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Pratiques d'intervention sociale et pandémie: Innovations, mobilisation et transformations
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Pratiques d'intervention sociale et pandémie: Innovations, mobilisation et transformations
Livre électronique646 pages7 heures

Pratiques d'intervention sociale et pandémie: Innovations, mobilisation et transformations

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À propos de ce livre électronique

La pandémie a fortement perturbé les individus, mais aussi les institutions publiques et les organismes communautaires voués à soutenir les personnes en situation de vulnérabilité. Ces organismes se sont rapidement mobilisés afin de maintenir leurs services. Ils ont dû faire preuve d’ingéniosité et s’adapter à de nouvelles conditions de travail avec des ressources humaines, matérielles et financières parfois très limitées.

À partir de cas concrets vécus par des personnes travaillant sous ces nouvelles contraintes, cet ouvrage illustre la façon dont divers organismes communautaires et publics, répartis dans différentes régions du Québec, ont dû drastiquement changer leurs pratiques d’intervention sociale afin de respecter les mesures de confinement et de distanciation physique qui ont été mises en place à partir de mars 2020.

Ce livre s’adresse aux personnes professionnelles actuelles et futures travaillant dans le domaine de la santé et des services sociaux. Il leur permettra de constater comment diverses organisations peuvent à la fois innover et faire preuve de résilience en période de crise et de fortes perturbations sociales malgré des changements majeurs en ce qui concerne leurs conditions de travail.
LangueFrançais
Date de sortie3 août 2022
ISBN9782760557307
Pratiques d'intervention sociale et pandémie: Innovations, mobilisation et transformations
Auteur

Danielle Maltais

Danielle Maltais, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est directrice de la Chaire de recherche Événements traumatiques, santé mentale et résilience depuis novembre 2015. Elle est cochercheuse principale du Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) – volet services sociaux.

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    Aperçu du livre

    Pratiques d'intervention sociale et pandémie - Danielle Maltais

    Introduction

    Danielle Maltais, Jacques Caillouette et Josée Grenier

    La pandémie de COVID-19 et l’ensemble des restrictions mises en place ont ébranlé non seulement les individus, mais aussi l’ensemble des organismes tant publics que communautaires qui apportent du soutien aux personnes aux prises avec des conditions de vie difficiles ou un état de santé physique ou mentale précaire. Tout en exacerbant les inégalités sociales préexistantes, cette crise mondiale permet toutefois à des intervenantes et à des organismes d’innover en mettant en place différentes stratégies et actions visant à maintenir les contacts et les suivis avec leurs membres, qui pour la plupart font face à d’innombrables défis tant personnels, conjugaux, familiaux, sociaux qu’économiques.

    Malheureusement, aux prises avec des moyens financiers limités dans un contexte où les besoins de plusieurs groupes de la population (femmes, personnes âgées, itinérants, réfugiés, personnes aux prises avec des incapacités ou des problèmes de santé physique ou mentale) s’accentuent, un bon nombre d’organismes constatent leur impossibilité de répondre à l’ensemble des besoins de leurs membres ou usagers. Des priorités doivent être établies et des services sont temporairement interrompus ou complètement modifiés. Le désespoir et l’épuisement de leurs bénévoles et des différents membres de leur personnel rémunéré posent aussi des défis aux milieux communautaire et institutionnel.

    Reconnus comme des entités offrant des services essentiels, les organismes communautaires maintiennent pour la plupart certaines de leurs activités jugées essentielles tout en en respectant les règles sanitaires en vigueur. Cette entreprise s’avère un grand défi, comme le rapportent plusieurs intervenantes au sein de cet ouvrage collectif.

    En raison des risques élevés de la propagation du virus de la COVID-19, au sein de la population, le télétravail à partir du domicile privé devient alors la norme, et des milliers de bénévoles, pour la plupart âgés de 60 ans et plus, reçoivent la consigne de demeurer chez eux. Plusieurs services offerts en présentiel sont également temporairement interrompus, le temps que l’on trouve des solutions pour limiter la propagation du virus.

    Toutefois, tout comme le démontrent les différents chapitres de ce livre, les organismes communautaires se mobilisent rapidement pour déterminer des pistes d’actions et des solutions qui permettent de limiter les dommages collatéraux de la pandémie. Mais malheureusement, la rupture ou les modifications dans les manières d’offrir les services aux personnes usagères ou aux membres, de concert avec la mise en place de protocoles pour contenir la propagation du virus, occasionnent de multiples conséquences psychologiques, sociales et économiques, non seulement chez les personnes usagères, mais aussi chez les intervenantes, les membres de conseils d’administration et les coordonnatrices ou directrices des organismes.

    Cet ouvrage traite de la transformation des pratiques d’intervention sociale dans le milieu communautaire et accessoirement dans le réseau public sous l’impact de la pandémie. Il faut toutefois comprendre que cet objet d’étude est indissociable d’un discours critique sur le réseau sociosanitaire québécois dans son ensemble quant à son orientation, sa structure et sa gestion.

    Ce volume prend pour objet le territoire québécois à partir de différentes régions. Il part d’études locales pour comprendre le changement dans les pratiques d’intervention dans des organismes particuliers. Bien que nous abordions le cas particulier de la situation des femmes en Haïti, la perspective de l’ouvrage n’est pas internationale. Le cas d’Haïti nous a semblé opportun pour montrer plus spécifiquement les effets de la crise sanitaire sur les violences faites aux femmes en déployant une analyse féministe de cette situation.

