Concertation et partenariat: Entre levier et piège du développement des communautés
Par Denis Bourque
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À propos de ce livre électronique
Denis Bourque
Denis Bourque est professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. Il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire (2007-2017). Ses recherches ciblent l’intervention collective ainsi que le développement social et celui des communautés territoriales. Il a codirigé avec Cyprien Avenel l’ouvrage Les nouvelles dynamiques du développement social (Champ social, 2017). En 2018, il a publié L’intervention collective: convergences, transformations et enjeux aux Presses de l’Université du Québec, avec Yvan Comeau et René Lachapelle. En 2020, il publie Intervenir en développement des territoires chez le même éditeur, avec René Lachapelle.
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Aperçu du livre
Concertation et partenariat - Denis Bourque
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Introduction
Ce livre est destiné aux étudiants et futurs praticiens en développement des communautés, ainsi qu’aux intervenants, gestionnaires et planificateurs qui œuvrent en ce domaine afin de mieux les outiller aux plans conceptuel, stratégique et méthodologique. Nous espérons contribuer à construire une explication générale du sens, des enjeux, des défis et du devenir de la concertation, du partenariat et du développement des communautés.
Le développement des communautés peut se concevoir comme une forme d’action collective structurée sur un territoire donné qui, par la participation démocratique des citoyens et des acteurs sociaux, cible des enjeux collectifs reliés aux conditions et à la qualité de vie. Ce type d’action collective tire son origine de l’approche de développement local en organisation communautaire et ne peut se pratiquer ni se concevoir sans la présence de relations ou d’interfaces entre des acteurs de provenances diverses (étatique, institutionnelle, communautaire, privé) et de différents secteurs (santé et services sociaux, municipalités, éducation, logement, emploi, etc.). Ces relations sont de différents ordres (collaboration, concertation, partenariat) et posent des défis et des enjeux significatifs aux acteurs sociaux impliqués dans ces dynamiques complexes. Un acteur n’est pas entendu ici comme celui qui tient un rôle mais bien comme celui qui agit dans une situation (Crozier et Friedberg, 1977).
La concertation et le partenariat sont indissociables du développement des communautés tel que pratiqué au Québec depuis plus de 25 ans. Les relations ou interfaces entre les acteurs se sont diversifiées et intensifiées en fonction de l’évolution du contexte social, législatif et politique. Elles demeurent marquées par la tension car elles renvoient à trois réalités qui cohabitent : elles sont une condition d’existence pour bon nombre d’acteurs, dont les organismes communautaires, par le biais du financement qu’elles procurent ; elles constituent une opportunité d’augmenter le pouvoir d’agir collectif sur des enjeux importants ; elles comportent un risque d’instrumentalisation des communautés et des acteurs sociaux, et même de perte d’identité pour certains d’entre eux.
Cet ouvrage se présente comme un essai sur un thème qui a fait l’objet de plusieurs recherches, communications, articles et chapitres de livre. Le lecteur y retrouva une synthèse de nombreux travaux de recherche de l’auteur, mais aussi d’expériences de praticien, gestionnaire, formateur et consultant en développement des communautés. Cet effort de synthèse pousse plus loin la réflexion et l’analyse sur un certain nombre de questions et surtout développe une architecture d’ensemble aux travaux antérieurs tout en identifiant des chantiers de travail pour les années à venir.
Cet ouvrage vise à faire le point sur la concertation, le partenariat et le développement des communautés, sur les transformations structurelles qui les influencent, ainsi que sur les enjeux et les défis qui les confrontent. Les trois premiers chapitres y sont consacrés. Les trois derniers chapitres concernent les dimensions professionnelles et méthodologiques de ces pratiques.
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De la concertation
au partenariat
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Il n’existe pas d’acteur social du monde associatif, communautaire, institutionnel ou même privé qui ne soit pas en relation avec d’autres. Cela est vrai dans tous les domaines dont celui de la santé et des services sociaux. Ces relations sont généralement souhaitées par les acteurs, mais elles sont aussi quelques fois inévitables ou même imposées particulièrement entre les institutions ou établissements publics et les organismes communautaires au sens large, qui seraient au nombre de 8 000 au Québec (Québec, 2001). Ce sont des organismes à but non lucratif qui démontrent un enracinement dans la communauté, entretiennent une vie associative et démocratique et qui sont libres de déterminer leur mission, leurs orientations ainsi que leurs approches et leurs pratiques. Les organismes d’action communautaire autonome seraient au nombre de 4000. En plus des critères applicables aux organismes communautaires au sens large, les organismes communautaires autonomes doivent avoir été constitués à l’initiative des gens de la communauté, poursuivre une mission sociale propre qui favorise la transformation sociale, faire preuve de pratiques citoyennes et d’approches larges axées sur la globalité de la problématique ciblée, et enfin être dirigés par un conseil d’administration indépendant du réseau public (Québec, 2001, p. 15, 21). Dans le présent ouvrage, l’expression organismes communautaires regroupe les organismes communautaires au sens large et les organismes communautaires autonomes. Distinguons les différents types de relations entre les acteurs sociaux en nous inspirant de René et Gervais (2001) qui proposent trois différents types de relations soit la collaboration, la concertation, et le partenariat. À partir de leurs définitions et d’autres sources, nous suggérons les définitions suivantes.
Collaboration
La collaboration désigne généralement les relations peu structurées et formalisées entre deux organisations. On pense ici à un Centre de santé et de services sociaux (CSSS) qui réfère certains de ses usagers à un organisme communautaire en mesure de répondre à des besoins spécifiques comme un comptoir de dépannage alimentaire. La collaboration se déroule dans le cadre de l’offre de services courant des organisations et ne nécessite pas de protocole ou d’entente de services. La collaboration n’est pas synonyme de coopération car elle n’implique pas que les parties s’associent et partagent un but commun, mais plutôt acceptent d’apporter leur contribution à la réalisation de la mission de l’autre, le plus souvent par des références ou de l’échange ponctuel d’information.
