002). Pour que le travail social soit reconnu comme une profession, il a fallu transformer le langage utilisé pour décrire et analyser les situations, tout en préservant le regard moraliste qui était toujours au cœur du métier. L’intérêt était surtout de trouver d’autres mots, par exemple de parler des « facteurs de pathologie sociale » au lieu de « pauvre méritant » (Younghusband, 1951, citée dans Jones, 2002, p. 193). Jones (2002) affirme que le travail social n’a jamais été à la recherche de nouvelles connaissances en vue de renouveler des pratiques d’intervention ou de développer des compréhensions alternatives des problèmes sociaux. Au contraire, la pertinence des connaissances en sciences humaines a été évaluée en fonction de leur aptitude à légitimer les pratiques de la profession et asseoir sa vision de la normativité sociale de l’époque (Jones, 2002).

    Les auteures citées plus haut sont d’accord pour dire qu’à la suite de la Seconde Guerre mondiale, on a observé une remise en question de l’efficacité des modèles psychodynamiques et une mouvance vers les modèles de traitement à court terme, par exemple l’approche par la résolution de problèmes (Jones, 2002 ; Mayer, 2002 ; Bogo, 2005 ; Healy 2005). Cela a coïncidé avec l’implication de l’État dans l’offre et le financement des programmes sociaux. Une autre préoccupation par rapport aux modèles psychanalytiques concernait le peu d’attention accordé à l’analyse des problèmes sociaux vécus par des individus et des familles et l’impact des rapports du pouvoir et des systèmes d’oppression. Finalement, vers les années 1950, un désir de réintroduire le social dans le travail social a émergé, d’où la forte mouvance vers d’autres disciplines comme la sociologie, la philosophie, les sciences politiques, voire l’anthropologie (Healy, 2005).

    Au cours des décennies suivantes, régnaient, à l’intérieur de la profession, des tensions entre ceux qui s’étaient inspirés des perspectives psychologiques et ceux qui s’étaient alignés sur la sociologie et les nouveaux mouvements sociaux de l’époque. En même temps, lors des années 1960 et 1970, de nombreux modèles ont été développés dans une tentative de construire une base commune de connaissances pour le travail social (Healy, 2005). Peut-être le plus connu de ces modèles est l’approche psychosociale mise au point par Florence Hollis en 1964, qui intègre un ensemble des notions théoriques de la psychologie, de la sociologie, de la psychiatrie et des connaissances empiriques dérivées d’études de cas en travail social (Bogo, 2006 ; Healy, 2005). Aussi, certains théoriciens s’inspiraient de la théorie générale des systèmes pour développer des modèles d’intervention auprès des familles (Mayer, 2002). C’est dans ces années que le concept de « personne en environnement » a résonné dans le langage du travail social (Healy, 2005).

    À partir des années 1970, même l’usage des approches psychosociales et celles qui se sont inspirées de la pensée systémique faisaient l’objet de grandes tensions. Les critiques d’inspiration sociocritique ont fait valoir les limites de ces modèles dans la reconnaissance et le traitement des rapports d’oppression dans la précarité sociale individuelle et collective qu’ils produisent. De plus, comme le souligne Jones (2002) dans ses travaux, les théoriciens qui « s’intéressaient à la déviance posaient des questions sur la nature de la déviance, mais aussi sur le rôle des professionnels de l’État tels que les travailleurs sociaux impliqués dans la reproduction de la déviance » (Jones, 2002, p. 199 ; traduction libre) et des inégalités sociales en général. Ceux qui se sont inspirés de la pensée marxiste se posaient aussi des questions sur le rôle de la pratique du travail social dans le maintien du système capitaliste (Mayer, 2002). Ces interrogations ont été particulièrement embarrassantes pour le travail social, ce qui a miné la confiance et la certitude de la profession (Jones, 2002). Conséquemment, les Écoles de travail social dans le monde entier traversaient une période d’intense remise en question autour de la nature du travail social et de ses finalités (Kendell, 1976, cité dans Jones, 2002). Certaines ont avancé que le travail social devrait adopter des approches structurelles en affirmant que les travailleurs sociaux seraient plus efficaces s’ils tentaient de construire des alliances avec les « clients » fondées sur la poursuite de justice sociale en vue de modifier le système social plutôt que de changer les individus pour les adapter à un système profondément inégalitaire (Moreau, 1987 ; Jones, 2002 ; Howe, 2002 ; Healy, 2005). Même si certaines des positions prises à l’époque pourraient être considérées comme idéalistes, on assistait alors à l’émergence de plusieurs approches intégrant des perspectives radicales, marxistes et d’action sociopolitique comme les approches féministe, anti-oppressive, structurelle et d’empowerment (Jones, 2002 ; Mayer, 2002 ; Healy, 2005). Ces approches perdurent, bien que difficilement, parmi de nouvelles approches intégrées au travail social comme les thérapies comportementales (les modèles béhavioral et cognitif), d’intervention à court terme (intervention en situation de crise et intervention centrée sur la tâche), l’approche réseau, l’approche écologique, l’empowerment (Mayer, 2002) et dernièrement, les approches narratives.

