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Problèmes sociaux - Tome III
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Problèmes sociaux - Tome III

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À propos de ce livre électronique

En s'intéressant à des problèmes comme la pauvreté, l'insécurité alimentaire, l'obésité, le culte de la performance sexuelle, les solitudes contemporaines, la dépression majeure, les inégalités sociales en santé mentale et le sida, les auteurs, venant de différents horizons universitaires comme le droit, la diplomatie, la criminologie, la médecine, la santé publique, le social policy, la sexologie, la sociologie et le travail social, analysent les mutations des familles. Ils comparent les lieux de décision des politiques sociales tant à Québec, qu'à Ottawa et Londres et observent les territoires de médiation sociale, les lieux de rédemption comme la prison, la peur générée par le terrorisme logé dans certaines zones géopolitiques de la planète et aussi dans nos esprits.
LangueFrançais
Date de sortie23 juin 2011
ISBN9782760528895
Problèmes sociaux - Tome III

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    Aperçu du livre

    Problèmes sociaux - Tome III - Henri Dorvil

    Dorvil

    À des degrés divers, tout livre constitue une œuvre collective où plusieurs personnes s’épaulent en vue de parvenir à un produit final. Mes premiers remerciements vont, comme il se doit, à tous les auteurs, hommes et femmes, qui ont répondu avec enthousiasme à l’invitation de la collection Problèmes sociaux et interventions sociales. Ces collègues viennent de milieux très divers de l’enseignement, de la recherche, de la gestion et de l’intervention: l’Université du Québec à Montréal, l’Université de Montréal, l’Université McGill, l’Université Laval, l’Université de Sherbrooke, l’Université d’Ottawa, l’Université laurentienne de Sudbury, le groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP), le Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS), l’Unité de pédiatrie interculturelle (UPI), le Centre hospitalier universitaire (CHU) Ste-Justine de Montréal, le Centre de recherche Fernand-Séguin de l’Hôpital Louis-H.-Lafontaine, le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), les Centres de santé et de services sociaux (CSSS), la Direction de la santé publique de Montréal, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Certains sont en fin ou à mi-carrière, d’autres en formation doctorale ou au début de leur vie professionnelle et quelques-uns sont des sommités scientifiques reconnues sur le plan international.

    Merci en pile aux experts pour leur aide inestimable dans l’évaluation des chapitres du livre, et ce, en dépit de leur horaire chargé. Du côté des XX et par ordre alphabétique Louise Bouchard, Ph. D., directrice du programme de doctorat en santé des populations du Département de sociologie/Institut de recherche sur la santé des populations de l’Université d’Ottawa; Monique Carrière, Ph. D., professeure agrégée au Département de réadaptation de la Faculté de médecine de l’Université Laval; Johanne Collin, Ph. D., sociologue et historienne des sciences, la patronne du MEOS, l’équipe de recherche sur le médicament comme objet social, du GRASP et de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal; Diane Verschelden, travailleuse sociale clinicienne et experte en thérapie familiale. Du côté des XY maintenant, Jacques Hébert, Ph. D., en service social, professeur agrégé à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal; Alain D. Lesage, M. D., FRCP (C), DFAPA., professeur titulaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal; Pierre-Joseph Ulysse, Ph. D. de sociologie, professeur adjoint à l’École de service social de l’Université de Montréal.

    Au niveau de la documentation, nous remercions sincèrement Chanel Boucher, documentaliste au GRASP; Louise Rolland, secrétaire de direction du Groupe d’étude sur l’interdisciplinarité et les représentations sociales (GIERSO); Marie-Ève Carle, doctorante en anthropologie de l’Université de Montréal; Richard Martin, cinéaste et... photographe. Un merci chaleureux s’adresse également et successivement à Micheline Cloutier-Turcotte, secrétaire des études supérieures à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal; Marie-Élaine Arcand et Denise Doucet, étudiantes au baccalauréat en travail social de la même université et aussi à Simon Dorvil, mon ado de 14 ans qui m’a aidé à solutionner mes problèmes « générationnels » d’analphabétisme numérique.

    Nous remercions aussi sincèrement le Réseau de recherche en santé des populations du Québec (RRSPQ) pour sa généreuse subvention d’aide à l’édition d’ouvrages scientifiques qui a permis de mener ce projet à bon port.

    Mes derniers remerciements et non les moindres sont réservés à l’équipe dynamique des Presses de l’Université du Québec qui, depuis des décennies, a habitué la communauté universitaire au travail bien fait, voire à la perfection. Un merci spécial toutefois s’adresse à la directrice générale, Madame Céline Fournier, qui fait toujours confiance à notre direction scientifique.

    Henri Dorvil

    En 2001, j’ai publié avec Robert Mayer deux tomes de Problèmes sociaux qui ont fait le tour de cette problématique essentiellement nord-américaine dans ses postulats de départ. À nous deux, nous avons dressé un portrait des approches théoriques en rapport avec les problèmes sociaux: le fonctionnalisme, le culturalisme, l’interactionnisme, la réaction sociale, l’étiquetage, le féminisme, l’actionnalisme, le conflit social, le constructivisme, la gestion des populations cibles, l’approche écologique, la pathologie sociale, la régulation sociale. D’autres auteurs et auteures ont apporté divers éclairages du siècle sur des problèmes sociaux nouveaux ou sur des mutations de ces mêmes problèmes. Fernand Dumont (1994), par exemple, dégage cinq grandes perspectives pour analyser les problèmes sociaux. Ainsi, un problème social est abordé historiquement sous l’angle de la dysfonctionnalité, du délit, de l’anomie, de l’inégalité et de l’exclusion. Dans cette première perspective, la société est perçue comme un organisme vivant et la norme résulterait de la conception du social prédominant à cette époque dans cette société. Ainsi conçu, le problème social est une déficience de fonctionnalité. Cependant, à l’opposé de cette conception organique, la réalité sociale peut être envisagée comme un ordre social où les normes juridiques imposent un certain nombre de valeurs et définissent, de ce fait, les problèmes sociaux.

    À mon avis, depuis un quart de siècle environ, nous assistons à une extension du droit dans la gestion des problèmes sociaux. Faut-il évoquer la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour s’en convaincre? Il faut se rappeler également la popularité de la notion de citoyenneté, qui diversifie les types de droits: droits civils, c’est-à-dire liberté d’expression, droit de propriété; droit politique, c’est-à-dire le suffrage universel; droits sociaux, c’est-à-dire protection sociale, services de santé, droit à un logement décent; droit culturel, c’est-à-dire droit linguistique, protection du patrimoine, liberté de culte. Il s’agit des retombées de la contre-culture nord-américaine et des marches de revendication des années 1960 sur l’épanouissement et la défense des minorités de tout acabit: groupes ethniques, gais et lesbiennes, personnes handicapées physiques, intellectuelles et mentales. Il ne faut pas non plus oublier l’empowerment, ce maître mot qui, depuis deux décennies, émaille les écrits des travailleurs sociaux, des sociologues, mais aussi le discours du ministre de la Santé et des Services sociaux, de celui de l’Emploi et de la Solidarité sociale, de la ministre responsable de la Condition féminine et des Aînés.

    De cet univers du droit et de l’ordre social, on peut passer à celui des valeurs collectives du contrôle social. Dumont souligne à ce propos qu’il y a pluralité des valeurs selon les groupes sociaux et qu’on se trouve souvent en présence de « conflits entre les idéaux anciens et nouveaux ». De ces conflits et des bouleversements qui s’y greffent, on va évoquer l’anomie pour désigner les problèmes sociaux résultant de l’affaiblissement des valeurs collectives ainsi que l’érosion de solidarités sociales (individualisme, divorce, monoparentalité, immigration, narcissisme des solitudes contemporaines, itinérance, etc.). Enfin, on constate qu’à mesure que le principe du partage se fait plus exigeant apparaît la nécessité de la participation aux décisions. Bref, pour cet auteur, l’analyse des problèmes sociaux doit être replacée dans le contexte de l’évolution des conceptions du social et de la norme.

