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Problèmes sociaux - Tome IV
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Livre électronique846 pages10 heures

Problèmes sociaux - Tome IV

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À propos de ce livre électronique

Le monde entier est perclus d'injustices sociales criantes. Nécessité donc d'intervention sociale collective, de mouvements sociaux de revendications, de zones de conflit entre le monde communautaire et l'État. Prévention de conditions de risque, alphabétisation, rationalités divergentes, féminisme, travail social international. Accommodements raisonnables, fracture numérique, investigation scientifique chez les travailleuses du sexe. Tel est le menu que propose la collection « Problèmes sociaux et interventions sociales » dans ce tome IV de Problèmes sociaux.
LangueFrançais
Date de sortie11 juil. 2011
ISBN9782760528901
Problèmes sociaux - Tome IV

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    Problèmes sociaux - Tome IV - Henri Dorvil

    Dorvil

    REMERCIEMENTS

    À des degrés divers, tout livre constitue une œuvre collective où plusieurs personnes s’épaulent en vue de parvenir à un produit final. Mes premiers remerciements vont, comme il se doit, à tous les auteurs, hommes et femmes, qui ont répondu avec enthousiasme à l’invitation de la collection « Problèmes sociaux et interventions sociales ». Ces collègues viennent de milieux très divers de l’enseignement, de la recherche, de la gestion et de l’intervention: l’Université du Québec à Montréal, l’Université de Montréal, l’Université McGill, l’Université Laval, l’Université de Sherbrooke, l’Université d’Ottawa, l’Université Laurentienne de Sudbury, le Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP), le Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS), l’Unité de pédiatrie interculturelle (UPI), le Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine de Montréal, le Centre de recherche Fernand-Séguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), les centres de santé et de services sociaux (CSSS), la Direction de la santé publique de Montréal, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Certains sont en fin ou à mi-carrière, d’autres en formation doctorale ou au début de leur vie professionnelle, et quelques-uns sont des sommités scientifiques reconnues sur le plan international.

    Merci en pile aux experts pour leur aide inestimable dans l’évaluation des chapitres du livre, et ce, en dépit de leurs horaires chargés. Du côté des XX et par ordre alphabétique, Louise Bouchard, Ph. D., directrice du programme de doctorat en santé des populations du Département de sociologie à l’Institut de recherche sur la santé des populations de l’Université d’Ottawa, Monique Carrière, Ph. D., professeure agrégée au Département de réadaptation de la Faculté de médecine de l’Université Laval, Johanne Collin, Ph. D., sociologue et historienne des sciences, patronne du MEOS, l’équipe de recherche sur le médicament comme objet social, du GRASP et de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, Diane Verschelden, travailleuse sociale clinicienne et experte en thérapie familiale. Du côté des XY maintenant, Jacques Hébert, Ph. D., en service social, professeur agrégé à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, Alain D. Lesage, M. D., FRCP (C), DFAPA., professeur titulaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Pierre-Joseph Ulysse, Ph. D. de sociologie, professeur adjoint à l’École de service social de l’Université de Montréal.

    Concernant la documentation, nous remercions sincèrement Chanel Boucher, documentaliste au GRASP, Louise Rolland, secrétaire de direction du Groupe d’étude sur l’interdisciplinarité et les représentations sociales (GIERSO), Marie-Ève Carle, doctorante en anthropologie de l’Université de Montréal, Marie-Pier Goyette, étudiante au baccalauréat en travail social à l’Université de Québec à Montréal, Richard Martin, cinéaste et... photographe. Un merci chaleureux s’adresse également et successivement à Micheline Cloutier-Turcotte, secrétaire des études supérieures à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, Marie-Élaine Arcand et Denise Doucet, étudiantes au baccalauréat en travail social de la même université et aussi à Simon Dorvil, mon ado de 14 ans qui m’a aidé à solutionner mes problèmes « générationnels » d’analphabétisme numérique.

    Nous remercions aussi sincèrement le Réseau de recherche en santé des populations du Québec (RRSPQ) pour sa généreuse subvention d’aide à l’édition d’ouvrages scientifiques qui a permis de mener ce projet à bon port.

    Mes derniers remerciements et non les moindres sont réservés à l’équipe dynamique des Presses de l’Université du Québec qui, depuis des décennies, a habitué la communauté universitaire au travail bien fait, voire à la perfection. Un merci spécial toutefois s’adresse à la directrice générale, madame Céline Fournier, qui, depuis toujours, fait confiance à notre direction scientifique.

    Henri Dorvil

    INTRODUCTION

    L’INTERVENTION SOCIALE

    Henri Dorvil

    Sigmund Freud (1934, p. 702), médecin psychiatre, père de la psychanalyse, plus porté sur le cigare que sur l’alcool ou tout autre stupéfiant, disait: « Telle qu’elle nous est imposée, notre vie est trop lourde, elle nous inflige trop de peines, de déceptions, de tâches insolubles. Pour la supporter, nous ne pouvons nous passer de sédatifs. » Ces échafaudages de secours, selon Théodor Fontane, sont peut-être de trois espèces: d’abord de fortes diversions, qui nous permettent de considérer notre misère comme peu de chose, puis des satisfactions substitutives qui l’amoindrissent, enfin des stupéfiants qui nous y rendent insensibles. L’un ou l’autre de ces moyens nous est indispensable.

    C’est aux diversions que songe Voltaire quand il formule dans Candide, en guise d’envoi, le conseil de cultiver notre jardin, et c’est encore une diversion semblable que le travail scientifique. Les satisfactions substitutives, celles par exemple que nous offre l’art, sont des illusions au regard de la réalité; mais elles n’en sont psychiquement pas moins efficaces, grâce au rôle assumé par l’imagination dans la vie de l’âme. Les stupéfiants, eux, influent sur notre organisme, en modifiant le chimisme (p. 703).

    Toutes ces considérations renvoient à l’éternelle double interrogation existentielle: le but de la vie humaine et les voies d’accès au bonheur? Les êtres humains veulent être heureux et surtout faire perpétuer ces moments de bonheur, autrement dit, éviter douleur et privation de joie d’un côté, rechercher de fortes jouissances de l’autre. Il s’agit d’un préjugé favorable au principe de plaisir, une prééminence de ce dernier sur le principe de réalité faisant fonction en quelque sorte de rabat-joie. Toujours selon Freud:

    La souffrance nous menace de trois côtés: dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure que tout autre; nous sommes enclins à la considérer comme accessoire, en quelque sorte superflue, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et ne soit pas moins inévitable que celles dont l’origine est autre (p. 704).

