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Enjeux et défis de la formation à l'enseignement professionnel
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Enjeux et défis de la formation à l'enseignement professionnel
Livre électronique593 pages6 heures

Enjeux et défis de la formation à l'enseignement professionnel

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À propos de ce livre électronique

Depuis plusieurs années, les milieux politique et éducatif ont mis en œuvre différentes avenues pour valoriser la formation professionnelle au Québec. À l’automne 2003, le baccalauréat en enseignement professionnel devient un programme de 120 crédits et la seule voie d’accès au brevet d’enseignement. Contrairement aux autres secteurs de formation à l’enseignement, les étudiants de ce secteur occupent déjà, à 81 %, un poste d’enseignant dans un centre de formation professionnelle, où ils ont été recrutés sur la base de leur expertise de métier ; ce n’est qu’une fois en poste qu’ils amorcent leur formation universitaire. Cette réalité et les changements politico-éducatifs ont représenté des défis pour l’implantation du baccalauréat en enseignement professionnel pour toutes les universités offrant le programme et pour tous les acteurs impliqués dans cette réforme.

Ce collectif est le fruit d’une rencontre entre les auteurs et des chercheurs préoccupés par les défis de la formation à l’enseignement professionnel. Les perspectives multiples et les regards variés proposés par les chercheurs dans cet ouvrage soulèvent des enjeux émanant de la complexe réalité vécue par ces enseignants-étudiants.
LangueFrançais
Date de sortie19 oct. 2016
ISBN9782760546127
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    Aperçu du livre

    Enjeux et défis de la formation à l'enseignement professionnel - Claudia Gagnon

    INTRODUCTION

    L’évolution de la formation du personnel enseignant en FP

    Des pistes de réflexion pour les universités au Québec

    Claudia Gagnon

    Sandra Coulombe

    Lucie Dionne

    La situation des enseignants et enseignantes de la formation professionnelle est très particulière. D’abord parce qu’ils sont engagés en fonction de la maîtrise du métier à enseigner et que leur recrutement s’effectue parmi les travailleurs en emploi, ensuite parce que, contrairement aux autres enseignants du secteur général aux niveaux primaire et secondaire, leur formation à l’enseignement survient généralement une fois qu’ils sont engagés dans les centres de formation professionnelle (CFP), parfois même après plusieurs années d’enseignement, et ce, dans le même temps qu’ils doivent donner leur cours (Balleux, 2006; Ministère de l’Éducation [MEQ], 2001a; Deschenaux, Monette et Tardif, 2012; Tardif, Blanchette et Balleux, 2002). Ce contexte engendre plusieurs enjeux et défis pour la formation en enseignement professionnel. Avant d’aborder ces enjeux et défis qui se posent actuellement, plus de dix ans après le développement et la mise en place des différents programmes de baccalauréat en enseignement professionnel (BEP), nous souhaitons porter un regard historique sur la formation professionnelle au Québec et, en parallèle, sur l’évolution de la formation de son personnel enseignant, de façon à mettre en perspective ce qui a conduit à l’état de situation actuel. Ensuite, nous relaterons plus particulièrement l’histoire de la formation des enseignants et enseignantes en formation professionnelle en nous attardant plus longuement à certains rapports déterminants qui ont mené à la réforme de la formation à l’enseignement professionnel et aux exigences que nous connaissons aujourd’hui. À la lumière de ce contexte historique, la question des enjeux et des défis présents maintenant et dans le futur en ce qui a trait à la formation du personnel enseignant en formation professionnelle sera posée. En souhaitant mettre en lumière ces enjeux et ces défis par les résultats de recherches menées par les chercheurs des différentes universités offrant le baccalauréat en enseignement professionnel (BEP), nous terminons cette introduction en présentant les contributions de ce collectif.

    1. L’évolution de la formation professionnelle au Québec

    De la simple formation des artisans au début du siècle dernier à la prise en charge de la formation par l’état à partir de l’adoption de la Loi de l’enseignement spécialisé et de la Loi concernant les écoles professionnelles en 1941 (Charland, 1982; Conseil supérieur de l’éducation, 1992; Landry et Mazalon, 1995), la formation professionnelle a subi de grands changements. En effet, à l’aube des années 1960, le Québec présente le plus faible taux de scolarisation au Canada (Proulx, 2009) et de profonds changements sont amorcés. Alors qu’en formation professionnelle règne le chaos, plusieurs ministères contrôlent différentes institutions d’enseignement spécialisé¹ auxquelles s’ajoutent les écoles privées et les moyens de formation dont se dotent les entreprises (Charland, 1982). L’effectif étudiant est en baisse, les programmes et l’équipement sont de plus en plus désuets, et il y a absence de lien entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel et entre l’enseignement spécialisé et le marché du travail. En conséquence, beaucoup de jeunes quittent le système scolaire sans qualification professionnelle.

