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Apprendre et enseigner en contexte d'alternance: Vers la définition d'un noyau conceptuel
Apprendre et enseigner en contexte d'alternance: Vers la définition d'un noyau conceptuel
Apprendre et enseigner en contexte d'alternance: Vers la définition d'un noyau conceptuel
Livre électronique529 pages5 heures

Apprendre et enseigner en contexte d'alternance: Vers la définition d'un noyau conceptuel

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À propos de ce livre électronique

L’alternance est au cœur de diverses formations à visée professionnalisante: le va-et-vient entre différents lieux de formation, contextes scolaires, milieux de pratique et formateurs est un véritable enjeu de développement personnel et professionnel. Toutefois, malgré plusieurs recherches sur le sujet, la richesse conceptuelle de l’alternance en contexte de formation professionnelle n’a pas été pleinement exploitée. L’objectif du présent ouvrage est de dégager les liens entre les travaux sur ce sujet et de faire émerger un noyau dur de concepts définissant l’alternance.

Ce livre réunit les textes d’auteurs belges, français, suisses et québécois, issus de divers champs professionnels et intéressés par les dispositifs de formation basés sur l’alternance. Il sera utile à la fois aux étudiants et aux chercheurs des sciences humaines et sociales et aux professionnels de ce type de formation. De plus, les «regards critiques» à la fin des chapitres permettent au lecteur d’appréhender le contenu sous différents éclairages.
LangueFrançais
Date de sortie23 mai 2018
ISBN9782760549524
Apprendre et enseigner en contexte d'alternance: Vers la définition d'un noyau conceptuel

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    Aperçu du livre

    Apprendre et enseigner en contexte d'alternance - Philippe Chaubet

    Introduction

    Quels repères pour mieux s’orienter dans les textes sur l’alternance?

    Philippe Chaubet

    Mylène Leroux

    Claire Masson

    Colette Gervais

    Annie Malo

    L’alternance est un système de formation qui veut allier l’apprentissage de savoirs théoriques, épurés et décontextualisés, à ceux d’activités de travail quotidiennes, vécues de première main dans toute la complexité et la singularité de leurs contextes. «Alterner» en formation, c’est ainsi typiquement faire des allers-retours entre les bancs de l’école et la vie réelle pour mieux comprendre ce qu’on appelle la théorie, d’un côté, et la pratique, de l’autre, avec l’idéal sous-jacent que les deux s’éclairent mutuellement. L’alternance suppose donc des plongées, des «bains de réalité» (Perrenoud et al., 2008, p. 13), dans les milieux auxquels un professionnel destine potentiellement sa future activité, avant de l’exercer en pleine responsabilité. L’alternance comme système de formation est aujourd’hui largement mobilisée dans les domaines de l’éducation, de la santé et du travail.

    Depuis 2007, le Groupe de recherche sur l’apprentissage par alternance (GRAAL) réunit tous les deux ans, de façon tournante en Belgique, en France, au Québec ou en Suisse, des chercheurs francophones qui suivent de près les tendances de ce type de formation. Les rencontres du Réseau éducation et formation (REF) fournissent des occasions structurées de partager et de faire avancer les connaissances dans ce domaine. Rappelons brièvement les inspirations des REF 2011 et 2013 pour mieux comprendre les préoccupations du REF 2015.

    Le REF de 2011, tenu à Louvain-la-Neuve en Belgique, proposait d’entreprendre un travail d’ordre épistémologique dans lequel nous interrogions, individuellement et collectivement, les processus mêmes par lesquels chaque participant au symposium produit des savoirs d’intelligibilité sur les différentes dimensions des formations professionnelles en alternance (dispositifs, acteurs, processus d’apprentissage, dynamiques identitaires, etc.). Ce travail visait à identifier les traditions de recherche, les cadres théoriques, les concepts et les démarches sur lesquels reposent nos travaux de même qu’à établir des liens entre eux, autant en ce qui concerne les spécificités que les points de convergence. Loin de la visée de formatage ou de l’homogénéisation, le but de ce travail était de cartographier, en quelque sorte, les territoires que recouvrent nos travaux portant sur un même objet: les formations professionnelles en alternance.