    La littérature sur le travail social contemporain d’ici et d’ailleurs fait mention des impacts des transformations dans les milieux de pratique, particulièrement l’introduction de la « nouvelle gestion publique » dans l’organisation et l’administration de services sociaux et la valorisation du recours aux pratiques fondées sur des « données probantes » (Parazelli, 2012 ; James, 2004). Dans ce contexte, certaines connaissances provenant des sciences humaines et sociales deviennent moins importantes que dans le passé, car le rôle des intervenants est d’appliquer les programmes qui ont été développés par des experts (Jones 2002 ; Webb, 2002). Les connaissances nécessaires sont celles qui peuvent être utilisées pour aider les travailleurs sociaux à faciliter le déroulement de l’entrevue, recueillir des informations pertinentes sur la personne, identifier les facteurs de risque et des pathologies inhérentes à l’individu, catégoriser le type de « clients » et mettre en œuvre un plan d’intervention, le cas échéant (Howe, 2002). L’attention est centrée sur le « contexte » immédiat où les comportements et les besoins du « client » sont définis selon les règles, la vision, les ressources, les programmes prescrits et les procédures de l’établissement. Il devient alors moins nécessaire de faire usage des théories provenant de la psychologie et de la sociologie pour analyser et comprendre les causes des comportements et des situations ou de prendre en compte les facteurs d’oppression en jeu (Howe 2002 ; Jones, 2002). Ce constat pose des enjeux énormes par rapport à la place des connaissances en travail social.

    Ces développements dans les milieux de pratique aboutissent à une dévaluation du jugement et de l’autonomie professionnelle des travailleurs sociaux. Ce qui conduit à la redéfinition de la pratique basée sur des résultats pouvant être mesurés et évalués, à des pratiques standardisées, à des protocoles d’intervention, à des règles organisationnelles pour encadrer l’intervention et à des critères pour évaluer les compétences des intervenants (James, 2004). Dans un tel contexte, le risque que la pratique du travail social s’éloigne des fondements de base, des connaissances de la profession et de ses valeurs demeure omniprésent.

    PRÉSENTATION DES CHAPITRES

    Chaque discipline ou plutôt chaque science évolue à partir de ses fondements qui constituent en fait sa base, sa rampe de lancement vers son devenir, voire son destin. Il s’agit en quelque sorte d’une boussole qui indique la voie à suivre vers l’accomplissement du projet. Pour une intelligibilité claire de cet ouvrage, ces fondements empruntent trois secteurs de réflexion. Tout d’abord, la rencontre entre les problèmes sociaux vécus par les populations marginalisées au regard de la méthodologie d’intervention à l’œuvre en travail social, ensuite les enjeux éthiques qui sous-tendent la méthodologie en travail social, en dernier lieu, les perspectives théoriques en général ainsi que les us et coutumes du théorique en travail social.

    Partie 1. Les fondements

    Dans le premier chapitre, Dorvil et Boucher-Guèvremont, après deux revues de littérature, une sur les problèmes sociaux, l’autre sur les théories accumulées sur les populations marginalisées, ont effectué des entrevues avec cinq intervenants sociaux œuvrant dans différents services du Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance. En croisant ces trois sources d’information, ils ont créé une perspective pour tenter d’établir un rapport dynamique entre théorie et pratique. Dans le deuxième chapitre, il s’agit plutôt d’introduire le cadre de l’intersectionnalité dans les pratiques d’intervention en travail social. Le texte de Harper explore les manières dont les narratifs sociaux dominants au sujet de la « race », l’ethnicité, la religion et le genre sont entrelacés de narratifs sur les problèmes sociaux et les personnes aux prises avec ces problèmes et comment l’ensemble de ces narratifs s’intègrent aux politiques sociales et aux pratiques d’intervention.