    Ainsi donc, les 12 chapitres rédigés par des chercheuses, pour la plupart membres de l’axe Politiques et pratiques sociales du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), mais aussi d’autres chercheuses affiliées à des organismes ou membres d’autres axes du CRISES, présentent les résultats de collectes de données réalisées dans différentes municipalités ou régions du Québec auprès de gestionnaires, d’intervenantes sociales et d’usagères, dont la majorité est déjà vulnérabilisée avant la pandémie.

    L’objectif central que nous nous sommes fixé en juin 2020, à la sortie de la première vague de la pandémie de COVID-19, a été d’analyser la transformation des pratiques d’intervention sociale en milieu communautaire et institutionnel sous l’impact de la pandémie de COVID-19. Tout en prenant de manière autonome des terrains différents d’enquête, nous avons alors cerné cinq objectifs de recherche :

    Documenter les conséquences de la pandémie sur les organismes publics du réseau de la santé et des services sociaux, sur les organismes communautaires ainsi que sur des instances locales en ce qui a trait à leur organisation du travail, à la prestation de leurs services et à leurs pratiques d’intervention ;

    Documenter les changements et les modalités d’intervention de soutien mis en place au sein des organisations auprès de leurs membres et de leurs intervenantes afin de respecter les directives gouvernementales, en ce qui a trait au confinement à domicile et à la distanciation physique, et de répondre à de nouveaux besoins engendrés par la pandémie ;

    Documenter les difficultés et les contraintes rencontrées dans la prestation des services aux personnes usagères ou aux membres, ainsi que dans la supervision et la gestion des intervenantes rémunérées ou bénévoles ;

    Cerner les contrecoups de la pandémie sur la santé des intervenantes, sur leurs pratiques et sur leurs conditions de travail ;

    Documenter les effets de la pandémie sur les membres et les bénéficiaires des organismes.

    Chaque équipe de chercheuses a utilisé le même guide d’entrevue pour sa collecte de données, en l’adaptant, bien sûr, à sa propre réalité. La méthodologie employée possède donc l’originalité du déploiement d’une forte concertation et la dynamique d’échange des autrices selon la visée des chercheuses. Cette autonomie a permis l’instauration rapide des collectes des données et leur analyse tout en facilitant le travail de chaque équipe. La vision commune des objectifs de cet ouvrage et les échanges réguliers entre les chercheuses ont permis la mise en place d’une efficacité locale tout en garantissant une autonomie de chacune des équipes.

    Le chapitre 1, « Pandémie, intervention sociale et justice sociale », situe la pandémie dans son contexte politique, environnemental, économique, social et institutionnel. Il permet de constater que cette crise sanitaire mondiale est également une crise sociale renforçant des inégalités culturelles, sociales et économiques préexistantes et d’établir que les intervenantes œuvrant tant dans le milieu communautaire qu’institutionnel au Québec ne sont pas épargnées par cette crise. De plus, ce chapitre montre que des décisions politiques et des décrets ministériels antérieurs sont venus fragiliser et rigidifier le réseau de la santé et des services sociaux.

    Le chapitre 2 examine l’exercice de la démocratie locale dans deux arrondissements montréalais, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et Outremont, durant la période de la pandémie de COVID-19 entre avril 2020 et février 2021.

    Le chapitre 3 présente l’Observatoire de l’action communautaire autonome, qui a pour mandat de documenter les conséquences de la crise de la COVID-19 sur les organismes communautaires au Québec et les résultats préliminaires de sa première année de travaux. Ces résultats font ressortir des effets importants autour de cinq grands thèmes : les besoins et les droits des personnes, l’action des groupes, la gestion du risque sanitaire, l’action des regroupements et enfin le financement.

    Le chapitre 4 fait l’état des résultats préliminaires d’une recherche partenariale s’intéressant aux répercussions de la COVID-19 et des politiques publiques sur les conditions de travail dans les organismes communautaires autonomes. Ce chapitre trace, d’une part, la chronologie des interventions étatiques autour des organismes communautaires durant la première année de la pandémie (mars 2020 à mars 2021). D’autre part, ce texte présente les réflexions des auteurs concernant les interventions étatiques mises en place à partir de l’analyse d’une quinzaine d’entretiens de groupe effectués auprès de travailleuses, de gestionnaires, de membres de Conseil d’administration et de bénévoles œuvrant au sein d’organismes communautaires.

    Le chapitre 5 traite des conséquences de la COVID-19 sur les organismes et sur la population de l’arrondissement de Montréal-Nord ; un territoire durement affecté par la pandémie, en plus d’être fortement défavorisé sur les plans matériel et social.

    Le chapitre 6 s’intéresse pour sa part aux transformations des pratiques d’intervention de l’organisme SANC (Service d’aide aux Néo-Canadiens) pendant la pandémie de mars 2020 jusqu’à avril 2021. Les principaux sujets abordés sont les défis de l’intervention à distance et du travail à la maison, les conséquences des services en ligne sur les personnes immigrantes, la transformation des interventions terrain et l’impact de la pandémie sur la santé mentale des employées et des personnes immigrantes.