    Ce sont surtout les problèmes dérivés de l’environnement (2e menace) et des rapports avec autrui (3e menace) qui nourrissent le case load des intervenants sociaux. Chômage, situation d’oppression, déficit de pouvoir, cas d’isolement socioculturel, troubles identitaires, violence conjugale et/ou familiale, passivité/culpabilité, peur d’intimidation, difficultés spécifiques ou générales de fonctionnement social, constituent une panoplie assez représentative des problèmes sociaux traités dans les Centres de santé et de services sociaux ainsi que dans les organismes communautaires. Mais qu’est-ce que l’intervention sociale? Selon un maître à penser dans ce domaine, (Mayer, 2002, p. 439), l’intervention sociale est un:

    processus selon lequel les travailleurs sociaux visent, par des activités planifiées, le développement personnel et social des personnes, des familles, des groupes, ou des collectivités qui les consultent. Parmi ces activités, les interventions suivantes sont propres aux travailleurs sociaux: l’évaluation psychosociale; la mise en œuvre d’un plan d’intervention; la liaison et l’encadrement des ressources, et la mobilisation et la création de ressources. Ces activités planifiées peuvent être accomplies selon des méthodes d’intervention individuelle, conjugale, familiale, communautaire ou de groupe.

    Certains auteurs (Ion, 1998) voient dans l’apparition du terme générique intervention sociale, sa puissance d’attraction et le signe annonciateur de la fin du travail social. Il ne faut guère se méprendre. À mon avis, il faut y voir plutôt un témoignage du succès du travail social, de sa vivacité qui irradie, inspire un foisonnement en tout sens de l’action sociale de bas en haut, de gauche à droite. Quelle que soit l’appellation à la mode de ces emplois sociaux, médiateurs sociaux, familiaux, agents de relations humaines, agents de développement local, d’insertion sociale, de placement, de signalement, gestionnaires de cas, animateurs de quartier, etc., tous ces métiers du social en amont ou en aval, en rupture ou en continuité, se nourrissent à la source de l’un ou l’autre des deux volets du travail social: l’intervention sociale individuelle, ou l’intervention sociale collective à l’origine du travail social professionnel du début du XXe siècle. Le travail social demeure encore le noyau central de toutes ces activités de restauration et de promotion des individus, des groupes, et des communautés. Pour s’en convaincre, il faut juste examiner attentivement le processus méthodologique d’intervention sociale en travail social et sa prégnance déterminante sur l’intervention sociale en général. Tout d’abord la polysémie du terme Intervention. Selon l’usage courant, intervention signifie l’action d’intervenir, un acte par lequel un tiers prend part à une activité, à un fait. Ce terme s’utilise dans des champs très divers. Par exemple, une intervention chirurgicale au cerveau. Une intervention militaire suppose une force d’intervention entre deux belligérants ou une force d’occupation d’un territoire qui appelle à la résistance, par exemple l’intifada, ou la guerre des pierres en Palestine contre la puissance nucléaire de la région. Au plus fort de la contestation estudiantine de mai 1968 jusqu’à la décennie suivante, plusieurs considéraient le travail social comme une force d’intervention, un tampon de la classe moyenne pour éviter un affrontement abrupt entre la classe riche et le prolétariat. Dans tous les cas, selon Barreyre et al. (1995, p. 240), il s’agit de l’action d’un groupe ou d’une personne visant à transformer quelque chose d’une manière volontaire, consciente et intentionnelle. L’idée d’intervention est associée à d’autres actions telles que la médiation, l’arbitrage, l’interposition, l’ingérence. Comme le lecteur peut le constater, l’intervention dépasse assez largement les limites de l’entraide naturelle, de l’aide professionnelle. Pour Nélisse (1992), l’intervention sociale renvoie à toutes les actions des pouvoirs publics, dans le déroulement d’une situation ou d’une affaire en cours, visant à imposer une volonté extérieure susceptible de donner lieu à un ordre des choses différent de celui qui serait advenu sans elle. L’intervention sociale se rapporte à une intervention sur le « social » quelles que soient les manières diverses dont on peut comprendre ce « social ». Dans le domaine du travail social, ce terme est utilisé pour signifier et rendre visibles les actes posés par un professionnel du travail social pour modifier la situation des usagers (Barreyre et al., 1995). L’aide apportée par le travailleur social ne peut s’accomplir sans la participation active des intéressés eux-mêmes, car il s’agit d’un véritable « avec » où collaboration et partenariat sont en cause.

    La mission du travail social, comme de toute intervention sociale d’ailleurs, a changé. Un rappel cependant. Les Trente Glorieuses ne sont plus qu’un souvenir et l’État-providence dépérit de jour en jour. Comme l’avance Isabelle Astier (2007, p. 186) la société n’est plus la première redevable envers les individus et ces derniers doivent faire montre de leur adhésion pour être protégés. Il ne suffit plus de plier l’échine pour bénéficier de l’État-providence. Être actif, construire sa vie et produire son avenir au travers de projets est attendu en échange du filet minimal de protection. Le client passif du travail social est détrôné pour la figure de l’usager coopérant. Autrement dit, il s’agit d’équiper les individus afin qu’ils puissent prendre soin d’eux-mêmes, devenir en quelque sorte leurs propres entrepreneurs.

    Rompant en quelque sorte avec la méthode dominante du médecin (symptôme, diagnostic, traitement), le travailleur social « focalise sur les changements en cours, sur les forces en présence, sur les potentialités, et les dynamismes des personnes et des groupes ». Cette dimension changement, inhérente à la pratique du travail social, se retrouve par exemple dans la définition du travail social individuel et du travail social de groupe. Selon Bourgon et Gusew (2000), l’intervention individuelle en travail social vise, d’une part, à accompagner une personne dans ses souffrances afin qu’elle puisse leur donner un sens et, d’autre part, l’aider à obtenir le plus grand nombre de ressources possibles afin qu’elle puisse participer activement à son devenir individuel et au devenir collectif de la société en tant qu’actrice sociale. Quant au travail social de groupe, c’est une activité orientée vers un but, ce qui renvoie à une façon de procéder comprenant des tâches planifiées, ordonnées de façon méthodique et exécutées dans le cadre d’une pratique en travail social. L’intention du service social de groupe, continue l’auteur (Lindsay, 2000), est de provoquer un changement dont les buts sont voulus et planifiés, et dont les opérations sont en ligne directe avec ces buts.

    Jamais au cours de l’histoire de l’humanité, l’être humain n’a été autant aidé par des professionnels, des groupes communautaires et protégé par des politiques sociales. Opium du peuple ou non, les religions se multiplient, se diversifient et la plupart prêchent le parti pris en faveur des pauvres de l’Évangile, le sacerdoce de la prière pour soigner, l’espérance d’une vie meilleure dans un hypothétique autre monde. Et pourtant, le monde entier continue d’être perclus d’injustices sociales criantes. Le moment est venu de parler d’intervention sociale collective, de mouvements sociaux.