    En quoi le travail social est-il concerné par les questions éthiques ? Quels outils théoriques peuvent appuyer la prise en charge de ces questions et soutenir une démarche éthique, dans le quotidien de l’exercice professionnel ? Le chapitre de Gonin et Jouthe propose des points de repères théoriques et méthodologiques pouvant être utiles pour tenir compte des enjeux éthiques que comporte l’exercice du travail social. Le chapitre de Doucet met d’emblée le focus sur les principales perspectives théoriques situées au fondement des approches du travail social. L’auteure montre que la connaissance en sciences humaines est configurée selon trois perspectives : transformation, sens, structure. L’action serait composée d’un pluralisme pragmatique qui commande, au bout du compte, un certain irénisme.

    En général, le lien entre « théorie et pratique » est souvent pensé dans une logique d’application où la connaissance d’une théorie doit nécessairement précéder l’action et s’appliquer à la transformation d’un objet ou d’une situation sociale. Questionnant cette tradition de pensée et d’action, le chapitre de Huot explore les différents problèmes liés à l’utilisation d’un tel modèle et présente une reformulation de ces rapports en s’appuyant principalement sur les idées d’usage d’un mot, d’une expression ou d’un récit (Wittgenstein), sur le caractère interactif et imprévisible de l’usage d’un narratif théorique au moment de l’intervention ainsi que sur les usages différenciés de récits théoriques dans différents contextes liés à l’intervention (rencontres avec les clients, collègues, supérieurs, etc.).

    Partie 2. Les politiques sociales et le développement social

    Que serait la pratique du travail social sans des politiques sociales ? Historiquement, les politiques sociales ont toujours servi d’accompagnateur, pour ne pas dire de viatique, de la pratique du travail social. Elles garantissent, servent de support à l’action des travailleurs sociaux et assurent le prolongement des retombées. Le chapitre de Villeneuve examine l’évolution de trois dossiers clés des politiques sociales québécoises, soit la politique familiale, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, les services sociaux et de santé dans le contexte où elles s’inscrivent. Comme le soutient cet auteur, l’approche québécoise s’est fortement inspirée, au cours des dernières décennies, du cadre de « l’État d’investissement social » mettant notamment l’accent sur des mesures de soutien aux enfants et aux familles ainsi que sur une lutte contre l’exclusion sociale basée en bonne partie sur les mesures visant à favoriser la participation au marché du travail. Tout en prônant une certaine collaboration entre l’État et la société civile et plus particulièrement avec le tiers secteur, les politiques sociales québécoises semblent cependant s’être éloignées d’une approche véritablement partenariale telle que mise de l’avant auparavant.

    Le texte d’Hanley, Kruzynski et Shragge a une certaine parenté sémiologique avec le chapitre précédent au sens où il interroge l’action de l’État sur la communauté. Depuis que la majorité des groupes communautaires dépendent de l’État pour leur financement, voire la définition de leur mandat, l’intérêt et la capacité de critiquer l’État en profondeur ont grandement diminué. Ce chapitre lance plusieurs chantiers de travail en vue d’un réel changement et présente en exemple des organisations de lutte (FRAPRU, MMF, CTI) pour un développement social global et une répartition plus égalitaire des richesses matérielles et symboliques.

    Partie 3. Les méthodes

    Comme dans la première partie, la partie 3 contient 5 chapitres. Le chapitre de Drolet ne saurait être plus d’actualité puisqu’il tient compte du cadre de référence sur l’évaluation du fonctionnement social publié en 2011 par l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ). Dans son chapitre, elle aborde deux volets, une définition du travail social et de l’intervention sociale individuelle et le processus d’intervention. Tenant compte de cette complexité, l’auteure avance que l’intervention individuelle entraîne des choix à faire au regard de l’angle ou des angles à adopter pour guider l’analyse et l’action.

    C’est sous le signe de la complexité également que Mongeau, Asselin et Roy abordent l’intervention clinique avec les familles et les proches en travail social. Selon ces auteurs, ce type d’intervention se penche sur des situations à chaque fois singulières, toujours d’une grande complexité parce qu’impliquant plusieurs systèmes eux-mêmes en relation, sans pour autant s’enliser dans l’hyperactivité, le chaos ou la stagnation. Ce chapitre est rédigé dans une perspective systémique et constructiviste avec des emprunts aux approches narrative et participative.