    1.1. Un premier temps de réforme

    C’est à partir de janvier 1961 que le Comité d’étude sur l’enseignement technique et professionnel, mieux connu sous le nom de Comité Tremblay, se penche sur ces problèmes, en plus d’aborder le sujet du personnel enseignant. Il sera suivi, notamment, par le Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec ou rapport Parent. Celui-ci conduira à la création du MEQ, en 1964, et à une restructuration complète du réseau de la formation professionnelle avec l’apparition des collèges d’enseignement général et professionnel (cégep) et des écoles polyvalentes, de niveau secondaire, ainsi qu’à l’abolition presque complète du système d’apprentissage en entreprise (Charland, 1982; Conseil supérieur de l’éducation, 1992; Landry et Mazalon, 1995), le système d’enseignement, tel qu’organisé en 1960, n’étant plus en mesure d’assurer le développement de la société industrielle du Québec (Robert et Tondreau, 1997).

    Malgré ces changements, on assiste à un déclin dramatique de la valeur du diplôme de formation professionnelle auprès des employeurs et des jeunes (Deschenaux et Roussel, 2010; Hardy et Maroy, 1995). On souligne le manque d’enseignants compétents, l’équipement insuffisant, le ratio maître/élèves (1/17) trop élevé, et une confusion s’établit entre les élèves du secteur professionnel et ceux en difficulté d’apprentissage (Charland, 1982).

    1.2. Des efforts de revalorisation

    À la fin des années 1980, après l’annonce par le gouvernement québécois d’un plan d’action pour relancer la formation professionnelle au secondaire, une véritable réforme intégrant les clientèles jeunes et adultes voit le jour. C’est le début de l’élaboration des programmes par compétences et l’apparition du diplôme d’études professionnelles (DEP)² (Conseil supérieur de l’éducation, 1992; MEQ, 1982, 1986; Payeur, 1994). Des projets d’harmonisation des programmes d’études professionnelles et techniques sont mis en place et le monde du travail est à nouveau associé au développement et à la gestion de la formation professionnelle et technique (Hardy et Maroy, 1995; Landry et Mazalon, 1995; MEQ, 1993).

    Avec la «volonté d’entreprendre des changements d’importance» (MEQ, 1995, p. 3), le rapport du Groupe de travail sur la relance de la formation professionnelle des jeunes au secondaire et de la formation technique, mieux connu sous le nom de rapport Pagé, propose une nouvelle vision de la formation professionnelle ainsi que plusieurs recommandations qui ont ensuite été reprises presque en totalité par les États généraux (MEQ, 1996) et le plan d’action ministériel Prendre le virage du succès (MEQ, 1997). Celles-ci visent notamment à augmenter l’accessibilité à la formation professionnelle et technique, diversifier les voies de formation et développer de nouveaux modes de formation, renforcer les partenariats avec le monde du travail, etc. Ces changements semblent avoir été positifs, car les effectifs «suivent une tendance à la hausse depuis plusieurs années, enregistrant une hausse de 14% depuis 1999-2000» (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2010, p. 13). Ainsi, en 2011-2012, on comptait 110 192 personnes inscrites à la formation professionnelle au secondaire (DEP, attestation de spécialisation professionnelle [ASP] et attestation de formation professionnelle [AFP]), dont 27 577 avaient moins de 20 ans (MELS, 2014). Par ailleurs, «pour le Groupe de travail, la valorisation de la formation professionnelle passait également par la valorisation de la profession enseignante dans ce secteur, impliquant la qualification du personnel et la mise à jour de ses connaissances» (MEQ, 2001a, p. 9).

    De son côté, la Commission des États généraux sur l’éducation insiste sur l’importance de constituer une équipe enseignante stable et formée dans le secteur de la formation professionnelle «de façon à développer une expertise locale, tant pour la conception des programmes et la révision des pratiques pédagogiques que pour établir de nouvelles relations avec le monde du travail» (MEQ, 1996, p. 37). Les recommandations de la Commission conduisent, quelques années plus tard, à la réforme de la formation du personnel enseignant de ce secteur.

