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Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2
Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2
Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2
Livre électronique372 pages4 heures

Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2

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À propos de ce livre électronique

De la perspective située à la fraude universitaire, en passant par le design collaboratif et diverses pratiques évaluatives, cet ouvrage poursuit la réflexion entamée dans le tome précédent, publié aux Presses de l’Université du Québec en 2017. Il met de l’avant une variété d’angles pour aborder l’évaluation dans les disciplines artistiques au post­secondaire : par une recension d’écrits, par la voie des pratiques, par des considérations théoriques et des recherches empiriques. La variété se retrouve aussi dans les sujets traités : l’évaluation située, le jugement posé, l’interprétation en musique, le portfolio numérique, le questionnement didactique, la créativité, la collaboration, les questions de fraude universitaire. Autant de regards particuliers, originaux et pertinents qui s’attardent à faire de l’évaluation en arts un travail sans cesse à renouveler.

Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2 est destiné autant aux chercheurs qu’aux enseignants. Il offre de nouvelles perspectives sur la question, complexe et délicate, de l’évaluation et du contenu à investir en salle de classe.
LangueFrançais
Date de sortie23 févr. 2022
ISBN9782760556164
Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2

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    Aperçu du livre

    Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, tome 2 - Sébastien Béland

    Introduction

    Sébastien Béland et Diane Leduc

    Narada, le disciple de Bouddha, disait la chose suivante : « Il faut apprendre pour connaître, connaître pour comprendre, comprendre pour juger. » Ces sages paroles font écho aux pages que vous allez lire dans cet ouvrage. L’évaluation des apprentissages s’y présente comme le jugement posé par quelqu’un qui comprend, ce que plusieurs experts appellent aussi le jugement professionnel. Et ce jugement professionnel a plusieurs caractéristiques, dont celle d’être empreint de subjectivité, notion clé de l’évaluation à ne pas confondre avec l’arbitraire.

    Comprendre un apprentissage en arts en vue de poser un jugement professionnel est un acte qui doit être mûri. N’oublions pas que le couplet joué à la guitare a été répété un grand nombre de fois, le mouvement du pinceau retravaillé jusqu’à tard après les heures de classe, le travail de pointes de la future danseuse recommencé jusqu’à l’épuisement. Évaluer un apprentissage en arts sous-entend énormément de travail¹ chez l’étudiant comme chez l’évaluateur. Voici pourquoi nous allons discuter largement de pratiques évaluatives dans ce qui suit.

    1 / La structure du collectif

    Le présent ouvrage est constitué de six chapitres qui traitent des pratiques évaluatives, suivis d’un chapitre et d’une conclusion qui prennent davantage la forme d’une réflexion. Au premier chapitre, Leduc et Béland posent l’hypothèse que les enseignants² en arts s’inscrivent davantage dans le modèle de l’évaluation située. Cette hypothèse est comparée à un corpus d’écrits portant sur l’évaluation des apprentissages en arts aux principes fondamentaux de l’évaluation située. Ce chapitre s’intéresse globalement aux pratiques, mais avec une lunette essentiellement théorique. Le chapitre suivant, traduction d’un article d’Orr et Bloxham, étudie les pratiques d’évaluation en atelier en arts et en design du point de vue des professeurs. Celui-ci s’intéresse aussi aux pratiques, également avec une lunette plutôt théorique.

    Les trois chapitres qui suivent proposent des outils pour évaluer : la grille d’évaluation, le portfolio et le questionnement didactique. D’abord, Lussier, Leduc et Héroux proposent une échelle descriptive d’appréciation composée de critères et d’indicateurs permettant de porter un regard précis sur l’interprétation lors d’une prestation musicale. Ensuite, au chapitre quatre, Leroux et De Grâce discutent de l’intégration du portfolio numérique, en musique, afin d’évaluer les apprentissages à distance en enseignement supérieur. Mastracci, quant à elle, poursuit dans le cinquième chapitre la réflexion amorcée dans le premier tome et traitant de la question complexe de l’évaluation des apprentissages en créativité.