    Frileux, opportunistes, les pouvoirs publics ont tendance à tenir les problèmes sociaux à l’écart du débat politique. Ils ont promptement (et imprudemment) enterré non seulement tout l’héritage marxiste de contestation de la répartition inégale des biens matériels et symboliques mais aussi tous les mouvements sociaux¹. C’est tellement plus confortable pour le système social de trouver des solutions individuelles tout en niant la genèse sociale des problèmes sociaux. Selon Neveu (1996), un mouvement social désigne une forme d’action collective concertée en faveur d’une cause, supposant l’identification d’un adversaire, employeur, gouvernement. En cela, un mouvement social se distingue a priori du groupe de pression ou du lobbying. Cependant, est prévue une forme d’organisation, voire un management. Ces groupes (Sommier, 2003 a et b; Bajoit, 2003, p. 140) ont en commun leur position revendiquée d’être à la « marge » et de donner la parole à ceux qui en seraient privés: les personnes en situation de précarité économique, sociale et même physique, bref toute cette galaxie des « sans », les sans-papiers, les sans-logement, les sans-travail, les sans-voix, les sans-représentation, les sans-identité ou les sans-existence tout court. À cette longue liste, on peut ajouter les groupes pour l’accès aux soins de santé, aux services de soutien à l’apprentissage, le groupe de lutte contre le sida. L’intervention sociale collective constitue le point de chute de toutes ces prises de position. Utilisant des notions de prise de pouvoir, leadership, participation, idéologie, conflit, consensus, évaluation, développement régional ou local, aménagement du territoire, planification, l’intervention collective vise une plus grande justice sociale en valorisant les droits des personnes et des collectivités et la réinsertion collective des personnes marginalisées.

    PRÉSENTATION DES CONTRIBUTIONS

    Ce manuel est divisé en trois parties: pensées contestataires, rationalités divergentes, théories et méthodologies de l’intervention sociale, nouveaux champs d’expertise et d’intervention.

    PARTIE 1 – PENSÉES CONTESTATAIRES, RATIONALITÉS DIVERGENTES

    En sciences humaines et sociales comme en sciences naturelles, les vérités sont loin d’être éternelles. Il y a révolution scientifique lorsqu’une théorie scientifique consacrée par le temps se trouve rejetée au profit d’une nouvelle théorie (Khun, 1972). Cependant plus souvent, il s’agit de combattre en quelque sorte la tyrannie de la vérité. Contrairement aux dogmes religieux, le périmètre de la science s’avère illimité. En philosophie, en sociologie, nous sommes habitués à des penseurs de grand calibre comme Foucault, Derrida, Deleuze, qui ont été des insoumis, des engagés, et qui ont présenté des pensées dites rebelles. (Sciences humaines, 2005) Ainsi en est-il du biopouvoir de Michel Foucault quand il parle d’une succession, mieux encore d’un enchevêtrement au-delà des époques de différents formes de contrôle social, passant de sociétés soumises au pouvoir du roi, aux sociétés caractérisées par des institutions de grand renfermement disciplinaire (prison, hôpital psychiatrique, armée, etc.) aux sociétés d’autocontrôle, d’autogestion de la vie et du corps², de sociétés préventives étendant le pouvoir médico-institutionnel et non le réduisant. La doctrine libérale (Beaulieu, 2005) qui implique une décentralisation de l’exercice gouvernemental et donc aussi une meilleure autogestion de la vie des populations est inséparable de l’idée selon laquelle:

    des procédés de pouvoir et de savoir prennent en compte les processus de la vie et entreprennent de les contrôler et de les modifier. L’Homme occidental apprend peu à peu ce que c’est d’être une espèce vivante dans un monde vivant, d’avoir un corps, des conditions d’existence, des probabilités de vie, une santé individuelle et collective, des forces que l’on peut modifier et un espace où on peut les répartir de façon optimale. Pour la première fois sans doute dans l’histoire, le biologique se réfléchit dans le politique; le fait de vivre n’est plus ce soubassement inaccessible qui n’émerge pas que de temps en temps, dans le hasard de la mort et sa fatalité; il passe pour une part dans le champ de contrôle du savoir et d’intervention du pouvoir (Foucault, 1976).

    Nous retrouvons en anthropologie des courants de pensée de même parenté épistémologique qui présentent d’autres visions du monde, d’autres manières de voir qui prennent le contre-pied de la ou des théories dominantes. L’anthropologie a été pionnière dans la sensibilisation du monde biomédical aux savoirs locaux, aux dimensions communautaires, à l’ethnicité, à l’éthique, bref à l’impact des logiques des diverses communautés humaines, une force de résistance à l’ethnocentrisme. Selon Massé (1996), la rationalisation s’est imposée comme valeur dominante guidant l’analyse et la gestion des rapports que l’homme entretient avec la maladie. Elle est utilisée comme valeur étalon pour mesurer l’adéquation et le bien-fondé des pratiques préventives et des cheminements thérapeutiques et demeure la valeur phare des entreprises de rationalisation des services de santé, tant en Occident que dans les sociétés traditionnelles. Cette rationalité est utilisée à diverses fins instrumentales. Toujours d’après cet auteur, cette dictature de la raison soulève des enjeux sociaux, politiques et éthiques en face desquels l’anthropologie ne peut demeurer silencieuse. L’auteur plaide pour un pluralisme des savoirs, un pluralisme des logiques, une cohabitation de multiples réalités construites au travers desquelles navigue l’individu en quête du sens de sa maladie. Herzlich (1969), montre bien que les savoirs, les pratiques à propos de la santé et de la maladie ne constituent en rien l’exclusivité du corps médical. Les patients, les aidants naturels, les expertises ancestrales, profanes, voire l’entourage détiennent bel et bien un savoir sur la santé et la maladie sous forme de représentations, interface entre le psychologique et le social à l’intérieur d’une culture. Bref, il faut contextualiser la rationalité. Ainsi, la cohérence entre savoirs et pratiques ne doit plus être vue comme un objectif universellement valorisé et comme critère ultime définissant la rationalité; elle devient plutôt le fondement d’une forme alternative de rationalité, la rationalité linéaire de type cause-effet (ou coût-bénéfice). L’appareillage professionnel, institutionnel, et légal de la santé publique, masque, derrière un discours aux prétentions scientiste et rationaliste, une entreprise normative qui, aux côtés de la religion et de la loi, définit le bien et le mal, le souhaitable et l’inavouable, les voies du salut individuel et le sanctionnable, ajoute cet anthropologue de l’Université Laval (Massé, 1998). Toujours à ce propos, déjà en 1977, Zola nous mettait en garde. « Le recours constant à l’idée de maladie comme moyen d’aborder les problèmes sociaux ne représente en rien l’abandon d’un cadre moraliste au profit d’une vision objective mais simplement d’une stratégie de rechange. »

    Assertion qui se trouve de plain-pied dans le courant de médicalisation des problèmes sociaux (Cohen, 2001) ou de conversion des problèmes sociaux en problèmes de santé. Au lieu de parler d’individus à risque comme le veut l’usage épistémologique dominant, il faut mettre l’accent sur les conditions qui rendent les gens à risque, les logements insalubres, le chômage élevé chez certains groupes sociaux, la discrimination, la violence, etc. D’où les limites inhérentes aux interventions qui visent à modifier uniquement les habitudes de vie au lieu de considérer la réduction des inégalités sociales. Sept chapitres s’insèrent dans cette ligne de posture théorique sinon radicale du moins critique.