    À l’époque, quatre types de questionnements avaient servi de base pour ce débat épistémologique:

    1.des questionnements d’ordre sémantique concernant les différents concepts, termes ou notions mobilisés dans la désignation des différents acteurs et de leur pratique des formations en alternance;

    2.des questionnements d’ordre théorique conduisant à nous interroger sur la nature des résultats de nos recherches en matière d’alternance. Trois dimensions ont été considérées: les paradigmes (explicatifs ou compréhensifs) d’inscription des chercheurs, les orientations théoriques mobilisées (cognitivistes, constructivistes, phénoménologiques, etc.) et les approches mobilisées (hypothético-déductives, hypothético-inductives, etc.);

    3.des questionnements d’ordre méthodologique visant à interroger l’aspect implicite de nos dispositifs méthodologiques;

    4.des questionnements concernant la posture de recherche adoptée par chacune et chacun d’entre nous dans nos différentes recherches sur les questions de l’alternance.

    Cette cartographie a évidemment permis de recenser la diversité, notamment, des traditions, ainsi que des objets de recherche. Par exemple, la formation en alternance est pour certains l’objet même de recherche, alors que pour d’autres, elle constitue davantage le contexte de leur recherche. En outre, ce travail a permis de cerner les pistes de travail futures du groupe en vue de délimiter le territoire des recherches sur la formation en alternance.

    Le REF de 2013, à l’Université de Genève, a continué dans cette foulée l’exploration des travaux sur la formation en alternance. Il s’est toutefois clos sur le sentiment que les concepts mobilisés par la communauté scientifique pour étudier l’alternance méritaient des éclairages plus fins encore. La polysémie des termes interpellait, certes, mais peut-être plus encore la multiplicité des contextes qui la sous-tendent. En effet, il nous apparaissait non seulement que nos contextes francophones de formation et de travail possédaient chacun des spécificités culturelles et sociales, mais que les enjeux, les buts et les normes institutionnels pouvaient varier. Les visées des chercheurs reflétaient cette multiplicité. Les uns, par exemple, se centraient plus sur le développement de compétences, arrimées ou non à des référentiels, alors que d’autres procédaient à l’analyse du travail «réel» pour mieux le prendre en compte dans ou pour la formation. Certains jugeaient ainsi que les temps étaient mûrs pour travailler à des définitions plus consensuelles, alors que d’autres défendaient la pluralité des problématiques et des objets, réunis de manière originale et riche sous un parapluie commun: le champ de l’alternance. Tous reconnaissaient la fécondité de la réflexion jaillie d’une confrontation amicale et respectueuse des diverses approches épistémologiques, théoriques et méthodologiques de l’alternance, dans les travaux respectifs des chercheurs présents.

    C’est que le concept d’alternance lui-même offre déjà une palette de manifestations variées, comme le suggèrent Merhan, Ronveaux et Vanhulle (2007, p. 12):

    En sciences de l’éducation, l’alternance désigne au premier abord un système particulier de formation. Elle évoque le plus souvent des temps d’apprentissage successifs entre une institution de formation et un milieu professionnel, et son organisation peut aller de la coexistence pure et simple à l’articulation la plus cohérente possible. Dans les termes de Bourgeon (1979), elle est tantôt strictement «juxtapositive» (les temps et les espaces d’apprentissage sont indépendants), tantôt «associative» (la formation générale accorde une place à une part de formation sur le terrain sans accord structuré avec ce dernier quant aux objectifs ou aux contenus), tantôt «copulative» ou «intégrative». Cette dernière forme relève d’une interdépendance effective des milieux de vie socioprofessionnelle et scolaire en une unité de temps formatif.

    Lors du REF de 2015 à Montréal, nous avons tenté un exercice plus systématique de recherche de ce qu’on pourrait appeler le noyau dur de l’alternance, sur un plan sémantique, non pas dans une vision universalisante, mais dans une approche contrastive, laissant place à la construction de comparables¹. Autrement dit, «chercher le commun dans le différent», dans un exercice de comparaison-découverte (Soulet, 2012, p. 36). L’analogie du diagramme de Venn, dans lequel plusieurs cercles se recoupent en une intersection plus petite, peut illustrer à la fois le lieu de rassemblement des écrits autour de l’alternance et le respect mutuel de l’éventail des objets, contextes et orientations épistémologiques et méthodologiques envisagés (figure I.1).