    Les deux derniers chapitres concernent plus directement les étudiants. Tessier et Zahedi tentent de répondre à une question essentielle à l’aide de différents cadres de référence : comment structurer l’évaluation pour l’apprentissage des projets de design collaboratif en cohérence avec les caractéristiques de cette dynamique ? Enfin, Béland, Leduc et Detroz parlent de l’importance d’étudier plus en détail la fraude universitaire (par exemple, la tricherie et le plagiat) dans les programmes de formation en arts.

    Pour conclure ce deuxième tome de Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, notre collègue Lucie Mottier-Lopez propose une synthèse basée sur le cheminement d’une métaenquête.

    2 / Pourquoi cet ouvrage ?

    Il y a encore peu d’écrits scientifiques et professionnels portant sur l’évaluation des apprentissages dans les programmes en arts au postsecondaire. Cela est étonnant, car l’évaluation dans ces programmes d’études marque les esprits. N’oublions jamais que l’évaluation est un acte difficile et complexe : elle exige des preuves de l’apprentissage, ce qui est parfois difficile à faire en arts parce que les apprentissages glissent entre les mains et sont insaisissables à certains égards. Des étudiants sont d’ailleurs terrorisés à l’idée de recevoir de la rétroaction de la part de leurs pairs, alors que d’autres remettent en question la rigueur de certains évaluateurs.

    Nous avons reçu des réactions très positives à la suite de la publication du premier tome. Plusieurs personnes nous ont d’ailleurs rapidement exprimé leur souhait d’en savoir davantage sur l’évaluation dans leur discipline respective et, plus largement, en arts. Nous répondons en partie à ces demandes dans ce deuxième tome en abordant de nouveau l’évaluation, particulièrement dans deux disciplines (musique et design) et toujours dans la perspective d’une transposition dans d’autres disciplines, artistiques ou non. Cependant, la majorité des chapitres traitent de sujets transversaux pour inspirer, outiller et interpeller les professeurs en arts. Ces sujets ajoutent des savoirs scientifiques et professionnels et mobilisent beaucoup d’attention en ce moment. Par exemple, Leduc et Béland nous en apprennent un peu plus sur l’évaluation située, Tessier et Zahedi discutent de la collaboration en évaluation, alors que Béland, Leduc et Detroz nuancent les écrits plus traditionnels sur le plagiat en arguant que la ligne entre imiter et copier est parfois mince dans le processus d’apprentissage en arts.

    Le travail n’est évidemment pas terminé et il y a encore beaucoup à apprendre et à faire sur l’évaluation des apprentissages en arts au postsecondaire. Nous espérons donc que cet ouvrage saura générer des réflexions personnelles et encourager les initiatives en évaluation dans vos milieux respectifs. N’hésitez pas à nous faire part de vos expériences en nous écrivant à sebastien.beland@umontreal.ca ou à leduc.diane@uqam.ca. Nous serons heureux de vous lire et d’échanger avec vous.

    1 Ce travail sous-entend un investissement qui engage la totalité des personnes que sont l’étudiant et l’évaluateur sur les plans cognitif, physique, affectif, moteur, social, comportemental, etc. Parce que l’artiste en devenir doit apprendre à être à la fois sujet et objet de son art et, conséquemment, de l’évaluation, il ne peut se dissocier de lui-même, il ne fait qu’un avec l’art. Évaluer ce qu’il apprend suppose donc d’évaluer le développement d’une personnalité qui saura se commettre par son art. De plus, les connaissances en arts sont complexes, pas toujours codifiées, parfois intuitives et adaptatives. Elles sont donc difficiles à saisir par l’évaluateur.

    2 Il est à noter que le concept de professeur sera aussi utilisé dans le cadre de cet ouvrage.

    CHAPITRE 1 /

    Rendre compte de pratiques évaluatives en arts au postsecondaire avec le regard de l’évaluation située

