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Mobilités internationales et intervention interculturelle: Théories, expériences et pratiques
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Livre électronique478 pages5 heures

Mobilités internationales et intervention interculturelle: Théories, expériences et pratiques

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Le présent ouvrage porte sur l’adéquation entre les approches en intervention interculturelle et le soutien aux personnes en situation de mobilité internationale. Aujourd’hui, les multiples configurations de la mobilité amènent à réfléchir aux enjeux d’ordre interculturel qui marquent les rencontres entre individus d’origines différentes. Il faut repenser les approches en intervention interculturelle et les types d’accompagnement offerts aux personnes migrantes, aux étudiants étrangers, aux coopérants ou aux professionnels à l’international, ainsi que la formation et la sensibilisation des intervenants qui travaillent auprès de ces populations.

Ce livre propose un triple regard sur les approches en intervention interculturelle : un regard théorique (conceptualisation de l’intervention interculturelle en situation de mobilité internationale), un regard expérientiel (documentation de diverses expériences de mobilité) et un regard sur les pratiques d’intervention interculturelle visant à soutenir les personnes en situation de mobilité internationale (outils et modèles de pratique, programmes de sensibilisation et d’intervention, défis et obstacles, etc.).
LangueFrançais
Date de sortie23 août 2019
ISBN9782760547803
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    Aperçu du livre

    Mobilités internationales et intervention interculturelle - Catherine Montgomery

    interculturelles

    INTRODUCTION

    Catherine Montgomery et Caterine Bourassa-Dansereau

    Le meilleur moyen d’approfondir la connaissance de soi est de prendre au sérieux la culture des autres […]

    E.T. HALL, 1959, p. 50

    La mondialisation est caractérisée par une mobilité accrue des populations, ce qui amène nécessairement à l’intensification des échanges entre individus ou groupes (Sorrells, 2013). Elle encourage des mobilités internationales de toutes sortes, non seulement la migration proprement dite mais aussi les mobilités étudiantes et professionnelles, ainsi que le tourisme et les mobilités virtuelles rendues possibles par les technologies de l’information et de la communication (TIC) et les réseaux transnationaux de communication (Diminescu, 2006; Augé, 2009; Wihtol de Wenden, 2013). Ces différentes formes de mobilités favorisent au quotidien les rencontres entre personnes ou groupes porteurs de cultures différentes et nous amènent aussi à réfléchir aux enjeux d’ordre interculturel qui marquent les rencontres, tels les questionnements identitaires, les stratégies communicationnelles et langagières, l’apprentissage linguistique, les représentations d’altérité et les rapports d’inclusion et d’exclusion (Varner et Beamer, 2011; Sadri et Flammia, 2011).

    Traditionnellement, les approches en intervention interculturelle tendent à se limiter à l’accompagnement de personnes immigrantes et à leur établissement dans les pays d’accueil. Toutefois, la diversité des formes de mobilité internationale nous invite à repenser les contours classiques de ces approches et à nous interroger sur les types d’accompagnement offerts non seulement aux personnes migrantes mais aussi aux étudiants¹, aux coopérants ou aux professionnels mobiles, ou encore dans la formation et la sensibilisation des intervenants qui travaillent auprès de ces populations. Dans ce contexte, l’intervention interculturelle doit aujourd’hui être appréhendée en fonction de son arrimage aux enjeux de la diversité et les croisements entre l’interculturel et international méritent d’être explorés et mieux compris.

    Ce livre porte sur l’adéquation entre les approches en intervention interculturelle et le soutien aux personnes en situation de mobilité internationale. Il propose une réflexion quant aux lacunes des approches actuelles et la nécessité de leur renouvellement à travers un triple regard, soit théorique, expérientiel et pratique. Tandis que les contributions théoriques visent à établir les bases historiques et conceptuelles de l’intervention interculturelle, les autres contributions documentent les expériences vécues de l’interculturel à partir des points de vue de différents types de personnes mobiles et des intervenants amenés, à travers leurs pratiques, à les soutenir dans leur mobilité.

    PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

    Cet ouvrage regroupe les contributions de différents auteurs, issus à la fois de milieux scolaires et de milieux de pratique et s’articule autour de deux sections: une première partie présente les approches conceptuelles et expériences de mobilité internationale et la deuxième propose un portrait des différentes pratiques d’intervention, d’accompagnement et de formation en contexte de mobilité internationale.

    La première section s’ouvre avec le chapitre «Mobilités internationales et intervention interculturelle: conceptualisations et approches», dans lequel Catherine Montgomery et Christian Agbobli présentent les contextes sociohistoriques qui ont marqué les diverses formes de mobilités internationales, ainsi que l’émergence et le déploiement des approches en intervention interculturelle. Leur contribution permet de dresser un portrait actuel de l’intervention interculturelle, notamment des approches culturaliste, subjectiviste et critique dans ce domaine. Dans le chapitre 2, «Communication interculturelle et communication interpersonnelle: enjeux et croisements», Caterine Bourassa-Dansereau et Cheolki Yoon abordent quant à eux quelques concepts-clés en communication interculturelle (culture, nation, ethnicité) et s’arrêtent aux points d’ancrage et d’arrimage entre la communication interpersonnelle et la communication interculturelle. Par la suite, Marie-Josée Lorrain présente dans «Récits d’expatriés: levier de perfectionnement professionnel en contexte de mobilité internationale» (chapitre 3) l’apport de l’approche narrative et des processus de construction de sens (sensemaking) pour mieux comprendre l’expérience des expatriés et repenser la formation professionnelle qui leur est proposée. De leur côté, Caroline Bouchard, Chloé Luchs Tassé et Karine Pontbriand explorent les divers enjeux d’ordre interculturel qui ont marqué et continuent d’influencer les dynamiques et échanges au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans le chapitre 4, «Expériences interculturelles et organisations internationales: enjeux interculturels au sein de l’Organisation des Nations Unies». Finalement, dans leur contribution, «Projet migratoire et retour aux études: défis du processus d’admission à l’université» (chapitre 5), Fasal Kanouté, Rajae Guennouni Hassani, Sébastien Arcand et Lilyane Rachédi présentent les motivations et les défis qui jalonnent le processus d’admission à l’université d’étudiants récemment immigrés et discutent de la difficulté du transfert du capital humain dans celui-ci.

    La deuxième section du livre s’ouvre avec la contribution de Geneviève Grégoire-Labrecque, Josiane Le Gall et Spyridoula Xenocostas, «Défis et enjeux des formations en interculturel dans le contexte de la santé et des services sociaux» (chapitre 6), qui nous présente les particularités de ces formations, les enjeux auxquels ils ont fait face dans leur élaboration et leur déroulement, ainsi que diverses réflexions pour leur pérennité. Dans leur chapitre «Vieillissement et deuil: vers de nouvelles problématiques en intervention interculturelle» (chapitre 7), Marie-Emmanuelle Laquerre, Lilyane Rachédi et Catherine Montgomery explorent quant à elles la question de l’intervention interculturelle auprès des personnes aînées et des personnes endeuillées possédant un parcours migratoire et proposent une réflexion sur la diversité, l’universalité et la singularité dans les pratiques d’intervention. La contribution de Marie-Cécile Guillot et de Myra Deraîche, «Accompagnement des étudiants et jumelages interculturels à l’université» (chapitre 8), permet aux auteures de présenter ce type d’intervention interculturelle, d’en déployer les formules, d’en présenter les variations et d’examiner ces jumelages afin d’en faire ressortir la pertinence interculturelle. Par la suite, le chapitre 9, «Mobilités internationales et intervention interculturelle: gestionnaires de projets humanitaires», amène Sébastien Arcand, François Audet et Catherine Prévost à brosser un portrait du gestionnaire de projet humanitaire, à aborder leurs caractéristiques professionnelles et à soulever les enjeux que la professionnalisation de ce type de travailleur humanitaire engendre. Dans sa contribution «Formation à l’interculturel pour parcourir le monde et agir chez soi» (chapitre 10), Sylvie Loslier propose pour sa part certaines balises dans le cadre de formations à l’interculturel offertes aux participants d’expérience de mobilité à l’international, notamment aux étudiants des universités et cégeps québécois. Finalement, le dernier chapitre, «Mobilités et intervention scolaire: cas des enfants déplacés de l’école laïque du Chemin des Dunes» (chapitre 11), proposé par Mickael Idrac et Lilyane Rachédi, présente une réflexion à la croisée des mobilités et de l’intervention interculturelle en milieu scolaire, plus précisément auprès des enfants déplacés. Le cas étudié est celui du bidonville de Calais, en France, où une école a vu le jour en 2015.

