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Être mère en contexte d'itinérance
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Livre électronique275 pages2 heures

Être mère en contexte d'itinérance

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À propos de ce livre électronique

Depuis une vingtaine d’années, le nombre de personnes en situation d’itinérance au Québec est en perpétuelle croissance, les femmes étant l’un des groupes chez qui cette augmentation a été la plus marquée. Or, encore aujourd’hui, la question des femmes, et plus particulièrement celle des mères, est peu abordée dans la littérature scientifique, les plans d’action et les politiques nationales, contribuant au caractère « invisible » de l’itinérance des femmes.

Malgré le fait qu’environ la moitié des femmes en situation d’itinérance soient des mères, la plupart des ressources d’hébergement qui leur sont accessibles n’accueillent pas les enfants au sein de leurs services. Dans le but d’amorcer une réflexion et d’aiguiller les acteurs concernés par la question, ce livre présente les résultats d’une revue systématique de la littérature visant à documenter les interventions dont l’efficacité a été évaluée auprès de femmes et de leurs enfants en situation d’itinérance. Sont présentés plus d’une vingtaine d’interventions et leurs effets sur la stabilité résidentielle des familles, le statut socioéconomique des mères, le bien-être et le développement des enfants, le bien-être des mères ainsi que le fonctionnement familial.
LangueFrançais
Date de sortie26 janv. 2022
ISBN9782760555921
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    Aperçu du livre

    Être mère en contexte d'itinérance - Vanessa Fournier

    Chapitre

    1

    Le portrait de l’itinérance au Canada

    Dans sa politique nationale de lutte à l’itinérance, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) (2014a) définit l’itinérance comme « un processus de désaffiliation sociale et une situation de rupture sociale qui se manifestent par la difficulté pour une personne d’avoir un domicile stable, sécuritaire, adéquat et salubre en raison de la faible disponibilité des logements ou de son incapacité à s’y maintenir et, à la fois, par la difficulté de maintenir des rapports fonctionnels, stables et sécuritaires dans la communauté ». Plus particulièrement, il distingue trois formes d’itinérance. L’itinérance situationnelle réfère à la situation de personnes qui se retrouvent sans logement de manière temporaire et qui, dans un laps de temps variable, parviendront à se reloger. L’itinérance cyclique renvoie à la situation de personnes qui alternent entre la vie dans la rue et la vie en logement, alors que l’itinérance chronique fait référence à la forme la plus visible d’itinérance, bien que moins fréquente, soit la situation de personnes qui ne sont pas logées depuis une longue période.

    Au Canada, au moins 235 000 personnes vivent une situation d’itinérance à un moment donné chaque année (Gaetz et al., 2016). Bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision l’ampleur du phénomène en raison de la grande mouvance de cette population et du caractère parfois non visible de celle-ci (MSSS, 2014b), le dénombrement des personnes en situation d’itinérance au Québec réalisé en date du 24 avril 2018 brosse un portrait détaillé de l’itinérance. Pour l’ensemble de la province, le nombre estimé de personnes en situation d’itinérance visible se situait à 5 789, dont plus de la moitié étaient dans la grande région de Montréal. Les ressources de transition représentent le lieu où un plus grand pourcentage de personnes a été dénombré (33 %), suivi des ressources d’hébergement d’urgence (19 %), de lieux extérieurs (15 %), des centres de thérapie et de réadaptation en dépendance (13 %), et des refuges pour femmes victimes de violence conjugale (9%). Dans une moindre mesure, d’autres personnes ont été localisées dans des centres hospitaliers, des établissements de détention et des postes de police. Les auteurs ont également dénombré un total de 670 personnes en situation d’itinérance cachée, soit principalement hébergées chez une autre personne (58 %), dans une maison de chambres (38 %) ou dans les hôtels (4 %) (Latimer, 2019).