    Le chapitre de Roy, Turcotte, Lindsay, Bédard et Turgeon porte sur les théories de la pratique et est axé principalement sur les théories relatives aux systèmes sociaux, au soutien social et à l’humanisme. Avec ce texte, ces auteurs apportent une contribution originale à l’intervention sociale de groupe aux côtés des modèles développés à l’intérieur du travail social. Le présent chapitre montre le type d’analyse nécessaire à tout intervenant voulant développer son propre modèle de pratique et les bénéfices qu’il peut en retirer dans son travail auprès des groupes.

    C’est presque un truisme d’affirmer que l’intervention sociale collective a connu et continue de connaître des changements sous la poussée de divers facteurs : orientation des politiques sociales, action sur les risques, professionnalisation de la pratique, plusieurs formes d’engagement citoyen, incursion dans l’international, etc. Comeau aborde les changements touchant l’intervention collective selon deux perspectives : les configurations nouvelles de la société du début du millénaire et le brassage d’idées en vigueur au sein des sciences sociales.

    En travail social, l’évaluation psychosociale constitue le point de départ de l’acte d’intervention un peu comme le diagnostic avant le traitement médical. Dans ce chapitre, Keefler, Bond et Sussman examinent tant le processus (l’action de recueillir des renseignements) que le produit (le dossier écrit) de l’évaluation psychosociale. Le champ d’exercice des travailleurs sociaux couvre justement le processus continu d’évaluation psychosociale ou du fonctionnement social selon la « loi 21 » adoptée en 2009 par l’Assemblée nationale du Québec, qui redéfinit les champs d’exercice dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines.

    Partie 4. Des pratiques spécifiques et les enjeux du travail social contemporain

    Les pratiques spécifiques témoignent de la capacité du travail social à s’adapter aux reconfigurations sociétales, aux mouvements sociaux, aux mouvances démographiques et linguistiques, aux savoirs d’expérience, aux nouveaux paradigmes, ainsi qu’aux résultats de recherche. Il arrive même que des pratiques alternatives naissent dans la marge, reviennent au centre après une période de gestation ou émanent tout simplement de l’évolution normale ou de la contestation des méthodes classiques. La profession de travail social aurait besoin d’une bonne période de latence pour une évaluation du potentiel, pour un exorcisme éventuellement, avant d’accorder un certificat de navigabilité, un permis de séjour, voire d’existence à une pratique donnée.

    Le premier chapitre de cette quatrième partie est rédigé par Vatz-Laaroussi qui se pose une question cruciale : l’intervention interculturelle, est-ce une approche à la mode qui ne pourra résister longtemps aux intempéries ou un nouveau paradigme à même de s’installer dans la durée et d’influencer les fondements mêmes de la profession de travail social ? Ce chapitre repose essentiellement, selon l’auteure, sur une définition de l’intervention en situation interculturelle incluant à la fois l’intervention avec des immigrants dans une société d’accueil et l’intervention entre des communautés culturelles marquées par des rapports inégalitaires, mais aussi des interventions en contexte international dès que le contexte façonne des rapports interculturels.

    La Protection de la jeunesse a toujours constitué le plus gros volume d’intervention des travailleurs sociaux. Ne dit-on pas que la jeunesse c’est l’avenir de la nation ? Encore faut-il bien s’occuper du socle de cette nation ! Dans ce type d’intervention, il existe beaucoup d’acteurs certes, enfant, individu, couple, famille, conseiller familial, religieux, policier, mais les acteurs sont physiquement et culturellement inégaux. D’où la nature asymétrique de la relation et les enjeux de pouvoir tant individuels que collectifs. Ce champ de pratique peut s’appréhender sous plusieurs angles, mais l’auteure de ce chapitre, Louise Lemay, a décidé d’enrichir la réflexion critique sur la pratique évaluative, comprise au sens large, en abordant plus spécifiquement quelques enjeux et défis rencontrés dans ce champ d’action particulier situé en contexte d’autorité.

    Un domaine d’intervention qui souffre d’un manque flagrant d’expertise est celui s’intéressant aux peuples autochtones. Il ne s’agit pas ici d’appliquer sans tamisage un modèle théorique sur une réalité sociale. Christiane Guay, l’auteure de ce chapitre, a pris bien soin de faire raconter le travail social par des intervenants innus d’Uashat mak Marni-Utenam. Selon l’auteure, ce chapitre a pour objectif principal de témoigner de l’expérience concrète de pratiques d’intervention sociale portées par et pour les membres des Premières Nations. Plus précisément, il s’agit de montrer comment l’appartenance des intervenants innus à leur communauté et les connaissances tacites qui en découlent constituent de puissants facteurs de légitimation de leur intervention. Ensuite, comment la pratique des intervenants innus est concrètement imprégnée de valeurs et de façons de faire innues.