    En conclusion, nous souhaitons souligner que nous avons pensé cet ouvrage non seulement sous l’angle du manuel théorique mais aussi sous celui d’un outil pédagogique pouvant être utilisé dans différents milieux (dans les séminaires universitaires, à l’occasion de formation auprès d’intervenants, etc.). Ainsi, vous trouverez à la fin de chaque chapitre quelques questions d’approfondissement qui vous permettront d’engager la discussion et d’approfondir vos réflexions auprès de différents publics (étudiants ou intervenants). Vous trouverez aussi, à la fin des parties 1 et 2 de l’ouvrage, une section présentant de courts récits partagés par des personnes ayant elles-mêmes vécu des expériences de mobilité internationale (cinq récits en conclusion de la partie 1) et des expériences d’intervention en contexte de mobilité internationale (quatre récits en conclusion de la partie 2). Nous vous invitons à utiliser ces récits comme autant d’illustrations ou d’études de cas qui permettent d’aborder les enjeux associés à l’intervention interculturelle et à la mobilité internationale, en les ancrant dans la réalité telle que vécue par ceux qui en font l’expérience.

    BIBLIOGRAPHIE

    AUGÉ, M. (2009). Pour une anthropologie de la mobilité, Paris, Payot.

    DIMINESEU, D. (2006). «Genèse d’une figure de migrant». Cosmopolitiques, n° 70, p. 63-72.

    HALL, E. T. (1959/1984). Le langage silencieux, Paris, Éditions du Seuil.

    SADRI, H. A. et M. FLAMMIA (2011). Intercultural Communication: A New Approach to International Relations and Global Challenges, Londres, The Continuum International Publishing Group.

    SORRELLS, K. (2013). Intercultural Communication. Globalization and Social Justice, Los Angeles, Sage Publications.

    VARNER, I. et L. BEAMER (2011). Intercultural Communication in the Global Workplace, New York, McGraw-Hill Irwin.

    WIHTOL DE WENDEN, C. (2013). La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, Paris, Les Presses SciencesPo.

    1.Le genre masculin est utilisé dans cet ouvrage dans le but d’alléger le texte et de faciliter la lecture. Il comprend le genre féminin.

    APPROCHES CONCEPTUELLES ET EXPÉRIENCES DE MOBILITÉ

    MOBILITÉS INTERNATIONALES ET INTERVENTION INTERCULTURELLE

    Conceptualisations et approches

    Catherine Montgomery et Christian Agbobli

    Les mobilités internationales sont un sujet de préoccupation récurrent depuis quelques années. Cette préoccupation s’est récemment cristallisée en raison des crises entourant les réfugiés en Europe, la traversée de la mer Méditerranée par des migrants africains ou encore à cause du phénomène de radicalisation de jeunes Occidentaux qui partent en Syrie et qui reviennent chez eux. Les mobilités internationales sont également marquées par les voyages d’échanges d’étudiants, les voyages d’affaires, le séjour de travailleurs temporaires et reflètent des millions de rencontres qui se déroulent quotidiennement au gré des pays, des humeurs et des individualités. Ces rencontres sont marquées par l’interculturel, c’est-à-dire ce processus qui se déroule entre «cultures» ou, plus précisément, entre porteurs de cultures différentes.

    Les sciences humaines et sociales ont cherché à appréhender les enjeux des rencontres interculturelles. Tout en s’insérant dans le sillage de ces réflexions, la présente contribution vise à interroger les modalités de l’intervention interculturelle dans le contexte des mobilités internationales. La première partie de ce chapitre traitera de la dimension historique et de la diversité des formes de mobilité. Par la suite, le parcours récent de la réflexion interculturelle précédera une présentation de l’intervention interculturelle et des approches qui la caractérisent.

