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Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada: Identités, citoyennetés et autodétermination
Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada: Identités, citoyennetés et autodétermination
Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada: Identités, citoyennetés et autodétermination
Livre électronique443 pages5 heures

Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada: Identités, citoyennetés et autodétermination

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À propos de ce livre électronique

Ce livre rassemble des textes de chercheurs et chercheuses de plusieurs disciplines et des entretiens avec des leaders des Premières Nations travaillant à l’élargissement des espaces autochtones. Ces voix diverses donnent accès à des analyses de première main concernant les processus historiques et contemporains dans lesquels s’ancrent les relations entre les peuples autochtones, l’État et la société québécoise. Ces processus se font largement au détriment des premiers, comme la sphère publique québécoise commence à peine à le reconnaître dans la foulée de différents rapports produits pour les gouvernements fédéral et québécois. Ces rapports soulignent, du même souffle, les processus de résistance des peuples autochtones, de même que les trop lentes transformations sociopolitiques en cours.

Peuples autochtones et politique au Québec : identités, citoyennetés et autodétermination apporte un éclairage novateur qui saura profiter tant aux spécialistes des questions relatives aux peuples autochtones qu'aux personnes soucieuses de mieux comprendre les dynamiques politiques qui marquent les communautés autochtones ainsi que la société québécoise dans son ensemble. Il présente des données de recherche inédites et des réflexions susceptibles de contribuer aux grands débats – concernant, par exemple, le racisme systémique, la violence contre les femmes autochtones et le partage du territoire ­– qui interpellent le Québec et le forcent à faire face à ses défis politiques.

Stéphane Guimont Marceau est professeure adjointe au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. En tant que géographe, elle s’intéresse aux processus et géographies de colonisation et d’exclusion et à la construction des citoyennetés, à travers, entre autres, la relation entre Autochtones et non-Autochtones, les Autochtones en milieu urbain, ainsi que les espaces sociaux des jeunes et des femmes, particulièrement au Québec et en Amérique latine.

Jean-Olivier Roy possède un doctorat en science politique de l’Université Laval (2015), et fut chercheur postdoctoral au sein du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP, 2015-2016) et à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia (2016-2018). Il est spécialisé dans divers domaines : la pensée politique, la politique québécoise et canadienne, et les questions autochtones dans les contextes québécois et canadien. Ses recherches actuelles portent sur les thématiques autochtones, notamment l’autodétermination, le postcolonialisme, le nationalisme, les identités, les politiques publiques ainsi que les enjeux de citoyenneté et de démocratie.

Daniel Salée est professeur de science politique et directeur de la School of Community and Public Affairs à l'Université Concordia. Il est titulaire de la Chaire d'études québécoises du Collège universitaire de Glendon (2003-2004) et directeur de la section Concordia, Chaire Concordia/UQAM en études ethniques (2002-2005). Ses domaines d'intérêt portent sur la citoyenneté et la politique identitaire, les relations interethniques, le nationalisme, la question autochtone, et la relation entre l'État et la société civile. Il est cochercheur au Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC).
LangueFrançais
Date de sortie10 sept. 2020
ISBN9782760553774
Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada: Identités, citoyennetés et autodétermination
Auteur

Stéphane Guimond-Marceau

Stéphane Guimont Marceau est professeure adjointe au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. En tant que géographe, elle s’intéresse aux processus et géographies de colonisation et d’exclusion et à la construction des citoyennetés, à travers, entre autres, la relation entre Autochtones et non-Autochtones, les Autochtones en milieu urbain, ainsi que les espaces sociaux des jeunes et des femmes, particulièrement au Québec et en Amérique latine.

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    Aperçu du livre

    Peuples autochtones et politique au Québec et au Canada - Stéphane Guimond-Marceau

    8

    PRÉFACE

    Réflexions et perspectives sur les participations autochtones aux processus politiques canadiens

    Alexandre Bacon

    La configuration des rapports de pouvoir entre l’État canadien et les Premiers Peuples ont heureusement connu d’importantes mutations au cours des dernières années. Le présent ouvrage porte sur ces multiples dimensions, qu’elles soient sociales, politiques ou juridiques, à travers lesquelles se sont produites et se produisent encore ces transformations. Il faut dire que le nombre d’acteurs sociaux participant à la mise en lumière des enjeux autochtones s’est considérablement élargi et que la participation autochtone aux processus politiques ne se limite plus aux seuls élus des conseils de bande ou à leurs représentants.

