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Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective: Dimensions fondamentales et actualisations
Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective: Dimensions fondamentales et actualisations
Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective: Dimensions fondamentales et actualisations
Livre électronique485 pages5 heures

Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective: Dimensions fondamentales et actualisations

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À propos de ce livre électronique

Ce livre vous convie à la découverte de la pensée singulière d’une intervenante dont la pratique en intervention collective s’est construite sur une période de plus de 45 ans, auprès de différentes communautés et populations marginalisées, tant en milieu urbain que rural. Cette pensée constitue l’héritage d’une vie avec ses révélations, ses défis, ses certitudes et ses doutes. L’auteure offre ainsi une synthèse de ce qu’elle a appris, compris, reçu, découvert, créé ou cocréé à travers sa pratique. Les éléments-clés de cette pratique sont rassemblés sous dix dimensions considérées comme fondamentales par l’auteure, pouvant ainsi servir de repères peu importe l’approche ou le modèle d’intervention privilégié sur le terrain.

Alliant théorie, récits d’expérience et outils pédagogiques, ce livre intéressera toute personne qui intervient collectivement, que ce soit au sein d’organismes communautaires, en économie sociale et solidaire, en défense des droits sociaux, dans des projets communautaires alternatifs, dans des territoires dévitalisés ou dans le réseau de la santé et des services sociaux. Il inspirera celles et ceux qui s’engagent ou s’engageront dans le changement social dans une perspective d’action et de transformation fondée sur la justice sociale et la promotion du bien commun, venant ainsi combler leur désir d’humanité et actualiser leur solidarité avec les personnes qui portent lourdement le poids des inégalités et des iniquités sociales.

Lorraine Gaudreau, Ph. D. en service social, est professeure au Département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Organisatrice communautaire de formation, elle a déployé sa pratique à travers un engagement dans les mouvements populaire, communautaire et coopératif, en économie sociale et solidaire, en solidarité internationale et en tant que consultante, entre autres, dans le secteur de la santé et des services sociaux. Ses projets de recherche s’actualisent, depuis 2013, au sein du Collectif de recherche participative sur la pauvreté en milieu rural de l’UQAR ayant comme mission de coproduire des connaissances au carrefour des pratiques sociales, de la ruralité et de la pauvreté en vue de contribuer au mieux-être des personnes et des collectivités rurales.
LangueFrançais
Date de sortie24 mars 2021
ISBN9782760554597
Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective: Dimensions fondamentales et actualisations
Auteur

Lorraine Gaudreau

Lorraine Gaudreau, Ph. D. en service social, est professeure au Département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Organisatrice communautaire de formation, elle a déployé sa pratique à travers un engagement dans les mouvements populaire, communautaire et coopératif, en économie sociale et solidaire, en solidarité internationale et en tant que consultante, entre autres, dans le secteur de la santé et des services sociaux. Ses projets de recherche s’actualisent, depuis 2013, au sein du Collectif de recherche participative sur la pauvreté en milieu rural de l’UQAR ayant comme mission de coproduire des connaissances au carrefour des pratiques sociales, de la ruralité et de la pauvreté en vue de contribuer au mieux-être des personnes et des collectivités rurales.

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    Aperçu du livre

    Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective - Lorraine Gaudreau

    INTRODUCTION

    J’ai toujours été fascinée par les premières lignes d’un ouvrage. Elles sont souvent garantes, pour moi, du plaisir que j’aurai à poursuivre ou non ma lecture. Vous vous imaginez donc l’angoisse que j’ai eue à commencer cet ouvrage parce qu’en fait, il m’est arrivé de déposer un livre après quelques pages sans y revenir. Je vous transporte donc immédiatement au cœur de celui-ci. Il représente la somme de ce que j’ai appris, compris, reçu, découvert, créé ou cocréé¹, sur le plan de l’intervention collective au fil d’un parcours tout aussi exigeant que signifiant et gratifiant. On peut donc y voir un retour réflexif sur une expérience de pratique et, par le fait même, un éclairage sur des éléments-clés de celle-ci. Il concerne ainsi le domaine du travail social, en tant que pratique, mais aussi le champ de l’engagement social et citoyen ou de l’action communautaire.