    1.1.CONTEXTE MONDIAL MARQUÉ PAR DIVERSES FORMES DE MOBILITÉ INTERNATIONALE

    Si plusieurs auteurs ne font plus la distinction entre mondialisation et globalisation, Freitag (2008) établit des nuances certaines entre ces deux notions. Ainsi, la mondialisation renvoie à une réalité du monde, sociale et culturelle, tandis que la globalisation renvoie à des dimensions plutôt économiques. Ce rapport du monde à l’économie est également présent chez Wallerstein (1974), avec la notion de système-monde, ou chez Braudel (1985), qui a forgé le mot économie-monde; pour ce dernier, cette notion renvoie à une triple réalité constituée par un espace géographique, un pôle ou un centre et des zones successives (des zones intermédiaires, des marges). Si Wallerstein limite le système-monde à l’Europe, Braudel considère que plusieurs économies-mondes ont existé ou coexistent dans différentes régions. Or, à l’instar de ces deux économistes et historiens, les mouvements de population associés à la mondialisation ont tendance à être sous-estimés en comparaison aux aspects économiques de la mondialisation. En d’autres termes, la mondialisation ayant associé l’économie et les mouvements de population, il est aujourd’hui difficile de scinder les deux en privilégiant, par exemple, l’économie au détriment des facteurs humains.

    Les mouvements de population ont toujours été très présents dans l’histoire humaine et ont été motivés par diverses raisons. Ils peuvent être mus autant par la nécessité ou la contrainte que par des raisons idéalistes. Ces mobilités nourrissent autant l’empathie que la méfiance. Kapuscinsky (2006) explique que trois attitudes émergent lorsqu’on rencontre l’Autre: 1) le duel, le conflit, la guerre; 2) l’isolement, l’enfermement ou la barricade; 3) la coopération et la rencontre. À notre avis, ces réactions sont possibles, quelles que soient les formes de mobilité qui sont à l’œuvre.

    La mobilité de conquête ou de domination constitue une des formes de mobilité les plus anciennes. En effet, les grandes découvertes et les mouvements qui en ont résulté ont permis de conquérir plusieurs régions du monde. La «conquête» de l’Amérique (Todorov, 1982) en est l’expression la plus aboutie, car non seulement elle a permis de détruire l’équilibre culturel et social existant en Amérique avec les Indiens¹ – d’aucuns avancent l’idée d’un génocide –, mais a également rendu possible le commerce triangulaire avec l’asservissement d’un nombre conséquent d’individus avec la traite négrière. Ce mouvement de population fut imposé et non souhaité par les principales populations concernées.

    Les motivations commerciales constituent une autre forme de mobilité internationale. Les villes historiques de Samarkand (située dans l’actuel Ouzbékistan) et Tombouctou (située dans l’actuel Mali) furent des lieux permettant aux produits d’être échangés, achetés ou vendus. Les personnes se déplaçaient dans le but de répondre aux intérêts de leur marché en lien avec la Route de la Soie, la Route des Épices ou la Route du Sel. En général, on se déplaçait loin pour des produits non disponibles sur le territoire auquel on appartenait.

    La mobilité de populations pour des raisons d’apprentissage est l’une des formes de mobilité les moins reconnues historiquement. Pourtant, malgré d’autres motivations, Ibn Battuta, Ibn Khaldun et Malinowski² ont été parmi les premiers penseurs à sortir de leur espace habituel pour apprendre à connaître des peuples, des dirigeants, des sociétés différents des leurs. Au XIVe siècle, les deux premiers effectuèrent des voyages qui leur permirent de découvrir certaines régions du monde. Ibn Battuta fut connu comme un pèlerin et voyageur qui visita de nombreuses régions ou villes incluant l’Inde, La Mecque, la Perse, etc. Ibn Khaldun fut un historien et un philosophe dont les voyages permirent d’étudier les sociétés «autres» même si certains de ses arguments reposaient sur des préjugés. Quant à Malinowski, qui est un chercheur du XXe siècle, il partit particulièrement pour analyser les cultures «autres» en appliquant la méthode de l’observation participante en anthropologie. Bien d’autres personnes ont été mobiles pendant l’histoire, mais peu, à l’instar des penseurs susmentionnés, ont contribué à l’apprentissage des sociétés présentées comme lointaines.