    Le chapitre 7 présente les résultats d’une recherche réalisée auprès d’un organisme communautaire en sécurité alimentaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, se dévouant à combattre l’insécurité alimentaire des individus aux prises avec des conditions socioéconomiques précaires tout en apportant une vue d’ensemble des défis et enjeux des organismes communautaires en temps de pandémie dans cette région.

    Le chapitre 8 traite de la transformation des pratiques de soutien communautaire en logement social et communautaire dans sept régions du Québec pendant la pandémie. Ce chapitre montre comment la pandémie aggrave les problèmes de santé physique et mentale au sein des immeubles en exacerbant chez les personnes locataires les problèmes d’isolement, d’anxiété, de dépendance et d’intolérance. Deux activités de soutien communautaire innovatrices ayant émergé pendant la COVID-19 sont également présentées et analysées.

    Le chapitre 9 porte sur l’organisme communautaire Plein Milieu à Montréal qui a dû se réinventer, afin de répondre aux besoins de ses membres et de sa communauté. Ce chapitre documente et analyse les processus adaptatifs déployés par cet organisme au cours de la première année de la pandémie.

    Le chapitre 10 indique comment une intervention développée et implantée à Gatineau au sein d’une habitation communautaire destinée à des familles monoparentales vulnérables a su développer des pratiques à distance pendant la pandémie.

    Par la suite, le chapitre 11 s’inscrit dans l’univers des technologies de l’information et des communications (TIC) en répertoriant les conséquences systémiques de la pandémie sur les organisations, les intervenantes, les pratiques d’intervention, tout comme les adaptations et les défis que comporte l’usage des technologies de la communication et de l’information en intervention sociale.

    Le chapitre 12 documente les retombées de la pandémie sur les femmes vivant en Haïti et sur les organisations communautaires qui leur assurent des services. Ce chapitre se penche sur les ajustements que les groupes féministes et les groupes de femmes ont apportés à leurs interventions en raison du contexte de pandémie.

    Chapitre  

    1

    Pandémie, intervention sociale et justice sociale

    Danielle Maltais, Jacques Caillouette et Josée Grenier

    La crise sociosanitaire due à la pandémie de COVID-19 est sans précédent. Elle accentue les enjeux de santé et de bien-être vécus par plusieurs groupes sociaux (Owen, 2020). Certaines populations et certains organismes sont plus directement affectés par la pandémie, laquelle exacerbe la situation de vulnérabilité de certaines catégories d’individus (Fakoya, McCorry et Donnelly, 2020 ; Owen, 2020), dont les personnes aînées souffrant de problème de santé physique et de limitations fonctionnelles, les personnes avec des problèmes de santé mentale, celles sans logement, en déplacement, en situation de violence conjugale ainsi que les personnes racisées et celles déjà précarisées au plan socioéconomique et de l’emploi. Force est de constater que la crise de la COVID-19 est socialement inégalitaire (Herzberg, 2020 ; La Presse Canadienne, 2020 ; Tircher et Zorn, 2020). Les intervenantes et les organismes communautaires subissent également les contrecoups de cette pandémie, doivent modifier leurs pratiques et s’ajuster à un nouveau contexte pour respecter les mesures de confinement et de distanciation physique mises en place en mars 2020.

    Dans ce premier chapitre, nous posons la pandémie en tant que catastrophe macrosociale. Nous nous attardons également sur la manière dont les situations de crise, notamment la pandémie, affectent ou peuvent affecter les intervenantes sociales, qu’il s’agisse de fatigue de compassion, de stigmates, d’isolement, de problématisation de l’intervention, ou même, au plan positif, de résilience vicariante. En lien avec la situation de crise pandémique, nous abordons l’organisation du travail dans le réseau de la santé et des services sociaux et la place de l’intervention sociale, de même que l’autonomie des intervenantes et gestionnaires aux échelles locale et régionale. Nous remettons également en question l’importance que les autorités accordent à la crise sociale que génère la pandémie.

    Pour terminer, nous soumettons l’orientation théorique et axiologique de nos travaux. Nous définissons ce que nous entendons par pratiques d’intervention sociale au-delà du cadre d’une prestation marchande de services tout en soulignant l’importance de la dimension sociale des problèmes sociaux et de santé. Nous invoquons le besoin de dépasser l’hospitalocentrisme et de démocratiser ces pratiques pour une participation accrue tant des intervenantes et des gestionnaires proches du terrain que des populations desservies. Enfin, selon une approche de la justice sociale développée par la philosophe Nancy Fraser (2011) et conformément à l’orientation du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) en faveur de la justice environnementale, nous faisons valoir, qu’au-delà d’une approche de responsabilité individuelle, il importe de reconnaître le fait des inégalités sociales, socioenvironnementales et sanitaires, et de quelle manière la crise pandémique les amplifie. Des populations sont beaucoup plus touchées que d’autres par les conséquences des crises sociale, politique et économique générées par la catastrophe pandémique. Il importe donc d’inscrire l’intervention sociale dans un paradigme plus large de redistribution socioéconomique, de lutte pour la reconnaissance et de parité de participation sociale.