    Dans les travaux de Latimer (2019), de nombreuses raisons sont évoquées pour expliquer cette perte de logement. En ordre d’importance, les auteurs notent la dépendance ou la toxicomanie (26,6 %), l’incapacité à payer son loyer ou son hypothèque (17,3 %), les conflits avec le conjoint ou la conjointe (13,5 %), les problèmes de santé mentale (13,4 %), la perte d’emploi (11,1 %), les conflits avec le parent ou le tuteur (9,3 %), l’incarcération (7,9 %), les conditions de logement dangereuses (7,2 %), les conditions médicales (6,9 %) et les mauvais traitements par le conjoint ou la conjointe (6,4 %). Ces raisons illustrent la grande diversité des difficultés pouvant être vécues par ces personnes sur les plans physique, psychologique et social. Le portrait peut d’autant plus être complexifié lorsque nous tenons compte de la possible cooccurrence de ces difficultés. Les auteurs ont également documenté les défis et les problèmes rencontrés par les répondants de certaines régions administratives dans leur recherche d’un logement stable. À cet égard, ceux-ci ont principalement rapporté des problèmes d’ordre économique (p. ex. faible revenu, enquête de crédit, loyer trop cher, difficulté à accéder à un logement subventionné), mais aussi des conditions de logement médiocres et, en plus faible proportion, des difficultés psychosociales (p. ex. dépendance, discrimination, violence conjugale).

    La communauté scientifique et les milieux d’intervention s’entendent pour affirmer que l’itinérance est en constante augmentation dans la province de Québec depuis une vingtaine d’années (MSSS, 2014a), les femmes représentant l’un des groupes de personnes chez qui cette hausse a été la plus marquée (Conseil du statut de la femme, 2012). Au Québec, tout comme dans le reste du Canada, les femmes représenteraient un peu plus de 25 % de la population itinérante visible (Gaetz et al., 2016 ; Latimer, 2019). Depuis une dizaine d’années, les ressources d’hébergement pour femmes se trouvent régulièrement en situation de débordement et la quasi-totalité d’entre elles ont été contraintes de refuser des femmes en raison d’un manque de place (Conseil des Montréalaises, 2017). Le MSSS (2014b) souligne aussi que la durée moyenne des séjours dans les refuges a connu une augmentation, plus particulièrement dans les établissements qui accueillent les familles (qui sont le plus souvent des familles monoparentales ayant une femme à leur tête). Sur une période de 4 ans, la durée moyenne des séjours dans ces établissements est passée de 33 à 50 jours. En outre, des données obtenues à l’échelle nationale par Gaetz et ses collaborateurs (2016) démontrent que les familles restent dans les refuges deux fois plus longtemps que les individus seuls. Ainsi, non seulement l’itinérance touche-t-elle un plus grand nombre de personnes et de familles au fil des ans, mais l’utilisation que fait cette population des services semble s’être transformée, illustrant la complexité et la chronicité des difficultés vécues par ces personnes.

    Si les études permettent d’estimer le nombre de femmes en situation d’itinérance visible au Canada, le caractère souvent caché de l’itinérance des femmes constitue un enjeu majeur lorsqu’il s’agit de les recenser. Dans son étude, Rodrigue (2016) estime que 7 % des Canadiennes âgées de 15 ans et plus ont déjà eu à vivre temporairement avec la famille, les amis, dans une voiture ou n’importe où ailleurs puisqu’elles n’avaient aucun endroit où aller. Le risque pour les femmes de se retrouver dans une situation d’itinérance cachée peut s’expliquer en partie par le fait qu’elles cherchent habituellement des solutions de rechange à la rue, laquelle pourrait sérieusement les mettre en danger. Elles auront ainsi tendance à lourdement s’endetter, à faire appel à des amis ou à la famille pour obtenir un endroit où rester, ou encore à commettre des délits (p. ex. vol à l’étalage). Certaines femmes vont quant à elles persister à demeurer dans un milieu de vie qui les expose à des conflits et à de la violence ou encore opter pour le sexe de survie qui leur permettra d’éviter la rue ou les refuges, leur garantissant ainsi une certaine forme de sécurité et un toit. D’autres privilégieront les maisons de chambres qui sont offertes à faible coût, bien qu’elles augmentent les risques de harcèlement et de mauvais traitements de la part des propriétaires et pensionnaires (Bourque et al., 2019 ; ConcertAction Femmes Estrie, 2016 ; Lewis, 2016). En somme, les femmes sont susceptibles de cacher leur itinérance pour diverses raisons qui leur sont propres (p. ex. prévenir la violence et les mauvais traitements, éviter de perdre la garde de leurs enfants, protéger leur dignité) et développeront une multitude de stratégies pour répondre à leurs besoins de base. Malheureusement, cela se fera bien souvent au détriment de leur santé et de leur sécurité, ainsi que de la légalité de leurs actions (ConcertAction Femmes Estrie, 2016 ; Lewis, 2016). Selon Novac (2006), l’itinérance cachée des femmes met en exergue un manque de sécurité à combler. La notion de sécurité est ainsi l’une des principales pistes de solution, qui pourrait se révéler efficace pour mettre un frein à l’invisibilité des femmes si on l’incorporait à tous les services qui leur sont offerts.