    Guylaine Racine, qui a publié au début du XXIe siècle un livre pour établir hors de tout doute la crédibilité du savoir expérientiel, revient sur son terrain de recherche de prédilection. Suivent deux doctorantes en anthropologie. La première, Marie-Ève Carle, s’intéresse à la prévention de la tuberculose en contexte pluraliste tandis que la deuxième, Marguerite Soulière, présente une réflexion sur la notion de risque dans les cycles de vie.

    Point n’est besoin de remonter jusqu’à Olympe de Gouges du siècle des Lumières, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, défenseure de la différence visible pour s’assurer que le féminisme prend le contre-pied des théories dominantes. Le féminisme se définit ainsi (Barreyre et al., 1995, p. 172): « tout discours, lutte ou mouvement visant à l’égalité des sexes (permettant aux femmes d’obtenir des prérogatives et/ou des attributs masculins). » Cependant, il existe différentes formes de féminisme qui suppose d’autres définitions mettant l’accent, par exemple, sur d’autres manières de concevoir le monde, les rapports de pouvoir, la conscience de genre et l’affirmation de plus de la moitié de l’humanité. La sexologue Maria Nengeh Mensah livre dans son chapitre un féminisme en excellente santé dans le domaine de la théorie comme dans celui de l’intervention sociale. Quant à Colette Parent et Chris Bruckert de l’Université d’Ottawa, elles cernent les paramètres sociologiques du travail du sexe comme métier dans le secteur des services. Bilkis Vissandjée, de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, et Lara Maillet, démographe et doctorante en santé publique, étudient les mille et un contours de l’empowerment et l’expérience de l’immigration au Canada. Alain Beaulieu de l’Université Laurentienne de Sudbury pose des interrogations aux sciences sociales à partir de son poste de vigie de philosophe.

    PARTIE 2 – THÉORIES ET MÉTHODOLOGIES DE L’INTERVENTION SOCIALE

    Cette partie se trouve au beau mitan de ce tome 4 de la collection « Problèmes sociaux et interventions sociales ». Il a été amplement question de l’intervention sociale dans l’introduction. Tous les auteurs de cette partie ont fait appel à une kyrielle de théories pour asseoir leurs méthodes d’intervention. Le premier chapitre se révèle un document de base, voire un vade mecum qui saura nourrir les réflexions, les pratiques des cliniciens, des intervenants sociaux, des étudiants, des professeurs et des chercheurs. Plus encore, il s’agit d’une encyclopédie du savoir rédigé par une équipe composée de Pierre Asselin et Linda Roy, et dirigée par Suzanne Morgeau, une collègue à l’École de travail social à l’Université du Québec à Montréal qui nous a toujours habitués au travail bien fait, voire à la perfection. Sylvie Beauchamp, de l’agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé et Marie-Hélène Rousseau, travailleuse sociale du CHUM, s’intéressent à la problématique du VIH-SIDA en tant que penseures et intervenantes. Ce chapitre fort bien documenté va combler un vide dans les approches à l’égard de cette clientèle spécifique. Un autre domaine d’intervention qui souffre d’un manque flagrant d’expertise est celui s’intéressant aux peuples autochtones. Pourtant, ce sont les Premières Nations. Aussi vaut-il mieux ne pas appliquer sans tamisage les modèles théoriques d’origine occidentale, issus de la culture judéo-chrétienne. Il existe d’autres cultures et par le fait même d’autres façons de concevoir et d’expliquer le monde. La roue médicinale, issue de la culture amérindienne (Van de Sande et al., 2002) est un exemple d’une approche non occidentale. Le symbole représente les interrelations et l’interdépendance des humains avec l’ensemble des éléments de l’environnement; ses principes constituants montrent comment on peut vivre en harmonie avec son environnement. Aline Sabbagh, psychologue en bureau privé, tient compte aussi de ce paradigme pour produire un scénario d’intervention auprès des peuples autochtones.

    Maria Mourani est criminologue, chercheure, militante et députée du comté d’Ahuntsic (Bloc québécois) à la Chambre des Communes à Ottawa. Elle est auteure d’un best seller sur les gangs de rue à Montréal. Avec ces cordes à son arc, elle était toute désignée pour rédiger ce chapitre. Comprendre au lieu de préjuger, de marginaliser, semble le leitmotiv de cette approche auprès des adolescents semblables à tous les ados du monde entier: corps fragiles en quête d’identité, manque flagrant de rites d’initiation et rejetons de classes prolétariennes. Nés dans un pays qui ne semble pas vouloir devenir le leur, ils contestent leur exclusion massive par tous les moyens. Ces jeunes en quête d’identité, de modèles à imiter se regroupent en sous clans caractérisés par des styles: fresh, emo, skater, rapper, punk, gothique, fake, nerd, richy, wannabe (I want to be), patriotique. De là à considérer ces gangs comme une pépinière du crime organisé, il n’y a qu’un pas. Or, ils ne ressemblent même pas aux casseurs des banlieues parisiennes. Ce n’est pas vrai que les gangs de rue constituent un vivier exclusif de délinquance. Il s’y trouve sûrement des talents qui peuvent s’épanouir ailleurs et autrement. Devenir des scientifiques, des gens de lettres, comme Dany Laferrière, Joël Des Rosiers, Stanley Péan, des stars du show business et du cinéma comme Morgan Freeman, l’acteur de génie d’Hollywood et activiste, Oliver Jones, Grégory Charles, Norman Brathwaite, Luck Mervil, Dan Bigras de l’émission de télévision Gang de rue, Anthony Kavanagh, Boucar Diouf, les Cowboys Fringants, le groupe Djakout Mizik, Curtis James Jackson (50 Cent) et Kennie West, des professionnels du sport comme Tiger Wood, Joachim Alcine, champion mondial WBA 2007 des super mi-moyens, Lewis Hamilton, le pilote étoile de la formule 1 en course automobile, Ray Emery, l’excentrique gardien du club de hockey les Sénateurs d’Ottawa, les deux premiers entraîneurs-chefs de race noire de l’association américaine de la NFL, Tony Dungy des Colts d’Indianapolis, Lovie Smith des Bears de Chicago. Quelques personnalités de prestige du monde féminin, la docteure Yvette Bonny qui, en 1980, a réalisé la première greffe de moelle osseuse au Québec sur une fillette de 12 ans, son Excellence Michaëlle Jean, la gouverneure générale du Canada, Yolande James, la première femme de race noire élue à l’Assemblée nationale du Québec et ministre d’un gouvernement au Canada, l’astronaute Julie Payette, Marlène Dorcéna, la grande dame de la musique haïtienne, Oprah Winfrey, Jennifer Lopez, Dee Dee Bridgewater, les sœurs Williams au tennis. Comme le soutient l’anthropologue Tousignant (2004), il y a une profonde tendance chez l’être humain à reproduire les comportements d’autrui. Ces jeunes en construction d’identité ont besoin de modèles de conduite et de réussite venant de leurs communautés d’appartenance et d’ailleurs. Au XXIe siècle, on ne peut quand même pas leur enseigner comme autrefois: nos ancêtres les Gaulois étaient de grands gaillards aux cheveux blonds et aux yeux bleus…