    2. La formation des enseignants de formation professionnelle

    L’histoire de la formation des enseignants en formation professionnelle se rapproche de celle de leurs élèves. Avant 1960, il n’existe pas de système de formation des enseignants de la formation professionnelle et ceux-ci s’appuient sur leur formation technique et sur leur expérience de travail pour transmettre leurs savoirs (Charland, 1982; Gauthier, 1995; Hardy, Desrosiers-Sabbath et Defrênes, 1995). Certains vont parfaire leur formation à l’étranger, alors qu’on songe à créer un enseignement normal en formation professionnelle. Aussi, des cours d’été sont organisés, en 1944, pour parfaire la formation des enseignants engagés depuis 1939. La plupart d’entre eux n’ont qu’un cours technique comme seule formation. Les salaires et la formation pédagogique réservée aux enseignants, qui tient plus de la moralisation que d’une véritable science de l’enseignement, sont insatisfaisants (Charland, 1982). Ce n’est qu’en 1956 que l’Université de Sherbrooke, en collaboration avec l’École technique, offre des cours de pédagogie spécialement adaptés pour ces enseignants. Au cours des années 1960, cette université et quelques autres écoles offrent des programmes de 30 à 90 crédits, mais ce n’est qu’au début des années 1970 qu’un premier plan directeur est proposé aux universités par le ministère de l’Éducation afin de mettre sur pied un certificat de perfectionnement psychopédagogique de 30 crédits destiné aux enseignants déjà en poste et nécessaire à l’obtention du permis ou du brevet d’enseignement (Gagnon, Mazalon et Balleux, 2012). Il faut attendre jusqu’en 1976 pour que les maîtres de l’enseignement professionnel au niveau secondaire aient accès à un diplôme de premier cycle universitaire offert par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) (Charland, 1982; Gauthier, 1995; Hardy, Desrosiers-Sabbath et Defrênes, 1995).

    Quoi qu’il en soit, après la révision du système de l’éducation des années 1960 et la récupération de la formation professionnelle dans les écoles polyvalentes, la formation professionnelle est toujours problématique et on dénote un manque d’enseignants compétents. Déjà, en 1962, on soulevait différents problèmes à l’égard du personnel enseignant en formation professionnelle, notamment sur le plan des méthodes pédagogiques, de leur formation et de leurs conditions de travail (MEQ, 1962; Gagnon, Mazalon et Balleux, 2012). De plus, les préjugés qui prévalent à l’égard de la formation professionnelle et de ses élèves sont les mêmes qui persistent à l’égard des enseignants de ce secteur, qui n’ont pas droit au respect de leurs collègues de la formation générale (Charland, 1982). À cet égard, cet auteur indique que:

    Le professeur de l’enseignement professionnel, faiblement scolarisé, est le plus souvent un travailleur qui, selon le Conseil supérieur de l’éducation, quitte l’industrie pour les raisons suivantes: a) il est fatigué; b) il cherche un travail facile, à la chaleur; c) il ne peut percer où il est; d) il a peur du chômage saisonnier; e) il redoute d’être remercié; f) il cherche la stabilité; g) il ne sait pas dans quoi il s’embarque; h) ou bien encore, il a la «vocation». Aussi les conventions collectives prévoient-elles une catégorie pour ceux qui comptent moins de quatorze ans de scolarité (Charland, 1982, p. 429).

    En outre, malgré la professionnalisation de la fonction d’enseignante ou d’enseignant dans le secteur de la formation professionnelle à laquelle ont contribué, entre autres, l’instauration d’un programme menant à l’obtention d’un baccalauréat en 1974 et la mise sur pied, en 1979, du Programme de perfectionnement des maîtres en enseignement professionnel, cette formation demeure critiquée. Les enseignantes et les enseignants du secteur «reprochent surtout aux universités de donner un programme trop théorique et de ne pas être en mesure de leur proposer des cours appropriés à leurs besoins particuliers» (MEQ, 2001a, p. 14-15). Aussi, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) publiait, en 1984, un avis sur la formation et le perfectionnement des enseignants du primaire et du secondaire dans lequel on mentionnait qu’il n’y avait pas de système efficace de formation initiale des enseignants du secteur professionnel: «Rien n’a vraiment bougé depuis vingt ans. Le régime de la formation pédagogique sur le tas prévaut pour eux, et ce, dans des conditions où ils sont souvent laissés à eux-mêmes face à leurs problèmes d’adaptation au contexte d’enseignement» (p. 21). Par ailleurs, le CSE souscrivait aux arguments du ministère «à l’effet qu’il n’y ait ni différence de statut ni de formation à rabais pour les enseignants du secteur professionnel» (Conseil supérieur de l’éducation, 1984, p. 21).