    Diane Leduc et Sébastien Béland

    Résumé

    Dans les disciplines artistiques, les pratiques évaluatives nourrissent plusieurs paradoxes. L’un d’eux est que l’évaluation en arts ne vise pas seulement la vérification d’acquisition de connaissances, mais plutôt la maîtrise d’acquis complexes tels que des compétences, des démarches réflexives, des attitudes ou un développement personnel (Beattie, 2006). Ces objets de l’évaluation sont parmi les plus difficiles à évaluer, alors même que les professeurs en arts au postsecondaire sont des praticiens dont les conditions d’embauche n’exigent que rarement une formation en pédagogie ou en évaluation (ce qui est aussi le cas dans bien d’autres disciplines). Un autre paradoxe est que le contexte traditionnel d’une pédagogie par projet entre fréquemment en conflit avec la logique évaluative, celle-ci prônant de rendre compte d’acquis bien déterminés et planifiés, alors que le projet suppose d’évaluer une transformation personnelle, une recherche intuitive et des acquis parfois ardus à saisir. Autre paradoxe : une relation étroite entre accompagnant et accompagné, suggérant un dialogue fort, mais dont les moments de rétroaction sont formels, peu réinvestis par les étudiants et peu pris en compte dans la décision finale.

    Pour mieux comprendre ces pratiques évaluatives propres à l’enseignement des arts, nous avons fait appel aux travaux de Vial (2012). Pour lui, trois grands modèles composent le champ de l’évaluation : l’évaluation des produits ou l’évaluation comme mesure, l’évaluation des procédures ou des moyens et l’évaluation des processus, des dynamiques et des dialogues. Chacun de ces modèles suppose une posture de l’évaluateur faite de principes fondamentaux, de théories et de dispositifs spécifiques. Nos travaux sur l’évaluation des apprentissages dans les disciplines artistiques (Leduc et Béland, 2017) nous amènent à penser que les professeurs en arts s’inscrivent davantage dans le modèle de l’évaluation située. Nous avons voulu vérifier cette intuition en soumettant un corpus d’écrits portant sur l’évaluation des apprentissages en arts aux principes clés de l’évaluation située.

    1 / La problématique : évaluer dans les disciplines artistiques

    Actuellement, au postsecondaire, sous l’influence de nombreux facteurs tels que l’omniprésence du numérique, l’obligation de vérifier les acquis tout en tenant compte des difficultés éprouvées par les étudiants, la présence d’approches par compétences et l’usage grandissant de moyens d’autoévaluation, les professeurs¹ sont appelés à revoir leurs pratiques évaluatives (Roegiers, 2012 ; Romainville, Goasdoué et Vantourout, 2013). Ce contexte en effervescence et en recherche de nouveaux repères entretient quelques paradoxes : comment rendre compte des acquis tout en pensant l’évaluation comme une articulation réfléchie et dynamique entre les actions du professeur et les apprentissages de l’étudiant (Laurier, Tousignant et Morissette, 2005 ; Mottier Lopez et Figari, 2012) ? Comment rendre l’évaluation conforme aux diverses attentes (des étudiants, des programmes, des établissements), alors même que les professeurs sont peu formés à l’évaluation et qu’ils adoptent des pratiques traditionnelles, s’ancrant dans la linéarité « j’enseigne, tu apprends, j’évalue » ? Ces questions nourrissent de nombreux débats et mettent en lumière les difficultés à maîtriser l’acte d’évaluer (Beattie, 2006 ; Leroux, 2015).

    Les disciplines artistiques n’échappent pas à ce contexte en pleine mutation. Nos travaux sur l’évaluation des apprentissages dans les disciplines artistiques indiquent effectivement une préoccupation chez les professeurs à prendre en compte les réalités complexes et les particularités des arts lors de l’évaluation (Leduc et Béland, 2017). Parmi ces particularités, nous trouvons le fait que les programmes de formation en arts au postsecondaire sont souvent composés de plusieurs disciplines (par exemple, les arts visuels regroupent notamment la peinture, le dessin, l’estampe et la sculpture), ce qui crée une grande disparité de parcours et de manières d’apprendre dont il faut se préoccuper lorsque vient le temps d’évaluer (Kozanitis et Desbiens, 2005). L’appartenance à une discipline donnée influence l’identité du professeur et de l’étudiant et teinte leurs conceptions de l’enseignement et de l’évaluation qui, à leur tour, agissent sur les conditions et les pratiques d’évaluation (Norton, Richardson et Hartley, 2005). Une autre particularité concerne le fait que, dans les disciplines artistiques, l’évaluation vise rarement l’unique vérification d’acquisition de connaissances, mais plutôt la maîtrise d’acquis complexes tels que des compétences, des démarches réflexives, des attitudes, un développement personnel, etc. (Beattie, 2006).