    Une autre approche qui semble dynamique dans l’appréhension des problèmes sociaux est l’analyse constructiviste de Spector et Kitsuse (1977; 1987). Le constructivisme va à l’encontre de la conception objectiviste qui prétend aborder la réalité sociale de façon objective et neutre. Selon cette manière de voir, les problèmes sociaux sont considérés à partir des activités des individus (journalistes, médecins, politiciens, travailleurs sociaux, groupes communautaires et organisateurs syndicaux ou patronaux) qui réussissent à les faire émerger en tant que problèmes. Le modèle d’analyse constructiviste estime que les problèmes sociaux n’émergent pas d’une situation statique ou d’un évènement spontané, mais d’une série d’activités qui évoluent et s’influencent les unes les autres. Selon ce modèle, le développement des problèmes sociaux passerait par quatre étapes principales:

    1re étape. La première étape est celle où des individus ou des groupes définissent une situation comme étant une problématique. On observe alors des tentatives collectives pour remédier à une condition perçue et jugée choquante et indésirable par certains individus ou groupes sociaux. Ces tentatives pour transformer des problèmes privés en débats publics constituent le point de départ du processus. Au cours de cette étape, les groupes formulent également des demandes à l’égard des pouvoirs publics afin de trouver une solution au problème.

    2e étape. La deuxième étape débute au moment où les revendications des groupes sont approuvées par une agence gouvernementale ou par une institution officielle influente. Ce qui caractérise cette étape, c’est le fait que le problème social est pris en charge par un organisme public ou privé qui manifeste au moins un intérêt véritable pour le problème social en question même si les solutions proposées ne s’attaquent pas aux conditions qui ont prévalu à son apparition.

    3e étape. La troisième étape prend naissance lorsque les groupes considèrent que la réponse qui a été donnée par les pouvoirs publics ou autres n’est pas adéquate ou suffisante. Cette étape est caractérisée par le fait que les citoyens considèrent la réponse officielle comme une problématique, inappropriée au problème, et qu’elle ne satisfait pas le groupe revendicateur. Ce dernier peut aussi dénoncer le fait que la demande soit évacuée aux mains d’un comité d’étude. À cette étape, le groupe demandeur est souvent confronté à l’administration et à la bureaucratie, et cette situation peut engendrer au sein du groupe du cynisme, du découragement ou de la résignation.

    4e étape. Enfin, la quatrième étape prend forme lorsque le groupe revendicateur se dit profondément insatisfait de la solution imposée et qu’il tente d’appliquer des solutions différentes ou encore de créer des institutions dites alternatives. Cette étape reflète une remise en question de la légitimité des institutions, de leur capacité et de leur volonté de résoudre le problème.

    L’enchaînement par étapes de la construction des problèmes sociaux ressemble étrangement à d’autres domaines de la vie sociale où il est question de production. Van der Geest, Whyte et Hardon (1996) et Garnier (2006) utilisent la métaphore de la chaîne pour faire référence aux diverses étapes, allant de la production, de la mise en marché, de la prescription jusqu’à la distribution, l’achat, l’utilisation et l’évaluation de l’efficacité, du médicament. Van der Geest, Whyte et Hardon (1996) apportent des précisions. Ces auteurs considèrent les produits pharmaceutiques comme un phénomène social et culturel qui suit son cycle de vie: « From production, marketing and prescription to distribution, purchasing, consumption, and finally their efficacy. »

    Each phase has its own particular context, actors, and transactions and is characterized by different sets of values and ideas.

    Il en est de même de la fabrication du cinéma qui part d’une idée, du moins dans les films documentaires. Ensuite s’organise une recherche sur le sujet pour décider du contenu à livrer. Le processus de production s’engage en analysant les besoins des personnes à qui le message est destiné. Le scénario s’ajuste selon la façon de faire passer le message, question de médiatiser le contenu. Après le choix des comédiens, on se lance à la recherche des images pour illustrer le vécu. En dernier lieu, ce sera l’étape du prémontage, de la vérification avec des groupes témoins, celle de la postproduction, de la promotion du produit final: le film.

    Cependant, la référence ultime de cette manière de produire demeure le taylorisme, du nom de l’ingénieur américain Frédéric Winslow Taylor (1856-1915), fondateur de l’organisation scientifique du travail. Exerçant son métier dans plusieurs entreprises sidérurgiques, Taylor mit au point une méthode rationnelle d’organisation du travail en chronométrant le temps mis par un bon ouvrier pour exécuter certaines tâches données, en utilisant les machines de façon optimale et en divisant le travail de façon que chacun soit spécialisé dans une opération simple et précise, ce qui aboutit aux chaînes de montage.

    L’introduction du taylorisme et plus tard du fordisme a eu pour effet de bouleverser l’organisation du procès de travail, de briser, malgré sa forte résistance, le syndicalisme d’ouvriers qualifiés basé sur le métier, de transformer profondément la composition technique de la classe ouvrière et de lui imposer tous ses caractères modernes, où dominent l’ouvrier de masse déqualifié et l’ouvrier de chaîne (Coriat, 1976). Il ne s’agit pas moins que de déposséder les ouvriers de leur savoir, d’assurer un plus grand contrôle par le capital du procès de travail, de permettre l’extorsion d’une plus grande masse de surtravail, d’achever en fin de compte un processus commencé dès les premiers balbutiements de la révolution industrielle, soit l’expropriation des travailleurs d’avec leurs moyens de travail. Ce rapport de force capital/travail se retrouve aussi à l’œuvre dans la définition des problèmes sociaux et le choix de leurs solutions. Le plus souvent les définisseurs de départ des problèmes sociaux se trouvent mis de côté à l’une ou l’autre des quatre étapes mentionnées plus haut au profit des lobbies, des élites économiques ou intellectuelles dont les intérêts coïncident mieux avec ceux des gestionnaires gouvernementaux, plus proches des intérêts de la stricte conservation du système social. Pourtant, c’est le savoir expérientiel des petites gens, des gagne-petit, des groupes communautaires ou ruraux qui a mis sur la place publique le problème social. Il arrive aussi que la résistance s’organise chez ces derniers pour faire valoir leur expertise en défiant le pouvoir d’exclusion exercé par le capital intellectuel des élites dominantes, certes, mais aussi pour participer à ce pouvoir sur un objet qu’ils ont contribué à créer. Là où se trouve le pouvoir, se trouve aussi la résistance (Foucault, 1976). Cela veut dire également que la résistance n’est jamais dans une position d’extériorité à l’exercice du pouvoir. De là le sens diffus de la complexité de la nature et des formes de domination si bien circonscrit par Abu-Lughod (1990).

    Cependant les problèmes sociaux sont tellement enchevêtrés dans la vie des sociétés contemporaines qu’il est permis de les transposer à d’autres niveaux pour mieux comprendre leur genèse et leur fonctionnement. Selon Fine (2006), les problèmes sociaux sont reliés dans des réseaux complexes, dynamiques et interconnectés. Ainsi, résoudre un problème social crée à la fois des opportunités et des contraintes qui, en retour, génèrent d’autres problèmes à travers un processus qu’il appelle la chaîne des problèmes sociaux. Quoi que nous fassions, la possibilité demeure toujours que des conséquences non voulues, inattendues, bizarres même, que des effets dramatiquement différents émergent. C’est comme un mauvais sort, une puissance surnaturelle qui semble gouverner la vie humaine. Ne dit-on pas à la blague que « le diable est dans les détails »? À ce propos, Edward Tenner (1999) écrivait: « Why things bite back? » Fine considère quatre stratégies selon lesquelles des solutions à un problème social peuvent créer d’autres problèmes additionnels: un incrément, c’est-à-dire une idée de plus-value, un créneau d’écoute, un contre-mouvement et des effets inattendus.