    L’importante participation des Autochtones lors des élections fédérales de 2015 n’avait à ce sujet rien d’anodin. Il s’agissait d’une mobilisation record pour les peuples autochtones qui, jusqu’ici, participaient peu, ou pas, aux processus politiques tels qu’ils sont proposés dans l’État canadien.

    Mentionnons également qu’au cours des 15 dernières années, les scandales se sont succédé en donnant parfois naissance à des commissions et enquêtes, notamment la Commission de vérité et réconciliation, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (ou commission Viens) et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ces commissions et enquêtes ont heureusement fait grand bruit, sensibilisant au passage des milliers de Canadiens aux injustices historiques et contemporaines que subissent les Autochtones. Cela dit, il reste la crainte de voir ces rapports et leurs recommandations être tablettés comme la plupart avant eux. Pour réduire les risques que cela se reproduise, non seulement les autorités politiques canadiennes, québécoises et autochtones doivent chercher à construire une nouvelle relation, mais en outre toutes les populations doivent s’engager à prendre part aux changements. En effet, les changements à apporter sont si profonds qu’ils ne peuvent reposer sur les épaules d’une seule partie de la société.

    EMBRASSONS LARGE, SANS MAL ÉTREINDRE

    Avant d’aller plus loin, il importe de rappeler un certain nombre d’éléments incontournables de l’histoire, sans lesquels il est impossible de comprendre la nature même des enjeux dont il est ici question. Il est d’autant plus important de les souligner qu’ils sont rarement enseignés ou expliqués dans les médias. À plusieurs égards, on ne peut que constater le vide sidéral dans la mémoire collective au sujet des Premiers Peuples. Cet immense angle mort dans l’histoire du pays pèse lourd dans la relation entre les peuples et constituera certainement l’une des pierres fondatrices de ce processus qu’on appelle la « réconciliation ».

    Parmi ces premiers rappels historiques, gardons en tête les milliers d’années d’occupation qui ont précédé l’arrivée des Européens et l’autonomie complète dont ont toujours joui les Premiers Peuples sur ces terres. Cette autonomie était non seulement économique et politique, mais également juridique. C’est d’ailleurs le sens premier du terme indo-européen « autonomie », du grec autos, soi-même, et nomos, lois, règles. Cette autonomie millénaire revêt encore à ce jour une importance capitale pour comprendre le droit constitutionnel à l’autodétermination. Loin de disparaître soudainement à l’arrivée de Jacques Cartier en 1534, cette autonomie a longtemps continué de s’exercer, même sous l’occupation française puis anglaise. En fait, elle s’est assez facilement poursuivie tant et aussi longtemps que les Premières Nations étaient alliées sur les plans économique et militaire, mais elle a été frontalement attaquée au XIXe siècle lorsque les autorités coloniales ont cherché à forcer l’intégration totale des peuples autochtones au sein du corps politique canadien.

    Il y aurait beaucoup à dire sur tous les efforts mis en œuvre pour arriver à cette fin et le lecteur trouvera d’excellents ouvrages décrivant les moyens radicaux pris par l’État pour éradiquer les Autochtones. Dans le présent ouvrage, les regards sont plus tournés vers le présent et l’avenir, celui des peuples autochtones et celui des relations entre l’État canadien, ses citoyens et les peuples autochtones.

    Historiquement, on observera un point tournant à partir du XVIIIe siècle avec la Conquête et notamment avec ce document qui servira d’assise au droit des Autochtones : la Proclamation royale du Canada (1763). Il y est reconnu qu’au-delà des limites physiques des colonies, les Autochtones sont assurés de la possession entière et paisible des territoires qui n’ont été ni concédés ni achetés. C’est également un document dans lequel il est mentionné que seule la Couronne pourra progressivement faire l’acquisition des territoires appartenant aux « Indiens » si ces derniers « devenaient enclins à se départir desdites terres ». Or, dans le siècle et demi qui suivra, les processus utilisés et le contenu des traités cédant ces territoires montrent qu’il s’agira bien davantage d’un processus d’accaparement des terres que d’une cession volontaire et équitable des territoires. Les stratégies politiques ont cherché une certitude juridique totale sur la propriété des terres en en transférant la possession à la Couronne, en tant qu’institution impériale. C’est cette logique qui guidera le processus de signature des traités mis en place de la fin du XVIIIe siècle jusqu’en 1921. Ces traités, dits historiques, sont des traités à travers lesquels on s’assurera que les Premières Nations cèdent leurs droits et titres de propriété à la Couronne. Toute une série de traités historiques seront ainsi signés, principalement en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.