    1. La pandémie en tant que catastrophe macrosociale

    La COVID-19 est signalée pour la première fois à Wuhan, Hubei, en Chine, en décembre 2019 et, en termes de gravité clinique, cette maladie est classée de modérée à très élevée (Yanti et Wahiduddin, 2020). Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare la COVID-19 comme une urgence de santé publique de portée internationale (Khanna et al., 2020). Par la suite, le 11 mars, elle est qualifiée de pandémie, car elle s’est propagée dans 113 pays (Khanna et al., 2020). C’est à ce moment que le gouvernement du Québec décrète la fermeture des commerces et des services considérés comme non essentiels ainsi que celle de tous les établissements d’enseignement, la suspension de tous les événements sociaux et culturels, interdit les rassemblements de plusieurs personnes dans un même lieu public ou privé, encourage fortement le télétravail pour tout type d’emploi lorsque cela est possible, tout comme le confinement à domicile et la distanciation physique. De plus, le report de tout type de soins médicaux non urgents est aussi décrété afin de ne pas surcharger les hôpitaux, et les médecins de famille et les spécialistes sont encouragés à effectuer leurs consultations par voie téléphonique ou par l’intermédiaire de plateformes numériques. Au fur et à mesure de l’évolution de la situation, des mesures plus restrictives sont décrétées, comme celle de ne pas recevoir chez soi des personnes ne faisant pas partie de sa cellule familiale nucléaire en plus de l’instauration, au Québec, d’un couvre-feu entre 20 h et 5 h pour la période du 9 janvier au 8 février 2021. De plus, dans les pays où le taux d’infection est plus élevé, des mesures plus contraignantes sont également mises en place, comme l’interdiction de voyager à l’intérieur et à l’extérieur de son pays, la réduction ou l’interruption des vols intérieurs et internationaux, la fermeture des frontières, le couvre-feu de plus en plus tôt, la quarantaine obligatoire lors de son arrivée dans certains pays et le confinement général (Khanna et al., 2020).

    Toutes ces mesures posent divers défis à la fois aux individus, aux organisations et aux instances en lien avec le nombre élevé de personnes concernées, les enjeux éthiques, le respect des droits individuels, l’utilisation judicieuse des médias sociaux et une coopération étroite avec les forces de l’ordre à l’échelle locale et nationale (Wilder-Smith et Freedman, 2020).

    La pandémie de COVID-19 présente donc un ensemble de défis pour les membres du personnel et les bénévoles de la santé et des services sociaux ainsi que pour les aidantes informelles (Chan et al., 2020 ; Shanafelt, Ripp et Trockel, 2020), comme l’incertitude quant à l’ampleur, la durée et les effets de cette crise mondiale ; les préoccupations quant au niveau de préparation au sein des organisations de soins de santé et de services sociaux des secteurs public et communautaire ; le manque d’équipements de protection individuelle (EPI) adéquats et d’autres fournitures nécessaires ainsi que les menaces pour sa propre santé et les risques de contagion pour ses proches, ses collègues et les personnes à qui sont destinés les soins de santé ou les services sociaux (Chan et al., 2020). Ainsi, pendant la pandémie, plusieurs professionnelles de la santé et des services sociaux doivent malheureusement s’isoler des membres de leur famille ou de leur communauté en raison de la stigmatisation ou de la peur de contaminer leurs proches (Alharbi, Jackson et Usher, 2020a, 2020b).

    Depuis le début de cette pandémie et des mesures mises en place, le décès d’un nombre considérable de personnes dans la plupart des pays, même les plus développés, démontre que ces derniers sont très mal préparés à protéger et à secourir, en cas de catastrophe dite « naturelle », les individus, et plus particulièrement les personnes vulnérables, c’est-à-dire celles qui occupent des emplois précaires, qui ont de faibles revenus, qui sont isolées, qui présentent des problèmes de santé physiques ou cognitifs, qui sont à mobilité réduite ou qui vivent dans des conditions familiales et de logement précaires (Agence de la santé publique du Canada, 2018). De plus, il apparaît évident que certains facteurs individuels et sociaux exercent une influence sur le niveau de vulnérabilité de différents groupes d’individus confrontés aux pertes ou aux dommages générés par leur exposition à une catastrophe, dans ce cas-ci une pandémie, et aux différentes mesures d’isolement et de distanciation physique qui ont été instaurées dans la plupart des pays confrontés à la propagation du virus SRAS-CoV-2. Ainsi, comme le précisent Parry et ses collaborateurs (2007, p. 14), membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « la capacité d’adaptation, intimement liée au développement socioéconomique, est inégalement répartie entre les sociétés et au sein de ces dernières ».

    Dans un tel contexte, il s’avère pertinent d’identifier les éléments qui maintiennent ou qui exacerbent la vulnérabilité de certains segments de la population et certaines organisations publiques ou communautaires face à la pandémie afin d’être en mesure d’élaborer et de mettre en application des interventions sociales, pendant et après cet événement, destinées à renforcer et à développer leur capacité d’adaptation et de résilience (Organisation mondiale de la santé, 2009).

    Les catastrophes, y compris les pandémies, contribuent à l’émergence de conséquences néfastes, voire traumatiques, chez un nombre élevé d’individus et à la perturbation de l’organisation et de la prestation des soins de santé et des services psychosociaux. L’ampleur des conséquences humaines, communautaires, sociales et matérielles qui y sont associées peut être considérée comme le résultat de l’interaction entre différents facteurs humains liés au déploiement d’activités mal avisées au sein de l’environnement (p. ex. mauvaise aération dans les lieux publics comme les établissements scolaires, concentration de population dans des quartiers défavorisés) et la répartition inégale des ressources tant économiques, sociales que culturelles entre individus, communautés et pays (Blaikie et al., 1994).