    Commençons donc par me situer dans le temps et dans l’espace. Je suis impliquée socialement depuis le milieu des années 1970. Un soir de février 1974, j’ai assisté à une réunion du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur (CCCQSS), à Québec. Quartier alors identifié comme ouvrier, où je suis née et où je vis toujours. À l’ordre du jour, la rénovation urbaine. La perspective souhaitée en était une de préservation des logements existants et de respect de la capacité de payer des locataires et des petits propriétaires résidents. Moi qui étudiais alors en travail social à l’université, j’ai été conquise par le discours, l’analyse, l’atmosphère et la participation des gens du quartier. Enfin, j’étais sur le terrain et je pouvais juger de la théorie au regard d’une pratique concrète. Le coup d’envoi fut fulgurant. Tellement fulgurant que je décidai d’arrêter temporairement mes études universitaires pour apprendre dans l’action. J’ai alors été embauchée à l’Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain (ADDSQM), dont les locaux étaient situés dans la vieille maison « chambranlante » du CCCQSS. Le coup de cœur ne fut pas immédiat puisqu’à cette époque l’ADDSQM offrait un service individuel de référence et d’information. Je ne me sentais pas très à l’aise dans ce rôle d’« avocate populaire ». L’une de mes tâches était de faire le relevé des demandes qui nous étaient adressées. La grande majorité d’entre elles provenaient de personnes assistées sociales dont les droits étaient clairement bafoués. Il a suffi de réunir ces personnes, une seule fois, pour que l’organisation s’oriente résolument vers la défense collective des droits. Plusieurs de mes cordes sensibles ont alors vibré, surtout le sentiment de l’urgence d’agir pour contrer les injustices et les préjugés. Ce sentiment a été suscité par la prise de parole des personnes présentes à cette assemblée, par l’expression de leur dignité, de leur colère et de leur désir de « faire quelque chose ».

    À l’automne 1983, j’ai été embauchée à titre de chargée de cours à l’École de service social de l’Université Laval alors que j’étais toujours permanente à l’ADDSQM. J’ai alors été appelée à découvrir plus en profondeur le large univers théorique du domaine du travail social, plus particulièrement celui de l’organisation communautaire, et à rendre digestes les acquis de ma jeune, mais intense pratique. Puis, la poursuite de mes études à la maîtrise et au doctorat ainsi que la mise en place de la coopérative de travail Anim’Action², sont venues l’influencer. L’idée de cette coopérative de travail avait germé dans mon esprit alors que mon doctorat tirait à sa fin et que je souhaitais revenir sur le terrain en mettant à profit l’ensemble de mes acquis. En bout de piste, Anim’Action a toutefois été tout autant un lieu d’apprentissage personnel et professionnel qu’un lieu de transfert de connaissances. Quel privilège d’aller à la rencontre de multiples personnes et organisations³ ! Quel laboratoire unique pour penser l’intervention collective à la lumière de sources théoriques, pratiques et expérientielles diverses, soit celles des membres de la coopérative et celles du milieu ! Ce que je retiens de plus précieux de l’expérience d’Anim’Action est ce désir, et je dirais ce plaisir, de « pousser » toujours plus loin ma compréhension de l’action à partir d’ancrages et donc de modèles d’intervention diversifiés.

    En 2012, j’ai été embauchée à titre de professeure au Département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Enseignant les cours en intervention collective, j’ai été appelée à revisiter, encore une fois, l’ensemble de ma pratique et l’univers des connaissances en organisation communautaire tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Sans que je le réalise consciemment, l’essence de celle-ci se dévoilait dans ma préoccupation d’en transférer l’essentiel aux étudiants. En effet, divers éléments-clés se dégageaient nettement des messages centraux que je leur transmettais. Je pense ici au sens à donner à l’intervention, à la cohérence entre ce qui est visé et le quotidien de la pratique, au développement d’une perspective critique, à la croyance dans la capacité d’agir des personnes victimes d’oppression, mais aussi au difficile passage à l’action. En fait, j’étais à déterminer des dimensions fondamentales de l’intervention collective. Peut-être l’heure était-elle venue d’écrire… C’est donc ce que j’ai fait. Le but du livre que vous tenez entre vos mains est de mettre en relief chacune des dix dimensions fondamentales de l’intervention issues du bilan de ma pratique. L’intérêt que vous pouvez y porter est de le voir comme la systématisation d’une pratique pouvant venir nourrir la vôtre, en s’y transposant au regard de la situation sociale en présence et de la perspective d’intervention alors considérée comme la plus porteuse face à celle-ci.