    Ces insertions antérieures ont permis aux différents peuples de se connaître mutuellement malgré leurs différences et leur éloignement géographique et les apprentissages issus de l’histoire forgent les formes de mobilité actuelles.

    Aujourd’hui, les formes de mobilité sont aussi différentes que nombreuses. Selon Wihtol de Wenden (2013), le nombre de migrants dans le monde a triplé au cours des 40 dernières années et compte aujourd’hui pour presque 244 millions de personnes selon l’Organisation internationale de la migration (OIM, 2015). Ces chiffres, fondés principalement sur la migration régulière, cachent d’autres réalités émergentes liées aux migrations clandestines, environnementales et sanitaires (Wihtol de Wenden, 2013). Ils ne tiennent pas nécessairement compte non plus d’autres formes de mobilités qui peuvent être de courte ou longue durée. Dans le contexte canadien, par exemple, plus de trois millions de Canadiens vivaient à l’étranger en 2013 pour le travail, les études, le volontariat, la retraite ou d’autres raisons (FATDC, 2013). Sur le plan international, la mobilité étudiante constitue un phénomène en croissance, ayant quadruplé depuis 1975 (OCDE, 2015). En 2013, quatre millions d’étudiants ont suivi un programme d’études dans un pays dont ils ne sont pas ressortissants (OCDE, 2015). Le tourisme constitue aussi une forme de mobilité en croissance. De 25 millions de touristes internationaux en 1950, le nombre de touristes a atteint 1 133 millions en 2014 (UNWTO, 2015). Néanmoins, la mobilité n’est pas seulement physique, puisqu’elle est également virtuelle ou à tout le moins marquée par une connectivité qui fait en sorte que le paradigme de la rupture, du déracinement ne fait plus sens avec l’avènement et l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) par le «migrant connecté» ou par le non-migrant (Diminescu; 2008; 2010). On estime à près de 30% la population mondiale qui est «connectée» par des réseaux numériques (Sorrells, 2013).

    Aujourd’hui, la diversité des formes de mobilité nous invite à repenser les contours de l’interculturel. Qu’ils soient physiques ou virtuels, les déplacements donnent lieu à des rencontres de tous les types. Parfois déstabilisantes, marquées par des incompréhensions et des conflits, ces rencontres sont aussi instigatrices de nouvelles occasions, d’apprentissages et de solidarités. Apprivoiser la mobilité internationale, c’est apprendre une façon d’être, de penser et d’agir, ce à quoi les approches en intervention interculturelle sont amenées à répondre.

    1.2.BALBUTIEMENTS D’UNE RÉFLEXION SUR L’INTERCULTUREL

    C’est dans la période entourant la Deuxième Guerre mondiale que l’on retrouve les premières réflexions sur l’interculturel, notamment dans le contexte américain (Leeds-Hurwitz, 2013). Sur le plan domestique, les années 1930 furent marquées par une profonde dépression économique où les questions liées à l’intégration des nouveaux immigrants et les relations entre populations blanches et noires étaient des sources de tensions vives au sein de la société américaine. Sur le plan international, la guerre avait fait des ravages en instaurant un climat général de méfiance entre les pays (Elias, 2008). C’est dans ce double contexte que l’on observe la mise en place de nombreuses initiatives visant la promotion du dialogue entre les peuples, la lutte contre les préjugés et la discrimination et la préservation de la paix mondiale. Certaines initiatives, comme le Bureau of Intercultural Education et le Council on Intercultural Relations³, créées toutes les deux au début des années 1940, avaient pour mandat de mener des interventions en sol américain (Elias, 2008; Leeds-Hurwitz, 2013). D’autres organismes avaient plutôt des visées internationales. C’est le cas de la Fondation Ford, organisme philanthropique américain qui, à partir de 1947, a mis au point plusieurs programmes regroupés sous le thème de la compréhension interculturelle. Par la promotion des arts à l’étranger, ces programmes avaient pour but de «favoris[er] le contact entre les cultures et [faire] avancer l’idée d’une communauté mondiale» (Tournès, 2002, p. 66). À titre d’exemple, les éditions Intercultural Publications (1952-1959) faisaient la diffusion de revues culturelles dans 47 pays avec des numéros en anglais, en français et en allemand. L’organisme American Field Services (AFS) s’intéressait lui aussi au contexte international. Fondé en 1915 comme organisme humanitaire spécialisé dans les services ambulanciers en zone de guerre, l’AFS a élargi ses activités après la Deuxième Guerre mondiale en ajoutant des programmes éducatifs visant l’échange et la sensibilisation interculturelle. C’est ainsi que le Programme interculturel est né en 1946-1947 et poursuit ses activités encore aujourd’hui sous forme d’échanges étudiants partout autour du monde (AFS, 2011).