    Au XIXe siècle, la présence autochtone deviendra pour le fédéral le principal obstacle au développement colonial. On parlera alors du « problème indien » et des solutions, parfois dites finales, seront appliquées.

    Sur le plan législatif, avant même la Confédération de 1867, les autorités coloniales votent une première loi en 1857 qui porte le charmant nom d’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province. Il s’agit d’un des premiers actes qui visent clairement la sédentarisation et l’assimilation des peuples autochtones. On cherche à les faire disparaître, non pas tant sur le plan physique, quoiqu’il y ait eu des génocides au sens propre au Canada, tels que celui des Béothuks à Terre-Neuve, mais plutôt sur les plans culturel et légal.

    C’est précisément cet objectif que poursuit la première version de la Loi sur les Indiens¹, adoptée en 1876, qui accélère la mise en œuvre des politiques d’assimilation et de sédentarisation forcée des Premières Nations. On cherchera alors à « tuer l’Indien dans l’enfant » – une politique qui a permis la mise en place et le maintien du système des pensionnats indiens –, à effacer les cultures pour faire en sorte que les Autochtones intègrent le « corps politique canadien ». Dans les décennies qui suivront, l’État oscillera entre assimilation et ostracisation en isolant les peuples autochtones dans des environnements dont tous les paramètres sont institués pour créer un milieu de vie dont on veut s’extraire, un milieu où les conditions de base nécessaires au développement sont en partie absentes. En effet, même à ce jour, les réserves indiennes ont beaucoup plus à voir avec des camps de réfugiés qu’avec des villages autochtones traditionnels où se seraient installés paisiblement et volontairement les Premiers Peuples.

    Dans la plupart des territoires colonisés sur lesquels on a instauré une loi semblable à la Loi sur les Indiens, par exemple en Australie ou en Nouvelle-Zélande, on voit systématiquement poindre les mêmes phénomènes socioéconomiques que dans les territoires de réserve au Canada. C’est en prenant ce recul sur l’histoire qu’il est plus facile de comprendre le type de relation paternaliste qu’entretient l’État avec les Premiers Peuples. Le ministre responsable des Affaires indiennes exerce une forme d’autorité parentale sur les individus assujettis à la Loi sur les Indiens qui fait d’eux des mineurs au sens de la Loi. Tout est mis en place, dans de nombreuses dimensions de l’existence, pour que nous restions dans cet état de soumission. Même sur le plan des recours légaux, de 1927 à 1951, il était illégal et passible d’emprisonnement pour un avocat de défendre une cause autochtone ou pour quiconque de collecter des fonds dans ce but. Parqués dans des réserves, privés du droit de vote et des droits citoyens minimaux jusqu’à tout récemment, mineurs sous la tutelle du fédéral, personne ne s’étonnera de constater que les Autochtones ne se reconnaissent pas dans l’État canadien.

    LA PARTICIPATION AUX PROCESSUS ÉLECTORAUX SERAIT-ELLE UNE FORME DE VIOLENCE ?

    Dans tout ce contexte, rappelons que le droit de vote ne fut finalement accordé aux Autochtones que récemment dans l’histoire canadienne. Au fédéral, le droit de vote aux Autochtones est accordé en 1960 et au Québec, il ne l’est qu’en 1969. Ce droit tardif en dit long sur la place qu’occupent les Premiers Peuples dans l’esprit des dirigeants canadiens jusqu’au XXe siècle, outre de laisser deviner la perception qu’ont les Autochtones du rôle de l’État. De ce point de vue, les gouvernements provinciaux ou fédéral sont des forces d’occupation, des entités étrangères coloniales déployant les moyens voulus pour assurer le renforcement continu de leurs pouvoirs et leur pérennité.