    Certains facteurs qui vulnérabilisent des groupes d’individus ou des organisations ainsi que certaines collectivités ou régions sont facilement identifiables, par exemple la dégradation de l’environnement ou l’établissement de regroupements humains à l’intérieur de zones à risques. Malheureusement, certains autres facteurs sont moins visibles et doivent faire l’objet d’études systématiques afin de les délimiter, tels que la discrimination raciale, la pauvreté, l’absence de droits civiques, l’instauration de mesures économiques et sociales contraignantes, la répartition inégale des richesses, la corruption ou l’insensibilité des élus ou l’inaptitude des gouvernements ou des organisations à protéger et à subvenir aux besoins fondamentaux de certains groupes d’individus. À ce sujet, il demeure intéressant de souligner que le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSS) du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal (2020) démontre que la contamination du virus SRAS-CoV-2 est plus importante au sein des secteurs présentant des conditions socioéconomiques très précaires étant donné que, lors de la première vague de contamination, ce sont deux fois et demie plus de personnes résidant dans ces secteurs que de personnes vivant dans des quartiers plus favorisés qui le contractent. Dans les secteurs où se retrouvent le plus de personnes infectées par la COVID-19, le CIUSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal remarque que ces derniers sont composés d’un grand nombre de travailleuses essentielles, dont les individus proviennent de logements exigus situés dans des immeubles à forte densité, profitent de peu de lieux extérieurs permettant la pratique de sports ou de loisirs ainsi que de personnes vivant dans des conditions de vie plus défavorables.

    Par les perturbations qu’ils occasionnent aux individus, aux intervenantes et aux autorités civiles et gouvernementales, les désastres, telles les pandémies, suscitent des demandes inhabituelles qui excèdent les ressources normalement disponibles pour faire face aux responsabilités et aux activités régulières. Lorsque des milliers d’individus doivent être soutenus par différents systèmes d’aide et de soins eux-mêmes fortement ébranlés dans un environnement souvent chaotique, la capacité de ceux-ci à protéger la population et à subvenir à ses besoins fondamentaux peut être fortement ébranlée. Il devient alors crucial, selon Ngo (2001), que les systèmes d’aide et de soins soient en mesure de cibler les personnes envers lesquelles une vigilance particulière doit être orientée, dont certains groupes de personnes vulnérables, et de leur offrir des services sociaux et de santé adaptés à leur situation spécifique. Mais qui sont donc les groupes qui s’avèrent plus vulnérables pendant la pandémie de 2020 ? Dans ce chapitre, nous nous attardons à deux de ces groupes : les personnes âgées et les femmes. En contexte de catastrophe, selon Watts et Bolhe (1993), la notion de « vulnérabilité » comprend trois éléments : 1) le risque d’être exposé à des situations de crise (l’exposition) ; 2) le risque de ne pas avoir les ressources nécessaires à faire face à la situation (capacité à s’en sortir) ; et 3) le risque de subir des conséquences négatives à la suite de l’exposition à des crises (potentialités). La notion de « vulnérabilité » soulève donc l’hypothèse que certains groupes d’individus, à l’intérieur d’une société donnée, détiennent un ensemble de particularités « socialement dévalorisées », qui, une fois conjuguées aux caractéristiques objectives reliées au désastre (durée, lieu d’exposition, intensité), décuplent la force de ce dernier en libérant tout son potentiel destructeur.

    2. Les conséquences de la pandémie chez les femmes

    Les femmes sont nombreuses à occuper des emplois peu rémunérés dans les services considérés comme non essentiels (p. ex. restauration, soins esthétiques) ou des postes de travailleuses essentielles dans les hôpitaux, dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ou dans les résidences privées. Elles sont plus affectées que les hommes par la perte temporaire ou permanente de leur emploi ou sont plus à risque d’être contaminées par le SRAS-CoV-2. De plus, la grande majorité des femmes ayant à leur charge des enfants en bas âge éprouvent plus de difficultés que les hommes à composer avec la conciliation travail-famille en raison de la fermeture des écoles, des centres de la petite enfance et des garderies en milieu familial (Chen et Bougie, 2020 ; Handfield, 2020 ; Springmann, 2020).

    Tout au long de cette pandémie, les femmes ont à assumer une charge particulièrement lourde, car nombre d’entre elles travaillant encore à temps plein (soit à domicile, soit comme travailleuses essentielles) doivent gérer la garde ou l’éducation de leurs enfants à la maison (Kalenkoski et Pabilonia, 2020 ; Van Lancker et Parolin, 2020 ; Viner et al., 2020). À ce sujet, il est intéressant de souligner que plus d’un tiers des parents vivant aux États-Unis, femmes ou hommes, indiquent qu’ils ont du mal à concilier leur travail et leurs responsabilités en matière de garde d’enfants (Horowitz, 2020). En effet, la nature même de la pandémie fait que les parents sont isolés de leur réseau de soutien social habituel, ont moins ou pas de possibilités de loisirs ou d’activités d’autosoins (Coyne et al., 2020), et sont contraints à des contacts limités avec les membres de la famille (p. ex. les grands-parents) qui pourraient autrement offrir une aide à la garde des enfants (Aronson, 2020). Ainsi, les femmes ayant des enfants à la maison doivent surmonter les conséquences majeures de la pandémie sur leur santé physique et mentale, tout en essayant de créer une nouvelle réalité de soutien et d’enrichissement pour leurs enfants.