    La période de l’après-guerre était aussi caractérisée par une reprise d’activités professionnelles nécessitant une mobilité internationale, que ce soit pour les affaires commerciales, diplomatiques ou autres. Ces mobilités ont fait émerger une autre vision de l’interculturel, axée cette fois sur la préparation des individus pour assumer des fonctions professionnelles à l’international. L’un des exemples les plus documentés est celui du Foreign Service Institute (FSI), créé en 1946 comme instance gouvernementale américaine responsable pour la formation des diplomates envoyés à l’étranger (Hall, 1992; Leeds-Hurwitz, 1990, 2013). La contribution du FSI à l’essor du champ de l’interculturel est d’autant plus marquante que l’un de ses formateurs durant les années 1950, Edward T. Hall, est considéré aujourd’hui comme le fondateur du champ de la communication interculturelle, bien que Hall lui-même n’ait pas utilisé cette expression durant ses années à l’Institut (Leeds-Hurwitz, 1990, 2013).

    Formé en anthropologie culturelle à l’université Columbia, Hall a commencé sa carrière en étudiant les communautés autochtones aux États-Unis, ce qui l’a amené à constater l’impasse communicationnelle existante entre Blancs et autochtones (Hall, 1992). Ces observations ont marqué sa façon de penser la communication, proposant qu’elle soit indissociable de la culture: «la culture est communication et la communication est culture» (Hall, 1984 [1959], p. 219). Son expérience au FSI lui a aussi appris que les fonctionnaires ne s’intéressaient pas à des conceptions abstraites de la culture, mais voulaient plutôt des outils concrets pour préparer leurs séjours à l’étranger. Les formations devaient donc miser sur des connaissances et des applications pratiques: apprentissages axés sur la langue et les valeurs culturelles, jumelés à une maîtrise solide des enjeux historiques, politiques, économiques et internationaux du pays de destination (Leeds-Hurwitch, 1990; Sadri et Flammia, 2011). Pour Hall, ces apprentissages devaient aussi être accompagnés d’un travail sur soi et d’une prise de conscience de ses propres valeurs culturelles. Cette réciprocité constitue par ailleurs la pierre d’assise de sa conception de l’interculturel: «Le meilleur moyen d’approfondir la connaissance de soi est de prendre au sérieux la culture des autres, ce qui force l’homme à être attentif aux détails de sa vie qui le différencient d’autrui» (Hall, 1984 [1959], p. 50). Au cours de sa carrière, Hall a lancé plusieurs concepts-clés visant l’observation des situations d’interaction, qu’il a appliquée notamment aux relations d’affaires dans différents pays (Hall et Reed-Hall, 1990). Avec le recul contemporain, certains de ces concepts paraissent réducteurs. Fondés pour la plupart sur des oppositions binaires (monochromie/polychromie; contextes forts/faibles), ils attribuent aux groupes des caractéristiques trop générales ou stéréotypées et, de ce fait, sont peu utiles dans des situations d’interaction réelles. Malgré ces limites, les travaux de Hall ont néanmoins contribué à amener les réflexions sur l’interculturel vers des applications concrètes qui permettent de mieux saisir le sens véritable de l’intervention interculturelle.