    2.1. Une formation devenue nécessaire

    Reprenant différentes recommandations émises concernant la revalorisation de la formation professionnelle (Conseil supérieur de l’éducation, 1992; MEQ, 1982, 1986, 1993), le rapport Pagé insiste sur la valorisation de la profession enseignante dans ce secteur et sur la nécessaire qualification du personnel enseignant en pédagogie et la mise à jour de ses connaissances (Gagnon, Mazalon et Balleux, 2012; MEQ, 1995, 2001a). Dans cette lancée, le rapport Caron (1997), commandé par la Fédération des enseignantes et enseignants de commissions scolaires (FECS), fut assez éloquent sur les problèmes liés aux conditions d’emploi, aux conditions d’exercice et aux relations avec le monde du travail. Outre le fait qu’une majorité d’individus possède un statut d’emploi précaire (à temps partiel ou à taux horaire), le personnel enseignant se plaint du manque de soutien pédagogique et administratif, du manque de reconnaissance du temps requis pour la supervision et l’évaluation des stages, du manque de ressources financières et du manque de protocoles spécifiant les responsabilités du milieu scolaire et du milieu de travail. La très grande majorité des enseignants estime que les activités de perfectionnement professionnel devraient faire partie de leur tâche et que les possibilités de perfectionnement technique dans leur métier sont insuffisantes. Ces enseignants trouvent par ailleurs que la formation universitaire est pertinente pour les aspects théoriques (connaissances des processus d’apprentissage, organisation de l’enseignement, etc.), mais qu’au contraire, elle n’est pas des plus «utiles pour l’adaptation de l’enseignement à l’évolution de la technologie, la gestion de l’atelier, l’intégration théorie-pratique, la préparation des démonstrations et des exercices d’atelier, la gestion de la classe et l’adaptation à la carrière d’enseignante ou d’enseignant» (Caron, 1997, p. 17). En outre, la presque totalité des enseignantes et enseignants veut avoir plus d’influence dans l’élaboration des programmes de formation professionnelle, dans la détermination du matériel pédagogique ainsi que dans les méthodes d’enseignement utilisées dans un programme donné.

    Dans le même sens, le Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (COFPE), dans un avis au ministère de l’Éducation sur l’enseignement professionnel (1998), faisait ressortir les caractéristiques communes aux enseignants de ce secteur, caractéristiques qui n’ont pas tellement changé depuis. Le Comité évoquait alors le fait que leur recrutement est basé sur l’expérience et les compétences dans une spécialité professionnelle ou technique, et dans ce sens, que leurs compétences ont été davantage acquises par la pratique d’un métier que par de longues études. Il soulignait le nombre peu élevé d’enseignants ayant un statut permanent, une majorité d’entre eux étant engagés à temps partiel ou à taux horaire et sans aucune exigence particulière de formation. Il mettait enfin l’accent sur la lourdeur et l’éclatement de leur tâche éducative (toute l’année, jour et soir, stages, etc.), limitant leur disponibilité pour s’engager «dans un plan de formation en vue d’acquérir les compétences liées à l’enseignement ou pour mettre à jour leurs connaissances théoriques et pratiques» (MEQ, Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant, 1998, p. 21). Le Comité indiquait aussi les caractéristiques propres à ce secteur qui ont des incidences sur les besoins de formation des enseignantes et des enseignants. Mentionnons, entre autres:

    •Un effectif scolaire hétérogène, réunissant dans une même classe des jeunes et des adultes de multiples niveaux scolaires et possédant différentes expériences de travail, ce qui «introduit une dynamique de classe particulière [et] nécessite de la part des enseignantes et des enseignants, des approches pédagogiques particulières» (p. 8);

    •Des modes d’intervention diversifiés, s’expliquant «en partie par le rapprochement de l’école avec les milieux de travail, plus particulièrement par l’utilisation de plus en plus marquée de stages selon le modèle dit de l’alternance» (p. 9);

    •Des programmes d’études en révision permanente pour assurer leur pertinence au regard des besoins du marché du travail.