    Lorsqu’il est question d’aller aux urnes, il existe ainsi tout un débat au sein des Nations autochtones pour déterminer s’il faut ou non participer aux processus électoraux provinciaux et fédéral. En effet, pour de nombreux Autochtones, l’exercice du vote équivaut à participer à l’élection des forces d’occupation. De là, il ne reste ensuite qu’un pas pour dire que voter, c’est reconnaître la légitimité de ces autorités coloniales… Si encore cette reconnaissance était réellement mutuelle, peut-être que les Autochtones seraient plus enclins à participer à l’exercice démocratique, mais force est de constater que cet enjeu fait encore à ce jour l’objet de guerres de tranchées. La lutte continue dans de vastes portions de territoire au Québec ainsi que dans d’autres provinces et territoires, pour faire reconnaître et faire appliquer les droits des Autochtones. Il subsiste actuellement un degré d’incertitude très élevé quant à la portée exacte des droits des Premiers Peuples dans les zones qui ne sont pas visées par les traités historiques ou modernes. À ce sujet, il faut effectivement faire exception au Québec des Nations signataires de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et de la Convention du Nord-Est québécois. Il s’agit de documents historiques majeurs à travers lesquels un nouveau jalon était posé en ce qui concerne la relation entre un État et des Premiers Peuples – les Cris, les Inuit et les Naskapis. Malgré cela, dans les territoires visés par ces ententes, subsiste une incertitude majeure quant à la portée des droits ancestraux des autres Premières Nations qui y ont vu leurs droits être injustement éteints, tels que les Atikamekw, les Innus et les Anishinabes.

    Pour l’instant, le financement nécessaire pour entreprendre la négociation de tels traités est conditionnel à l’acceptation par les Autochtones de céder ou de suspendre leurs droits ancestraux et, plus particulièrement, leurs titres de propriété, aussi appelés titres aborigènes, sur leurs territoires. De même, le financement gouvernemental pour structurer un organe de cohésion politique au sein des communautés d’une même nation n’est accessible que si l’on accepte cette logique, elle aussi imposée par la Politique sur les revendications territoriales globales de 1973, qui exige la cession des droits de propriété sur le territoire. L’ambitieux projet du gouvernement de Justin Trudeau visant à modifier cette politique sur le règlement des revendications serait une énorme avancée pour les relations entre gouvernements et peuples autochtones. Il s’agit toutefois d’enjeux si fondamentaux pour l’État canadien qu’on peut s’attendre à d’importantes résistances internes et à un échéancier incertain.

    Dans tout ce contexte historique et politique, comment peut-on interpréter cette première hausse de la participation des Autochtones aux élections fédérales de 2015 ? Est-ce une hausse circonstancielle ? Est-ce une hausse de contestation ? Dans tous les cas, on peut dire qu’il y avait un ras-le-bol. Beaucoup de Premières Nations avaient envie de tourner la page sur un hiver politique récent qui avait été plutôt sombre, celui du gouvernement Harper, au cours duquel les Autochtones avaient disparu des priorités politiques gouvernementales et étaient probablement perçus comme des obstacles au bon fonctionnement socioéconomique du pays. Pourtant, dans tout le siècle dernier, il n’y a pas eu de très longues périodes d’éclaircie ; il s’agit globalement d’une lutte de longue haleine où chaque centimètre est âprement disputé. Jusqu’ici, les Autochtones ont souvent dû batailler fort pour faire reconnaître la portée de leurs droits sur le territoire, par exemple leur droit de chasse et pêche, mais également le droit à l’autonomie gouvernementale, les droits linguistiques, le droit à participer aux décisions relatives au développement économique du territoire, etc.

    J’étais bien heureux de voir cette hausse de la participation aux élections fédérales de 2015, mais beaucoup de questions restent en suspens, notamment celles concernant les Autochtones vivant hors réserve. Gardons à l’esprit qu’à l’échelle du Canada, un pourcentage important d’Autochtones vivent en milieu urbain ; leur vote a pu être noyé dans la masse. Les experts des questions autochtones en milieu urbain ont-ils trouvé une solution pour quantifier la participation des Autochtones en milieu urbain ? A-t-on pu faire la démonstration que les Autochtones en milieu urbain ont véritablement participé davantage aux élections que lors des années précédentes ? Je serais porté à croire que c’est le cas, mais les enjeux méthodologiques relatifs à la recherche scientifique en milieu urbain sont encore importants, les Autochtones étant difficiles à rejoindre et à suivre lorsqu’ils sortent des communautés. Dans tous les cas, on peut supposer qu’ils ont été de plus en plus nombreux dans les communautés et à l’extérieur de celles-ci à voter, ce qui m’amène à la question de la démographie.