    Ces jeunes en sloppy joe ont perdu pied, ils se sont désaffiliés, le système social les a abandonnés. Albert Jacquard disait:

    Je reproche aux Québécois d’avoir inventé le mot « décrocheur ». Il faut dire les « décrochés ». Parce qu’il y a une différence entre un « voleur » et un « volé ». En disant qu’ils sont « décrocheurs », on leur donne la responsabilité d’avoir décroché. Alors qu’ils ont été décrochés par un système qui n’était pas fait pour eux. Ils y ont peut-être mis du leur, ils ont peut-être des responsabilités. Sûrement. Mais il faut les appeler des « décrochés ». Essayons de les « raccrocher ».

    Bref, ultimement, sous l’apparente neutralité des données chiffrées, c’est tout le problème de « l’inégalité d’accès au pouvoir économique et politique de certains groupes au nom de caractéristiques sociales ou biologiques présumées » dont il s’agit, pour parodier Schnapper (1998, p. 21).

    Un texte sur l’impact du profilage diagnostique sur le traitement des troubles mentaux, par Henri Dorvil, clôture cette deuxième partie de l’ouvrage.

    PARTIE 3 – NOUVEAUX CHAMPS D’EXPERTISE ET D’INTERVENTION

    Cette dernière partie de l’ouvrage, et non la moindre, est inaugurée par un professeur de l’École de service social de l’Université de Montréal, Pierre-Joseph Ulysse. À vrai dire, les structures médiatrices, surtout les rapports entre l’État et le monde communautaire, ont été sinon tendues du moins incestueuses. Cependant, la nouveauté réside dans le niveau élevé des tensions, les contraintes financières imposées à ces groupes communautaires pour qu’ils rentrent dans les balises du projet commun fixées par L’État. Mais depuis quand la reine négociait-elle avec ses sujets? Ce chapitre traite des rapports entre le jacobinisme gouvernemental et le tiers-état communautaire, le public non étatique, créateur de lien social, porteur des espoirs du peuple.

    Hier encore pour les Nations Unies, la priorité était d’alphabétiser le tiers-monde. Or, à l’exception des pays scandinaves du continent européen, toutes les sociétés occidentales dites avancées ont au moins un tiers de leurs citoyens handicapés dans l’exercice du langage des mots et des chiffres. 1.3 million d’adultes québécois ont des problèmes de lecture. Sans cet outil, l’être humain ne peut survivre dans un monde de compétition, n’a pas accès à la culture de son milieu d’appartenance. Bref, il est marginalisé, exclu. Danielle Desmarais, l’anthropologue de l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, ouvre une nouvelle voie d’intervention en conjuguant les ressources du travail social et celles des sciences de l’éducation. Elle est l’auteure du livre L’alphabétisation en question aux éditions Quebecor.

    Comment en serait-il autrement? Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) aggravent les problèmes des analphabètes à cause de l’immensité des connaissances générée par le numérique. Or, cet outil devrait être un élément de valorisation, un vecteur d’inclusion sociale. Tel ne semble pas être le cas. Une autre professeure de l’École de travail social établit les paramètres socioculturels de la fracture numérique opérant dans les sociétés contemporaines. Il s’agit de Sylvie Jochems. Elle traite d’une autre catégorie d’analphabètes, les analphanets.

    Nouvelle professeure pour la nouvelle réalité interculturelle, Lilyane Rachédi se trouve investie de la mission de remise en question des préjugés, des stéréotypes dont la chape de plomb pesant encore sur la recherche, l’enseignement et l’intervention en milieu pluriethnique. Individualisme, multiculturalisme, religions et communautés, conflits ethniques, construction nationale, décidément, les questions identitaires se trouvent au cœur des mutations des sociétés contemporaines. Toujours dans ce même domaine, pour soutenir la fluidité des échanges entre cultures, tout accommodement s’avère souhaitable, mais doit-il être obligatoire pour autant? Comment respecter les droits des minorités religieuses en préservant les valeurs communes? La notion juridique d’accommodement raisonnable a fait son apparition dans le droit canadien en 1985. Elle impose à un employeur ou à une institution d’accommoder un individu qui serait discriminé sur la base de son origine ethnique, de sa couleur, de son âge, de son sexe, d’une déficience ou de sa religion. Il s’agit d’une approche à sens unique qui ne tient pas compte des droits collectifs ni d’autres enjeux sociaux importants. Yolande Geadah (2007) n’est pas d’accord avec ce type d’approche particulièrement pour éviter l’empiètement du religieux sur l’espace public. Et pour protéger la cohésion sociale. La collection PSIS voulant avoir l’heure juste sur cet enjeu d’une importance capitale s’adresse à Anne Saris, une docteure en droit de l’Université McGill qui enseigne à l’Université du Québec à Montréal, non pour avoir un jugement de Cour mais pour une expertise juridique sur cette immense question.

    Pour clôturer cette troisième partie du volume et pour des perspectives ouvertes sur le monde, PSIS demande à Marie Lacroix de situer le travail social dans le contexte international. De son observatoire à l’École de service social de l’Université de Montréal, elle s’est bâtie au fil des ans une solide réputation comme chef de fil dans ce nouveau champ.

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    1 Mouvements sociaux anciens (mouvements ouvriers), nouveaux (féminisme, écologie politique, régionalisme, consumérisme, les actions syndicales, contre l’exclusion) ainsi que mouvements sociaux transnationaux (anti- ou altermondialisation, forum social mondial de Porto Alegre).

    2 Cette économie dans la fonction disciplinaire, cette voie panoptique se rapproche assez du « besoin de punition » de Freud dérivant de la tension entre le surmoi sévère et le moi auquel il s’est soumis. Selon lui, la civilisation domine donc la dangereuse ardeur agressive de l’individu en affaiblissant celui-ci, en le désarmant, et en le faisant surveiller par l’entremise d’une instance en lui-même, telle une garnison placée dans une ville conquise ( « Malaise dans la civilisation », 1981, p. 80).