    Les groupes de pression ont des intentions non avouées. Comme ils ne peuvent obtenir gain de cause chaque fois, ils procèdent par étapes. Chaque bataille constitue un maillon dans la chaîne et crée une expansion de domaine. On va commencer par abolir la cigarette dans les avions, les hôpitaux, les écoles, les lieux publics en général, et éventuellement dans les maisons, jusqu’à l’élimination définitive de ce produit jugé toxique. Les mouvements anti-avortement procèdent de la même manière. Ils exigent un seuil en nombre de semaines au-delà desquelles l’interruption de grossesse n’est plus permise, des périodes d’attente pour réfléchir sur la portée de la décision à prendre, la sollicitation du point de vue des parents, bien que leur but ultime soit d’arriver à l’abolition complète de l’avortement.

    Le caractère aigu d’un problème social dépend du créneau d’écoute, c’est-à-dire de l’espace d’attention qu’on lui accorde dans la presse écrite ou parlée après l’élément déclencheur. Pensons à l’hypersexualisation du corps des petites filles, aux accommodements raisonnables. Un problème social aigu appelle à une action immédiate de l’État et demeure dans l’actualité jusqu’à ce qu’on lui trouve une solution satisfaisante. Certains problèmes catégorisés comme chroniques apparaissent dans l’actualité, puis en repartent, laissant la place à un autre problème qui suscite plus d’attention.

    Les problèmes sociaux peuvent donner lieu à des batailles d’opinions entre les groupes barricadés dans des croyances et des valeurs diamétralement opposées: mouvements et contre-mouvements. Chacun diabolise l’autre; l’un pour le statu quo et l’autre pour le changement s’engagent dans une lutte à finir. La prohibition de l’alcool, la peine de mort, le réchauffement climatique constituent des exemples éloquents. Les législateurs essaient d’arriver à un compromis qui pourrait satisfaire les deux camps. Il existe toutefois des problèmes auxquels ne s’intéressent guère de défenseurs aussi passionnés, par exemple ceux des personnes sans abri, des enfants victimes d’abus, de la pornographie, du jeu pathologique.

    Considérons maintenant le dernier type d’enchaînement de problèmes qui entraîne des conséquences sur le plan des solutions inattendues, voire perverses, un peu comme les effets iatrogènes des médicaments dont parle le philosophe Ivan Illich (1975). Souvent, une solution unanimement reconnue pour résoudre un problème social peut avoir des conséquences indésirables du fait par son application même. Cet aspect pervers inhérent à l’intervention sociale constitue justement l’un des arguments qui nourrissent la propension au statu quo et au laisser-faire. La politique de désinstitutionalisation mise en œuvre au milieu du XXe siècle dans les pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Italie et les pays scandinaves demeure l’exemple type. L’invention des médicaments neuroleptiques pouvant faire disparaître les symptômes actifs de la psychose (hallucinations, violence, etc.), le mouvement social de défense des droits des minorités, l’économie escomptée de la réduction des coûts d’entretien de ces entrepôts asilaires (warehousing) constituent des facteurs devant favoriser la fin de l’exclusion sociale du fou. Qu’en est-il advenu? Sans services de soutien au logement, sans services d’accompagnement à l’emploi, sans services tout court pour soutenir les premiers pas de l’ex-patient psychiatrique dans la marche vers la citoyenneté, un nombre significatif de personnes mentalement dérangées se sont retrouvées dans la rue. Plusieurs d’entre elles dorment maintenant dans des cartons à New York, Chicago, Toronto et Montréal. La désinstitutionnalisation a non pas créé mais accru l’itinérance et le vagabondage. Pourtant, la société voulait seulement résoudre le problème de l’exclusion sociale du fou en le réinsérant dans la communauté et dans le tissu social, et non créer un autre problème.

    À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les Américains consommaient trop d’alcool, surtout dans la classe ouvrière et chez les immigrants qui voulaient ainsi oublier les conditions inhumaines de travail dans les manufactures. L’alcool était tenu grandement responsable de la violence faite aux femmes, de la négligence envers les enfants et troublait l’ordre public. Que l’on se souvienne des problèmes énormes générés alors par la prohibition de l’alcool par le 18e amendement de la Constitution américaine, où le remède apporté a largement empiré le mal: syndicats du crime, désobéissance civile. Cette solution radicale a été écartée par un autre amendement constitutionnel (le 25e) et par des règlements plus souples, comme l’âge minimal pour consommer des boissons alcoolisées, l’interdiction de conduire une voiture en état d’ébriété, le contrôle par l’État des débits d’alcool, la fermeture des bars le dimanche et, plus tard, la médicalisation de la dépendance à l’alcool.

    La mobilisation sociale dans la lutte contre le travail des enfants constitue un autre exemple de grande actualité. Le boycottage des produits fabriqués par les enfants s’avère un outil indéniable de pression malgré le petit pourcentage des enfants employés dans les industries d’exportation (moins de 5 %). Il faut donc bien que le Bureau international du travail rencontre les fabricants et les exportateurs de tapis des pays concernés pour baliser la feuille de route des 8 000 enfants retirés de ces manufactures en vue de leur réhabilitation. Le boycottage est en effet une arme à double tranchant qu’il faut utiliser avec beaucoup de prudence. Les conséquences à long terme de ces sanctions ne sont pas toujours prévisibles et on risque alors de faire plus de mal que de bien aux enfants (Cadiou, 2005). L’histoire du projet de loi Harkin est tout à fait révélatrice des dangers du boycottage. Ce projet, présenté au Congrès américain en 1992, dont le but était d’interdire l’importation de produits fabriqués par les enfants de moins de 15 ans, avait provoqué une véritable panique dans l’industrie du vêtement au Bangladesh, pays qui exporte 60 % de sa production vers les États-Unis. Avant même l’adoption de ce texte, les usines ont renvoyé du jour au lendemain les 500 000 enfants travailleurs, qui étaient pour la plupart des jeunes filles. Une étude parrainée par des organisations internationales a recherché certains de ces enfants pour apprendre ce qui leur était arrivé après leur licenciement: une grande partie d’entre eux se livraient à d’autres activités souvent plus dangereuses et moins bien payées, voire à la prostitution. Ce projet est l’illustration parfaite des bonnes intentions de la communauté internationale, qui peuvent faire beaucoup plus de mal que de bien aux enfants. Il faut comprendre de cet exemple qu’en raison du danger potentiel que contient toute sanction, il convient chaque fois d’en évaluer les effets à court et à long terme sur la vie des enfants.

    Un dernier exemple et non des moindres se retrouve dans les diverses propositions des pays des deux côtés de l’Atlantique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’accent est mis sur les énergies renouvelables (éolienne, hydraulique, géothermique, solaire ou issue de la biomasse). En vue de diminuer de 20% en dix ans la consommation de pétrole et de contrôler la pollution atmosphérique, plusieurs pays lorgnent du côté d’un biocarburant, l’éthanol produit en Amérique latine et aux Antilles à partir de la canne à sucre et au Canada ainsi qu’aux États-Unis à partir du maïs. Les défenseurs de l’environnement pointent bon nombre d’effets pervers: le gaspillage d’eau par la culture massive de la canne à sucre, la déforestation de la forêt amazonienne, l’impact environnemental de la monoculture, soit le remplacement d’une quantité énorme de terres fertiles de café, de citron, de banane, de pâturages, de marais, par les plantations de canne à sucre. Alors que cette OPEP de l’éthanol va enrichir les conglomérats industriels, les pauvres seraient condamnés à couper la canne à sucre à la machette comme des ouvriers non syndiqués ou seraient jetés par milliers sur le bord des routes des campagnes latino-américaines. Ce changement de paysage laisse présager que les réservoirs d’essence des automobiles des pays du Nord vont devenir plus importants que les cuisines des populations habitant les pays du Sud. Le prix du litre de pétrole serait à la baisse, financé par la hausse du prix des céréales (Rapport de l’ONU, 2006).

