Les droits et le travail social: Définitions, enjeux et perspectives
Par Céline Bellot
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À propos de ce livre électronique
Au cœur de situations humaines et sociales complexes, la travailleuse sociale s’appuie sur un cadre où les principes du respect des droits fondamentaux et la défense de la justice sociale sont essentiels. Ce livre présente un certain nombre de règles juridiques et donne des exemples de leur application dans différents contextes d’intervention sociale. Au fil des chapitres, les étudiants découvriront les perspectives sociohistoriques qui permettent de comprendre l’état actuel des législations québécoise et canadienne, d’appréhender les objectifs et les finalités de ces législations et de saisir les enjeux vécus par les personnes et les populations en matière d’accès aux droits et aux institutions qui les défendent. Les nombreux exercices proposés aux lecteurs font avancer la réflexion sur ces enjeux. Centré sur les droits de la personne, cet ouvrage parcourt les questions des régimes juridico-politiques canadien et québécois, du consentement, du droit de la famille, de la protection de la jeunesse, des droits des peuples autochtones, des autorisations de soins et de la protection des adultes.
Céline Bellot, juriste et criminologue, est actuellement directrice de l’École de travail social de l’Université de Montréal et de l’Observatoire des profilages. Ses travaux de recherche portent sur la judiciarisation des populations marginalisées (individus en situation d’itinérance, consommateurs de drogues, personnes autochtones). Ils s’inscrivent dans un cadre partenarial avec les organismes communautaires et les institutions ou de manière participative avec les populations concernées.
Céline Bellot
Céline Bellot, juriste et criminologue, est actuellement directrice de l’École de travail social de l’Université de Montréal et de l’Observatoire des profilages. Ses travaux de recherche portent sur la judiciarisation des populations marginalisées (individus en situation d’itinérance, consommateurs de drogues, personnes autochtones). Ils s’inscrivent dans un cadre partenarial avec les organismes communautaires et les institutions ou de manière participative avec les populations concernées.
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Avis sur Les droits et le travail social
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Aperçu du livre
Les droits et le travail social - Céline Bellot
Ce livre est d’abord et avant tout un manuel destiné aux étudiantes¹ en travail social au Québec. Il s’appuie sur une expérience riche d’enseignements du droit en travail social de plus de 15 années au sein de l’École de travail social de l’Université de Montréal. À ce titre, je dois remercier très chaleureusement toutes les cohortes d’étudiantes avec lesquelles j’ai eu le grand plaisir de travailler. Leurs commentaires, leurs réflexions, et nos échanges au fil des années sont venus enrichir le contenu de ce manuel. Comme juriste, enseigner le droit peut paraître naturel. Comme professeure en travail social, enseigner les droits l’est tout autant. Cependant, ce manuel ne vise pas à rendre des résultats de recherche associés aux différents champs de pratique d’intervention dans lesquels œuvrent les travailleuses sociales. Il s’agit bien davantage de présenter les différentes législations auxquelles les travailleuses sociales ont recours dans leur quotidien.
En ce sens, ce livre s’ancre directement dans les définitions contemporaines du travail social, en participant au développement des habiletés et des compétences requises pour la pratique du travail social au Québec. Le travail social, en agissant au cœur de situations humaines et sociales complexes, repose sur un cadre où les principes du respect des droits fondamentaux et la défense de la justice sociale doivent être les moteurs de l’intervention. La définition du travail social de l’Association internationale des écoles de travail social et de la Fédération internationale des travailleurs sociaux, adoptée lors de l’assemblée générale tenue à Melbourne en juillet 2014, reflète tout particulièrement cette vision:
Le travail social est une profession basée sur la pratique et une discipline académique qui favorise le changement et le développement sociaux, la cohésion sociale ainsi que l’autonomisation et la libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droits de l’homme, de responsabilité collective et de respect de la diversité sont au cœur du travail social. Soutenu par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des savoirs autochtones, le travail social engage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et à améliorer le bien-être².
À cet égard, ce manuel n’est pas un manuel de droit, mais bien un manuel des droits. Il ne s’agit pas de former des avocates, mais bien des travailleuses sociales, éclairées et concernées par le respect des droits fondamentaux et la promotion de la justice sociale.