    De toute évidence, dans les prochaines décennies, le poids politique des Autochtones va augmenter de façon significative. Aujourd’hui, au Manitoba, une personne de moins de 30 ans sur trois est Autochtone. Le poids démographique des Premières Nations va donc progressivement s’alourdir dans certaines provinces et provoquer un basculement dans les stratégies politiques, afin de mieux rendre compte du poids électoral qu’elles représentent. C’est particulièrement vrai dans les régions ressources où leur poids démographique est beaucoup plus important que dans les agglomérations urbaines. Autre question : comment s’établiront les corrélations entre la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale et la participation aux processus politiques tels que les élections provinciales et fédérales ? Est-ce que les gouvernements autochtones, qui seront de plus en plus structurés, verront leur propre population participer davantage lors des scrutins ?

    DE NOUVEAUX MOUVEMENTS CITOYENS

    Je souhaite également faire la distinction entre deux types de participation politique. On assiste à divers mouvements de mobilisation au sein des Premières Nations, tels que le mouvement Idle No More, dont la finalité politique est d’influencer les décisions gouvernementales et l’opinion publique. Malgré le cynisme ambiant, cette dernière a généralement un poids beaucoup plus grand qu’on ne le laisse entendre sur les décisions politiques. Au cours des dernières décennies, les Premières Nations ont déjà mené différentes campagnes qui ont eu une incidence considérable sur l’opinion publique, de la première campagne majeure liée au projet de construction du pipeline du fleuve Mackenzie, en 1970, jusqu’au récent mouvement de solidarité envers la Nation wet’suwet’en de Colombie-Britannique en 2020. L’activisme des Autochtones a certainement contribué à ébranler l’opinion publique, et de nouveaux seuils ont été franchis eu égard à l’ampleur des mobilisations, mais également aux outils de communication utilisés.

    Si la participation politique se traduit par différentes mobilisations citoyennes, la participation aux scrutins n’en constitue pas moins pour les Autochtones un levier pour défendre leurs intérêts. Chose certaine, plus ils se montreront fidèles à constituer une clientèle électorale, plus les partis chercheront à les courtiser en intégrant dans leurs plateformes des programmes politiques qui les concernent. Dans cette perspective, j’encourage les Premiers Peuples à aller voter parce que, de toute évidence, nous sommes tous là pour rester et l’État canadien n’annoncera pas sa dissolution dans les prochaines décennies. Devant ce constat, l’unique véritable solution est d’apprendre à composer les uns avec les autres, en cherchant à concilier nos différentes perspectives. Si nous relevons ce défi, nous aurons devant nous un pays novateur sachant proposer de nouvelles façons de développer les territoires et de favoriser la diversité.

    GOUVERNANCE ET DÉMOCRATIE

    Il serait illusoire de penser qu’on pourra régler rapidement et en profondeur l’ensemble des problèmes causés par deux siècles de politiques d’assimilation. Cela dit, on n’avait jamais historiquement assisté à une ouverture comme celle qui semble continuer de se manifester depuis l’élection du gouvernement de Justin Trudeau en 2015. La ministre Bennett a été applaudie chaleureusement lors de son discours à l’Organisation des Nations unies (ONU) en mai 2016, en présentant l’intention du Canada d’appuyer sans réserve la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je pense qu’il y a un optimisme prudent de la part des Autochtones. Des budgets comme celui de 2016 ont permis d’investir dans la protection de l’enfance, l’éducation et le logement, qui représentent les assises susceptibles de combler les besoins primaires pouvant mener à l’amélioration de nos conditions.