    Il n’y a pas de génération spontanée. Tout est lié à l’ensemble. On résout un problème en en créant un autre. Ce niveau de structuration des problèmes sociaux dépasse largement les étapes habituelles de construction pour approcher les complexités de la chaîne génétique, ou encore la morphologie des chaînes de montagnes: les Arcs des Caraïbes, la Cordillère des Andes, les Rocheuses, les Appalaches. Les géomorphologues appellent chaîne une unité montagneuse complexe, caractérisée par un relief élevé, à fortes dénivellations, et surtout par la disposition ordonnée de ses éléments et de leurs combinaisons, selon une direction qui est celle de son axe (Encyclopædia Universalis, 2002).

    PRÉSENTATION DES CONTRIBUTIONS

    C’est la pauvreté, le problème social numéro un, qui a créé le travail social. Le texte de Sonia Racine traite des contours de l’insécurité alimentaire, le vecteur principal de la pauvreté. Si, aux États-Unis, on admet généralement le fossé entre les « deux Amériques », celle des gens aisés et celle des laissés-pour-compte, on parle également ici de la fracture entre le Québec des riches et celui des pauvres. Aussi nous semble-t-il approprié de commencer le traité des problèmes sociaux avec un texte très fort sur un aspect de la pauvreté.

    Les problèmes sociaux sont interreliés, ai-je avancé dès les premiers mots de cette introduction. Aussi ne faut-il guère s’étonner qu’on parle d’obésité tout de suite après l’alimentation. En effet, c’est dans les milieux ravagés par la pauvreté qu’on retrouve une très grande proportion de problèmes d’obésité chronique productrice de diabète, d’hypertension, de troubles cardiovasculaires, pour ne citer que les principales incidences. L’obésité menace aussi la jeunesse, l’avenir de la nation, surtout la génération XXL. Selon le rapport sénatorial Des enfants en santé: une question de poids, l’obésité a triplé chez les enfants canadiens. Un enfant sur quatre présente un problème de surpoids, ce taux passant à 41% chez les jeunes autochtones en dehors des réserves et à 55% chez ceux qui vivent dans les réserves. L’obésité serait-elle une question de culture? On compte environ 7% seulement d’obèses en France contre 27% aux États-Unis. La culture alimentaire française fondée sur la qualité de la nourriture, l’ambiance des repas serait favorable à la modération, contrairement à la culture américaine valorisant l’abondance de l’offre – plats copieux, étalage de snacks –, qui favoriserait l’excès (Rozin et Fischler, 2003). Les journalistes en parlent toutes les semaines. Selon l’Associated Press du 8 mai 2007, plus de 52% des adultes espagnols sont en surpoids ou obèses, selon les chiffres rendus publics par le ministère de la Santé. C’est presque 3% de plus qu’il y a quatre ans, alors que 49,2 % présentaient un surpoids. Médecins et experts mettent en cause la sédentarité et le changement des habitudes alimentaires. Les romanciers également. Donna Leon (2007), la grande dame des romans policiers vénitiens, de retour dans son Amérique natale, a été atterrée de constater de visu ce phénomène:

    […] C’est toutefois devant la tour de taille des Américains que mon sentiment d’aliénation devient le plus évident. Ils sont gros, mais gros d’une manière qui leur est propre, à croire qu’une lignée d’hermaphrodites, extrudés par le trou d’un sac de pâte à pain et modelés maladroitement à l’aide d’une spatule géante de pâtissier, a été fourrée dans des jeans à l’entrejambe pendouillant et des T-shirts taille X au cube, puis envoyée vivre sa vie après avoir subi une abominable coupe de cheveux. Je suis obsédée par la peur, lorsque j’en touche un, que mes doigts ne s’y enfoncent jusqu’à la deuxième articulation et n’en ressortent luisants de graisse.

    Les Pères de l’Église ont consacré beaucoup de temps et de discussions à la doctrine de la transsubstantiation, et c’est le mot qui me vient à l’esprit quand je contemple ces mètres cubes de chair: comment s’est faite leur transsubstantiation, d’où provient toute cette masse, sinon de ce qu’ils mangent? Et que faut-il donc consommer et en quelle quantité pour acquérir un tel volume, apparemment en perpétuel accroissement?

    La collection « Psis » est honorée que Lyne Mongeau, nommée Scientifique de l’année 2006 par Radio-Canada, ait accepté d’analyser cette épidémie du XXIe siècle.

    En général, la performance s’avère une notion galvaudée dans le monde sportif. Aussi est-ce une très grande prouesse d’appliquer ce concept à la séduction. Ce grand défi, tant sur le plan de la théorie que sur celui de la méthodologie, a été relevé avec brio par Francine Duquet, du Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, et Clément Dassa, du Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal.

    Marie-Chantal Doucet, nouvelle professeure de l’École de service social de l’Université d’Ottawa, aborde la thématique des solitudes contemporaines, liée à la réaction dépressive, à la santé mentale en général, au sida, questions abordées dans les chapitres subséquents. Cependant, la solitude n’est pas forcément une expérience négative au regard du manque, de la perte, du silence, de l’absence, de l’isolement, du retrait, du rejet, voire de la souffrance. Elle s’avère à tout le moins ambivalente et serait peut-être même l’occasion, si l’on en croit Marie-Noëlle Schurmans (2003), d’un renouvellement de la pratique de l’échange. La solitude ne pourrait-elle pas signifier sérénité, calme, paix, développement intérieur, exister à travers soi-même? Pourquoi faut-il que ce soit tout noir ou tout blanc? C’est à tout un chantier de la vie postmoderne que s’attaque cette jeune chercheuse.

    Un Nord-Américain sur six souffre de dépression. C’est ce que relève le sondage Ipsos Reid de l’hiver 2007, qui précise que 14 % des répondants canadiens et 20% des répondants américains reconnaissent avoir reçu un diagnostic de dépression. Mais les proportions augmentent quand on demande aux répondants s’ils pensent souffrir de cette maladie, sans qu’un diagnostic ait été établi: le taux passe à 22 % chez les Canadiens et à 21 % chez les Américains. Selon 84 % des répondants, aider les employés souffrant de dépression devrait être une priorité pour les entreprises. Le taux de dépression est plus élevé chez les femmes que chez les hommes; il l’est également chez les gens ayant des revenus moins élevés ou un niveau de scolarité plus bas. Le sondage montre aussi que 90% des répondants comprennent bien la maladie, qui, selon eux, est créée par un déséquilibre chimique dans le cerveau. Comprendre ce phénomène sur le plan sociologique ne constitue guère une sinécure. C’est à cette tâche immense que s’attelle Marcelo Otero, chercheur boursier du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ), l’espoir de la sociologie de la santé mentale au Québec et ailleurs dans le monde. En cinq ans, Otero a publié plus d’écrits scientifiques sur cette question qu’il n’y en a eu au cours des deux décennies précédentes, en milieu francophone tout au moins. Ce professeur-chercheur est de taille. C’est un géant.