    FIGURE I.1.Champ d’étude de l’alternance: un contenant de recherches aux objets, contextes et orientations épistémologiques et méthodologiques variés, autour d’un noyau dur conceptuel présupposé

    La proposition était de dégager progressivement, à plusieurs moments, à travers des textes échangés, questionnés et débattus, ce qui relie des travaux de divers horizons autour des formations par alternance, au-delà de ce qui différencie leurs objets et problématiques.

    À l’occasion de cette réflexion, des concepts «lourds», d’autant plus glissants, ont été évoqués. Ils semblent récurrents, incontournables, «imparables», dirons-nous, lorsqu’il est question d’apprentissage en alternance. La confrontation d’un certain nombre d’expériences d’alternance nous a amenés à opérer quelques distinctions que nous trouvons utiles pour mieux comprendre l’alternance comme champ d’activité et pour affiner son noyau conceptuel. Les typologies suivantes ne sont pas exhaustives, mais campent déjà ces familles de concepts qui surgissent à proximité les uns des autres dans les travaux évoqués sur l’alternance ou en contexte d’alternance. Nous organisons ces familles de concepts en trois moments que nous illustrons par la métaphore du théâtre: un cadre général physique et humain, puis un déploiement de moyens pour animer la pièce et lui donner du sens, enfin, un effet sur les acteurs (les alternants, notamment) plus ou moins transformés par leur expérience sur une scène créée pour eux:

    •Avant: le cadre de l’alternance (la scène, son arrière-plan, les acteurs qui vont y être invités, ainsi que la perspective d’observation: proche, pour se préoccuper du détail pédagogico-didactique; plus éloignée, pour envelopper du regard les aspects organisationnels; plus distante encore, pour rechercher une vision politique);

    •Pendant: les moyens de l’alternance (le décor planté sur scène et la vie d’interactions qui s’y déroule: concrètement, comment s’y prend-on, qui se déplace, pour jouer quel rôle, à quel moment?);

    •Après: les effets sur l’alternant et sur la société (le personnage principal en sort-il grandi et l’intrigue se dénoue-t-elle d’une façon qui justifiait socialement le déploiement d’une pièce mobilisant tant de moyens?).

    Dans cette métaphore du théâtre de l’alternance, chaque moment chronologique (avant, pendant, après) associé à chaque grand repère (cadre physique et humain, moyens de réalisation, effets sur l’alternant) peut livrer des catégories de concepts à explorer plus avant pour nous aider à appréhender le phénomène «alternance» à travers la multiplicité de ses déterminants et manifestations. Comme nous l’avons précisé, la liste suivante n’est pas close. Elle fait écho aux différentes contributions de cet ouvrage. Les concepts cités sont des exemples empruntés dans les différents chapitres.

    Le cadre de l’alternance:

    •Niveaux d’analyse de l’alternance: macro (politique), méso (organisationnel), micro (pédagogico-didactique);

    •Nature de l’alternance: juxtapositive, associative, copulative, intégrative, «fusion», intentionnelle, émergente;

    •Mondes, milieux, contextes de l’alternance, plus ou moins agissants ou rétroagissants: organisation, entreprise, école, université;

    •Finalités sociales de l’alternance: professionnalisation, autonomisation, formation de citoyens, demandes sociales;

    •Acteurs de l’alternance: alternants, formateurs, pairs, médiateurs, collègues, organisations.

    Les moyens de l’alternance:

    •Dispositifs d’alternance: référentiel, prescription, conception, formation, programme, cours, stage, instrumentation, évaluation, jugement, certification;

    •Modes relationnels et contractuels de l’alternance et leurs effets: accompagnement, médiation, tutorat, supervision, partenariat, contrat (implicite, explicite), collégialité, concertation, collaboration, coopération, coordination; effets de convergence, divergence, tension, évitement, déni, blocage, rupture, absence;

    •Apprentissage et développement dans l’alternance: enseignement, apprentissage, passivité, engagement, réflexivité, pratique réflexive, développement;

    •Savoirs de l’alternance: savoirs formels, procéduraux; théories constituées, personnelles; connaissances;

    •Pratique dans l’alternance: expériences, activités, situations, compétences (opérationnelles, relationnelles, autres).