    Pourtant, le Comité déplorait le fait que la formation en enseignement professionnel était une simple copie des programmes de la formation générale, et soulignait que l’offre de formation était à la baisse dans les universités. En effet, «un dangereux vide s’est ainsi créé en matière d’expertise universitaire dans le domaine de l’enseignement et de la recherche en formation professionnelle» (MEQ, Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant, 1998, p. 28). De même Hardy, Desrosiers-Sabbath et Defrênes (1995) ont parlé de «la rareté des recherches sur les maîtres de l’enseignement professionnel ainsi que les transformations technologiques et organisationnelles qui modulent leurs pratiques pédagogiques autant que les savoirs qu’ils doivent transmettre» (p. 825). Le COFPE affirmait par ailleurs la nécessité d’une formation relative à l’acte d’enseigner pour un effectif enseignant déjà en situation d’enseignement, aux besoins variés – ces personnes ayant «une expérience d’enseignement et de travail, souvent ponctuée de formations brèves, acquises parfois de façon autodidacte» (1998, p. 32) – et dont la disponibilité est restreinte. Tant d’enjeux et de défis qui étaient alors posés en regard de la formation du personnel enseignant en formation professionnelle et qui ont mené à la réforme de la formation à l’enseignement professionnel et aux exigences de la profession que nous connaissons aujourd’hui. Où en est-on par rapport à ces enjeux et ces défis? Quels regards peut-on poser sur les programmes de formation à l’enseignement professionnel? Où en est la recherche universitaire dans ce secteur précis de formation? Comment cette recherche permet-elle de comprendre et d’améliorer la formation à l’enseignement en formation professionnelle? Quelles portées et quelles limites la recherche sur la formation à l’enseignement professionnel permet-elle d’envisager?

    2.2. La réforme de la formation à l’enseignement professionnel

    Inscrite dans une perspective de professionnalisation et d’approche culturelle de l’enseignement, la réforme de la formation en enseignement professionnel au Québec s’appuie sur un référentiel de douze compétences professionnelles qui, somme toute, ne diffère pas tellement du référentiel de compétences professionnelles de l’enseignement général (MEQ, 2001a, 2001b). Pour sa part, la formation des enseignants et des enseignantes du secteur professionnel se démarque nettement par quelques caractéristiques incontournables: une formation pratique axée sur le passage de l’exercice du métier à celui de l’enseignement, une pédagogie partagée entre formation initiale et formation continue, une multiplicité des disciplines intégrées à l’enseignement, une reconnaissance des acquis centrée sur la composante métier (Balleux, 2003).

    Dans les faits, la réforme constitue une réponse à la fois rigide et souple aux différents constats et besoins énoncés depuis plusieurs années: rigide, considérant l’augmentation substantielle du nombre de crédits universitaires nécessaires à l’obtention du brevet d’enseignement, qui passe de 30 crédits (certificat) à l’obligation de compléter un baccalauréat de 120 crédits à partir de septembre 2003, et souple, par la reconnaissance de la compétence disciplinaire et l’ouverture à des activités de perfectionnement tant en pédagogie que dans le métier, pouvant ainsi répondre aux besoins particuliers de chacun. En effet, le programme comprend un premier bloc de 90 crédits menant à l’autorisation particulière d’enseigner délivrée par le ministère, réparti en 30 crédits portant sur la reconnaissance des acquis dans le métier ou le secteur d’enseignement et 60 crédits portant sur l’initiation à l’enseignement, la formation psychopédagogique et andragogique, la formation pratique effectuée lors de stages d’enseignement en milieu scolaire, et les activités de perfectionnement relatives au métier ou au secteur d’enseignement. Un second bloc de 30 crédits conduit à l’obtention d’un brevet d’enseignement et tient «davantage compte des besoins de formation continue des enseignantes et des enseignants dans la poursuite de leur formation. Il devra donc être adapté aux exigences du métier enseigné et aux besoins de chaque personne» (MEQ, 2001a, p. 173).

    Outre l’allongement substantiel de la formation, l’intégration de stages d’une durée importante dans la formation constitue sans nul doute un élément important de cette réforme, dans un contexte où le programme s’adresse aux personnes qui ont cumulé 4 500 heures d’expérience dans le métier, qui sont déjà en fonction comme enseignants dans les CFP ou qui désirent se préparer à l’enseignement (MEQ, 2001a). Dans ce sens, alors que le ministère soulignait la difficulté de recrutement de personnes qualifiées pour enseigner à la formation professionnelle – ces difficultés découlant de la rareté de la main-d’œuvre due à la précarité d’emploi et à «l’écart parfois important entre les salaires offerts en entreprise et ceux qui le sont pour l’enseignement en milieu scolaire» (MEQ, 2001a, p. 13) – la réforme n’aurait-elle pas accentué cette difficulté de recrutement étant donné l’obligation, pour enseigner, d’effectuer un baccalauréat de 120 crédits, pour des personnes qui, de prime abord, n’étaient pas destinées à faire des études universitaires? N’aurait-elle pas intensifié l’embauche de personnel à taux horaire pour contourner l’obligation de formation, alors qu’en 2001, plus de 30% du personnel enseignant de la formation professionnelle occupaient un emploi à taux horaire (MEQ, 2001a)?