    Sur un autre plan mais toujours en psychiatrie sociale, se trouve l’étude sur les inégalités sociales en santé avec un illustratif spécifique en santé mentale de Henri Dorvil, ouvrier de la première heure (1965) en psychiatrie communautaire. Quelle est la spécificité des inégalités sociales en santé mentale? Assez souvent, les experts de sciences sociales qui ont immigré récemment en santé mentale ont la mauvaise habitude de tout confondre et de plaquer sur la santé mentale les brillantes découvertes bricolées en d’autres domaines. Modestement, ce chapitre veut remettre les pendules à l’heure.

    Le sida. Vingt-cinq millions de morts en vingt-cinq ans. Le sida fait encore bien des ravages dans les pays du tiers-monde, certes, mais aussi dans les pays émergents et les pays fortement industrialisés. Le virus du sida, comme la peste d’autrefois, continue de briser des vies, d’isoler, de tuer. Avec des milliards investis, la recherche scientifique acharnée aura permis de décrypter à certains niveaux le virus et d’élaborer des traitements antirétroviraux qui font désormais du sida une maladie chronique où la mort est évitable à 90% quand le traitement est accessible. Cependant, qu’en est-il des recherches anthropologiques, sociologiques sur le sida? C’est le domaine d’expertise de Marie-Ève Blanc, sociologue du développement, sociologue de la santé associée au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention de l’Université de Montréal. Dans ce groupe de recherche, la santé est considérée comme une résultante d’un ensemble de conditions et de facteurs, relevant de l’environnement social, économique, culturel et politique autant que du patrimoine biologique et génétique, du système de traitement des maladies et de l’environnement physique.

    Après sept chapitres, ce traité de problèmes sociaux passe à un autre niveau, un autre régime. Il situe maintenant les lieux de socialisation, de soutien social, de politiques familiales à Québec, à Ottawa, de politiques sociales décidées au 10, Downing Street à Londres, de méthodes alternatives de résolution de conflits, de lieux de rédemption comme la prison, de lieux de violence.

    « Quand l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris. » C’est le signe de la pérennité. L’arrivée d’un nouveau membre dans la famille est toujours empreinte d’émotion. J’ai souvenance que le jour de la fête des mères mes quatre frères et moi, sanglés dans nos uniformes bleu et blanc, récitions à l’unisson ces vers de Victor Hugo (1830):

    Oh! l’amour d’une mère, amour que nul n’oublie, Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie Table toujours servie au paternel foyer

    Chacun en a sa part et tous l’ont en entier

    Trêve de romantisme, peu de thématiques des sciences humaines et sociales sont autant objets d’étude et de réflexion que la famille. Sociologues, juristes, démographes, psychanalystes ont embrassé la famille non seulement avec rigueur, mais aussi avec passion et respect. Qu’est-ce qui permet le mieux de dire qui vous êtes? Lors d’une enquête menée par l’INSEE (Housseaux, 2003), 8 400 personnes étaient ainsi invitées à choisir et à classer les trois thèmes qui les définissaient le mieux. Les résultats montrent la faveur accordée par les sondés à la famille: 86% la mentionnent, et 76% lui octroient la première place. Les deux thèmes les plus choisis, avant les passions ou les lieux d’attachement (particulièrement son lieu de naissance), concernent le métier (40 % des choix) et les amis (37 %). Pour l’identité, c’est la famille d’abord. Nous voilà bien loin de la famille nœud de vipères de François Mauriac. La collection « Psis » voulait présenter un texte sur les nouveaux contours liés aux évolutions récentes de la famille. C’est un privilège donc d’accueillir les idées de la sociologue de la famille par excellence, Andrée Fortin (1994), auteure de La famille, premier et ultime recours, et de Éric Gagnon.

    À plusieurs égards, les politiques sociales en général et familiales en particulier constituent un support de premier plan pour les interventions professionnelles et pour la qualité de vie en société. Par leur impact sur la vie des citoyens, ces politiques constituent un marché de dividendes électoraux qui suscitent la convoitise des deux niveaux de gouvernement, le fédéral et le provincial. Le professeur Lionel-H. Groulx, auteur du livre classique Le revenu minimum garanti, s’est attelé à une analyse minutieuse des politiques familiales.

    Le terme de l’exclusion n’est pas tout à fait nouveau. En fait, c’est plus ou moins l’envers d’une série de concepts avec lesquels il entretient des rapports incestueux: inclusion, affiliation, insertion, intégration, cohésion, lien social, solidarité, communauté, norme. L’exclusion, c’est à la fois l’échec et le désespoir de la normalité des sociétés. L’exclusion s’avère une situation limite, un point de chute où se retrouvent un certain nombre de personnes qui ont eu, durant leur trajectoire, des problèmes par exemple avec les normes de scolarité, de l’emploi, de la famille, etc. Il existe divers types et plusieurs degrés d’exclusion. Un exclu peut être rejeté physiquement, géographiquement, matériellement ou symboliquement. Rappelons-nous une théorie de l’intégration sociale de Castel (1996). Sont intégrés les individus inscrits dans les réseaux producteurs de la richesse et de la reconnaissance sociales. Seraient exclus ceux qui ne participeraient pas à ces échanges réglés. Ainsi, une personne classée malade mentale en réinsertion sociale ou un jeune de la rue n’ont pas le même statut qu’un prisonnier en libération conditionnelle ou un réfugié politique dans les interstices de la stratification de l’exclusion, ne se trouvent pas dans les mêmes espaces de solidarité dont parle Durkheim, ne sont pas au même palier d’indignité. Il existe bel et bien donc des processus sociaux qui mènent à diverses strates de l’exclusion. Mais est-il possible de réintégrer ces individus qui ont été retranchés de la vie sociale? C’est à cette tâche que s’attaque le travail social sur le plan clinique comme sur celui du communautaire.

    Selon Robert Castel (2004), la réintégration constitue un ensemble de procédures qui visent à annuler cette sorte de déficit dont souffre un individu stigmatisé pour qu’il puisse se réinscrire dans la vie sociale à parité avec ceux qui n’ont pas souffert de ce déficit. Un premier volet de ce travail social par une compétence professionnelle consiste à remettre à niveau des individus atypiques, anomiques, c’est-à-dire détachés de leur groupe d’appartenance et incapables de s’adapter à la marche commune. Mais depuis le rétrécissement de l’État-providence qui avalisait cette manière de faire, les individus sont de plus en plus atomisés en raison du développement fulgurant des dynamiques d’individualisation, ils perdent le bénéfice des soutiens collectifs qui leur assuraient un minimum d’autonomie. Ces individus généralement de condition modeste perdent plus souvent leur travail dans le contexte de la mondialisation et deviennent de nouveaux pauvres. S’ils perdent dans la société la place qui jusqu’à présent leur était assurée, ce n’est guère à cause d’un déficit personnel technique ou intrapsychique, c’est parce que la conjoncture sociale a changé. C’est là que revient en force l’autre volet du travail social, qui met l’accent sur l’empowerment individuel, l’empowerment collectif, l’action communautaire, les luttes citoyennes qui interrogent les nouvelles conditions de vie, les politiques d’emploi et de solidarité sociale, bref, qui combattent cette exclusion planifiée.