    Les effets de l’alternance:

    •Vécu de l’alternance: réalisé, usage réel du dispositif (connaissances, dispositions, compétences et instruments développés);

    •Effets sociaux de l’alternance: réponse aux besoins sociaux, adaptabilité, employabilité, flexibilité, précarité, inégalité.

    L’idée n’est pas de hiérarchiser les concepts ni de porter des jugements sur la validité des approches selon qu’elles les mobilisent tous, en partie, ou plus ou moins. Notre suggestion serait plutôt de tenter une forme de théorisation ancrée de nos recherches, considérées un instant comme de «simples» données recueillies pour, autour et dans nos rencontres. Dans l’esprit de Glaser et Strauss (2010) – dans l’esprit seulement, car nous suggérons de nous inspirer de leurs principes de recherche qualitative, pas d’épouser les détails de la méthode –, les ingrédients principaux d’une conceptualisation progressive sont au rendez-vous dans l’ouvrage. Les données sont riches et ont déjà fait l’objet de premières catégorisations «principales» (Glaser et Strauss, 2010, p. 168) par la communauté scientifique (il n’y a qu’à penser au nombre de concepts qui décrivent la nature potentielle de l’alternance: juxtapositive, associative, copulative, intégrative, «fusion», intentionnelle, émergente, etc.). L’échantillonnage théorique est «profond» (Glaser et Strauss, 2010, p. 168), en ce sens que la quantité de données est dense. Surtout, nos horizons d’attaque du concept d’alternance sont suffisamment variés – en matière de contextes, d’enjeux, d’approches pédagogiques, théoriques, méthodologiques, épistémologiques, etc. – pour créer l’effet de maximisation et de minimisation des différences nécessaire à une analyse comparative des données.

    Dans l’objectif de répondre à un besoin, exprimé plus fort lors des REF de 2011 et 2013, de recherche d’un socle conceptuel théoriquement acceptable, susceptible de rendre compte de la richesse des milieux professionnels de l’alternance tout en étant respectueux de la multiplicité des problématiques et des objets, cet ouvrage comporte des textes aux caractéristiques communes suivantes, résumées par les auteurs dans un schéma qui coiffe leur chapitre.

    Les auteurs s’y efforcent:

    •d’une part, de situer leur article, et donc leur contexte et leur objet, par rapport aux trois repères cadre/moyens/effets de l’alternance évoqués plus haut;

    •d’autre part, de situer leurs travaux par rapport aux classes de concepts qui y sont reliées, en éclaircissant les rapports de ces classes entre elles (niveaux d’analyse de l’alternance, mais aussi nature, mondes, finalités, acteurs, dispositifs, modes relationnels et contractuels, apprentissage et développement, savoirs, pratiques, vécu, effets sociaux) et entre les concepts eux-mêmes (analyses macro, méso, micro; professionnalisation, autonomisation; savoirs, connaissances, etc.).

    Un choix: une synthèse conceptuelle visuelle pour chaque chapitre

    Un mot sur la synthèse visuelle que nous avons proposée au début de chaque chapitre (figure I.2). D’abord, elle est le résultat d’un compromis entre l’espace disponible dans une page et le contenu des catégories de concepts que nous cherchons à illustrer. Il fallait une figure relativement simple pour être saisie rapidement. Ensuite, les flèches indiquent qualitativement des tendances, qu’il serait imprudent de vouloir chiffrer. Par exemple, si les auteurs estiment que leur texte parle relativement peu ou pas des effets sociaux de dispositifs d’alternance, ils laisseront le curseur sur la branche correspondante au point le plus bas, le petit cercle central. Cela ne signifie évidemment pas que le dispositif en question n’a pas d’incidence sociale, seulement que l’éclairage choisi est autre. Inversement, si les auteurs estiment avoir beaucoup abordé la question des finalités du dispositif d’alternance, le curseur correspondant est poussé vers l’extérieur. Évidemment, une position intermédiaire sur un curseur signifie que le thème correspondant compte pour les auteurs, sans toutefois être développé. Par ailleurs, si l’on reconnaît globalement dans la figure, à partir de la position «midi» (haut du schéma) et en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, ce que nous avons appelé le cadre politique, économique, organisationnel et pédagogico-didactique de l’alternance, puis les moyens et les effets de l’alternance, nous avons dû placer à l’extérieur du cercle deux constantes qui n’ont aucune raison de varier sur des curseurs: il y a toujours des acteurs dans un dispositif d’alternance, cela va de soi, même s’ils sont nommés différemment selon les contextes et les cultures; de même, il y a toujours une nature de l’alternance, qu’elle soit nommée (alternance juxtapositive, intégrative, copulative, etc.) ou non. Enfin, nous avons laissé aux auteurs la possibilité d’ajouter des «boîtes» à l’extérieur des curseurs, pour y introduire des mots-clés que le lecteur est susceptible de rencontrer dans leur texte.