    En regard des objectifs à l’origine de cette action d’envergure, on peut se demander, un peu plus de dix ans après l’implantation des programmes de BEP, si cette réforme aura permis une plus grande professionnalisation du corps enseignant³. Est-ce que ces exigences de formation auront eu un effet sur la revalorisation de la formation professionnelle? Et finalement, est-ce que les universités auront su créer des programmes de formation répondant aux besoins des enseignants de la formation professionnelle, alors qu’on leur a souvent reproché d’être «trop théoriques» (MEQ, 2001a, p. 15)?

    3. Les enjeux et les défis de la formation à l’enseignement professionnel

    Depuis plusieurs années, les milieux politiques et éducatifs ont mis en œuvre différentes avenues pour valoriser la formation professionnelle au Québec. Une de ces avenues concerne les exigences des programmes de formation professionnelle. En effet, ces programmes exigent désormais la maîtrise de savoirs conceptuels, technologiques, analytiques et logiques, et de plusieurs matières de base (mathématiques, français, anglais, etc.). Ils permettent de former des individus compétents et qualifiés. Ces éléments ont eu des répercussions sur les programmes de formation des enseignants de ce secteur. Pour ces raisons, à l’automne 2003, le BEP subit une refonte majeure, il devient un programme de 120 crédits et la seule voie d’accès au brevet d’enseignement. Les objets de cette réforme concernent le renforcement de la formation psychopédagogique, l’augmentation de l’espace accordé au développement des compétences de métier et l’accroissement substantiel de la durée de la formation pratique (MEQ, 2001a). Par ailleurs, et contrairement aux autres secteurs de formation à l’enseignement, les étudiants en enseignement de ce secteur occupent déjà, à 81%, un poste d’enseignant dans un CFP, où ils ont été recrutés sur la base de leur expertise de métier (Deschenaux, Monette et Tardif, 2012); ce n’est qu’une fois en poste qu’ils amorcent leur formation universitaire.

    Cette réalité et ces changements politico-éducatifs ont représenté des défis pour l’implantation du BEP pour toutes les universités offrant le programme et pour tous les acteurs impliqués dans cette réforme. Des questions et des débats suscités par cette réalité ont animé les enseignants, les cadres, les conseillers et les syndicats de la formation professionnelle.

    Plusieurs chercheurs ont étudié différents aspects de cette réalité et des recherches sont en cours en ce qui a trait à l’implantation du BEP, la place et le rôle des différents intervenants de stage en enseignement professionnel, la reconnaissance des acquis, l’insertion professionnelle dans ce secteur particulier de l’enseignement, les perceptions des étudiants et intervenants quant à la formation, la pertinence des stages dans la formation, les caractéristiques des étudiants en enseignement professionnel, etc. Quels regards poser et quelles réflexions réaliser sur l’implantation de ce baccalauréat, plus de dix ans plus tard? Quelles sont les difficultés? Quels sont les aspects quotidiens de ces enseignants qui sont à la fois des étudiants universitaires? Où en sommes-nous dans nos réflexions liées à la formation à l’enseignement professionnel? Où en est la recherche dans ce secteur précis de l’éducation au Québec?

    Ce collectif de chercheurs tente de faire le point sur l’état des connaissances et des réflexions liées à la formation à l’enseignement professionnel. L’idée de réunir des textes dans un ouvrage collectif a émergé à la suite du colloque Enjeux et défis en enseignement professionnel organisé lors du 80e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), en mai 2012. En effet, à la suite de cette journée d’échanges, les auteurs de cet ouvrage ont jugé pertinent de réunir les réflexions, les recherches et les questions soulevées puisqu’elles montrent les préoccupations et contribuent à porter plusieurs regards vis-à-vis de la formation à l’enseignement professionnel. Les directrices de l’ouvrage ont donc invité les chercheurs préoccupés par cet objet de recherche et ce secteur de formation à partager leurs connaissances et leurs réflexions sur 1) la réalité et le passage identitaire des enseignants en formation professionnelle; 2) sur le développement professionnel et les défis des enseignants en formation professionnelle inscrits dans un programme de formation à l’enseignement; et 3) sur l’état de la formation à l’enseignement professionnel. Cet ouvrage collectif présente donc des textes organisés autour de ces trois axes de réflexion et de recherche.