    CHAPITRE 1

    DE LA PRODUCTION

    DU SILENCE AUX INVITATIONS

    À L’ÉCHANGE DE SAVOIRS

    Le cas des pratiques

    en travail social

    ¹

    Guylaine Racine

    L’invitation à rédiger un chapitre sur le thème des savoirs pratiques² – aussi nommés les savoirs d’action, les savoirs d’expérience³ –, je l’ai comprise comme l’occasion de partager une série de réflexions qui m’habitent depuis quelques années et qui portent sur le silence des praticiens. Non pas que les praticiens ne parlent pas, au contraire ils parlent beaucoup, à beaucoup de monde et dans des contextes variés. Leur travail est un « travail de paroles », une mise en œuvre constante de techniques de communication. Le silence auquel je réfère ici est plutôt ce « malaise » à dire sa pratique et ses savoirs – un malaise maintes fois constaté par les formateurs et les chercheurs qui tentent de mieux comprendre l’action des praticiens et de rendre compte des savoirs mobilisés dans l’action. Si faire « parler » les praticiens sur leur travail est considérée comme une des voies permettant l’accès aux savoirs d’action et aux modes de production de ces savoirs, l’accès difficile au contenu des « boîtes noires » que semblent représenter ces savoirs est aussi un défi bien documenté⁴. Interroger les savoirs d’action n’est donc pas une tâche facile et, devant les obstacles rencontrés, on peut se trouver à « blâmer la victime » ou à diagnostiquer une difficulté à « dire sa pratique » ou « à énoncer ses savoirs » – une difficulté que l’on cherche souvent à surmonter par la mise en place de dispositifs (entretiens d’explicitation, récits de pratique, observations d’actes de travail, entretiens de recherche, etc.) pour faire parler les « silencieux ». Sans nier les obstacles réels que comporte toute « mise en mots » des savoirs incorporés à la vie et à l’action des personnes (Boutet et Gardin, 2001; Vermersch, 1994), je ne crois cependant pas que le « silence » des praticiens soit seulement le résultat d’une difficulté à énoncer ses savoirs, d’une absence de « mots pour le dire » ou d’un manque de dispositifs pour « faire dire ». Je crois qu’il est un silence qu’on leur a imposé et, dans une certaine mesure, qu’ils ont appris à s’imposer. Peut-être est-il aussi le silence qui s’installe quand on a l’impression de ne pas être entendu par des interlocuteurs qui ne parlent que leur propre langue.

    La première partie de ce chapitre sera consacrée à un bref rappel des travaux qui ont réinscrit les savoirs pratiques comme savoirs légitimes dans le champ de l’intervention sociale. Ces travaux suggèrent que les savoirs sur lesquels se fondent les interventions professionnelles sont pluriels et le produit de différentes pratiques (celles des chercheurs, des praticiens, des gestionnaires⁵). Cette différence entre les savoirs n’est toutefois pas une invitation à leur hiérarchisation, pas plus qu’elle ne peut justifier la monopolisation par l’activité scientifique du champ de la production des « seuls » savoirs légitimes pour l’intervention sociale. Comme le souligne Galvani (1999, p. 8), les savoirs produits d’activités de recherche « peuvent être libérateurs par leur pouvoir d’élucidation », mais « ils ont aussi un pouvoir d’oppression et d’exclusion lorsqu’ils ne reconnaissent pas les savoirs d’expérience et d’action [et qu’ils] s’imposent […] comme la seule description du monde ». Ainsi, bien qu’ils soient nécessaires pour alimenter la réflexion, les savoirs scientifiques ne peuvent pas prétendre remplacer les savoirs contextualisés, produits et modifiés dans l’action directe, sensibles à des variables qu’un devis de recherche peut exclure à volonté.

    Dans la deuxième partie de ce chapitre, je voudrais partager un ensemble de réflexions sur ce que je comprends comme la production du silence dans la pratique du travail social. Parce que je crois que les savoirs ne peuvent s’élaborer que dans l’échange, dans le débat et, à la limite, dans la controverse, il m’apparaît central de contribuer à développer des occasions d’échanges de savoirs entre les différents acteurs de l’intervention sociale. Tout comme il est essentiel pour moi de faire en sorte que les savoirs d’un praticien et de sa collectivité proche puissent s’incorporer aux dialogues des communautés plus étendues – qu’il s’agisse de l’équipe qui travaille à l’autre étage, de l’organisme situé trois rues plus loin ou de la communauté des chercheurs. Comme chercheure engagée depuis plusieurs années dans des activités d’explicitation et d’échanges de savoirs, je suis par ailleurs régulièrement confrontée à un paradoxe – celui de la coexistence d’intelligence et de silence dans l’intervention. Bien que les praticiens soient volubiles pour défendre l’existence de leurs savoirs, ce sont surtout les chercheurs qui parlent de ces savoirs, qui les prennent comme objet d’investigation et qui initient des démarches visant à faire « émerger l’inexprimé ». Les praticiens – producteurs de ces fameux savoirs – demeurent somme toute assez silencieux sur ce qu’ils savent, et ce, même lorsque leur « parole » est sollicitée. Il me semble important de mieux comprendre ce qui contribue à ce silence et les réflexions présentées en deuxième partie de ce chapitre vont dans ce sens. Elles sont ma façon de rappeler qu’au-delà des défis méthodologiques à l’explicitation des savoirs issus de la pratique, il y a d’autres obstacles qui nous empêchent « d’entendre parler » les praticiens sur leurs savoirs.

    Les réflexions présentées dans ce chapitre s’enracinent dans un parcours personnel et professionnel qui a débuté il y a plus de vingt ans comme intervenante dans une maison d’hébergement pour femmes sans abri. Je veux référer brièvement à cette expérience parce qu’elle se pointe régulièrement le nez quand je cherche à récupérer ce qui a contribué à définir ma pratique. J’ai eu le privilège de travailler en tout début de carrière avec une petite équipe dynamique, touchée par la situation des femmes sans abri et pour qui l’incertitude et l’inconfort ne représentaient pas un problème, mais plutôt un atout: la possibilité d’explorer, de changer, d’apprendre, d’innover, de réfléchir sur soi, sur les autres et sur l’intervention. Pour les membres de cette équipe, les moments de doute et d’incertitudes qui caractérisaient la pratique quotidienne étaient des occasions d’apprentissage, de création ou de réinterprétation des expériences et des savoirs acquis. Une de mes collègues de l’époque avait ainsi décrit ce qui, pour elle, faisait l’intérêt de notre travail quotidien:

    Quand on ne sait pas, on est obligé de chercher, on n’a pas le choix que d’inventer notre pratique… […]. L’expérience, ça se bâtit à travers les événements. Quel que soit l’événement, […], ça t’apporte du nouveau, de la vie… Dès qu’il y a du nouveau, il y a quelque chose à apprendre, tu ne peux pas juste répéter ce que tu faisais, ce qui a marché la dernière fois. La situation a un rôle à jouer dans les décisions sur le comment intervenir et elle contribue tout au long parce qu’elle change tout le temps. On peut bien vouloir y appliquer ce qu’on sait déjà, mais ce qui a fonctionné avant ne fonctionnera pas nécessairement maintenant. Alors ce qu’on sait, ce qui va marcher, c’est justement de savoir faire face à l’imprévu… (Marie, intervenante, Auberge Madeleine, extrait d’entretien, 1999).