    Le chapitre suivant est de type « structurel » et porte sur la pratique anti-oppressive. Pullen-Sansfaçon a chosi de le présenter en trois volets. En premier lieu, l’auteure examine le concept d’oppression, dégage plusieurs principes découlant de quelques définitions de la pratique anti-oppressive. En deuxième lieu, à travers une étude de cas, elle analyse l’application de cette pratique à un groupe vulnérable et marginalisé, celui des enfants ne se conformant pas aux normes socialement établies dans le domaine du genre. En dernier lieu, il y a amorce d’une réflexion sur l’intégration des principes de la pratique anti-oppressive dans l’intervention sociale.

    Parton et O’Byrne présentent dans leur chapitre les sources philosophiques et les principes de la pratique du travail social constructif. Il s’agit pour ces auteurs de mettre en relief un certain nombre d’approches et de perspectives qui ont surgi au cours des dernières années et qui sont expressément fondées sur des idées et des concepts associés au postmodernisme et au « constructionnisme » social. De telles approches peuvent être perçues comme particulièrement pertinentes pour le développement et la mise au point de nos capacités pour la réflexivité et l’action créative.

    La démonstration de la répartition inégale des richesses matérielles et symboliques n’est plus à faire. Or, le travail social se pratique surtout auprès de personnes et de familles vulnérables et marginalisées. En fin de compte, de qui est composée la clientèle du travail social ? De personnes désaffiliées, avec des carences personnelles certes, mais surtout victimes de changements abrupts sur le plan économique, institutionnel, culturel ; d’employés au travail précaire, non protégés, assez souvent entièrement livrés aux forces du marché ; des êtres humains seuls avec eux-mêmes ou isolés socialement, fortement stigmatisés, discriminés et exclus des échanges sociaux. Toute cette population vit dans une époque dominée par la précarité de l’emploi, le chômage, le rétrécissement de l’État-providence et le développement fulgurant des dynamiques de l’individualisation. Drolet, dans un deuxième chapitre de cet ouvrage, analyse les interférences du contexte socioéconomique sur les pratiques sociales tout en tenant compte des contraintes économiques et organisationnelles des institutions.

    Dans un contexte de rétrécissement de l’État-providence et de rareté de ressources, les pouvoirs publics sont en quête de connaissances les plus épistémologiquement fondées pour prendre des décisions aussi bien administratives que cliniques. Quelles sont les meilleures pratiques, soit celles qui permettent d’aboutir aux résultats les plus concluants ? Quels sont les modèles de gestion les plus efficaces, mieux encore les plus efficients ? C’est de là que vient l’engouement pour les résultats de recherche les plus probants. Ce dernier chapitre, rédigé par Couturier, Gagnon, Belzile et Gbaya, montre comment s’effectue cette information de façon à élucider certains de ses effets pervers et à contribuer à une intervention professionnelle de qualité.

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    LES FONDEMENTS

    PROBLÈMES SOCIAUX, POPULATIONS MARGINALISÉES ET TRAVAIL SOCIAL

    Henri Dorvil et Sarah Boucher-Guèvremont

    À l’origine même du concept de problème social se trouve une volonté affirmée de minimiser les conditions sociales indésirables et de maximiser les conditions sociales idéales. Dans cette entreprise d’ingénierie sociale, la principale tâche des sociologues consiste à examiner les origines sociales, la structure et les processus dans la constitution des problèmes sociaux alors que les travailleurs sociaux s’occupent du traitement cas par cas des individus plutôt que de trouver une solution pour l’ensemble des problèmes affectant une société donnée. Ces problèmes sont d’ordre socioéconomique comme la flagrante disparité dans la répartition des richesses matérielles et symboliques entre une minorité de riches et une multitude de pauvres ; ces problèmes sont en lien direct avec les déterminants sociaux de la santé (p. ex., conditions de travail, habitation, revenu) ; ces problèmes sont également en lien avec la bonne gouvernance devant nous mener au bien-être général (p. ex., la réduction du taux de criminalité), à la diminution de la solitude, de la discrimination ; enfin, ces problèmes peuvent trouver une bonne partie de leur solution dans l’accès à une éducation de qualité, à l’égalité des chances pour tous. Ces problèmes sociaux ont donné naissance, à travers le temps, à la profession du service social.