    FIGURE I.2.Schéma récapitulatif des éclairages et concepts, placé en tête de chaque chapitre

    Pour conclure cette introduction et avant de procéder à une brève présentation de chaque chapitre, nous croyons qu’il est important de donner un aperçu un peu plus détaillé du mode particulier de réflexion individuelle et collective qui a mené à cet ouvrage. Nous avons en effet mis en œuvre un processus constant de mise en contraste et comparaison, qui mettait à l’épreuve la cohérence interne des contenus et des analyses livrés dans ces contributions.

    Concrètement, nous avons proposé le cadre suivant pour favoriser la «production de théorie» (Glaser et Strauss, 2010, p. 117-121) ou, bien plus humblement, la production ou l’avancement de concepts tendus vers la définition d’un noyau dur conceptuel propice à l’exploration de problématiques et d’objets diversifiés dans le champ de l’alternance²:

    •Les auteurs des textes devaient opérer un premier exercice de comparaison interne entre types d’alternances supposés, entre approches et entre concepts, pour mieux faire ressortir des points communs et des divergences conceptuelles, sans les juger. Dans ce sens, nous avons encouragé les auteurs à produire des textes communs, à deux ou à trois. Si les textes étaient individuels, ils suivaient la même logique: s’efforcer de définir de façon interne des concepts récurrents de l’alternance. Nous avons ainsi pu mieux repérer les dénominateurs communs des concepts évoqués qui tendent à s’imposer dans les différents types d’alternance (les «imparables»).

    •Pour laisser le temps aux idées de décanter avant leur mise en débat et leur explicitation, et pour rehausser la qualité de notre écoute et de nos interventions de vive voix lors du symposium, nous nous en sommes tenus à la discipline de regards croisés et critiques préalables à nos rencontres.

    •Lors du symposium, nous avons organisé trois types de temps de discussion:

    ›des moments de retour ciblés sur des textes précis par des personnes nommées à l’avance;

    ›des temps de retour en sous-groupes, après trois ou quatre communications débattues, sous forme de pauses réflexives informelles autour des interpellations à chaud des uns et des autres, pauses dont les grandes lignes ont été rapidement rapportées et discutées en plénière, dans un effort d’écoute attentive à capter le moindre embryon de concept, une écoute collective de type phénoménologique, inductive – Que se passe-t-il ici et comment pourrais-je le résumer sans le trahir? – à l’affût de nouveaux liens ou de relations tacites entre les nombreux concepts que nous manipulons dans nos pratiques de chercheurs. À ces moments-là, l’intuition et le raisonnement aidant, quelques convergences fortes se sont déjà imposées d’elles-mêmes;

    ›enfin, un temps de mise en liens plus fort, de synthèse sur le noyau dur conceptuel de l’alternance et sur ses satellites, comme exercice de clôture du symposium. C’est à ce moment-là qu’ont émergé les premières typologies de concepts proposées dans ce chapitre et plusieurs tentatives de schématisation. Le schéma «en toile d’araignée», malgré ses défauts, nous a semblé illustrer le mieux et dans le plus petit espace les familles de concepts mis en évidence dans chaque chapitre.

    L’ensemble des débats a ensuite été repris de façon décantée, à nouveau révisée entre les contributeurs. Nous avons ajouté un ou deux Autres regards courts à la fin de chaque chapitre, signés par d’autres membres du symposium, pour permettre au lecteur d’en apprécier le contenu sous d’autres angles, d’autres éclairages. Le tout a ensuite été soumis à des évaluateurs externes, de manière à proposer des textes d’excellente tenue, capables de faire avancer la compréhension du phénomène de l’alternance, pour la présente publication.