    Un des constats qui émergent des études portant sur la population itinérante féminine est que celle-ci se distingue considérablement de la population itinérante masculine. Les femmes en situation d’itinérance sont généralement plus jeunes, un grand nombre d’entre elles étant âgées de 30 ans et moins (ConcertAction Femmes Estrie, 2016 ; Conseil des Montréalaises, 2017 ; de Vet et al., 2019 ; Latimer, 2019 ; Roll, Toro et Ortola, 1999 ; Winetrobe et al., 2017). Elles sont moins nombreuses à avoir obtenu un diplôme d’études secondaires ou à occuper un emploi (de Vet et al., 2019 ; Winetrobe et al., 2017 ; Zugazaga, 2004) et ont un revenu de base inférieur à celui des hommes (Roll et al., 1999 ; Winetrobe et al., 2017). Pour plusieurs, cette précarité des femmes est le résultat des inégalités de genre qui sont particulièrement notables sur le marché du travail. Celles-ci sont effectivement nombreuses à occuper des emplois qualifiés d’atypiques, comme des emplois occasionnels ou à temps partiel, et leur salaire demeure moins élevé que celui des hommes. Elles sont également surreprésentées dans les emplois liés aux biens et aux services et sous-représentées dans les postes de direction. Les discours des femmes rencontrées dans le cadre d’une étude québécoise témoignent bien de cette instabilité et de cette précarité d’emploi qu’elles vivent, ainsi que de la manière dont cette réalité peut les faire basculer vers la pauvreté et, par la suite, vers l’itinérance (Bourque et al., 2019). Malgré l’accès aux aides financières gouvernementales, les loyers inabordables, la hausse du coût de la vie, le manque de logements sociaux et les responsabilités familiales des femmes poussent certaines d’entre elles à demeurer dans des logements inadéquats et les exposent à la spirale de l’itinérance (Bourque et al., 2019 ; ConcertAction Femmes Estrie, 2016 ; Lewis, 2016). Une autre étude québécoise montre d’ailleurs que les difficultés financières seraient le principal motif pour lequel les femmes perdent leur domicile, alors que tous genres confondus, les études désignent plutôt la présence de problèmes de dépendance aux drogues et à l’alcool comme principale raison (ConcertAction Femmes Estrie, 2016).

    Comparativement aux hommes, les femmes en situation d’itinérance sont plus susceptibles d’avoir reçu un diagnostic de problèmes de santé mentale et de souffrir de problèmes de santé physique. Aussi, bien qu’elles possèdent un réseau de soutien généralement plus étendu que les hommes, une plus grande proportion d’entre elles rapportent vivre des conflits avec les membres de leur réseau social (Winetrobe et al., 2017). Cette nature conflictuelle des relations est susceptible d’engendrer une diminution considérable du soutien social, voire une rupture complète des liens sociaux. Les relations avec l’entourage peuvent être d’autant plus difficiles lorsque les femmes présentent une accumulation de problèmes d’ordre conjugal et psychologique (Bourque et al., 2019). Par ailleurs, le taux de victimisation est plus élevé chez les femmes, notamment concernant les sévices physiques et sexuels vécus pendant l’enfance et à l’âge adulte, ainsi que la violence conjugale (Phipps et al., 2019 ; Roll et al., 1999 ; Zugazaga, 2004). Il en est de même pour le nombre d’événements de vie stressants vécus par les femmes en situation d’itinérance en comparaison aux hommes (p. ex. placement en famille d’accueil, hospitalisations) (Zugazaga, 2004).