    Cela dit, cet ouvrage n’est pas l’« œuvre de toutes les vérités ». Loin de là. J’aime voir l’intervention collective comme un univers de possibles s’alimentant de manière continue à un grand éventail de contextes et de grilles de compréhension de la société et de l’action. Ma pratique s’est d’ailleurs construite par l’expérimentation de plusieurs modèles d’intervention, dont la conscientisation, le féminisme, l’action sociale, l’animation sociale, l’action non violente, le développement local, le développement social, l’éducation populaire, l’empowerment, le modèle coopératif, l’économie sociale et solidaire et le travail de proximité. La compréhension critique du contexte, le but et le processus souhaité, de même que la dynamique sociale en place, orientent le choix de la ou des perspectives d’action. J’ai ainsi pris part à des luttes sociales, des projets de concertation multisectorielle, l’élaboration et l’animation de sessions de formation, la mise en place de ressources et de projets communautaires, la création d’entreprises d’économie sociale. Tout au long de mon parcours, l’espace occupé par les personnes en situation de pauvreté ou marginalisées a été ma plus grande préoccupation. Par le fait même, l’attention à la personne, la prise en compte du portrait culturel, le dialogue, l’éducation populaire et la mise en place d’espaces de rassemblement démocratiques ont marqué ma pratique. Dans ce parcours, j’ai aussi lu. Peut-être pas autant que j’aurais dû et peut-être pas toujours assez tôt. Le livre le plus usé que je possède est sans conteste Pédagogie des opprimés de Paulo Freire, ce pédagogue et philosophe brésilien, penseur de la théorie de l’oppression, qui a permis au peuple de son pays de s’alphabétiser pour ainsi pouvoir voter. Sa vision de l’humain, de la connaissance et de la culture fait partie du socle non pas seulement de ma pratique, mais de ma vie.

    Je ne fais pas de ce livre le fin mot de l’histoire, car j’ai douté, souvent, et encore. Mais les doutes qui ont traversé ma pratique ont été des guides lorsqu’ils m’ont conduite à la recherche d’éléments de réponse. J’ai aussi vécu des périodes de désillusion, de découragement, puis des convictions réaffirmées et davantage intégrées. Ces convictions, je les formule ainsi, aujourd’hui :

    Tout être humain a droit à la reconnaissance de sa dignité.

    Les richesses pouvant être créées sur cette terre, dans le respect de la nature, pourraient permettre à toute personne d’avoir un toit sur la tête et de manger suffisamment pour se développer.

    Le modèle économique dominant est objectivement créateur d’écarts et ne survit que parce qu’il y a des personnes pauvres dans les pays riches et des pays pauvres aux côtés des pays riches.

    Notre société marchande et performante passe à côté du potentiel d’une grande partie des humains qui y vivent.

    Une logique de marchandisation de l’ensemble des activités humaines met actuellement la société et la planète en péril⁴.

    Les humains ont la capacité de créer et de recréer le monde dans une perspective humaniste.

    Les sentiments de peur et d’impuissance occupent un espace important dans l’imaginaire collectif.

    La formation politique est nettement insuffisante dans la société et nous intériorisons facilement des préjugés ou adoptons des comportements politiques parfois incohérents au regard de conditions de vie que nous voudrions différentes⁵.

    Dans notre société, chaque personne n’est pas significativement accompagnée dans le long chemin faisant de nous des êtres libres et des sujets de notre histoire et de l’histoire de l’humanité⁶.

    Ces convictions, liées aux forces de vie, s’inscrivent dans un monde où les forces de mort sont aussi présentes et prennent diverses formes : violence, inégalités, pauvreté, guerre, génocide, féminicide, faim, populisme, épuisement des ressources, peurs irrationnelles, « démission » sociale. L’intervention collective vient alors favoriser le vivre-ensemble et la coconstruction comme outil de défense des droits de la personne et de mise en place de solutions de nature émancipatrice.

    L’intervention collective est présentée dans cet ouvrage à partir des expériences que j’ai vécues. Il s’agit d’expériences fortes où les outils expérimentés, les activités réalisées, les projets mis en œuvre venaient construire la solidarité, développer la conscience sociale, créer du neuf, construisant ou venant s’appuyer sur l’univers de convictions que je porte⁷. La ligne de fond de ces expériences est la lutte à la pauvreté. Ce livre est une invitation faite aux personnes qui le liront à transposer les éléments de théorie pratique présentés dans leur propre champ d’intervention. De plus, des auteurs de divers pays sont venus influencer théoriquement cette pratique.