Le livre abordera ainsi un certain nombre de règles juridiques applicables aux situations d’intervention en travail social. Cette approche du droit est qualifiée de droit objectif dans la mesure où elle renvoie aux rapports juridiques tels qu’ils sont envisagés dans les lois par le législateur. Pour autant, le manuel évoque aussi le droit qualifié de subjectif, c’est-à-dire celui qui renvoie à la faculté reconnue à la personne par la loi d’accomplir des actes déterminés. Ainsi, nous montrerons comment le consentement aux soins constitue une des manifestations de la reconnaissance par le droit, de l’autodétermination et des libertés de la personne, tout comme nous ferons état des critères qui établissent la capacité de consentir d’une personne à une intervention. Cette compréhension du consentement est majeure dans la mesure où l’intervention sociale s’inscrit le plus souvent dans un contexte volontaire. Respecter ce consentement, c’est-à-dire respecter la mise en œuvre des droits subjectifs de la personne aidée, soutenue ou accompagnée constitue donc une obligation déontologique de la travailleuse sociale.
Ces deux visions du droit sont essentielles dans le champ du travail social, si on considère que ce dernier a pour objectif d’apporter soutien et accompagnement aux personnes dont les conditions de vie et les difficultés menacent leur bien-être, leur développement et leur insertion dans la société. La connaissance du droit et son utilisation par les travailleuses sociales constituent donc un passage vers la reconnaissance de la citoyenneté des individus avec lesquels elles interviennent. En outre, dans la pratique au quotidien, les travailleuses sociales ont besoin du droit pour répondre aux situations, agir et intervenir dans l’intérêt des personnes. En ce sens, le droit est au cœur du travail social, dans la mesure où il devient un outil pour soutenir les personnes.
Ce livre a été écrit non pas en ciblant les besoins de connaissance sur les réalités vécues par les personnes que les travailleuses sociales accompagnent, mais bien les besoins de connaissance des étudiantes sur les lois et leur rôle dans la pratique quotidienne du travail social, tant sur leur importance et leur utilité, mais également sur les risques qu’elles peuvent provoquer lorsqu’elles autorisent de manière exceptionnelle une atteinte aux droits fondamentaux de la personne aidée. Ce livre est donc un guide dans un univers de connaissances le plus souvent très spécialisées et complexes pour une personne peu familière avec la pensée et la rédaction juridiques.
Au fil des chapitres, les étudiantes découvriront les différents concepts, définitions et principes associés aux principales législations actuelles au Québec et au Canada, avec lesquelles les travailleuses sociales interviennent. En effet, comprendre pourquoi et comment notre société a souhaité se doter de règles de droit pour répondre à des situations entre particuliers et entre particuliers et État constitue une façon d’aborder le rapport du travail social avec cette règle de droit. Ainsi, alors que les régimes de protection pour les adultes ont connu et connaissent encore d’importantes transformations sur le rôle de l’État, des intervenants et de la personne, la travailleuse sociale doit être particulièrement informée des régimes de tutelle et de curatelle puisqu’elle détient le mandat exclusif de l’évaluation psychosociale des personnes adultes depuis l’adoption du projet de loi 21³, Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Les étudiantes auront également la possibilité de saisir les objectifs et les finalités des différentes législations abordées. Elles pourront aussi considérer les différents enjeux et défis dans la mise en œuvre des droits étudiés qui témoignent des discriminations, inégalités, injustices vécues dans l’atteinte aux droits ou dans leur non-accès.
Ce manuel est aussi une occasion de revenir sur les devoirs et les obligations des travailleuses sociales afin de s’assurer d’une pratique respectueuse des droits des personnes auprès desquelles elles interviennent.
Il repose également sur le souci de vulgariser les notions juridiques entourant le cadre légal de la pratique en travail social, de considérer les tensions existant entre les dimensions légales, éthiques et cliniques de l’intervention, de soutenir la réflexion des étudiantes sur la manière dont elles souhaitent porter cette profession et ses valeurs.