    Il y avait aussi dans cette équipe un désir de créer des liens avec des intervenants œuvrant dans d’autres contextes de pratique. Il y avait un intérêt à « se parler », à échanger avec d’autres sur l’expérience collective qui était en train de se développer par rapport à l’intervention auprès des femmes sans abri. L’expérience était vue à l’intérieur de l’équipe comme étant quelque chose toujours en révision et qui supposait une mise en commun des ressources: les expériences de chacune étaient mises à la disposition des autres – non pas comme doctrine, mais comme répertoire d’exemples, de prototypes ou comme médiatrice de l’expérience individuelle (Dubet, 1994; Hervik, 1994; Lave, 1991; Racine, 2000). Cette expérience collective était aussi ouverte à d’autres communautés, dont celle des chercheurs; elle était une expérience intéressée à « être contaminée » – mais non pas dominée – par les savoirs des autres parce qu’elle était consciente de ses propres limites et des apports que les autres peuvent faire, consciente aussi que la richesse de l’expérience d’un collectif s’affaiblit lorsque cette expérience reste en vase clos et n’est pas constamment stimulée par une ouverture vers l’extérieur. De mes expériences comme intervenante dans ce lieu de pratique, je garde les fondements d’une revendication qui ne m’a pas quittée depuis: l’absence de tranquillité⁶, l’imprévisibilité, le bruit et les tensions – donc le monde quotidien de l’intervention – peuvent produire un terrain fertile pour la réflexion tout autant que le cloître ou l’université. Mais je garde aussi le souvenir du peu de reconnaissance accordée aux pratiques et aux savoirs de ce milieu d’intervention. La blague racontée entre nous à l’époque – mais il semble qu’elle soit toujours d’actualité⁷ – était de dire que nos savoirs, tout comme les personnes que nous recevions, vivaient à la marge.

    Depuis cette expérience de travail, d’autres activités ont bien sûr balisé mon parcours, principalement la formation et la recherche en travail social. Mais si les activités se sont transformées, elles continuent d’être animées par une résistance à la hiérarchisation des modes de production des savoirs. La question pour moi est moins d’opposer la pratique à la théorie que de travailler à la reconnaissance et au partage des savoirs issus des pratiques des intervenants sociaux. En ce sens, l’ensemble de mes activités peut se résumer à un objectif – celui de créer des espaces de paroles. Cette injonction a toujours été celle qui orientait mes échanges et mes travaux: l’absence d’une voix, soit celle provenant de l’expérience directe d’intervention, favorise une distorsion qui ne peut qu’appauvrir l’efficacité de l’action sociale transformatrice. J’ai ainsi centré mes efforts en insistant auprès des étudiants et des praticiens⁸ sur l’importance d’occuper l’espace qui est à eux dans l’analyse de leur pratique et dans la construction d’une parole qui provient de leur expérience⁹. Dans ce chapitre, je voudrais rester fidèle à cette option.

    1. DE LA CRITIQUE D’UNE DOMINATION À LA RECONNAISSANCE DE LA PLURALITÉ DES SAVOIRS

    Le propre de la domination est de bloquer les apprentissages en décontextualisant le savoir dont se nourrit le pouvoir et en délégitimant tous les autres (De Munck, 1999, p. 13).

    Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’analyse des pratiques dans les années 1980, le contexte qui régnait alors en travail social¹⁰ en était un où les savoirs pratiques cherchaient à être reconnus par les interlocuteurs du monde de la recherche scientifique et de la formation académique. Les praticiens savaient qu’ils détenaient des savoirs pertinents – de fait, ils faisaient beaucoup plus confiance à leurs savoirs qu’aux savoirs dits théoriques – mais ils étaient aussi très conscients du peu de légitimité accordée à leurs savoirs par les acteurs du monde de la recherche et de la formation universitaire. Pour les chercheurs, les savoirs pratiques ont longtemps représenté des savoirs « préscientifiques », « non formalisés » et, surtout, dans lesquels il fallait « mettre de l’ordre ». Pour les acteurs des institutions de formation, la reconnaissance de l’existence de savoirs pratiques s’est longtemps limitée – et continue de se limiter¹¹ – à la création de stages pratiques où, sans qu’on sache trop comment, les étudiants doivent apprendre à greffer à leurs savoirs scolaires des savoirs pratiques.

    L’idée que la « la science produit la connaissance et la pratique applique cette connaissance » (Scott, 1990, p. 564) a ainsi laissé des traces profondes dans notre compréhension de ce qui oriente l’intervention sociale et l’organisation des rapports entre la recherche, la formation et la pratique. Par ailleurs, de nombreux travaux ont cherché à ébranler les fondements positivistes des sciences sociales, incluant le travail social, et à réhabiliter la pratique comme lieu d’apprentissage, de validation, de sélection et de création de nouveaux savoirs¹². Ces travaux soulignent la pluralité des savoirs en jeu dans l’action sociale et l’importance de mieux comprendre l’articulation entre ces savoirs qui s’inscrivent dans des champs différents: « [le] champ théorique des savoirs formels, [le] champ socioprofessionnel des savoirs d’action, [le] champ personnel des savoirs de vie) » (Galvani, 1991, p. 1).

    Pour plusieurs disciplines professionnelles, un des moments importants dans ce mouvement de reconnaissance des savoirs pratiques a été la parution du livre de Donald D. Schön en 1994 – « Le praticien réflexif¹³ ». S’appuyant sur les travaux de Dewey, Polanyi, Lewin et Schultz, Schön a permis à de nombreuses disciplines de parler à nouveau des savoirs pratiques et de leur redonner un statut et une légitimité à l’extérieur du monde des praticiens pour qui – et il faut insister sur ce point – ils avaient toujours occupé une place de choix. En parallèle aux écrits de Schön, bon nombre d’auteurs¹⁴ ont travaillé le thème des savoirs pratiques et ont contribué à créer un contexte propice pour que la voix des praticiens devienne crédible – ou tout au moins d’intérêt – pour le monde de la recherche et de la formation. Pour les fins de ce chapitre, je voudrais simplement rappeler quatre postulats qui traversent l’ensemble de ces travaux¹⁵. Le premier est la conviction qui fonde ces travaux: les intervenants professionnels sont loin d’être seulement les exécutants d’une action. La part d’indétermination que comporte toute situation d’intervention, la mise en échec des savoirs antérieurs sont quelques uns des éléments qui empêchent l’application d’une règle ou d’un modèle défini a priori.