    Aperçu des chapitres

    Partie 1:Accompagner dans l’alternance pour mieux faire réfléchir sur la pratique?

    Chaubet, Correa Molina et Gervais, au Québec, confrontent la prescription de former des praticiens réflexifs à son corollaire: le faire-réfléchir. Dans une formation à l’enseignement, ils posent donc à 12 enseignants qui partagent leur classe avec des stagiaires et 9 superviseurs universitaires qui les suivent de loin la question suivante: «Mais comment faites-vous réfléchir vos stagiaires, concrètement?» Il apparaît que les besoins immédiats des classes induisent un faire-réfléchir déclaré plus axé sur le quoi et le comment enseigner pour anticiper et gérer les problèmes au quotidien, alors que l’éloignement du terrain qui caractérise les superviseurs universitaires orienterait leur faire-réfléchir vers des questions plus identitaires («Mais qui es-tu?»), même si ces rôles s’inversent à l’occasion. Les auteurs insistent sur le fait qu’agir et réfléchir n’alternent pas, contrairement à des croyances ancrées. Ils montrent essentiellement que sur le pôle stage de l’alternance université-écoles se produit une microalternance de faire-réfléchir à finalités différentes et complémentaires. Elle serait déterminée à trois niveaux: micro (pédagogico-didactique, visant l’apprentissage et le développement), méso (organisationnel, en raison des occasions structurelles de faire réfléchir des tuteurs à des lieux et moments spécifiques à chacun) et macro (politique, orienté par une injonction à former des praticiens réflexifs).

    Malo analyse les interactions d’une stagiaire en enseignement, au Québec, avec ses élèves d’une part, et avec l’enseignante de l’école qui partage sa classe du secondaire avec elle, d’autre part. En observant comment la stagiaire s’efforce de s’adapter, de façon stratégique, aux interactions vécues avec l’enseignante expérimentée, les élèves et d’autres acteurs du travail ou de la formation, elle se demande finalement ce qui alterne. Serait-ce uniquement les lieux (un de formation, un de pratique)? Ce pourrait être d’avoir à s’adapter dans deux directions à la fois: 1) composer avec les attentes de l’institution de formation, qui vérifiera sur pièce, pendant et à la sortie du stage, le développement des compétences qu’elle exige; et 2) composer avec le contexte de travail – de vrais élèves, de vraies erreurs, de vraies longues heures de correction en vue, si l’on ne résout pas rapidement les problèmes à leur source. Malo montre en fait comment une forme d’alternance se crée entre les deux pôles d’un dilemme, considérant un double enjeu: expérimenter des pratiques que la stagiaire juge plus efficaces, en apprendre et se développer, adopter les pratiques de l’enseignante plus expérimentée, même si elles sont jugées insatisfaisantes, afin de s’aménager stratégiquement une bonne évaluation pour son stage.

    Gagnon observe et interroge neuf enseignants de formation professionnelle, au Québec, en visite de supervision d’élèves du secondaire en entreprise, dans le cadre d’une formation dite «alternance travail-études» (ATE). Il s’agit de former à des métiers divers: horticulture, hôtellerie, soudage-montage, taille de pierre, vente de pièces mécaniques. L’auteure se rend compte que le noyau dur de leur accompagnement, à côté de leurs tâches d’évaluation ou de soutien, par exemple, consiste en fait à enseigner. À sa surprise, c’est la seule activité où le terme de «liens» est abordé: lien théorie/pratique, lien entre apprentissages au centre de formation et apprentissages en entreprise, lien entre compétences visées et compétences pratiques de stage. Cet enseignement tisseur de liens selon les superviseurs prendrait plusieurs formes: donner des informations, vérifier la compréhension de l’élève, faire une démonstration, guider la réalisation d’une tâche, faire prendre conscience des apprentissages possibles, attirer l’attention sur des particularités du travail, ou apprendre soi-même comme superviseur en vue d’enrichir son futur enseignement. Gagnon éclaire donc ici le pôle stage à l’intérieur du dispositif d’alternance, et à l’intérieur de celui-ci les façons de faire privilégiées par les enseignants de la formation professionnelle au secondaire, issus eux-mêmes des métiers auxquels ils forment.