Finalement, tout comme le travail social, le droit est en constante évolution. De nouvelles lois, de nouveaux enjeux juridiques apparaissent au quotidien. Le manuel ne peut en témoigner par définition. Pour pallier cette limite, de nombreux sites Web et outils de référence seront placés en notes de bas de page afin que les étudiantes y aient accès et connaissent les ressources nécessaires à leur mise à jour des nouvelles dispositions juridiques qui peuvent les concerner. De la même façon, ce manuel a été conçu comme une introduction à la compréhension du cadre légal entourant le travail social au Québec. D’autres manuels et ouvrages devront être consultés pour approfondir les connaissances dont les étudiantes auront besoin pour agir dans leur pratique quotidienne. Là encore, les références aux principales ressources seront présentées. En outre, le manuel n’a été construit qu’autour de certaines dimensions juridiques liées au travail social, soit celles qui rendent compte des droits fondamentaux de la personne. À ce titre, il ne sera pas question des différentes législations sociales qui définissent certaines mesures de soutien, comme l’aide sociale dans le cadre de la Loi sur l’assurance-emploi, l’assurance-chômage dans le cadre de la Loi sur l’assurance-emploi, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, les lois associées aux régimes de retraite ainsi que les lois associées à l’assurance maladie.
Pour soutenir l’idée d’une introduction au cadre légal entourant le travail social au Québec, l’organisation de ce livre repose sur une démarche progressive, réflexive et participative de compréhension du droit et des droits. En ce sens, les notions générales, tout comme la compréhension de la construction du droit dans notre société, seront abordées dans un premier temps avant de passer à la présentation des principales lois qui encadrent la pratique du travail social. La dimension réflexive et participative repose sur la volonté que les étudiantes prennent la responsabilité de leur formation en réalisant les exercices offerts dans les chapitres. Ces exercices ont pour objectif d’aider les étudiantes à accroître leur compréhension des dimensions juridiques associées à la pratique du travail social et à intégrer ces questionnements dans leur formation à l’intervention.
Le chapitre 1 sera une occasion de faire état de différentes notions clés qui permettent de situer les notions juridiques qui seront présentées par la suite. En revenant sur les définitions du droit, de la loi, de la justice, l’étudiante aura l’occasion de saisir les éléments principaux du cadre juridique de notre société. Le chapitre 2 sera l’occasion de parcourir les droits fondamentaux, tant sur le plan sociohistorique que dans la présentation des outils juridiques que sont les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.
Le chapitre 3 présentera différentes notions juridiques qui encadrent la personne et sa capacité juridique par la définition de la personnalité juridique, les enjeux associés à l’identification de la personne physique et finalement la capacité juridique et les régimes de protection. Le chapitre 4 sera l’occasion de revenir sur l’exercice des droits fondamentaux en s’intéressant à l’intégrité physique, aux enjeux du consentement aux soins et aux obligations de soins. Le droit à l’intégrité morale permettra d’aborder les principes de protection de la vie privée, de la dignité, ceux relatifs au secret professionnel et à l’obligation de confidentialité.
Le chapitre 5 sera l’occasion de présenter le cadre général du droit de la famille en évoquant les différentes relations légales dans le couple, dans les rapports parents et enfants. Par la suite, le cadre légal entourant la protection de la jeunesse sera présenté, notamment en regard du processus sociojudiciaire encadrant le système de protection ainsi que les obligations professionnelles des travailleuses sociales dans le domaine. Le chapitre 6 reviendra sur les droits des peuples autochtones, les enjeux juridiques les concernant, les discriminations systémiques subies ainsi que sur les défis de la réconciliation en cours.
Mais avant d’entrer dans le cœur de ce manuel, voici un exercice pour vous convaincre, si vous ne l’êtes pas déjà, de l’importance de mieux connaître le droit pour la défense des droits des personnes et des populations auprès desquelles les travailleuses sociales interviennent.
Pour mettre à profit les activités de réflexion proposées aux étudiantes, il est suggéré de se constituer un journal de bord qui pourra rassembler, au fil des exercices, l’évolution de votre pensée et de vos réflexions en ce qui a trait aux enjeux juridiques et légaux qui entourent le travail social.
Activité 1
Rédiger un texte argumentatif de 3 à 4 pages sur la question suivante:
Selon vous, en quoi la connaissance du droit peut-elle être utile aux travailleuses sociales?