    C’est dans ce contexte que les sciences humaines et sociales ont fait de l’exclusion un thème de combat. C’est avec cette problématique que nous tenterons de comprendre le sens et la portée de l’actuelle dynamique de l’exclusion: qu’est-ce qui explique qu’au cœur de la société moderne dans laquelle nous vivons perdurent des rapports sociaux qui produisent des exclusions spécifiques autour des différences de classe sociale, de sexe, d’âge, d’ethnicité et d’appartenance culturelle? Les États-Unis ont inventé le concept de problème social au siècle dernier, mais ils refusent le concept d’exclusion. Or, dès le départ, ce pays a été fondé sur l’exclusion: l’esclavage des Noirs importés d’Afrique et l’apartheid des Indiens d’Amérique dans leur propre pays. La France fait absolument le contraire, elle qui a inventé le concept d’exclusion mais préfère parler de fracture sociale et presque jamais de problème social. Le Royaume-Uni fait bande à part dans le monde anglo-saxon, tout comme le Québec dans le monde francophone. Ces deux pays ont adopté à la fois les deux concepts de problème social et d’exclusion. Personne n’est mieux outillé que Wendy Thomson, travailleuse sociale, ancienne conseillère du premier ministre Blair, pour traiter de cette politique complexe sur l’exclusion sociale.

    Depuis bientôt deux décennies, le droit a accru d’une manière exponentielle son influence dans la gestion des problèmes sociaux, concurrençant chaudement la médicalisation de ces mêmes problèmes. Si les chartes, les lois et règlements, l’aide juridique, la réforme du Code civil ont été pour beaucoup dans l’assainissement des conditions de vie, le droit recèle d’autres dispositifs à même de pacifier l’ordre social. Les méthodes alternatives de résolution de conflits, sous-utilisées il est vrai, seraient une force de médiation extraordinaire à même de régler bien des conflits sociaux et de désengorger les cours de justice. Une experte de la Faculté de sciences politique et de droit, Michelle Thériault, offre au lecteur de ce tome 3 de Problèmes sociaux une leçon magistrale.

    Quand les politiques sociales ont failli à la tâche, quand toute forme de médiation est devenue caduque, c’est l’ « anthropoémie », l’expulsion, l’exclusion, la prison. Cet univers a subi bien des métamorphoses depuis deux ou trois siècles. Pour faire le point, il fallait une experte en criminologie, que la collection « Psis » a été chercher de l’autre côté de la rivière des Outaouais. Dominique Robert, ancienne récipiendaire d’une bourse du Commonwealth et du British Council, a présenté une analyse aussi fouillée que rigoureuse faisant honneur au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa.

    La définition généralement admise présente le terrorisme comme un ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otage, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système. Le problème, à mon avis, se trouve dans l’identité de ces groupes, dans leur culture. Les résistants français à l’époque de l’occupation allemande étaient-ils aussi des terroristes? Les Noirs aux Antilles qui ont brûlé des plantations pour contester le régime inhumain de l’esclavage étaient-ils des résistants ou des terroristes? Y aurait-il eu indépendance d’Algérie sans actes terroristes? Enfin, existe-t-il des États terroristes en Occident? Actuellement, il faut reconnaître toutefois l’existence d’une multitude de zones de conflit à l’échelle planétaire. Cependant, le terrorisme se loge aussi dans nos esprits alimentés par des peurs ancestrales et des fantasmes collectifs (Vaillé, 2005). Un expert de la Chaire de recherche Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et de l’Équipe de recherche sur le terrorisme et l’antiterrorisme au Canada, Benoît Gagnon, présente magistralement les théories explicatives du terrorisme.

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    Sonia Racine

    Bien que la faim semble avoir toujours existé chez nous, elle n’est pas toujours apparue comme un problème social, du moins dans notre histoire récente. L’insécurité alimentaire est graduellement venue joindre les rangs des problématiques sociales importantes dans notre société et fait désormais partie des préoccupations de plusieurs milieux, tant communautaires, citoyens, universitaires, institutionnels, ministériels que privés. Quoique cette réalité soit bien présente au Québec et ailleurs, ce n’est que tout récemment que les problèmes d’insécurité alimentaire ont pu être mesurés, que des analyses plus approfondies ont pu être effectuées et que des réponses plus appropriées ont pu être mises en place.

    L’objectif de ce chapitre est de brosser un portrait général de la problématique de l’insécurité alimentaire et de son corollaire, la sécurité alimentaire, et de soulever quelques enjeux s’y rattachant pour la pratique sociale et pour l’élaboration de politiques publiques. Par conséquent, les personnes qui le consulteront auront accès à un éclairage global sur cette problématique, sans toutefois y retrouver l’ensemble des détails et des nuances qui mériteraient d’y être apportées. La première partie présente les concepts d’insécurité et de sécurité alimentaire, tels qu’ils sont actuellement compris, ainsi que les principales dimensions qu’ils soulèvent. La deuxième partie traite des différentes réponses mises en œuvre face à ce problème grandissant. Quant à la troisième, elle analyse comment l’apparition de l’insécurité alimentaire, comme problème social distinct de la pauvreté, constitue un glissement de sémantique de nature épistémologique et sociosanitaire. Finalement, une discussion permettra d’analyser les principaux enjeux de ce glissement pour les divers milieux concernés.

    Ce court texte se veut « pédagogique¹ » d’une certaine façon, puisqu’il vise à faire connaître sommairement les tenants et les aboutissants de cette problématique sociale à des personnes qui n’en sont pas des expertes et qu’il explore une dimension critique peu abordée dans la littérature récente. Il s’agit donc d’un panorama global qui ne va pas au fond de chaque enjeu, mais qui tente de soulever des questions essentielles pour la construction d’une société sans faim, plus juste et plus égalitaire.

    1. PORTRAIT DE L’INSÉCURITÉ ET DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

    L’insécurité alimentaire a longtemps été perçue par bon nombre d’auteurs et d’organisations qui s’en préoccupent comme un épiphénomène² de la pauvreté au Québec. En conséquence, la sous-alimentation, la mauvaise nutrition ou l’inquiétude de manquer de nourriture seraient intimement liées au manque de ressources financières des personnes et des familles (Hamelin et Bolduc, 2003; McIntyre, 2003; Riches, 2002 et 2003; Brink, 2001; Che et Chen, 2001; Rouffignat et al., 2001; Tarasuk, 2001; Dubois et al., 2000; Power, 2000; Racine et St-Onge, 2000; Delisle et Shaw, 1998; Maxwell, 1998; Rouffignat, 1998; Beeman et al., 1997; Lang, 1997; Leduc Gauvin et al., 1996). Mais cette perception n’est pas nécessairement unanime et fait l’objet de moult questionnements, notamment depuis l’émergence de la recherche sur l’insécurité alimentaire et depuis la naissance des concertations locales, régionales, provinciales et nationales sur la sécurité alimentaire. Objet de débats, la sécurité alimentaire n’en est pas moins devenue avec le temps un secteur d’intervention sociale et communautaire de plus en plus distinct de celui de la lutte à la pauvreté.

    1.1. DÉFINITIONS

    L’insécurité alimentaire est généralement définie de la façon suivante:

    […] l’expression « insécurité alimentaire » désigne l’accès restreint, inadéquat ou incertain des personnes et des ménages à des aliments sains, nutritifs et personnellement acceptables, tant sur le plan de la quantité que sur celui de la qualité, pour permettre de combler leurs besoins énergétiques et de mener une vie saine et productive (Tarasuk, 2001, p. 2).

    Pour Tarasuk, de même que pour bon nombre d’auteurs cités précédemment, « l’insécurité alimentaire se manifeste à l’échelle individuelle et des ménages lorsque les ressources financières sont restreintes » (ibid., p. 2). Elle est donc d’abord perçue comme une problématique vécue sur le plan individuel qui peut se manifester de plusieurs façons.

    Elle peut être temporaire ou chronique, et sa gravité peut varier selon l’âge, la situation, le sexe, les revenus, l’endroit, l’appartenance ethnique ou la nationalité et une foule d’autres facteurs. Dans chaque pays, quelle que soit sa prospérité ou le degré de pauvreté, des gens peuvent vivre dans l’insécurité alimentaire (Bureau de la sécurité alimentaire du Canada, 2000).