    Partie 2:Alterner entre quels lieux? Usages atypiques de l’alternance

    Boudjaoui et Ibert exposent les démêlés d’étudiants, interviewés dans une étude de cas, avec un élément original du dispositif d’alternance de leur master d’entrepreneuriat dans une université française: un incubateur d’entreprise, sis à l’université, qui se veut au croisement du monde universitaire et du monde des affaires. Ils constatent que deux étudiants, au contact de ce dispositif qui ne leur convient pas totalement, finissent par apprendre à négocier sur d’autres plans que ce qui était imaginé au départ. Ainsi, que le dispositif ait été pensé pédagogiquement ou pas, les auteurs l’estiment professionnalisant, au moins par émergence, puisque les étudiants semblent avoir développé un sens stratégique qui leur a permis de réorienter leur projet de création d’entreprise. Les auteurs soulignent par là que l’alternance vécue peut être différente de l’alternance prescrite et que, selon la formule de l’ergonomie, la conception d’un dispositif n’est jamais finale, elle se poursuit toujours dans l’usage qu’en font réellement les personnes qui le traversent.

    Breithaupt et Clerc-Georgy, en Suisse, se posent la question du rôle des ruptures entre concepts scientifiques et expérience quotidienne dans le développement de 13 futurs enseignants potentiels en formation à la Haute École pédagogique du canton de Vaud. Leur analyse de l’usage des concepts scientifiques dans les travaux (évalués et non évalués) des étudiants, captés en début et fin de formation, les conduit à penser que des compétences littératiées préexistantes chez les étudiants, ou bien des efforts de mémorisation des savoirs théoriques, constituent un réel atout pour le développement professionnel de futurs enseignants. Ces facteurs faciliteraient des ruptures à caractère développemental, cruciales pour la future pratique professionnelle. Par contraste, les pairs moins outillés au départ marqueraient le pas sur le plan conceptuel. Ils resteraient incapables de modifier ou renverser des compréhensions erronées de concepts clés en éducation.

    L’étude de Masson explore l’alternance dans un lycée professionnel français qui prépare en trois ans des jeunes de 15 à 18 ans aux métiers de production et de transformation du lait. Le dispositif a ceci d’original que le lieu de formation regroupe aussi bien des salles de classe que des ateliers technologiques dans lesquels se déroulent des productions qui n’ont rien à envier au monde professionnel. Masson suggère que ce qui alterne, dans le cas présent, ce sont deux types d’activité: l’une productrice de biens (ici, des produits réellement destinés à être mis en marché, des fromages, par exemple) et l’autre, d’apprentissage, c’est-à-dire aidant à conceptualiser sa propre pratique pour penser et agir dans son activité, dans son métier. Elle se penche plus précisément sur un module de la formation qui amène les jeunes à expliciter leur activité de travail devant autrui à travers des «fiches d’activité». L’auteure estime que ce faisant, l’activité constructive a également d’autres effets, de plus longue portée: aider à comprendre le concept de travail et, au passage, contribuer à socialiser et professionnaliser des jeunes généralement défavorisés par le système éducatif traditionnel.

    De Viron explore en amont la possibilité de mettre en place en Belgique francophone des dispositifs de master universitaire en alternance. Son étude analyse les perceptions des parties prenantes (universitaires, professionnels, étudiants) à propos de cet «objet encore inexistant». L’auteure, associée à ses collègues d’autres universités belges, en conclut que des formes d’alternance traversent déjà certains masters le long d’un continuum qui va de simples mises en situation à l’université à un vécu de situations professionnelles en milieu de stage. Cependant, ces mêmes trois types d’acteurs tendent aussi à montrer qu’ils collaborent finalement peu dans les masters actuels: ni dans la conception des dispositifs d’alternance, ni dans leur mise en œuvre, ni dans l’évaluation des apprentissages réalisés. L’auteure s’inspire du concept d’alternance-articulation (Tilman et Delvaux, 2000) pour suggérer que c’est peut-être précisément là que tout master en alternance devrait se positionner: dans un rapport plus travaillé et plus étroit entre les acteurs, autour des trois objets «conception», «mise en œuvre» et «évaluation».