    La première partie, portant sur la réalité du paysage identitaire des enseignants en formation professionnelle, contient deux chapitres. Le premier chapitre présente une typologie des approches culturelles permettant de déterminer ce que les enseignants en coiffure cherchent à préserver du passé dans leur enseignement, ce qui reste des pratiques culturelles du métier grâce à une transmission intergénérationnelle, et ce qu’ils cherchent à renouveler au même rythme que les avancées scientifiques et technologiques du métier. Il s’agit d’une contribution de Christine Lavoie, doctorante en éducation à l’Université Laval, et de Richard Gagnon, professeur dans ce même établissement, intitulée, «La formation professionnelle: un passage culturel». Le deuxième chapitre, «Une transition professionnelle à la croisée du métier et de l’enseignement: entre temps et espaces, quatre cadres d’analyse», est proposé par André Balleux, Chantale Beaucher, Claudia Gagnon et Frédéric Saussez, quatre professeurs de l’Université de Sherbrooke. Le texte présente les notions de dynamique identitaire, de transformation des conceptions de l’enseignement, de reconfiguration du rapport au savoir et d’accompagnement pour établir un portrait nuancé de la transition professionnelle des enseignants en formation professionnelle.

    La deuxième partie réunit sept textes qui se concentrent sur le développement professionnel et les défis des enseignants en formation professionnelle inscrits dans un rogramme de formation à l’enseignement. Ainsi, le troisième chapitre, «La complexité de la tâche des enseignants de formation professionnelle: défis du quotidien et défis de formation au regard du soutien à la persévérance et à la réussite de leurs élèves», est une contribution de Chantale Beaucher et Élisabeth Mazalon, professeures à l’Université de Sherbrooke (UdeS) et de Vincent Beaucher, étudiant au postdoctorat à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chargé de cours à l’UdeS. Il trace un portrait des problématiques, des enjeux et des défis de l’enseignement en formation professionnelle exercé au quotidien. Il expose la complexité du travail enseignant et des obstacles auxquels les praticiens sont confrontés, soit la méconnaissance des nouveaux élèves de formation professionnelle, leurs besoins variés, les exigences de formation et les particularités de l’insertion des nouveaux enseignants dans ce contexte.

    Par ailleurs, Sandra Coulombe, Stéphane Allaire et Ahmed Zourhlal, tous trois professeurs à l’Université du Québec à Chicoutimi, proposent le quatrième chapitre, «Une communauté de pratique en ligne pour soutenir les nouveaux enseignants en formation professionnelle». Ce chapitre décrit l’engagement dynamique des membres d’une communauté de pratique (COP) en ligne à travers des intentions, des actions, des obstacles et des éléments motivateurs. Il montre, d’une part, que l’engagement dynamique contribue au développement des compétences dites cognitives et technologiques et, d’autre part, que la participation à la COP répond en partie à l’urgence des besoins de soutien des nouveaux enseignants en formation professionnelle.

    Le cinquième chapitre, «Le processus didactique en enseignement professionnel: une étude de cas en Techniques d’éducation à l’enfance», de Marie Alexandre, professeure à l’Université du Québec à Rimouski, se penche sur le savoir enseigner en formation professionnelle, dans le cadre d’une étude de cas. Il met en lumière l’importance du processus didactique dans l’accès aux savoirs mis en œuvre par les pratiques enseignantes. Le processus didactique est décrit en quatre phases, soit l’interprétation, la représentation, la conception d’environnements d’apprentissage et l’adaptation aux caractéristiques des étudiants. L’explicitation du fonctionnement du processus, d’activités clés et d’actions inhérentes aux phases permettent de réaliser des recommandations pour la formation à l’enseignement en formation professionnelle en réaffirmant l’importance du savoir enseigner dans le cadre de la professionnalisation des formations.

    Le sixième chapitre est signé par Chantal Roussel, professeure à l’Université du Québec à Rimouski. Cette chercheuse réalise une réflexion sur l’évaluation des apprentissages et des compétences en enseignement professionnel dans «Les enjeux actuels de l’évaluation des apprentissages et des compétences en formation des maîtres de l’enseignement professionnel». Plus précisément, le texte expose des enjeux et des changements liés à l’évaluation en formation professionnelle. Il dénonce notamment le manque de préparation des enseignants pour évaluer les compétences dans le cadre de leur fonction, des flous conceptuels autour de l’évaluation et l’absence de repères pour évaluer dans ce secteur d’éducation. Pour terminer, il suggère quelques pistes pour mieux préparer ces étudiants/enseignants à l’évaluation des compétences dans le cadre des programmes de formation à l’enseignement professionnel.