    Mais au-delà des solutions financières, il existe un problème de gouvernance lié à la façon dont les individus participent aux décisions prises par les pouvoirs. En effet, quelque chose cloche lorsqu’on réfléchit aux mécanismes actuels de représentation dans les appareils gouvernementaux. Nous sommes généralement tous d’accord pour dire que voter une fois tous les quatre ans n’est pas suffisant pour qualifier notre système de démocratique. Alors comment fait-on pour augmenter cette participation ? Comment fait-on pour améliorer l’inclusion de l’ensemble des voix, pour s’assurer de la participation efficace du plus grand nombre possible de citoyens lorsqu’il s’agit de prendre des décisions publiques ? Chez les Premières Nations, plus que jamais, nous avons besoin de mobiliser nos populations à travers des processus tels que la planification communautaire globale, des processus au sein desquels l’ensemble des citoyens sont appelés à définir une vision collective d’avenir et à s’engager à la mettre en œuvre collectivement. C’est précisément ce que nous aurions tous besoin de faire ensemble, Canadiens et Premiers Peuples, pour transformer ce pays en un lieu où toutes les forces citoyennes sont mises à contribution pour augmenter le bien-être collectif.

    LES RELATIONS POLITIQUES AVEC LE QUÉBEC, UN PONT ENCORE À CONSTRUIRE

    La politique ne se résume certes pas à voter tous les quatre ans, et la mise en œuvre des recommandations des divers rapports sur les questions autochtones qui se sont multipliés au cours des dernières années est une occasion en or pour vérifier dans quelle mesure il est possible de construire une nouvelle relation politique entre l’État québécois et les Nations autochtones sur les territoires desquelles il a été constitué. C’est d’ailleurs le défi qu’essaient de relever le Québec et les principales autorités politiques autochtones. Les yeux de plusieurs sont braqués sur ce processus dont le chemin est parsemé d’embûches. Les risques d’échec ne peuvent être négligés alors que des questions importantes sont en jeu. Il s’agit, en effet, non seulement de mettre un terme à la discrimination systémique dans les services publics québécois, mais aussi de créer une table politique commune suffisamment forte pour produire des résultats législatifs significatifs comme l’adoption par l’Assemblée nationale de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

    Si, d’un côté, Québec semble prêt à mettre en œuvre des mesures pour corriger la situation, il engage par ailleurs des demandes en justice pour nier l’autonomie législative des Autochtones. Ce fut par exemple le cas, en décembre 2019, avec le renvoi contestant la constitutionnalité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (C-92). En d’autres termes, la juridiction de l’État québécois se veut hégémonique sur « son » territoire, bien renforcée par les idéologies nationalistes qui l’ont portée depuis Papineau et, plus encore, dans la seconde moitié du XXe siècle sous l’impulsion des mouvements souverainistes.

    EST-IL VRAIMENT POSSIBLE DE DÉCOLONISER LE CANADA ?

    Sortir le Canada du colonialisme n’est pas une mince affaire non plus et c’est d’ailleurs pourquoi plusieurs s’interrogent sur le véritable sens de la « réconciliation ». D’abord, ce terme est loin de pouvoir amener les Canadiens à soupçonner l’ampleur de ce qui doit être compris et mis en œuvre pour sortir le Canada de l’apartheid, mais de surcroît il laisse sournoisement entendre que les Autochtones devraient aussi reconnaître leurs torts, chacun devant faire amende honorable et se serrer finalement la pince. Ce que les Autochtones ont à se faire pardonner des derniers siècles de cohabitation pèse si peu au regard de ce qu’il leur a été infligé qu’il semble abject de parler d’un simple exercice de réconciliation qui permettrait enfin de passer à autre chose.

    Personnellement, j’ose espérer que le réveil autochtone bouleversera beaucoup plus profondément que prévu la société canadienne. Il ne s’agira pas seulement d’abolir la Loi sur les Indiens, de faire cesser toute discrimination envers les peuples autochtones, de valoriser leurs cultures et leurs langues et d’instaurer une politique d’égalité des chances. Sortir le Canada du colonialisme signifie bien plus qu’accorder aux Autochtones les mêmes « chances » qu’aux autres Canadiens. Les logiques de domination coloniale sont, à ce jour, encore pleinement à l’œuvre non seulement à l’intérieur des frontières nationales, mais aussi dans le rôle que joue le pays sur le plan international.