    Cet ouvrage, je le veux donc comme la somme de mes acquis. Mais attention, il n’en constitue pas le sommet, car il y a encore tant à comprendre et à faire. Rappelons que j’y présente ce que je considère, personnellement et actuellement, comme des dimensions fondamentales de l’intervention. C’est la mise au jour de la singularité de ma pensée fondée sur un parcours avec ses coups de cœur, ses révélations, ses défis, ses certitudes et ses doutes. Il s’agit en fait de l’héritage d’une vie. C’est ce qui en constitue, enfin je crois, l’un des aspects originaux. En effet, la littérature relative à l’intervention collective porte souvent, mais non exclusivement, sur les approches, modèles, méthodes ou processus d’intervention, sur l’histoire de la pratique ou ses enjeux actuels, sur un champ d’intervention particulier ou sur un aspect singulier de l’agir collectif. La particularité de ce livre est d’aborder la pratique selon le bilan d’une vie d’engagement militant et professionnel, dont la synthèse prend la forme de dimensions significatives de l’intervention pouvant traverser divers champs d’action, modèles et approches s’adressant ainsi à l’ensemble des personnes engagées auprès des collectivités. Cela rend cet ouvrage complémentaire à ceux déjà offerts.

    Une autre caractéristique de ce livre réside dans son format. Théorie pratique, récits d’expérience et outils d’intervention se font écho dans un contenu s’appuyant sur une pratique qui s’est voulue rigoureuse et réflexive et dont le propos, si humble soit-il, se veut porteur de sens et de cohérence pour toute personne souhaitant amorcer le changement social ou y participer. Ces trois véhicules de ma pensée se côtoient toutefois de manière inégale d’un chapitre à l’autre. L’idée n’était pas de choisir entre l’un ou l’autre d’entre eux, mais bien de les laisser se féconder.

    Chacune des dix dimensions de l’intervention présentées fait l’objet d’un chapitre. Il me semble intéressant que la lecture débute par le premier et se termine par le dernier, tandis que les huit autres chapitres peuvent être lus dans un ordre différent de celui qui est proposé. Vous verrez, ils résonnent les uns par rapport aux autres et chaque dimension ne bénéficie de tout son sens que si elle s’additionne de manière cohérente aux autres, dans l’intervention. C’est ce qui contribue à donner une perspective critique à l’intervention.

    La dimension de l’intervention qui fait l’objet du premier chapitre concerne le changement social. Puisque ce concept est au cœur de toutes les définitions disponibles du champ de pratique à l’étude, il convient donc de le camper, pour soi. Je vous présente le parcours m’ayant permis d’y arriver. L’intégration de la formation politique ou de l’éducation populaire autonome dans sa pratique fait l’objet du second chapitre. Elle y est présentée comme une pierre d’assise de l’intervention collective, mais aussi d’une société juste et inclusive. Le troisième chapitre est très concret, peut-être même un peu surprenant, puisque collé au quotidien de la pratique. Il s’agit de la planification de l’intervention ou de l’action. Cette dimension est toutefois liée au premier chapitre et donc au changement social puisqu’il est question d’arrimer le quotidien à une visée sociale globale. La planification d’une lutte sociale fait l’objet d’un chapitre particulier, soit le quatrième chapitre, puisque l’élaboration d’un plan de lutte est complexe et que les connaissances qui lui sont liées finissent souvent par être utiles aux intervenants en collectivité, un jour ou l’autre. La question de la mobilisation sociale ou de la participation citoyenne est abordée dans le cinquième chapitre, qui est intitulé « S’outiller pour susciter le passage à l’agir collectif ». Le sixième chapitre rappelle l’importance de tenir compte du portrait culturel des personnes mobilisées dans l’action ou de celles que l’on souhaite joindre. L’illustration de cette dimension concerne le portrait culturel des personnes vivant dans la pauvreté économique. Dans une perspective complémentaire, le septième chapitre aborde l’importance de porter attention aux personnes dans le quotidien d’une organisation ou dans la mise en œuvre d’un projet. Cette attention aux personnes constitue l’une des conditions pour que celles-ci cheminent dans une perspective de libération. C’est ce qui fait l’objet du chapitre 8. Celui-ci est suivi d’une réflexion sur l’engagement en politique partisane comme vecteur potentiel de changement social, sujet du chapitre 9. La question est posée au regard d’une recherche sur le rapport de militants de classe populaire à la politique partisane. L’ensemble des dimensions ainsi présentées, illustrées et analysées appellent à se positionner dans l’intervention ainsi que dans l’histoire de l’humanité. C’est en effet au regard de notre compréhension du monde, des enjeux sociaux, et plus globalement du sens que l’on donne à notre vie sur terre, que se fixe notre posture dans l’intervention. Il s’agit là du thème du chapitre 10, dernière pierre du dialogue virtuel auquel ce livre vous convie.