    Selon l’enquête sociale et de santé effectuée par Santé Québec en 1998, 8% des familles québécoises seraient aux prises avec divers aspects de l’insécurité alimentaire (Dubois et al., 2000). Pour le Canada, l’enquête menée en 1998-1999 par Statistique Canada a montré que 10 % de la population canadienne est inquiète de manquer de nourriture et que 8% en a effectivement manqué, ou a dû diminuer la qualité ou la variété faute de ressources financières suffisantes (Che et Chen, 2001). Ces deux statistiques traduisent l’ampleur de cette situation inacceptable qui touche de plus en plus de personnes et de familles dans notre société d’abondance.

    Quant à la sécurité alimentaire, perçue par plusieurs comme la solution globale au problème d’insécurité alimentaire, elle est définie ainsi dans le Plan d’action du Canada pour la sécurité alimentaire³.

    La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (Bureau de la sécurité alimentaire du Canada, 2000).

    Bien que cette définition soit généralement acceptée, l’Ordre des diététistes du Québec en a précédemment proposé une autre, assortie d’une prise de position claire, dont il apparaît important de faire mention puisqu’elle a abondamment été utilisée dans les milieux de concertation au Québec pendant les années 1990 et également en raison des dimensions populationnelles, culturelles, informationnelles et de valeurs (dignité et liberté de choisir) qu’elle comporte.

    Pour être en situation de sécurité alimentaire, il faut que toute une population ait accès, en tout temps et en toute dignité, à un approvisionnement alimentaire suffisant et nutritif, à coût raisonnable et acceptable aux points de vue social et culturel, que les personnes aient un pouvoir d’achat adéquat et qu’elles aient accès à une information simple et fiable qui confère des habiletés et qui permet de faire des choix alimentaires éclairés. Il y a au contraire insécurité alimentaire quand on manque d’aliments, quand on a peur d’en manquer ou quand on subit des contraintes dans le choix de ses aliments, contraintes qui affectent la qualité nutritionnelle du régime. Au Québec, la pauvreté et la précarité de l’emploi sont les principaux facteurs en cause dans l’insécurité alimentaire (Leduc Gauvin et al., 1996, p. 10).

    Il est clair que ces définitions de la sécurité alimentaire nous transportent bien loin de la faim comme conséquence directe de la pauvreté économique (manque de revenus). La sécurité alimentaire est effectivement une notion complexe et multisectorielle, à résonance collective, beaucoup plus large que la seule absence de faim sur le plan individuel (Rainville et Brink, 2001; Rouffignat et al., 2001; Tarasuk, 2001; Delisle et Shaw, 1998; Hamelin, Beaudry et Habitch, 1998).

    1.2. LES DIMENSIONS DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

    La figure 1.1 illustre les différentes dimensions que touche le concept de sécurité alimentaire comme objectif à atteindre pour les collectivités.

    La salubrité concerne l’innocuité de la nourriture. Il s’agit en quelque sorte du sceau de qualité qu’on accorde aux produits alimentaires de consommation, passant d’abord par l’assurance qu’ils ne sont pas néfastes pour la santé des consommateurs. Dans les pays occidentaux, c’est le rôle de l’État de s’assurer que la nourriture produite, distribuée, vendue et consommée répond aux normes établies, qu’elle est saine et qu’elle est adéquate sur le plan nutritionnel. Au Québec, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) joue ce rôle en dictant les normes à respecter et en mettant en place les mécanismes de surveillance appropriés. Cette dimension soulève notamment la question des effets sur l’être humain des méthodes d’élevage des animaux de consommation (antibiotiques se retrouvant dans la viande et la volaille, etc.) et de la qualité des produits de la pêche (pourcentage de mercure trop élevé chez plusieurs espèces, etc.). Lors de la Consultation générale sur les nouveaux enjeux de la sécurité alimentaire au Québec, en 2004 (Assemblée nationale du Québec, 2004), on a pu observer que bien des acteurs réduisent la sécurité alimentaire à cette seule dimension, ce qui contribue au débat sur la terminologie à utiliser. Quoique des enjeux collectifs soient bien présents sur ce plan et qu’il faille en ce sens s’en préoccuper et demeurer vigilant, il convient de reconnaître que cette dimension de salubrité n’est pas en cause face à l’insécurité alimentaire vécue par plusieurs ménages québécois.

    Figure 1.1

    Dimensions de la sécurité alimentaire

    La disponibilité concerne d’abord la quantité de nourriture dont une collectivité dispose en fonction du nombre de personnes à nourrir. Le Québec d’aujourd’hui ne souffre d’aucune pénurie à ce chapitre, bien qu’il ne soit pas autosuffisant⁴. En réalité, nous avons tellement de nourriture que nous en jetons beaucoup, tant individuellement que collectivement. À titre d’exemple, plus de 2 830 954 kilos de denrées ont été récupérés en 2005 dans la seule région de Québec (Moisson Québec, 2006). Quoique certaines communautés spécifiques vivent des difficultés à l’égard de la disponibilité de certains produits – le Grand Nord québécois par exemple –, la disponibilité n’est généralement pas en cause dans l’insécurité alimentaire vécue par les personnes et les familles au Québec. Il faut par ailleurs souligner que la variété alimentaire dont nous disposons soulève des enjeux environnementaux (transport) et économiques (échanges commerciaux avec d’autres pays), puisqu’elle est liée à l’importation de nourriture que nous devons effectuer pour l’obtenir (Équiterre, 2004).

    La durabilité évoque pour sa part la pérennité du système agroalimentaire que nous avons adopté. La monoculture, les OGM⁵, la contamination des sols arables par les engrais chimiques et les pesticides, effets de la production industrielle, sont quelques-uns des enjeux soulevés par cette dimension (Équiterre, 2004). La question qui se pose est encore une fois de nature collective: serons-nous en mesure de produire notre nourriture en respectant la biodiversité dans les années à venir et pour les générations futures, avec le rythme effréné que nous avons adopté? La culture biologique constitue une solution actuellement très prisée face à ces enjeux (ibid.). En dépit des dangers bien réels pour l’écosystème et de l’importance qui doit y être accordée, la durabilité n’a pas non plus de lien direct avec l’insécurité alimentaire telle que vécue actuellement au Québec. On pourrait parler de risque alarmant d’insécurité alimentaire, mais sur le plan collectif.

    L’accessibilité comporte plusieurs aspects: physique, économique et informationnel. Il est ici question d’un accès, tant physique, économique que socialement acceptable à une nourriture saine, de qualité, nutritive, etc., ainsi qu’à une information simple et fiable⁶. Les « déserts alimentaires⁷ », ces endroits désertés par les grandes chaînes alimentaires et où la nourriture n’est pas à la portée des consommateurs sans moyen de transport, sont bien réels dans certains quartiers et certains villages du Québec. Ce problème est toutefois exacerbé par le faible pouvoir d’achat des ménages et par leur état de santé, lui-même fortement déterminé par le revenu (Robichaud et al., 1994). En effet, les ménages mieux nantis ayant accès à un véhicule ou ceux qui sont en mesure de recourir au transport en commun semblent beaucoup moins affectés par cette situation. C’est donc sur le plan de l’accessibilité économique que le bât blesse particulièrement au Québec. Si le panier d’épicerie compte parmi les moins chers au monde (Paré, 2003), il demeure qu’il n’est pas accessible à tout le monde, en raison des maigres ressources financières dont certains disposent pour l’achat de nourriture (Hamelin et Bolduc, 2003; McIntyre, 2003; Riches, 2002 et 2003; Brink, 2001; Che et Chen, 2001; Rouffignat et al., 2001; Tarasuk, 2001; Dubois et al., 2000; Power, 2000; Racine et St-Onge, 2000; Delisle et Shaw, 1998; Maxwell, 1998; Rouffignat, 1998; Beeman et al., 1997; Lang, 1997; Gauvin et al., 1996). Qu’il s’agisse d’un accès limité (choix alimentaires moins coûteux ou de moindre qualité sur le plan nutritionnel) ou d’un manque d’accès (obligation de se tourner vers des sources alternatives de distribution socialement non acceptables), c’est sur ce plan que se fait le lien le plus direct avec l’insécurité alimentaire vécue par des personnes et des familles dans le contexte québécois.