    3. La pandémie et les intervenantes sociales en temps de crise

    Les recherches sont assez claires sur cette question. Ainsi, des conséquences à la fois négatives et positives peuvent découler de l’intervention en situation de crise. La fatigue de compassion, le stress post-traumatique secondaire (traumatisme vicariant) et l’épuisement professionnel sont des exemples d’effets négatifs susceptibles d’être vécus par les intervenantes sociales (Conrad et Kellar-Guenther, 2006). D’un autre côté, l’intervention en situation de catastrophe peut être également très gratifiante et permettre de reconnaître la capacité des êtres humains à guérir ou à se remettre sur pied, de réaffirmer la valeur du processus thérapeutique, de relativiser l’importance de leurs problèmes personnels et de découvrir le pouvoir de la solidarité d’une communauté (Hernández, Gangsei et Engstrom, 2007). Malheureusement, plusieurs facteurs semblent à l’origine de sous-estimer, d’ignorer ou de taire les conséquences de l’intervention en situation de catastrophe sur la santé des intervenantes, toutes catégories confondues (bénévoles, intervenantes rémunérées, professionnelles, etc.). Il y aurait, entre autres, le manque de sensibilisation ou le refus de reconnaître les besoins des intervenantes, la tendance à les considérer comme des êtres invulnérables (Mitchell et Dyregrov, 1993), la prépondérance des approches médicales dans le traitement des traumatismes (Burkle, 1996) et la croyance que la formation et l’expérience des intervenantes les immunisent au stress et aux traumatismes, et les imperméabilisent à la souffrance ainsi qu’à la douleur des autres (Dunning, 1990). Il n’en demeure pas moins que les intervenantes sociales exposées à des situations environnementales extrêmes ou à différents stresseurs d’ordre personnel, professionnel, contextuel ou organisationnel, ainsi qu’à des perturbations similaires à celles des victimes sont elles aussi sujettes à vivre des difficultés d’adaptation et à courir des risques pouvant compromettre leur santé ou leur intégrité physique et psychologique. À ce sujet, Raphael (1986) soutient que les intervenantes constituent le « troisième niveau de victimes » en contexte de catastrophe après les victimes primaires¹ (directement touchées) et secondaires (proches indirectement touchés). Les professionnelles qui interviennent auprès de personnes traumatisées peuvent vivre des émotions et éprouver des symptômes semblables à elles, tels que le désespoir, la rage, la terreur, le sentiment d’être dépassées par la situation, un sommeil agité et des préoccupations concernant leur sécurité personnelle (Herman, 1992). Selon Figley (1995), ces manifestations sont des symptômes du traumatisme vicariant, appelé aussi stress post-traumatique secondaire. Par l’écoute répétée des détails des histoires traumatiques confiés par les prestataires de soutien, les intervenantes deviennent témoins de réalités traumatiques. Cette écoute répétée peut affecter, entre autres, leur fonctionnement psychologique (Maltais, 2015). De multiples autres effets négatifs peuvent aussi être vécus par ces dernières, tels qu’un sentiment de peur exacerbée pour leur propre sécurité ou celle de leurs proches (Ortlepp et Friedman, 2002) , des symptômes psychosomatiques comme des maux de tête et de la tension physique (Dane et Chachkes, 2001) et de l’irritabilité chronique ou des excès de colère (Hodgkinson et Shepherd, 1994). La fatigue (Dane et Chachkes, 2001 ; Ortlepp et Friedman, 2002), la détresse émotionnelle (Shamai et Ron, 2009), l’inhibition des émotions (Hodgkinson et Shepherd, 1994) ainsi que la présence de sentiments d’incompétence, d’impuissance et de désespoir peuvent également être vécues par ces professionnelles (Dane et Chachkes, 2001 ; Figley, 1995, 2002a, 2002b ; Gibson et Iwaniec, 2003). Les intervenantes peuvent aussi souffrir de pensées intrusives, de cauchemars associés aux traumatismes de leurs clients ainsi que d’insomnie. Des difficultés de concentration, de l’évitement envers les clients traumatisés et de l’hypervigilance sont d’autres symptômes ayant été répertoriés (Figley, 1995).

    Les intervenantes sociales peuvent aussi vivre de la fatigue de compassion. Proposé par Figley (1995, p. 7), ce terme est utilisé pour décrire « le stress qui résulte de l’action d’aider ou de projeter d’aider une personne traumatisée ou souffrante ». Il a aussi été démontré que la fatigue de compassion peut affecter la vie personnelle et professionnelle des intervenantes sociales (Dane et Chachkes, 2001). À cet égard, Figley (2002a, 2002b) mentionne que les effets négatifs peuvent se situer sur les plans cognitif (difficulté de concentration, etc.), émotionnel (absence d’émotions, irritabilité, anxiété, culpabilité, tristesse, etc.) et comportemental (problèmes reliés à l’appétit, au sommeil, etc.). La vie interpersonnelle (méfiance, isolement, solitude, etc.), professionnelle (faible niveau de motivation, absentéisme, faible performance au travail, etc.) et spirituelle (remise en question des croyances et valeurs fondamentales, etc.) des intervenantes peut également être affectée par la fatigue de compassion. Les intervenantes en souffrant peuvent également développer des problèmes de santé physique.