    Vous l’aurez remarqué, cet ouvrage ne traite pas des enjeux sociaux en présence dans la conjoncture. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur le rôle de l’État-providence, l’élargissement des écarts entre les revenus et la montée des inégalités sociales, le racisme et le sexisme systémiques, les effets des médias sociaux sur le vivre-ensemble et sur la mobilisation sociale, la survie de la planète et l’ampleur des déplacements de population, le danger pour les populations appauvries de porter plus lourdement le poids des menaces écologiques, l’état des grandes croyances et des projets de société rassembleurs, l’ouverture aux différences, les solutions de nature émancipatrice comme moteur de changement⁸. Difficile, toutefois, de ne pas parler un peu de la nouvelle réalité à laquelle nous faisons face au moment où j’écris ces lignes, en avril 2020, c’est-à-dire du confinement imposé par la pandémie de COVID-19. Qu’en aura-t-il été de l’intervention collective au moment du confinement ? Aura-t-il été possible de poursuivre la défense des droits sociaux ? Certaines pratiques, alors mises en place, auront-elles été poursuivies ? Cela aura-t-il contribué à ouvrir des voies intéressantes ou à dénaturer la pratique ? Plus largement, c’est la question de l’exercice de la citoyenneté, dans des situations particulières, qui aura été posée.

    Si ce livre ne traite pas des enjeux sociaux actuels, il offre des clés d’intervention pour s’inscrire dans l’action visant à promouvoir et à défendre, de manière critique, une perspective de justice sociale et de dignité humaine face à ces enjeux. Cette action se déploie, au Québec, sous de multiples formes, à savoir : des luttes sociales ponctuelles, des collectifs mettant en place des projets communautaires, des groupes de défense des droits sociaux, des organismes communautaires, des groupes d’éducation populaire autonome, des projets ou entreprises d’économie sociale et solidaire, des tables de concertation, et j’en passe. Pour alléger le texte, et lorsque celui-ci fait référence à l’ensemble de ces diverses formes de rassemblement, je parlerai d’« organisations » ou de « projets », pour ne pas avoir à inscrire constamment l’ensemble des possibilités. Le terme « organisations » faisant référence à un organisme incorporé ayant pignon sur rue et le terme « projets » correspondant à un projet communautaire, une table de concertation ou une lutte sociale ponctuelle.

    Finalement, précisons que ce livre s’adresse à toute personne qui a envie de réfléchir à la société dans laquelle nous vivons, dans une perspective d’action et de transformation fondée sur la justice sociale et la promotion du bien commun, à savoir, principalement : les étudiants en travail social ; les organisateurs communautaires travaillant en centres intégrés de santé et de services sociaux et, pourquoi pas, leurs collègues et gestionnaires ; les personnes qui interviennent en défense des droits sociaux, en éducation populaire, en action communautaire autonome, en économie sociale et solidaire ; celles qui sont engagées dans la mise en place de solutions de nature émancipatrice ou dans un organisme communautaire en santé et services sociaux. Je dirais aussi que certains chapitres de cet ouvrage, particulièrement celui sur la prise en compte du portrait culturel des personnes de classe populaire, pourraient aussi intéresser des acteurs en santé, en éducation et dans le secteur de la justice.

    Je souhaite que ce livre soit inspirant pour les personnes qui s’engagent ou s’engageront dans le changement social afin d’actualiser leur solidarité avec ceux qui portent lourdement le poids des inégalités et des iniquités sociales, pour combler leur désir d’humanité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’une solidarité qui nous pousse à agir et qui se loge dans notre propre désir d’habiter autrement la terre. D’être là pour les autres et qu’ils soient là pour nous. J’ose dire qu’il s’agit là d’amour pour notre humanité commune.