    Le deuxième, découlant du premier, reconnaît le rôle des praticiens dans la construction des savoirs professionnels. Dans l’intervention, les praticiens sont quotidiennement amenés à intervenir dans des situations infiniment variées et qui se présentent rarement avec un mode d’emploi. Le rapport entre le général et le particulier doit constamment être renégocié. L’intervention des praticiens est ainsi balisée, construite et articulée dans l’action, en relation très étroite avec la délimitation des possibles d’une situation d’intervention particulière. Cette réflexion « sur l’action » et « en cours d’action » entraîne la création et l’articulation de nouvelles pratiques et de nouveaux savoirs qui orientent tout autant l’intervention que les savoirs homologués¹⁶. La connaissance est donc toujours un produit de l’expérience, ce qui ne signifie pas pour autant que toute expérience produise des savoirs. En effet, comme l’ont souligné les auteurs qui ont tenté de cerner le processus de production des connaissances pratiques, l’expérience qui produit des savoirs est une expérience en rapport actif¹⁷ avec les données, avec le terrain, avec la vie et non pas une application de procédures prédéterminées.

    Le troisième postulat est celui des impacts de la prédominance de la rationalité technique sur l’organisation des rapports entre la recherche et la pratique.

    Comme on peut s’y attendre dans un modèle de savoir professionnel hiérarchisé, la recherche est séparée de la pratique tout en lui demeurant liée par des rapports d’échange très clairement définis. Les chercheurs sont censés mettre à la disposition des praticiens les sciences fondamentales et appliquées. Ceux-ci en tireront des techniques de diagnostic et de résolution de problèmes. De leur côté, les praticiens sont censés alimenter en problèmes les chercheurs qui, eux, pourront les étudier et vérifier l’utilité de leurs résultats. Le rôle du chercheur est distinct de celui du praticien et généralement on estime qu’il est plus important. La séparation hiérarchique entre recherche et pratique se reflète aussi dans le programme officiel de l’école professionnelle. Ici, le déroulement du programme suit l’ordre dans lequel les composantes du savoir professionnel sont « mises en pratique ». La règle, c’est voir d’abord ce qu’il y a de pertinent en sciences fondamentales et en sciences appliquées, pour ensuite en étudier les possibilités d’application dans les problèmes concrets rencontrés dans la pratique (Schön, 1996, p. 203).

    Enfin, le quatrième postulat – peut-être le plus provocateur – est qu’il faut inverser le rapport conventionnel entre théorie et pratique. Les praticiens œuvrent dans des « terres marécageuses où les situations sont des « chaos » techniquement insolubles » (Schön, 1996, p. 201) et où les situations ne cadrent que rarement dans les catégories théoriques existantes pour « traiter » le problème. Par conséquent, l’incertitude, la singularité, l’instabilité – trois épouvantails pour l’épistémologie positiviste de la pratique – sont à prendre en compte (Fook, Ryan et Hawkins, 2000) dans tout effort de compréhension de la pratique qui se veut critique du modèle des sciences appliquées.

    Si le modèle des sciences appliquées est incomplet, c’est-à-dire s’il ne peut pas expliquer la compétence pratique dans les situations « divergentes », alors tant pis pour le modèle. Recherchons donc à sa place une épistémologie de l’agir professionnel qui soit implicite dans le processus artistique et intuitif et que certains praticiens font intervenir face à des situations d’incertitude, d’instabilité, de singularité et de conflits de valeurs […]. Une fois qu’on a mis de côté le modèle de sciences appliquées qui nous amène à penser que la pratique intelligente est une application du savoir théorique destiné à résoudre des problèmes pratiques, il n’y a alors rien d’étrange à se dire qu’une certaine sorte de savoir est inhérente à un agir intelligent (Schön, 1996, p. 205).

    Ce bref retour sur un champ important de réflexions, visait principalement à rappeler les efforts des trente dernières années pour défendre l’idée que l’action constitue la connaissance et que la capacité à théoriser et à faire des hypothèses ( « Qu’est-ce qui adviendrait si…? ») sont des outils qu’utilisent aussi les praticiens de l’intervention sociale. Dans plusieurs disciplines, dont le travail social, le regain d’intérêt pour l’étude des savoirs d’action a mené au développement d’une vision plurielle des savoirs qui fondent l’intervention sociale (Fook, 2000; Raisky, 1993; Hartman, 1990). Les écrits sur les savoirs issus de la pratique se sont ainsi multipliés¹⁸ et les recherches sur ce thème commencent à être reconnues comme recevables auprès des organismes subventionnaires et des milieux de recherche. Sans vouloir dire que la partie « est gagnée », un des constats que nous pouvons faire est que ce champ de recherche est devenu un lieu légitime d’investissement intellectuel et professionnel pour les acteurs des milieux académiques et de recherche.

    Plusieurs éléments ont contribué à ce changement de perspective. La transformation progressive du rapport entre théorie et pratique constitue un des facteurs explicatifs de la revalorisation des savoirs d’action. La remise en question des modèles traditionnels de causalité dans la production de l’explication scientifique a également ouvert la porte à une meilleure articulation des différents savoirs permettant ainsi de « […] rendre compte de l’interactif, du complexe, de l’inédit » (Barbier, 1996, p. 4). En outre, le fait que les savoirs communs ou les savoirs pratiques ont longtemps été dévalués parce qu’ils étaient considérés comme des savoirs « non-réflexifs […] faisant rarement l’objet d’élaborations discursives » (Mesny, 1997, p. 9) a aussi été remis en question, entre autres dans les travaux du courant postmoderne. Les figures du scientifique ou de l’expert ne suffisent donc plus pour rendre compte des différents espaces et positions où se produisent et se diffusent les savoirs. Dans un même ordre d’idée, il semble que l’on soit en train d’assister à des formes de démocratisation des lieux de création de connaissances qui privilégient la production de connaissances « pratiques » et qui favorisent l’exploration ouverte plutôt que la seule vérification des savoirs consacrés (Gibbons, Limoges et Nowotny, 1994; Nowotny, Scott et Gibbons, 2001).

    Le travail de légitimation des savoirs d’action n’est donc plus – depuis un bon moment – un travail isolé, une lubie d’un petit groupe de chercheurs et de praticiens. D’une part, plusieurs chercheurs mettent en place des dispositifs de recherche et de formation qui se veulent des démarches réelles d’accompagnement au travail d’explicitation et de formulation des savoirs d’action. Ces travaux visent à étudier la

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