    1.3.QU’EST-CE QUE L’INTERVENTION INTERCULTURELLE?

    L’intervention interculturelle a une visée résolument pragmatique. La notion même «d’intervention» suppose une forme d’action, soit le fait d’agir dans le but de susciter un changement, qu’il soit individuel, groupal ou sociétal. Selon Roy, «le terme pratique désigne une action, une interaction, une praxis […]. Quant à l’approche interculturelle, elle serait une méthode de communication et d’appréhension des problèmes débouchant sur un type d’intervention adapté à la diversité dans des sociétés contemporaines» (Roy, 2000, p. 131). L’intervention interculturelle ne réfère pas à une seule pratique, mais plutôt à un ensemble de pratiques qui se déclinent différemment selon la sphère d’application (Demorgon et Lipiansky, 1999; Stoiciu, 2008, 2011). Bien que l’intervention interculturelle soit souvent associée à des contextes locaux, elle a d’étroits liens avec différentes formes de mobilité à l’international (Hsab et Stoiciu, 2011).

    L’accompagnement aux personnes immigrantes dans le processus d’établissement dans un nouveau pays est la forme d’intervention rencontrée le plus fréquemment dans la littérature (Legault et Rachédi, 2008; Al-Krenawi et al., 2016). Les milieux de pratique visant l’accompagnement des nouveaux immigrants sont nombreux: institutions publiques (éducation, institutions de la santé et des services sociaux, services policiers), organismes communautaires, médias et domaines politiques. Les types d’intervention, ainsi que les modalités de leur mise en place, sont aussi variables selon les milieux, les groupes visés et les problématiques auxquelles on fait face. Malgré cette diversité, on peut cibler six grands types d’intervention interculturelle dans le champ de l’immigration: 1) accompagnement dans les diverses étapes du processus d’établissement et orientation vers des ressources d’aide appropriées; 2) cours de langue et programmes de jumelage; 3) soutien psychosocial et relation d’aide, notamment des approches axées sur l’appropriation du pouvoir (empowerment); 4) aide à la recherche d’emploi; 5) actions politiques, juridiques et médiatiques ayant pour but l’élaboration de politiques sociales, la promotion d’un dialogue interculturel dans l’espace public et la revendication des droits; 6) préparation des intervenants et gestionnaires pour travailler auprès d’une clientèle diversifiée et élaboration de politiques et programmes de gestion de la diversité dans les milieux de pratique⁴.

    Les entreprises transnationales constituent une deuxième sphère d’application pour l’intervention interculturelle. Tout comme l’intervention auprès de nouveaux immigrants, cette sphère couvre un grand éventail de pratiques et d’enjeux (Demorgon, 1999). Une bonne partie de la littérature s’intéresse à l’adaptation des pratiques de gestion et de marketing dans le cadre d’entreprises implantées à l’étranger, notamment la façon dont les différences culturelles et nationales influent sur les modes de gestion et les comportements de consommation (Hofstede et al., 2010; Usunier et Lee, 2005; Pasco-Berho et Le Ster-Beaumevieille, 2007). Un autre pan de la littérature aborde de façon plus directe les enjeux communicationnels, s’intéressant au perfectionnement de compétences interculturelles par les effectifs postés à l’étranger (Dávila et Couderc, 2012), aux stratégies interculturelles mobilisées à l’occasion des négociations entre entreprises transnationales (Wilbaut, 2010) ou encore aux interactions au quotidien dans les relations de travail entre personnes d’origines diverses (Varner et Beamer, 2011; Chevrier, 2000; Stalder, 2010)⁵.