    1. D’emblée, il importe de préciser que, si je suis l’auteure de ce livre, je ne suis pas la seule à avoir élaboré plusieurs des outils d’intervention qui y sont présentés. C’est pourquoi nous retrouvons, à la fin de cet ouvrage, et en guise de remerciements solidaires, les noms des personnes avec qui j’ai travaillé ou été engagée socialement au fil du temps. Également, en vue de me conformer à la politique éditoriale des Presses de l’Université du Québec, j’ai supprimé la féminisation du texte.

    2. La coopérative de travail en recherche et en animation populaire, Anim’Action, a été créée en 1991 par Thérèse Binet, Denise Lemieux et moi-même et offrait des services de formation, de recherche et d’accompagnement tant dans les milieux populaire, communautaire, syndical, coopératif, d’économie sociale et de solidarité internationale que dans le milieu institutionnel, principalement en santé, services sociaux, éducation, sécurité du revenu et emploi.

    3. Au cours des 12 années de l’existence d’Anim’Action, soit de 1991 à 2003, je suis intervenue dans plus de 60 organisations pour des projets variant de une journée à cinq ans.

    4. Cette logique, dans laquelle tout est considéré comme ayant un prix, s’attaque, entre autres, aux politiques sociales (introduire le privé en santé), aux pratiques sociales (mesurer la « qualité » d’une intervention sociale à son coût pour le système), au bien commun (breveter le vivant), etc. L’expression « le tout au marché » est aussi utilisée ou alors « société de marché ». Selon Viveret, cette dernière expression provient de Karl Polanyi et correspond à « une société où l’économie marchande en vient à subordonner, voir à absorber les autres fonctions majeures du lien sociétal que sont le lien politique [redistribution, bien commun], affectif et symbolique » (Viveret, 2002, p. 5-p. 135).

    5. Par exemple, voter pour des politiciens populistes qui contribuent à la détérioration des conditions de vie des personnes les plus pauvres, une fois qu’ils sont élus.

    6. Il y aurait place à un accès plus grand sur le plan d’un accompagnement individuel ou en groupe (par exemple en psychologie) et à la multiplication des lieux collectifs où l’on rêve et où l’on construit notre communauté locale et la société.

    7. Se reporter à l’annexe 1 pour une présentation chronologique des moments de mon parcours relatés dans ce livre.

    8. Concernant la mise en place d’initiatives visant à construire une société davantage fondée sur des valeurs écologiques et solidaires, se reporter à Manier (2016).

    CHAPITRE

    1

    SE DONNER UNE VISION DU CHANGEMENT SOCIAL

    Le changement, comme objectif d’action, fait intrinsèquement partie de l’intervention collective. Duval, par exemple, définit ainsi l’organisation communautaire : « une forme d’intervention qui vise à permettre à un ensemble de personnes d’agir collectivement de façon planifiée en vue de changer une situation sociale commune » (Duval, 2008). Selon Doré, la pratique de l’organisation communautaire « consiste à intervenir dans des collectivités, dans le but de susciter leur mobilisation et leur insertion dans des processus de changements sociaux » (Doré, 1985). Lavoie et Panet-Raymond, de leur côté, disent de l’action communautaire qu’elle correspond à « toute initiative issue de personnes, d’organismes communautaires, de communautés (territoriale, d’intérêts, d’identité) visant à apporter une solution collective et solidaire à un problème social ou à un besoin commun » (Lavoie et Panet-Raymond, 2014, p. XII). À modifier donc une situation.

    Mais qu’entendons-nous par « changement » en intervention collective ? Et par « changement social » ? Rocher définit ainsi le changement social : « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire » (Rocher, 1969, p. 344). Le sens ici est clair, mais la direction du changement n’est pas donnée. En effet, tous les acteurs sociaux ne se mobilisent pas en vue du même type de changement. Par exemple, les tenants du néolibéralisme aimeraient bien « moins d’État », c’est-à-dire une plus grande place au privé en santé, la réduction des dépenses sociales, une déréglementation des conditions de travail. À l’inverse, ceux qui pourfendent le capitalisme revendiquent un État qui contribue réellement à la redistribution des richesses.

    Intervenir auprès des collectivités, c’est s’inscrire dans une société située et datée, au sein de laquelle se développe inévitablement une vision du changement social. Car aucun des gestes que l’on pose collectivement n’est politiquement neutre. Ils ont tous un effet social. C’est pourquoi « se donner une vision du changement social » constitue, selon moi, l’une des dimensions fondamentales de l’intervention collective. Dans ce chapitre, je vais vous parler de la mienne, du cheminement dans lequel elle s’est élaborée à travers les événements, les auteurs et les courants de pensée qui ont contribué à la façonner.