    À ce propos, dans un premier angle de vue, on peut affirmer sans craindre de se tromper que les Canadiens n’ont généralement que peu conscience des avantages disproportionnés dont ils jouissent, au détriment non seulement des peuples autochtones au Canada, mais aussi de millions d’autres individus partout dans le monde qui subissent l’assaut continu des forces industrielles, monétaires et impériales mises en œuvre pour assurer le « bien-être » économique des pays riches. Depuis un autre angle de vue, ces mêmes Canadiens ne peuvent généralement pas profiter des bénéfices économiques directs de l’exploitation des richesses naturelles, si ce n’est à travers les maigres redevances, les contrats ou les emplois offerts.

    Est-ce cette égalité que les Autochtones souhaitent vraiment ? Est-ce vraiment là l’équité vers laquelle on devrait amener les standards de vie des peuples autochtones ? N’y a-t-il pas là un non-sens qui devrait éveiller la méfiance chez les Autochtones ? Devrions-nous, nous aussi, nous soumettre au diktat du Marché, faire nôtres les normes mortifères qui régulent actuellement le monde ?

    Ce que les mondes autochtones préconisent le plus souvent, c’est un changement de paradigme, non seulement dans la façon de faire l’économie, mais également dans nos rapports les uns aux autres et vis-à-vis du Vivant au sens large pour un plus grand équilibre écologique mondial. On le voit lorsque les industries cherchent à négocier ce qui est communément appelé des ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) pour l’exploitation de ressources naturelles sur des terres auxquelles sont probablement rattachés des droits ancestraux. Les communautés qui négocient ces ententes, en plus de négocier des emplois, des redevances et des contrats, cherchent aussi à hausser les normes de protection environnementales, par rapport à celles qui prévalent dans le cadre législatif québécois. Mais tout a un coût. Les fonds destinés à protéger davantage l’environnement sont des fonds qui n’iront pas dans le bénéfice net des uns ou des autres. Cette obsession humaine pour le profit serait-elle en passe d’avoir raison de notre espèce ? Possiblement, mais l’espoir est aussi permis. Des modèles économiques alternatifs existent déjà et tentent péniblement de se tailler une place dans le système mondial, mais ces nouveaux modèles s’imposeront peut-être finalement d’eux-mêmes.

    LA DIFFICILE QUESTION DE L’IDENTITÉ

    Le présent ouvrage aborde une autre question fort difficile, celle de l’identité. Il s’agit d’une question si sensible qu’elle suscite de nombreux conflits à l’intérieur même de nos communautés et entre nos Nations, sans compter tous ceux qui nous opposent aux gouvernements et aux autres Canadiens ! Dans tout cet imbroglio, on finit par perdre de vue ce qui appartient aux gènes, au Registre des Indiens, à la culture, aux métissages et aux parcours individuels et collectifs de tout un chacun.

    La Loi C-31 qui, en 1985, venait partiellement mettre un terme aux discriminations basées sur le sexe dans la transmission des droits aux descendants venait du même coup introduire en droit canadien la notion de pureté sanguine. Il y a, encore ici, beaucoup à dire et à écrire sur ce sujet, mais ce principe de « quantum sanguin » permettant de distinguer ceux qui peuvent ou non se prévaloir de droits autochtones est truffé de dangers non seulement eugénistes, mais aussi d’aliénation sociale. Avant que le registre ne soit établi en 1951, les communautés et les individus disposaient encore d’un certain pouvoir pour déterminer qui appartenait ou non au groupe. Aujourd’hui, ce droit est l’apanage du gouvernement fédéral et résume d’un même geste une partie de l’identité autochtone à des enjeux uniquement génétiques. Il ne s’agit donc plus de savoir parler sa langue, de connaître les enseignements anciens, le mode de vie traditionnel ou même de porter les valeurs propres à son groupe culturel. Du point de vue fédéral, et de celui d’une très vaste majorité de conseils de bande, être Autochtone, c’est d’abord être inscrit au registre. D’ailleurs, tous les financements liés aux programmes fédéraux sont calculés, selon diverses modalités, en fonction du nombre de personnes inscrites au registre.

    Soyons clair, le registre ne peut encadrer d’aucune façon ce que les identités individuelles et collectives continueront de devenir. Pour qu’elle soit bien vivante, l’identité ne peut être enfermée dans une définition immuable, car on s’engagerait ainsi dans un cul-de-sac culturel. Même les concepts de citoyen et de citoyenneté collent mal aux enjeux identitaires autochtones parce qu’ils renvoient à cette reconnaissance des droits accordés aux membres d’une cité ou d’un État, loin de la conception du monde des peuples autochtones d’ici.