Il existe plusieurs raisons énoncées par les travailleuses sociales sur l’importance de connaître le droit dans leur pratique quotidienne. La présentation des raisons s’appuie aussi sur les propositions des étudiantes au fil des années. Les principales raisons sont:
•la compréhension des enjeux de pouvoirs et de devoirs qu’ont les travailleuses sociales dans l’exercice de leur fonction;
•les droits et les obligations que les travailleuses sociales doivent respecter dans l’exercice de leur fonction: que faire ou ne pas faire, que dire ou ne pas dire, à qui, comment?;
•l’assurance de réaliser des jugements professionnels justes et équitables;
•le soutien à la prise de décisions dans le cadre de dilemmes éthiques;
•la compréhension du rôle, des fonctions des acteurs judiciaires et de leurs obligations et devoirs;
•la compréhension de l’arène judiciaire dans laquelle certaines de leurs évaluations et de leurs décisions vont être entendues;
•l’assurance de pouvoir donner accès à des droits aux populations avec lesquelles elles travaillent;
•la compréhension des enjeux juridiques et des revendications à porter pour améliorer l’état du droit au Québec.
Activité 2
Rédiger un texte argumentatif de 3 à 4 pages sur la question suivante: Le droit peut-il nuire à la pratique du travail social? Comment?
Si l’introduction de ce manuel nous a permis d’établir l’importance et l’utilité de la connaissance du droit pour l’exercice de la profession du travail social, il importe aussi de reconnaître que le droit ne peut répondre à toutes les questions auxquelles sont confrontées les travailleuses sociales dans leur quotidien.
En effet, le droit ne dit pas tout sur la manière dont les travailleuses sociales devraient intervenir. Face à la complexité des situations rencontrées, le droit n’est pas toujours une ressource pertinente pour répondre aux défis et aux enjeux qui se posent dans l’intervention. La compréhension des besoins, des contraintes, des défis et des aspirations des personnes auprès desquelles les travailleuses sociales interviennent ne trouve pas toujours réponse dans le droit. Dans ces circonstances, le droit ne peut se substituer aux principes et aux guides éthiques et cliniques de la pratique en travail social.
De plus, la logique du droit, en développant des catégorisations, repose sur l’application de critères qui permettent d’inclure ou d’exclure des personnes et des situations. On dit généralement que le droit se pose en «oui» ou en «non». Vous êtes citoyen ou non; vous êtes bénéficiaire ou pas; vous êtes majeur ou mineur. L’inclusion ou l’exclusion d’une catégorie définit alors un espace possible ou non d’intervention sur le plan légal pour les travailleuses sociales. Or, ces catégorisations ne s’appuient pas nécessairement sur les besoins réels des personnes avec lesquelles les travailleuses sociales interviennent. Les exemples sont nombreux: après ses 18 ans, un jeune ne peut bénéficier des aides offertes par la protection de la jeunesse puisqu’il est majeur. Cependant, ses besoins ne disparaissent pas nécessairement le jour de sa majorité, comme ont pu le montrer les différents témoignages entendus dans le cadre de la Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Dans le cadre de l’accès à l’aide médicale à mourir, les malades doivent être «en fin de vie» (dans le cas de la loi québécoise) ou dont «la mort est raisonnablement prévisible» (dans le cas de la loi fédérale). Des personnes atteintes de maladies chroniques et dégénératives qui leur imposent de nombreuses souffrances et portent atteinte à leur qualité de vie contestent ce critère qui les exclut de cette aide et qui, d’une certaine façon, bafoue les principes d’autodétermination chers à la profession du travail social.
Dans d’autres circonstances, le droit peut entrer en conflit avec la pratique du travail social. En effet, le droit peut qualifier des comportements, des attitudes de personnes comme des comportements criminels et assurer leur sanction alors même que les travailleuses sociales pourraient considérer ces personnes comme des personnes souffrantes et en détresse et non pas comme des criminelles. Les causes sociales de nombreux crimes, les pratiques discriminatoires, voire de profilage des acteurs judiciaires en ciblant davantage les populations en situation de pauvreté et de marginalité ou les quartiers défavorisés constituent autant de recours au droit que les travailleuses sociales peuvent considérer comme nuisibles pour les personnes avec lesquelles elles interviennent, notamment dans leur engagement dans des pratiques anti-oppressives. L’histoire du Canada repose aussi sur des pratiques coloniales enchâssées dans des règles juridiques, comme la Loi sur les Indiens, qui ont et perpétuent encore des formes exemplaires de discrimination et d’oppression.
Ces quelques