    Le septième chapitre de ce collectif, écrit par Claudia Gagnon et Élisabeth Mazalon, toutes deux professeures à l’Université de Sherbrooke, nous transporte dans l’univers des stages au baccalauréat en enseignement professionnel (BEP). Ce texte, intitulé «L’apport des stages en alternance dans la formation à l’enseignement professionnel: les perceptions des étudiants», présente les résultats d’une recherche exploratoire et amène une réflexion sur le contexte particulier des stages réalisés au BEP de l’Université de Sherbrooke. Il montre plus particulièrement les défis liés à la double identité du stagiaire qui est à la fois enseignant pendant la période de stage, au rôle de l’enseignant-associé, qui est un enseignant d’expérience, mais qui, au quotidien, est un collègue du stagiaire-enseignant, ainsi qu’au rôle des superviseurs de stage qui tentent, par différentes méthodes, de faire réfléchir les stagiaires aux liens entre la formation suivie à l’université et ce qui se vit dans la pratique. Enfin, ce chapitre fait état de la contribution des activités de stage et des intervenants en stage à la formation des stagiaires-enseignants.

    Le huitième chapitre propose d’étudier la notion de signifiance des savoirs du point de vue d’un individu. Rédigé par Ahmed Zourhlal, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, «Les conditions de la signifiance des connaissances: points de vue d’enseignants en formation professionnelle» présente une partie des résultats d’une recherche doctorale qui a exploré, sur les plans théorique et empirique, une définition avancée par Gagnon (1996) à propos des connaissances signifiantes valides et pertinentes du point de vue de l’individu. Cette définition est proposée dans un contexte de formation professionnelle où le rapport des enseignants aux concepts et théories scientifiques que mobilisent les programmes d’études (mécanique, ébénisterie, joaillerie, etc.) entrave souvent leur apprentissage et le développement de leur sens par les élèves de la formation professionnelle.

    Le neuvième chapitre, proposé par Sylvie Fortier, étudiante au doctorat en éducation de l’Université du Québec à Rimouski, situe l’action de l’enseignant au cœur de l’expérience scolaire des femmes inscrites en formation professionnelle menant à l’exercice d’un métier traditionnellement masculin. Le texte, intitulé «L’intégration des femmes aux formations professionnelles menant à l’exercice d’un métier traditionnellement masculin: un enjeu toujours actuel pour la formation à l’enseignement professionnel», s’intéresse à l’expérience scolaire des femmes qui ont choisi une formation professionnelle qualifiante menant à l’exercice d’un métier «non traditionnel». À travers le discours de sept femmes, l’auteure met en lumière des inégalités basées sur le sexe et le souci particulier des enseignants et enseignantes de ce secteur d’enseignement à l’égard de l’expérience et des perceptions de la formation de ces femmes.

    La dernière partie de ce collectif vise à faire état de la formation à l’enseignement professionnel au Québec et contient un seul chapitre. Ce dernier fait le point, à partir des données d’une vaste enquête, sur les programmes de formation à l’enseignement professionnel offerts dans les six universités québécoises. Écrit par Frédéric Deschenaux, doyen de la recherche à l’Université du Québec à Rimouski, et Marc Tardif, professeur à l’Université de Sherbrooke, «Une enquête sur la formation à l’enseignement professionnel: faits saillants et enjeux», présente un bilan de la pertinence et de la qualité des programmes, de la capacité des programmes à développer les compétences professionnelles et des facteurs favorisant la persévérance des études au BEP. Le chapitre rapporte des données provenant de quelque 1 300 répondants et rassemble plusieurs jalons pour interroger les enjeux qui concernent tous les acteurs impliqués dans les BEP et remettre au travail les chercheurs, les administrateurs et les enseignants de la formation professionnelle.

    Enfin, la conclusion de cet ouvrage, écrite par Henri Boudreault, propose une réflexion sur le renouvellement des programmes d’enseignement professionnel au Québec. Ce texte s’intitule «Le renouvellement de la formation en enseignement professionnel au Québec, plus de 10 ans après». Il tisse et tricote les liens de tous les chapitres constitutifs de cet ouvrage en les arrimant avec les enjeux soulevés lors du Forum Vision en 2012, espace d’échanges et de réflexion sur les 25 ans de la réforme en formation professionnelle; les enjeux étant les élèves de la formation professionnelle, les pratiques d’enseignement, les objets et les environnements de formation.

    Les perspectives multiples et les regards variés proposés par les chercheurs dans cet ouvrage collectif soulèvent des défis

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