    Bref, il faut distinguer clairement ce qu’est, d’une part, l’identité, en ce qui a trait aux langues, aux valeurs, à l’appartenance, aux connaissances et, d’autre part, les droits accordés à certains individus en droit canadien, individus qui sont, probablement dans une vaste proportion, des personnes qui ont un certain « quantum sanguin » autochtone.

    Cette grande diversité de possibles, le lecteur la découvrira dans le présent ouvrage qui donne voix à différents militants, ainsi qu’à des chercheurs, pour illustrer toute la complexité des enjeux liés aux peuples autochtones au Canada sous l’angle

    XXIII

    des identités, des citoyennetés et des actions politiques d’autodétermination. Venus d’horizons aussi divers que les organisations de défense des droits des Autochtones, les mouvements sociaux autochtones ou encore le monde universitaire, il traite des enjeux urbains mais aussi de ceux vécus par les communautés, dans une perspective historique et contemporaine. Puisse cet ouvrage aider les lecteurs et les lectrices à mieux agir et penser le monde.

    ALEXANDRE BACON

    Originaire de Mashteuiatsh, Alexandre Bacon travaille activement comme conseiller stratégique auprès de plusieurs organisations autochtones et gouvernementales. Sur le plan citoyen, il a cofondé le Cercle Kisis qui, dans la région de la Capitale-Nationale, œuvre au plus grand rayonnement des cultures autochtones et au rapprochement entre les peuples. Il offre également plusieurs formations portant autant sur l’histoire que sur les réalités sociopolitiques actuelles. Ces formations visent à outiller concrètement les individus qui souhaitent aller plus loin dans leur compréhension des enjeux et s’assurer de la justesse de leurs interventions.

    1. Acte des Sauvages.

    LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX

    FIGURES

    Figure 7.1. Nombre d’actes de contestation d’Idle No More de décembre 2012 à juillet 2013

    Figure 8.1. Participation autochtone aux élections de 2006, 2008, 2011 et 2015

    Figure 8.2. Résultats des partis fédéraux dans les communautés autochtones recensées

    TABLEAUX

    Tableau 8.1. Distribution des boîtes de scrutin par province et territoire

    Tableau 8.2. Nombre de candidats autochtones en fonction des bureaux de scrutin recensés

    Tableau 8.3. Participation électorale et nombre de candidats autochtones

    Tableau 8.4. Influence des candidats autochtones sur le vote pour les partis

    LISTE DES SIGLES

    INTRODUCTION¹

    Peuples autochtones, territoires et citoyennetés : le Québec face à ses défis

    Daniel Salée, Stéphane Guimont Marceau et Jean-Olivier Roy

    En octobre 2015, l’émission Enquête de Radio-Canada provoquait une onde de choc au Québec en donnant la parole à des femmes autochtones² de la ville de Val-d’Or qui racontaient avoir été victimes d’agressions physiques, psychologiques et sexuelles aux mains de policiers de la Sûreté du Québec. Leurs révélations extrêmement graves mettaient en cause l’intégrité de l’appareil d’État et avaient indéniablement de quoi ébranler. Mais elles étaient également extraordinaires par le fait que, pour une rare fois, ces femmes parvenaient à ouvrir une brèche dans le mur d’invisibilité et de mutisme qui les sépare généralement de l’espace public dominant. Leurs voix, toutefois, ne pesèrent pas très lourd dans la balance. On vit plusieurs manifestations publiques en appui aux policiers, leurs collègues de toute la province prirent visiblement leur parti (portant brassards à cet effet jusqu’en 2018) et on entendit sur les ondes de diverses stations de radio nombre de commentaires dégradants à l’égard des victimes alléguées. Au bout du compte, les accusations qu’elles portèrent à l’endroit de leurs agresseurs ne furent pas retenues par le Directeur des poursuites criminelles et pénales.

    Après plus d’un an de représentations indignées de groupes de défense des droits des femmes et des peuples autochtones, le gouvernement québécois accepta finalement de mettre sur pied une commission d’enquête. Celle-ci, présidée par un ancien juge à la retraite, Jacques Viens, allait porter sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec et serait baptisée : « écoute, réconciliation et progrès ». En élargissant ainsi le mandat de la Commission à l’ensemble

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