    Partie 3:Alterner selon quels modes relationnels pour faire place à plus de collaboration?

    Portelance et Caron abordent l’alternance par le pôle stage à l’occasion d’une étude sur la formation de sept stagiaires en enseignement, au Québec. Par des entrevues et l’enregistrement de conversations en contexte naturel du stage, elles obtiennent de ceux-ci, des enseignants associés (qui sont en contact quotidien avec leur stagiaire) et des superviseurs universitaires (qui suivent de plus loin la progression des apprentissages) un éclairage instructif sur les tensions dans la collaboration interprofessionnelle entre les deux types de formateurs-évaluateurs. Il est intéressant de constater comment chacun des acteurs de la triade stagiaire-enseignant-superviseur voit la part et le rôle de l’autre dans l’évaluation des apprentissages du stagiaire. L’étude suggère que le manque de collaboration sur les questions relatives à l’évaluation nuit potentiellement au développement du stagiaire, bref, que des liens plus serrés sont encore à tisser entre les acteurs du pôle stage de l’alternance, au bénéfice des futurs enseignants. Les auteures se demandent par ailleurs si les tensions perçues par le stagiaire pourraient représenter des occasions de formation, le stagiaire étant appelé à poser un regard réflexif autoévaluatif sur le développement de ses compétences en enseignement.

    Leroux et Portelance enquêtent par questionnaires à la fois auprès des universités qui forment à l’enseignement et des milieux scolaires dans lesquels les enseignants novices du Québec essaient de s’insérer une fois leur diplôme en mains. Il en ressort que l’alternance entre les milieux scolaire et universitaire n’est pas l’outil intégrateur auquel on serait en droit de s’attendre en matière de préparation à l’insertion professionnelle. Les auteures montrent que les universités et les milieux agissent encore beaucoup en silo, par des actions ponctuelles et non systémiques, pour faciliter la transition de la formation vers l’insertion professionnelle. Inspirées d’exemples heureux mais sporadiques, elles tracent quelques pistes de réelle collaboration, inscrites dans une alternance intégrative au sens plein – intégrative de savoirs théoriques et expérientiels, mais aussi intégrative dans le marché du travail.

    Bibliographie

    DETIENNE, M. (2009). Comparer l’incomparable, Paris, Seuil.

    GLASER, B.G. ET A.A. STRAUSS (2010 [1967]). La découverte de la théorie ancrée, Paris, Armand Colin.

    MERHAN, F., C. RONVEAUX ET S. VANHULLE (2007). Alternances en formation, Bruxelles, De Boeck.

    PAILLÉ, P. ET A. MUCCHIELLI (2012). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, 3e éd., Paris, Armand Colin.

    PERRENOUD, P., M. ALTET, C. LESSARD ET L. PAQUAY (2008). «Entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de l’expérience professionnelle: intégration ou déni mutuel?», dans P. Perrenoud, M. Altet, C. Lessard et L. Paquay (dir.), Conflits de savoirs en formation des enseignants. Entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de l’expérience, Bruxelles, De Boeck, p. 7-20.

    SOULET, M.-H. (2012). «Interpréter sous contrainte ou le chercheur face à ses données», Recherches qualitatives, Hors série no 12, p. 29-39.

    TILMAN, F. ET E. DELVAUX (2000). Manuel de la formation en alternance, Lyon, Chronique sociale.

    1.Marcel Detienne, dans son ouvrage Comparer l’incomparable, trace bien l’esprit de cette «construction de comparables» pour des disciplines et à propos de sociétés dont on pourrait pourtant facilement affirmer qu’elles sont incomparables (2009, p. 42-62).

    2.À cet égard, l’exercice général que nous avons proposé au REF de 2015 à Montréal, s’il s’insérait dans une méthodologie de recherche au sens habituel, s’apparentait beaucoup plus à l’approche des «catégories conceptualisantes» de Paillé et Mucchielli (2012) qu’à celle de Glaser et Strauss. Nous n’avons pas ainsi subi la pression de produire une «théorie» en peu de temps, structure aux allures imposantes, même s’il est évident que la démarche mise en œuvre visait

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