    Selon Mayer (2002), il faut définir le service social comme une production historique d’une société qui engendre des problèmes sociaux qu’elle tente de résoudre et de gérer de diverses façons, notamment par l’action du service social. D’où l’importance dans ce cas de reconnaître, dans un premier temps, les problèmes sociaux propres à chaque époque et, dans un second temps, la façon dont la société les approche globalement. Les problèmes sociaux sont de nature complexe, d’origines diverses et exigent des actions multiformes. Ainsi, l’effort social constitue cet ensemble de mesures (philanthropie, répression, hébergement, politique sociale) prises par la société pour tenter de résoudre ce qui lui apparaît être un problème social.

    On entend par populations exclues ou marginalisées des groupes sociaux ou des individus qui vivent à la marge ou en périphérie du système social soit en termes de fragilité des réseaux familiaux ou sociaux, d’accès aux droits, de modes de vie ou d’insertion économique. Contrairement au qualificatif de déviant considéré comme étant péjoratif, les termes marge et marginalité revêtent plutôt une valence positive. C’est dans la marge, clament en cœur les sociologues, que l’on retrouve les comportements de demain. Dans l’entendement populaire comme dans la littérature scientifique, les populations marginalisées regroupent habituellement les chômeurs, les personnes assistées sociales, les personnes utilisatrices des services de santé mentale, les personnes itinérantes ou les personnes sans domicile fixe (SDF), les jeunes de la rue, les cas de polytoxicomanie ou de comportements de dépendance, les personnes vivant avec le VIH/sida, les travailleuses du sexe. De plus en plus, plusieurs auteurs particulièrement en France, en Suisse et au Québec (Châtel et Roy, 2008) utilisent une autre appellation pour désigner ces populations fragilisées ou désaffiliées : personnes vulnérables ou en situation de vulnérabilité, des termes inventés pour diminuer le caractère stigmatisant surtout d’exclus ou de non insérés.

    Ces nouvelles notions seraient porteuses d’espoir, de réintégration, d’exclusion partielle ou temporaire, d’une petite place sociale même pour se valoriser (Roy et Hurtubise, 2007). Souffrance sociale, passivité, victimisation côtoient désormais possibilité de mobilisation et de moyens d’agir.

    Cependant, pour des raisons d’ordre public, de normativité sociale et juridique (Roy, 2008), de cohésion sociale, voire d’esthétique, les pouvoirs publics se sont toujours intéressés à ces populations hors normes. Aussi, depuis bientôt un siècle, des disciplines comme la sociologie, le travail social, la psychologie, mais aussi l’anthropologie, la science politique et l’histoire ont fait de la marginalité un domaine de recherche, particulièrement le volet santé et la prise en charge des populations marginalisées. Le service social ou travail social intervient sur des problèmes sociaux et cherche à trouver avec l’aide de ces populations marginalisées une manière de gérer ces problèmes.

    Le présent chapitre a comme assise trois sources de connaissances. Tout d’abord, un savoir tiré d’une revue de la littérature scientifique sur les problèmes sociaux. Ensuite, un savoir issu d’une deuxième revue de littérature, venant cette fois des principales théories accumulées sur les populations marginalisées. En dernier lieu, nous avons effectué des entrevues sur les pratiques avec un échantillon de cinq intervenants sociaux œuvrant dans différents services du Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance. En croisant ces trois sources d’information, nous pourrons, par triangulation des données, les mettre en perspective, relativiser les angles de prise de vue adoptés, bref établir un rapport dynamique entre la théorie et la pratique.

    1.1. LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE SUR LES PROBLÈMES SOCIAUX ET LE CONCEPT

    Quels sont donc ces problèmes sociaux ? Ou tout simplement, qu’est-ce qu’un problème social ? Avant de penser définition et classification, il faut reconnaître deux réalités de départ, peut-être deux états de fait qui conditionnent ce champ d’études. Tout d’abord une idée maîtresse, un objectif qui consiste à découvrir comment minimiser les conditions sociales indésirables et comment maximiser les conditions sociales idéales. Le problème social se situe au confluent de ces deux visées. Ensuite, une répartition historique des tâches chez les principaux experts de cette branche du savoir : les sociologues investiguent les origines sociales, la structure et les processus dans la constitution des problèmes sociaux. Quant aux travailleurs sociaux, ils s’occupent prioritairement du traitement cas par cas des individus aux prises avec des problèmes sociaux et tentent secondairement de bricoler une intervention sociale collective qui met l’accent sur l’exercice du politique dans les rapports sociaux entre riches et pauvres. Cet état multidimensionnel des choses se reflète de manière très intelligible dans la définition que Hart (1923) donne du problème social :