    Si des conséquences négatives sont présentes, certaines retombées positives peuvent aussi découler de l’intervention en situation de crise macrosociale. À ce sujet, Hernández, Gangsei et Engstrom (2007, p. 237) utilisent le concept de « résilience vicariante » qui se définit comme « un processus qui amène les thérapeutes à être transformés positivement par le fait d’être témoin de la résilience des personnes ayant survécu à un traumatisme ». Ce phénomène peut engendrer plusieurs répercussions positives, notamment un développement personnel, une prise de conscience de la résilience de l’être humain, un sentiment renouvelé de confiance professionnelle et une plus grande appréciation de sa vie (Tosone et al., 2003). Des prises de conscience concernant plusieurs dimensions de la vie (Maltais, 2015), l’utilisation de stratégies plus efficaces pour prendre soin de soi (Bauwens et Tosone, 2010) ainsi qu’une croyance profonde en la bonté ou la bienveillance de l’humanité (Collins et Long, 2003) sont également des comportements observés chez les intervenants faisant preuve de résilience vicariante.

    Pour leur part, Radley et Figley (2007) considèrent que la manifestation d’une attitude empreinte de compassion envers les personnes traumatisées peut conduire à un sentiment d’accomplissement ou de satisfaction de compassion. Ainsi, pour s’épanouir, les travailleuses sociales ont besoin de ressentir la joie d’aider les autres et d’être satisfaites de leur travail. Cette joie et cette satisfaction peuvent conduire à la satisfaction de compassion engendrée par le fait d’être témoins du passage chez les bénéficiaires de soutien du rôle de victime à celui de personne responsable ou d’individu survivant. Ainsi, plusieurs études révèlent que les intervenantes peuvent vivre à la fois des conséquences négatives et positives en lien avec leur travail auprès de personnes traumatisées ou souffrantes (Tehrani, 2007).

    Depuis la première phase de la crise sanitaire (de décembre 2019 à avril 2020), plusieurs recherches portent sur la prévalence des symptômes de la santé mentale chez la population des intervenantes sociales, dont le stress (Bohlken et al., 2020) et l’apparition de symptômes du syndrome de stress post-traumatique (Johnson, Ebrahimi et Hoffart, 2020). Ces études démontrent alors que la détérioration de l’état de santé mentale des intervenantes sociales est entre autres liée à la prestation des soins problématiques dans les institutions publiques ou privées telles que les CHSLD et dans les résidences privées pour personnes aînées (Chen et al., 2020) ainsi qu’aux exigences du confinement mises en application dans plusieurs pays du monde, dont le Canada (Greenberg et al., 2020). Les conséquences psychologiques et sociales de la quarantaine et de l’isolement physique ont des effets néfastes sur la santé mentale des intervenantes (Gold, 2020 ; Holmes et al., 2020). De plus, les soins médicaux de la population sont menacés (Bohlken et al., 2020) et les intervenantes doivent œuvrer dans des organisations qui sont elles-mêmes perturbées parce qu’elles doivent entre autres mettre en place différentes procédures qui modifient leur mode habituel de prestation de services (Holmes et al., 2020 ; Lai et al., 2020). Les intervenantes sont alors confrontées à des charges de travail extrêmes, à des dilemmes moraux et à un environnement qui diffère grandement de ce qu’elles connaissent (Cohen, Crespo et White, 2020). Qu’en est-il maintenant des répercussions de la pandémie sur les institutions publiques ? Avant de répondre à cette question, il est important de se questionner sur les effets qu’ont eus les dernières réformes de la santé et des services sociaux sur les organisations pour, par la suite, documenter les conséquences qu’a la pandémie sur leurs intervenantes.

    4. L’hospitalocentrisme et l’autonomie des intervenantes et gestionnaires du réseau

    Depuis les années 1990, on assiste à des réorganisations du réseau de la santé et des services sociaux. Trois réformes se sont succédé, et ce, au nom de l’assainissement des finances publiques et de l’efficacité (Grenier, Bourque et St-Amour, 2016). Ces réformes sont directement inspirées par la nouvelle gestion publique (NGP) ; une méthode de gestion visant principalement la réduction des coûts de système. Avec la NGP, on assiste à la « managérialisation » des services publics par « l’usage généralisé de techniques économiques d’orientation des conduites, permettant d’atteindre des objectifs normatifs et politiques » (Arrignon, 2011, p. 2). La réforme Côté (1991), la réforme Couillard (2003) et la réforme Barrette (2015) s’inscrivent dans ce sillon. Ces réformes ont été notamment motivées par des exigences budgétaires avec, entre autres, comme visées d’améliorer l’accès et la continuité dans les services ainsi que l’efficience et l’efficacité du réseau. Par ailleurs, deux éléments caractérisent ces réformes : « l’introduction de changements dans les structures et l’adoption de la nouvelle gestion publique » (Grenier et al., 2016, p. 17). Les réformes ont tenté de pallier les problèmes du réseau de la santé et des services sociaux, soit « en créant ou en abolissant des instances, en fusionnant des établissements et en centralisant de plus en plus la gestion des finances. Ceci n’est pas sans incidence sur les services sociaux qui ont progressivement dû céder du terrain au domaine sanitaire » (Grenier et al., 2016, p. 17).