Concertation
La concertation est une forme de coopération. Il s’agit d’un processus collectif de coordination basé sur une mise en relation structurée et durable entre des acteurs sociaux autonomes qui acceptent de partager de l’information, de discuter de problèmes ou d’enjeux spécifiques (par problématique ou par territoire) afin de convenir d’objectifs communs et d’actions susceptibles de les engager ou non dans des partenariats. Ainsi, un organisme peut être membre d’une Table de concertation jeunesse et participer à l’échange d’information sur les services jeunesse du territoire, sur les besoins prioritaires des jeunes et sur une réponse adaptée à ces besoins comme la mise sur pied d’une école pour raccrocheurs. Cela n’en fait pas pour autant un partenaire du projet en question qui est issu de la concertation, mais qui sera porté par certains des organismes membres de la Table et peut-être aussi par d’autres qui n’en sont pas. La concertation est aussi une stratégie d’intervention utilisée en organisation communautaire qui est une pratique professionnelle définie ainsi :
Réfère à différentes méthodes d’intervention par lesquelles un agent de changement professionnel aide un système d’action communautaire composé d’individus, groupes ou organisations à s’engager dans une action collective planifiée dans le but de s’attaquer à des problèmes sociaux en s’en remettant à un système de valeurs démocratiques. (Kramer et Specht, 1983 cité dans Bourque et al., 2007, p. 13)
La concertation est donc une pratique sociale menée par des acteurs sociaux et qui peut découler ou non d’une stratégie d’intervention professionnelle déployée par un ou des organisateurs communautaires (de CSSS ou d’ailleurs) associés à la concertation. La concertation sectorielle est limitée à un domaine, alors que l’intersectorielle regroupe des acteurs de différents domaines de la société comme la santé et les services sociaux, l’éducation, l’emploi, le municipal, la famille, l’environnement, etc.
La concertation est un processus collectif de coordination auquel adhèrent sur une base volontaire un ensemble d’acteurs autonomes ayant des logiques et des intérêts différents dans une forme de négociation en vue de préciser des objectifs communs et d’en favoriser l’atteinte par l’harmonisation de leurs orientations, de leurs stratégies d’intervention et de leurs actions. Pour Lachapelle (2004, p. 13), la concertation est « un processus rassembleur reposant sur l’engagement volontaire à participer à une démarche collective fondée sur une vision commune, des objectifs partagés ou des intérêts communs ». Elle passe par le partage de l’information, la recherche d’analyses communes, l’élaboration d’objectifs communs, chaque acteur demeurant libre de ses gestes. Elle s’arrête au moment où l’on choisit de se retirer. La concertation appelle surtout à la coordination des services et activités des acteurs dans une recherche de cohérence, alors que le partenariat appelle les acteurs à faire ensemble dans une manière nouvelle qui dépasse la simple articulation des compétences des uns et des autres (Dhume, 2001).
Partenariat
Le partenariat est donc beaucoup plus formel que la concertation et implique un engagement contractuel à partager des responsabilités, à mettre en commun des ressources et à se diviser des tâches suite à une entente négociée. Une entente de partenariat comporte donc une obligation de résultats. Le partenariat s’entend sous deux sens. Au plan générique, il renvoie à toutes formes de collaboration et de coopération entre des acteurs. C’est le sens commun du partenariat associé au fait pour des acteurs différents de « travailler ensemble », d’être en relation ou en interface dans une cause, une démarche, ou un projet commun. Au plan spécifique, le partenariat désigne une forme particulière et avancée de relations entre des acteurs. Panet-Raymond et Bourque (1991, p. 64) proposent une définition normative du partenariat (par opposition au pater-nariat) en tant que :
… rapport complémentaire et équitable entre deux parties différentes par leur nature, leur mission, leurs activités, leurs ressources et leur mode de fonctionnement, fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions des parties impliquées dans un rapport d’interdépendance.
Il s’agit d’une définition qui cherche à donner un sens au partenariat un peu comme la définition de Dhume (2001, p. 108) pour qui le partenariat est une :
… méthode d’action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d’acteurs différents mais égaux, qui constituent un acteur collectif dans la perspective d’un changement des modalités de l’action – faire autrement ou faire mieux – sur un objet commun – de par sa complexité et/ou le fait qu’il transcende le cadre d’action de chacun des acteurs –, et élaborent à cette fin un cadre d’action adapté au projet qui les rassemble, pour agir ensemble à partir de ce cadre.
Le partenariat se justifie donc dans la mesure où l’action à entreprendre ne peut l’être par un seul des acteurs. De plus, le partenariat exige l’élaboration d’un cadre spécifique qui guidera l’« agir ensemble » des partenaires. En pratique, force est de constater que de nombreux partenariats, entendus comme un engagement contractuel à partager des responsabilités, à mettre en commun des ressources et à se diviser des tâches suite à une entente négociée, ne comportent pas toutes ces exigences normatives qui constituent des règles sans doutes souhaitables, mais qui ne se retrouvent pas toujours sur le terrain. Pas plus d’ailleurs que le partenariat met seulement en relation des acteurs « différents mais égaux », comme le suggère Dhume (2001). En fait, les partenaires ne sont que rarement égaux entre eux, même s’ils peuvent avoir des rapports équitables comme le proposent Panet-Raymond et Bourque (1991). Caillouette (2001, p. 92) ajoute que le partenariat est un espace d’interface entre des acteurs en relations d’interdépendance certes, mais aussi de conflit, de même que de négociation et de médiation, et fait appel à des processus où les parties peuvent