    Beaucoup d’autres aspects mériteraient d’être abordés pour bien saisir toute l’étendue de chacune des dimensions de la sécurité alimentaire. Mentionnons toutefois que les questions de la culture alimentaire et du pouvoir citoyen sur l’alimentation⁸ devraient également faire partie de toute analyse de la situation qui se voudrait réellement globale et inclusive.

    1.3. UNE TERMINOLOGIE EN DÉBAT

    Le terme sécurité alimentaire ne fait pas l’unanimité au Québec et des débats ont toujours lieu quant à la meilleure terminologie à employer: sécurité alimentaire, souveraineté alimentaire, autonomie alimentaire, justice alimentaire, démocratie alimentaire, etc. Ces débats sémantiques traduisent bien l’ampleur des dimensions couvertes par l’alimentation: de la production à la consommation, en passant par la distribution. Si l’on peut affirmer que des personnes souffrent d’insécurité alimentaire, telle que nous l’avons précédemment définie, il existe également de la pauvreté alimentaire, des inégalités alimentaires, de la dépendance alimentaire, des lacunes de pouvoir sur l’alimentation, etc. Chacun de ces termes révèle et met l’accent sur un aspect particulier de la problématique, tantôt social, tantôt sanitaire, tantôt politique... Presque chaque milieu s’intéressant à cette question cherche à trouver la terminologie qui permettra de capturer la situation dans son ensemble. C’est ainsi, par exemple, que le secteur de la santé a plutôt favorisé celle de sécurité alimentaire, que celui de l’écologie a proposé la notion de souveraineté alimentaire et que le réseau des cuisines collectives a préconisé celle d’autonomie alimentaire. Évidemment, c’est la façon dont est défini chacun de ces concepts qui compte réellement. C’est d’ailleurs au moment où les acteurs sociaux, économiques, culturels et politiques vont en profondeur dans les contenus qu’ils réussissent à trouver des positions communes⁹.

    Selon notre analyse, la toile de fond de ces débats est constituée de la tension existant entre l’individuel et le collectif, voire de sa non-considération. En effet, s’il est clair pour tous que les ravages de l’insécurité alimentaire se font davantage sentir sur le plan individuel, les différentes dimensions de la sécurité alimentaire portent plutôt sur des enjeux collectifs. Néanmoins, ces débats ne sont pas vains. Ils permettent d’éclairer progressivement tous les recoins de cette nouvelle problématique sociale, de trouver collectivement les solutions qui s’imposent, de planifier l’action en fonction des priorités liées au contexte et de mettre en place les mécanismes appropriés.

    2. LES PRINCIPALES RÉPONSES À L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

    Pour pallier l’insécurité alimentaire grandissante, de nombreux organismes sont apparus ou ont intégré à leurs activités des pratiques d’aide alimentaire variées « afin de favoriser l’approvisionnement alimentaire des laissés-pourcompte du développement économique (Rouffignat, 1998). Plusieurs auteurs (Rouffignat et al., 2001; Racine et St-Onge, 2000; Beeman et al., 1997; Rouffignat, Racine et Côté, 1996; Gauvin et al., 1996), ainsi que le milieu de l’aide alimentaire en général, catégorisent celles-ci selon qu’elles constituent de l’aide traditionnelle ou des pratiques alternatives au dépannage alimentaire (cuisines collectives, groupes d’achats, etc.). Ces diverses pratiques ont connu un essor majeur dans les années 1990 (Rouffignat et al., 2001; Rheault et al., 2000) et continuent de se développer. Cette section les présente sommairement et aborde aussi la question du soutien gouvernemental et des concertations qui en ont émergé.

    2.1. LES BANQUES ALIMENTAIRES

    Phénomène controversé et maintes fois critiqué, tant dans le milieu communautaire que dans le milieu de la recherche en raison de leur rôle palliatif aux responsabilités de l’État et à la surproduction alimentaire du secteur privé (McIntyre, 2003; Riches, 2003 et 2002; Rouffignat, 1997), les banques alimentaires présentes dans chaque coin du Québec n’en sont pas moins une réalité aujourd’hui bien ancrée. Une banque alimentaire peut être sommairement définie comme une organisation sans but lucratif qui récupère des denrées¹⁰ auprès de l’industrie agroalimentaire et qui les redistribue à un réseau d’organismes accrédités¹¹. Ces derniers peuvent être des comptoirs de dépannage alimentaire, des cuisines collectives, des soupes populaires, des maisons d’hébergement, etc. Dans certaines régions où le territoire est vaste et où la densité populationnelle est moindre, certaines banques alimentaires offrent également de l’aide directe aux personnes et aux familles. Soulignons que depuis quelques années plusieurs d’entre elles ont ajouté à leurs objectifs la promotion et le soutien aux pratiques alternatives, le réseautage des organismes affiliés ainsi que la sensibilisation de la population à l’insécurité alimentaire (ACBA, 2006). C’est probablement la critique dont elles sont l’objet qui les a conduites à développer de nouvelles formes d’intervention et à politiser davantage leur discours.

    Les banques alimentaires sont regroupées tant sur le plan provincial que national et constituent un réseau important en nombre et en influence. L’Association québécoise des banques alimentaires et des Moissons (AQBAM) regroupe en effet 18 banques alimentaires régionales et plus de 300 organismes d’aide alimentaire, alors que son corollaire national, l’Association canadienne des banques alimentaires (ACBA), regroupe plus de 250 banques alimentaires dans le pays (ACBA, 2006). La mission de ces regroupements est davantage axée sur la production de statistiques, d’analyses et de rapports sur la faim, l’établissement de concertations et de partenariats avec les acteurs concernés et la revendication de changements sur le plan politique¹².

    2.2. L’AIDE TRADITIONNELLE

    L’aide traditionnelle est probablement nommée ainsi puisque les formes d’aide alimentaire les plus anciennes en font partie. Généralement, les services d’aide alimentaire traditionnels sont critiqués, car ils font peu participer les personnes aux services qu’elles reçoivent, contribuant ainsi à maintenir l’isolement souvent engendré par la pauvreté et donc à maintenir le statu quo quant à leur situation sociale et économique (Rouffignat et al., 2001; Racine et St-Onge, 2000; Rheault et al., 2000; Rouffignat, Racine et Côté, 1996; Gauvin et al., 1996). Toutefois, d’aucuns reconnaissent aujourd’hui la nécessité de ces pratiques au regard de l’insécurité alimentaire grandissante et la possibilité d’y associer d’autres types d’interventions à caractère plus social (Rouffignat, Racine et Côté, 1996).

    On inclut dans cette catégorie le dépannage alimentaire offert dans ce qu’on nomme généralement des comptoirs d’aide alimentaire. Cette formule consiste en dons de colis de nourriture¹³ aux personnes et familles dans le besoin, à une densité et à une fréquence variables. Il peut s’agir d’organismes communautaires, bénévoles (caritatifs ou paroissiaux) ou religieux. Les Sociétés Saint-Vincent-de-Paul (SSVP) sont probablement les organisations les mieux connues et les plus répandues à cet égard. Ce service, qu’on pourrait qualifier d’aide d’urgence, existe désormais dans presque tous les quartiers des villes et

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