    En contrepartie, les femmes ont moins tendance à avoir des problèmes de consommation d’alcool et de drogues que les hommes (Latimer, 2019) et à avoir eu des démêlés avec la justice (de Vet et al., 2019 ; Roll et al., 1999 ; Zugazaga, 2004). Ces constats sont également appuyés par les travaux de Latimer (2019), qui démontrent que les femmes sont plus nombreuses à évoquer les conflits et les mauvais traitements subis par un conjoint ou une conjointe comme étant la raison de la perte du dernier logement, alors qu’elles sont moins susceptibles d’évoquer une problématique de dépendance.

    Ces éléments distinctifs entre les hommes et les femmes en situation d’itinérance témoignent de la vulnérabilité de cette population ainsi que de la nécessité de consentir des efforts afin de mettre en place et d’offrir des services qui soient cohérents, tout en étant adaptés à leurs réalités et à leurs besoins respectifs (de Vet et al., 2019 ; Winetrobe et al., 2017). Or, la question des femmes, et plus particulièrement celle des mères, est peu abordée dans la littérature scientifique, les plans d’action et les politiques nationales, ce qui contribue au caractère « invisible » de l’itinérance des femmes. L’objectif de la présente revue systématique est de documenter les services à l’intention des mères et des enfants en situation d’itinérance afin de mieux comprendre la nature des interventions qui ont démontré leur efficacité auprès de ces familles. Pour des raisons méthodologiques, il est malheureusement difficile de cibler l’ensemble des services et interventions dont ces personnes sont susceptibles de bénéficier dans divers milieux (services en dépendance, services en santé mentale, travail de rue, organismes pour femmes victimes de violence conjugale, services alimentaires, etc.). Il sera donc plus précisément question des interventions déployées auprès de mères et d’enfants dont la situation d’itinérance peut être confirmée, entre autres, par l’utilisation de services d’hébergement d’urgence ou transitoire destinés aux personnes en situation d’itinérance (itinérance visible).

    Chapitre

    2

    La parentalité chez les femmes en situation d’itinérance

    Il est bien documenté que les femmes qui se retrouvent en situation d’itinérance sont plus susceptibles que les hommes d’avoir un enfant sous leur garde (Alleyne-Greene, Kulick et McCutcheon, 2019 ; de Vet et al., 2019), en particulier les femmes immigrantes et celles issues des communautés autochtones (Conseil des Montréalaises, 2017). Il est estimé qu’entre 40 % et 60 % de ces femmes sont des mères, dont la moitié des enfants seraient âgés de moins de 6 ans (Anthony, Vincent et Shin, 2017 ; ConcertAction Femmes Estrie, 2016 ; Conseil du statut de la femme, 2012 ; David, Gelberg et Suchman, 2012 ; Institut de la statistique du Québec, 2001). Paradoxalement, la plupart des ressources d’hébergement accessibles aux femmes n’accueillent pas les enfants au sein de leurs services (Conseil du statut de la femme, 2012), et ceux-ci sont pratiquement absents de la politique de lutte à l’itinérance du gouvernement du Québec (MSSS, 2014a ; CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, 2015).

    Pour ces femmes, la maternité peut être une source de résilience et, bien que la relation mère-enfant entraîne son lot de défis, elle est également susceptible de se renforcer à travers l’adversité (Azim, MacGillivray et Heise, 2019). La parentalité peut néanmoins être une source supplémentaire d’inquiétude, voire de détresse. L’étude québécoise de Baret et Gilbert (2015), réalisée auprès de parents fréquentant une ressource pour jeunes sans-abri ou en situation de précarité, illustre de quelle façon les traces d’un passé traumatique sont susceptibles de refaire surface au moment de l’entrée dans la parentalité. Les traumatismes vécus, particulièrement au cours de l’enfance, apparaissent comme étant la source d’anticipation de scénarios catastrophes et de craintes dépourvues de raison en ce qui a trait à la sécurité et à

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