    A social problem is a problem which actually or potentially affects large numbers of people in a common way so that it may best be solved by some measure or measures applied to the problem as a whole rather than by dealing with each individual as an isolate case, or which requires concerted or organized human action (Hart, 1923, p. 349).

    Toujours selon cet auteur, il existerait quatre types de problèmes sociaux ou quatre façons de les distinguer d’une manière explicite sans faire abstraction toutefois de possibles interactions. Tout d’abord, les problèmes sociaux d’ordre économique s’expriment fondamentalement dans l’écart croissant des revenus entre riches et pauvres dû aux forces du marché et à la baisse des transferts sociaux des gouvernements. Ensuite, les problèmes sociaux qui s’expriment en carences de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pauvreté constitue la plus grande menace à la santé des individus et des populations. Être en bonne santé constitue donc un atout précieux pour la réussite matérielle et symbolique. Autre expression des problèmes sociaux, le niveau sociopolitique. Autrement dit une gouvernance bien avisée pour réduire des fléaux comme la criminalité, la solitude, la discrimination. En dernier lieu, le volet éducationnel des problèmes sociaux, c’est-à-dire la socialisation des enfants dans des conditions optimales pour qu’ils puissent se développer pleinement et devenir d’honnêtes citoyens. Cependant, il faut remonter assez loin dans le temps pour examiner cette notion dans toute son amplitude.

    Le concept de problème social a pris naissance aux États-Unis au début du XXe siècle, à l’orée de l’ère moderne, qui, pourrait-on dire, a configuré les différentes composantes de ce vaste pays. La composition actuelle des États-Unis constitue la résultante de nombreuses années de construction de problèmes sociaux et de tentatives d’y apporter des solutions (Lopata, 1984). Il fallait beaucoup de stratégies pour intégrer de gré ou de force les enfants, les immigrants arrivant de tous les coins de la planète dans le système social. Beaucoup d’individus et de groupes sont inclus dans le système de production des richesses matérielles et symboliques selon les règles de la mobilité sociale ascendante, alors que d’autres en sont exclus demeurant au bas de l’échelle, c’est le système du in and out. Des règles strictes, des politiques sur l’immigration, sur l’éducation, la santé, le travail, le logement et le fonctionnement des individus dans la société en général incluant les lieux de réclusion pour les non-fonctionnels. Un intérêt spécial est porté à deux catégories sociales : les enfants, quitte à les enlever manu militari à leur famille, domaine où les travailleurs sociaux ont joué un rôle de premier plan ; les immigrants à resocialiser ou à déporter dans leur pays d’origine assez souvent après un passage en milieu carcéral. L’American dream est accompagné, la plupart du temps, du blaming the victim. La dysfonction des individus est vite pensée en termes biologiques pour ne pas remettre en question les failles d’un système structurellement inégalitaire. L’assimilation des nouveaux arrivants continuera de créer des conditions qui peuvent être définies comme des problèmes sociaux. C’est le vœu d’une société donnée, celui de la société américaine. Comme le soutient Blumer (1971, p. 301) :

    Social problems are not the result of an intrinsic malfunctioning of a society, but are a result of a process of definition in which a given condition is picked out and identified as a social problem. A social problem does not exist for a society unless it is recognized by that society to exist.

    Une même situation peut être considérée de différentes manières et une variété de solutions peut être proposée. Breslau (1988) le reconnaît, l’École de Chicago fait figure d’orthodoxie préfonctionnaliste et a accompagné aussi la contestation du fonctionnalisme dominant dans les années 1960 et 1970. Simplifiée à l’extrême, l’approche fonctionnaliste conçoit la société comme un être vivant dont chaque organe doit remplir sa fonction par rapport au tout organique. Pour les fonctionnalistes, les problèmes sociaux sont soit des problèmes de désorganisation sociale, soit des problèmes de déviance sociale (Dorvil et Mayer, 2001). Le fonctionnalisme explique, par exemple, que le phénomène de la pauvreté dérive de la complexification de l’organisation sociale rendant périmés certaines fonctions et certains rôles sociaux. Quant à l’interactionnisme, il met l’accent sur la subjectivité des problèmes sociaux induite par la réaction sociale. Cette théorie se démarque du fonctionnalisme par l’importance attachée à la perspective des acteurs sociaux, par l’emploi de l’ethnométhodologie, par la critique des institutions. Elle conduit à l’interactionnisme symbolique, c’est-à-dire au sens que les déviants accordent à leur conduite.