    Une troisième sphère d’application concerne les organisations internationales et les organisations non gouvernementales impliquées dans la coopération et l’aide humanitaire, bien que cette littérature soit moindre que dans les deux autres sphères⁶. Preiswer (1975) fait un premier plaidoyer appelant à la nécessité d’une vision interculturelle dans le champ du développement international. À partir des années 1970, l’UNESCO constitue aussi un acteur incontournable pour penser le dialogue interculturel dans les relations internationales (UNESCO, 1980, 2009). De façon plus particulière, certains auteurs se sont intéressés aux défis auxquels les coopérants ont fait face, les stagiaires et les acteurs humanitaires dans des contextes de conflit, insistant tout particulièrement sur la gestion du choc culturel et la nécessité pour les intervenants d’acquérir une sensibilité culturelle (Harroff-Tavel, 2005; Agbobli et Rico de Sotelo, 2005; Weaver, 2013)⁷. D’autres se sont penchés plus particulièrement sur les enjeux éthiques de la communication interculturelle dans les interventions humanitaires et de coopération internationale (Sadri et Flammia, 2011; Sorrells, 2013). S’ajoutent à ces travaux, des guides de pratique préparés par des organismes et des agences gouvernementales à l’intention de personnes souhaitant travailler dans des organisations non gouvernementales à l’étranger (Kealey, 2001; Kealey et Protheroe, 1995).

    1.4.APPROCHES EN INTERVENTION INTERCULTURELLE

    Malgré les différences importantes entre les sphères d’application, on décèle trois grandes orientations dans les façons de penser l’intervention interculturelle: culturalistes, subjectivistes et critiques.

    1.4.1.APPROCHES CULTURALISTES EN INTERVENTION INTERCULTURELLE

    Les approches culturalistes, prédominantes au cours des années 1970 et 1980, sont encore présentes dans beaucoup de milieux de pratique aujourd’hui. Comme son nom l’indique, la notion de culture est au cœur de cette façon d’appréhender l’intervention⁸. Cependant, la conception de la culture est pensée ici en termes généralement statiques, c’est-à-dire par la reconnaissance de traits et caractéristiques objectifs interprétés comme étant constitutifs de la culture de grands ensembles d’individus provenant d’un même pays ou d’une même région. Comme l’explique Cuche (2010, p. 100):

    il s’agit dans tous les cas de définir et de décrire l’identité à partir d’un certain nombre de critères déterminants, considérés comme «objectifs», comme l’origine commune (l’hérédité, la généalogie), la langue, la culture, la religion, la psychologie collective (la «personnalité de base»), le lien à un territoire, etc.

    Dans l’intervention interculturelle plus précisément, cette façon de penser la culture se traduit généralement par l’élaboration de catégorisations préconstruites et «prêtes à utiliser», pouvant être appliquées à des situations d’interaction telle une recette. Ainsi, la simple mémorisation des traits et caractéristiques culturels est proposée comme moyen permettant d’intervenir plus efficacement auprès des personnes d’origines diverses. Montrant plus particulièrement du doigt l’intervention auprès de personnes immigrantes, Cohen-Emerique fait part des conséquences réductrices de ce type de pratique:

    Si les acteurs sociaux s’y référaient, c’était pour plaquer sur l’usager migrant, préalablement classé dans une catégorie ethnique, des attributs schématiques et des stéréotypes relatifs à cette catégorie de référence, sans chercher à tester s’ils convenaient à l’individu particulier qu’il était avec son histoire personnelle, ses multiples identités, et ce, dans un contexte précis […]. Tout se passait comme si la dimension individuelle de la personne était totalement effacée aux dépens d’une dimension culturelle absolue ou, à la limite, de l’ordre de la nature, appartenant au patrimoine biologique de l’individu, indépendante du contexte d’origine, de la spécificité des individus, et immuable au contact du pays d’accueil (Cohen-Emerique, 2011, p. 44).

    Les travaux de Hofstede et al. (2010), souvent cités dans la littérature sur les entreprises transnationales, reposent en partie sur de grandes catégorisations culturelles. Dans leur livre phare, Cultures and Organizations: Software of the Mind, ils mettent au point une typologie composée de cinq dimensions de la différenciation culturelle et nationale des entreprises (individualisme/collectivisme; distance hiérarchique; contrôle de l’incertitude; caractéristiques masculine/féminine; l’orientation court terme/long terme). Intégrée à une base de données en ligne⁹, cette typologie propose d’établir un portrait culturel

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