    1.   L A DÉCOUVERTE DE LA NOTION DE DROIT SOCIAL

    D’emblée, je dirais que l’élément fondateur de ma vision du changement a été un événement vécu. J’ai reçu de plein fouet la vision du changement portée par des militantes assistées sociales. Il ne s’agissait pas d’une revendication précise qui mettrait un terme à la mobilisation une fois obtenue. Il s’agissait de l’expression d’un état de mobilisation continu en faveur de la mise en place d’un nouveau projet de société. Ce projet incluant toutes les personnes « exploitées » et pas seulement les personnes assistées sociales. Par mon implication au CCCQSS, j’avais déjà commencé à comprendre que les changements souhaités dans l’immédiat sont souvent parties prenantes d’une large réalité sociale. C’est ainsi que je saisissais, sans nécessairement tout comprendre, que la rénovation des vieux quartiers ouvriers des villes en tenant compte de la capacité de payer des citoyens, s’inscrivait dans les enjeux du développement urbain propres au système capitaliste en place (Ezop-Québec, 1981). Avec la vision portée par les militantes de l’Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal (OPDS-RM), j’étais invitée à une grande table de réflexion sur le changement. Et le maître mot de cette réflexion tenait dans la notion de « droits sociaux »¹. Trois importantes bases de ma pratique se sont alors posées. Une direction a été donnée à ce qui constituait pour moi un changement, soit : la défense et la promotion des droits sociaux. Une méthode pour les conduire s’est en quelque sorte révélée, soit : le dialogue. Et ma place dans l’action s’est précisée, soit : me solidariser avec les premiers acteurs du changement, c’est-à-dire les personnes qui le revendiquent. Mais relatons brièvement l’événement.

    Le 22 octobre 1980, en assemblée citoyenne, 180 personnes assistées sociales des quartiers Centre-Sud, Mercier et Saint-Michel de Montréal adoptaient la Charte des droits des assistés sociaux. Cette charte rassemblait l’ensemble des besoins considérés comme des droits pour ces personnes. Elle venait en quelque sorte déterminer leur projet de société. Des militantes de l’OPDS-RM sont venues la présenter à Québec. Je revois une animation de type théâtral avec des marionnettes géantes et des voix fortes pour clamer l’ensemble des droits rassemblés sous le slogan suivant : Pour le droit de vivre et non d’exister ! À nous de décider de nos besoins !

    FIGURE 1.1.

    Page couverture d’une charte des droits des personnes assistées sociales

    Source : Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal, hiver 1980-1981.

    Les injustices ressenties étaient traduites selon un ensemble de droits sociaux à défendre, interreliés les uns aux autres, pour offrir une perspective globale des changements sociaux souhaités. Je reprends ici les grands titres de ces droits :

    Droit au bien-être sans discrimination ; au bien-être selon nos besoins ; à l’autonomie dans les décisions qui concernent nos conditions de vie ; à l’information ; à la santé ; aux loisirs, à la culture, aux vacances ; aux garderies gratuites ; au transport ; à notre vie privée et affective ; à la liberté de parole, d’opinion et d’association […] ; au logement ; à un revenu décent, indexé et non saisissable ; à la confidentialité de notre dossier ; d’appel de toute décision jugée injuste par le bénéficiaire ; à l’éducation vraiment gratuite et à chances égales pour nos enfants ; au programme de formation professionnelle, sans coupures ; au travail ; à notre réputation et à celle de nos enfants (Organisation populaire des droits sociaux de la région de Montréal, 1980-1981).

    Cette charte constituait le véhicule idéologique du projet de société de l’OPDS. Il s’agissait d’une affirmation politique publique du droit à vivre dans la dignité. La notion de droit social s’installait donc assurément dans ce qui allait alimenter ma réflexion sur les changements à conduire dans cette société.

    2.   L A DÉCOUVERTE DES FONCTIONS DES POLITIQUES SOCIALES ET DE L’ÉDIFICE SOCIAL

    Au cours des années 1970, le bouillonnement intellectuel militant au Québec était fort stimulant. Il était en partie influencé par une grille d’analyse marxiste de la société qui offrait quelques réponses au fait que la Révolution tranquille ne semblait finalement pas améliorer réellement les conditions de vie des citoyens des quartiers ouvriers, et ce, malgré les luttes menées par

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