    En dernier lieu, cette théorie s’inspire de l’idéologie du conflit (contrairement à l’idéologie de l’ordre), à savoir que les groupes sont en lutte pour préserver leurs intérêts et imposer leur propre système normatif (Horton, 1966 ; Dorvil, 1973, 1990 ; Dorvil et Mayer, 2001). Cela met en lumière la dimension politique de la définition des groupes déviants et de leur contrôle, et permet à des prises de conscience d’aboutir à des réformes, à de nouvelles politiques sociales. La déviance serait le fruit d’une construction sociale et non un fait brut, objectif. Les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance. Selon Poupart (2008) et Becker (1963/1985), la déviance et le crime sont des construits sociaux parce que c’est au travers des relations sociales que les étiquettes de déviant et de criminel sont apposées.

    Une autre approche qui semble dynamique dans l’appréhension des problèmes sociaux est l’analyse constructiviste de Spector et Kitsuse (1977). Le constructivisme va à l’encontre de la conception objectiviste qui prétend aborder la réalité sociale de façon objective et neutre. Selon cette manière de voir, les problèmes sociaux sont considérés à partir des activités des individus (journalistes, médecins, politiciens, travailleurs sociaux, groupes communautaires et organisateurs syndicaux ou patronaux) qui réussissent à les faire émerger en tant que problèmes. Le modèle d’analyse constructiviste estime que les problèmes sociaux n’émergent pas d’une situation statique ou d’un événement spontané, mais d’une série d’activités qui évoluent et s’influencent les unes les autres. Selon ce modèle, le développement des problèmes sociaux passerait par quatre étapes principales :

    1re étape. La première étape est celle où des individus ou des groupes définissent une situation comme étant une problématique. On observe alors des tentatives collectives pour remédier à une condition perçue et jugée choquante et indésirable par certains individus ou groupes sociaux. Ces tentatives pour transformer des problèmes privés en débats publics constituent le point de départ du processus. Au cours de cette étape, les groupes formulent également des demandes à l’égard des pouvoirs publics afin de trouver une solution au problème.

    2e étape. La deuxième étape débute au moment où les revendications des groupes sont approuvées par une agence gouvernementale ou par une institution officielle influente. Ce qui caractérise cette étape, c’est le fait que le problème social est pris en charge par un organisme public ou privé qui manifeste au moins un intérêt véritable pour le problème social en question même si les solutions proposées ne s’attaquent pas aux conditions qui ont présidé à son apparition.

    3e étape. La troisième étape prend naissance lorsque les groupes considèrent que la réponse qui a été donnée par les pouvoirs publics ou autres n’est pas adéquate ou suffisante. Cette étape est caractérisée par le fait que les citoyens considèrent la réponse officielle comme une problématique, inappropriée au problème, et qu’elle ne satisfait pas le groupe revendicateur. Ce dernier peut aussi dénoncer le fait que la demande soit évacuée aux mains d’un comité d’étude. À cette étape, le groupe demandeur est souvent confronté à l’administration et à la bureaucratie, et cette situation peut engendrer au sein du groupe du cynisme, du découragement ou de la résignation.

    4e étape. Enfin, la quatrième étape prend forme lorsque le groupe revendicateur se dit profondément insatisfait de la solution imposée et qu’il tente d’appliquer des solutions différentes ou encore de créer des institutions dites alternatives. Cette étape reflète une remise en question de la légitimité des institutions, de leur capacité et de leur volonté de résoudre le problème.

    Cependant, les problèmes sociaux sont si enchevêtrés dans les sociétés contemporaines qu’il est permis de les transposer à d’autres niveaux pour mieux comprendre leur genèse et leur fonctionnement. Selon Fine (2006), les problèmes sociaux se manifestent dans des réseaux complexes, dynamiques et interconnectés. Ainsi, résoudre un problème social crée à la fois des opportunités et des contraintes qui, en retour, génèrent d’autres problèmes

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