    La réforme Côté de 1991 réduit de 900 à 500 les établissements autonomes (centres locaux de services communautaires [CLSC]) (Larivière, 2019). La réforme de 2003 s’inscrit en continuité avec la réforme Côté. Les établissements sont fusionnés dans la perspective d’une intégration territoriale des services de la santé et des services sociaux ; « les 160 CLSC perdent leur identité au profit d’un réseau territorial de centres de santé et de services sociaux (CSSS). 60 CLSC intègrent les centres hospitaliers, en plus des centres de soins et d’hébergement pour les personnes âgées en perte d’autonomie et de quelques hôpitaux de réadaptation (postopératoire et de gériatrie) » (Bourque, Grenier et Bilodeau, 2019, p. 38). En 2015, la réforme Barrette amène une restructuration radicale. Le réseau passe de 182 à 34 établissements. La presque totalité des établissements a été fusionnée, avec des missions différentes, au sein de 22 mégastructures, soit 13 centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et 9 centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Avec cette restructuration, les organisations deviennent gigantesques et plus impersonnelles. Pensant régler les problèmes d’accès par ces restructurations, la lourde bureaucratie et la hiérarchisation de ces organisations, qui autrefois étaient intégrées dans des dynamiques locales, ont conduit à d’importantes difficultés (Larivière, 2019). La réforme Barrette « a entraîné une importante centralisation du réseau public de santé et de services sociaux qui a eu de lourdes conséquences sur le développement des collectivités locales. […] Or, on peut légitimement se demander comment une intégration de tous les établissements d’une région administrative peut respecter l’ancrage local. […] » (Bourque et Lachapelle, 2018, s. p.). En somme, les effets culminants de ces réformes conduiront à une gestion de plus en plus centralisée et contrôlante de l’État que l’on peut qualifier de « contrôle politique » (Bourque et Lachapelle, 2018, s. p.) et un leadership autoritaire. Au fur et à mesure des réformes, les territoires à couvrir par organisation vont s’agrandir et d’autant plus avec la réforme de 2015 ; un enjeu pour bien desservir la population, surtout dans un contexte de rationalisation des services et de la visée d’intervention de proximité, car comment être près de la population au sein de territoires si vastes à couvrir avec des ressources moindres ? En effet, le regroupement de ces organisations n’a rien ajouté en matière de services, comme l’indique Larivière (2019), la restructuration mise en place dans la réforme de 2015 cache une diminution de services de l’État, avec 9 % de coupes dans les services à domicile de Montréal (Robillard, 2016). De plus, la bureaucratie de plus en plus lourde et la reddition de comptes devenue un fardeau administratif constituent des limites aux interventions directes et plus fréquentes auprès de la population ; une « négligence quant aux services de proximité » (De Koninck, Maranda et Joubert, 2018, p. 3). Ces conditions vont conduire de plus en plus d’intervenantes à dénoncer leurs conditions de travail, le manque de soutien clinique et l’absence de gestionnaire au sein des équipes qui amène une désorganisation de celles-ci (Le Pain et al., 2021). En somme, les réformes vont entraîner une « prédominance du modèle médico-hospitalier ; des missions essentielles noyées au sein d’immenses structures ; [un] affaiblissement des CLSC et de la première ligne ; des secteurs fragilisés par les compressions successives » (Joubert et al., 2017). C’est dans ce contexte que la pandémie fait son arrivée – dans un réseau fragilisé et des acteurs épuisés, plus loin des communautés locales, travaillant au sein de mégastructures complexes où l’arrimage est un défi sur le plan de la gestion et de la communication au sein des CISSS et CIUSSS² (Hébert, 2020).

    Les organismes complexes que sont les CISSS et les CIUSSS entraînent des défis de gestion et de communication (Hébert, 2020). Dans le contexte de la pandémie, la gestion de ces mégastructures s’avère problématique pour la prise de décision rapide selon les besoins spécifiques des territoires. Le modèle des CISSS et des CIUSSS, calqué sur le fonctionnement des entreprises privées, laisse une mince marge d’autonomie aux intervenantes et aux gestionnaires du réseau. L’hypercentralisation du pouvoir et la complexité des structures constituent une limite durant la crise et les établissements n’ont pas toute la latitude et l’autonomie pour agir pleinement selon les enjeux spécifiques liés aux caractéristiques et aux besoins de la population de leur territoire ; « […] la dominance progressive d’une gestion privée, à opter pour une centralisation excessive, à imposer un style de leadership autocratique et directif qui laisse peu de place à l’initiative et à la critique » (De Koninck, Maranda et Joubert, 2018, p. 3).

    Cette centralisation donne un contrôle étendu au ministre, et il en découle une hiérarchisation importante en ce qui concerne les communications (Quesnel-Vallée et Carter, 2018). Elle a également des effets sur les intervenantes et la population (Bourque et al., 2019). Les voix sont nombreuses en temps de pandémie pour dénoncer les contrecoups des fusions et demander une décentralisation (Bergeron, 2020a ; Goudreau et Stake-Doucet, 2020). Dans un récent témoignage, le Dr Vincent Bouchard-Dechêne, membre du Regroupement québécois des médecins pour une décentralisation

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