    Sims et Erwin (2012), de même que Stinson et al. (2010), soulignent une autre particularité des arts : la tradition influence grandement les décisions des professeurs quant à l’évaluation et provoque une certaine résistance à actualiser leurs pratiques. Au cœur de cette tradition se trouvent notamment une pédagogie par projet en atelier et les cours de création dans lesquels l’évaluation soulève des questions importantes. L’une d’elles concerne la difficulté que rencontrent les professeurs à suivre le développement des habiletés ou des compétences, lorsque c’est le cas, tout au long du programme d’études et à accompagner les étudiants dans leur progression. Le temps consacré à ce nécessaire travail d’accompagnement est assujetti à diverses contraintes et pas toujours suffisant. La rétroaction est en effet difficile à optimiser avec pour conséquences que les étudiants réinvestissent peu les commentaires reçus ou n’en comprennent pas l’utilité et que les professeurs y voient une perte de temps et peu d’effets probants sur la réussite (Adams et McNab, 2012 ; Hattie et Timperley, 2007 ; Spiller, 2014). De plus, à cause de l’hétérogénéité des groupes, il est difficile de faire de la rétroaction individuelle et de suivre la progression des apprentissages de chaque étudiant (Brookhart, 2010 ; Rey et Feyfant, 2014).

    Par ailleurs, dans plusieurs formations artistiques, les cours de création sont traditionnellement donnés avec une pédagogie par projet centrée sur l’interaction entre l’exercice en atelier et les apports des cours théoriques. La pédagogie du projet est considérée comme un modèle d’enseignement dans lequel l’étudiant, s’engageant dans sa réalisation, devient responsable de ses apprentissages et développe des comportements reliés à une pratique professionnelle (Leduc, 2014 ; Raby et Viola, 2007)². Le travail peut être réalisé individuellement ou en petits groupes. Dans une telle pédagogie, le projet est très ouvert, avec un énoncé imprécis, souvent issu du monde professionnel. Plusieurs solutions, parfois très différentes, sont possibles et il y a une réelle indétermination dans la manière d’aborder le sujet. Les étudiants apprennent à mener à terme un projet en acquérant graduellement une autonomie et en étant responsables de développer leurs habiletés et leurs compétences. En cours de route, ils font face à des prises de risque, à des obstacles et ils ont constamment des décisions à prendre (Proulx, 2004). Ce type d’enseignement devrait susciter chez les étudiants, mais également chez les professeurs, une attitude constante de questionnement, de prise en compte de paramètres multiples et de démarches interdisciplinaires. La pédagogie par projet repose aussi sur une relation qualifiée d’accompagnement caractérisée par la transmission de savoir-faire du professeur, en pleine possession de ses compétences dans son domaine, vers l’étudiant en situation d’accroissement de connaissances dans ce même domaine (Proulx, 2004). Une dimension affective entoure la relation, chacun retirant de l’expérience du projet des bénéfices peu traçables, considérés comme des éléments périphériques par les évaluateurs, tels qu’un développement de la confiance en soi, de la motivation, du plaisir dans le travail de groupe, etc. Dans d’autres cas, la relation entre accompagnant et accompagné est très officielle et bornée dans le temps (Sammut, 2003).

    Dans ce contexte de pédagogie par projet, la tradition est donc une ressource sûre pour les professeurs, mais le processus de création artistique entre en conflit avec la logique évaluative : il n’est pas simple de trouver les mots justes, les moyens précis pour évaluer une transformation personnelle, une recherche intuitive ou quelque chose d’intangible comme la passion et l’imagination (Rohr, 2013). Ajoutons que les savoirs transmis sont davantage tacites qu’explicites, créant une autre difficulté à l’évaluation du développement des habiletés et des compétences. Pour contourner cette tension, certains professeurs penchent plutôt pour une intégration de l’évaluation au cœur même de la création (Cowdroy et Williams, 2006 ; Sims et Erwin, 2012), mais les manières de réaliser cette intégration sont peu documentées.

    Tous ces facteurs propres à l’enseignement des arts forgent des pratiques évaluatives spécifiques dont nous avons voulu dresser un portrait pour mieux les comprendre. C’est là le but premier de ce chapitre. Pour ce faire, nous avons, dans un premier temps, réalisé une recension d’écrits sur l’évaluation des apprentissages en arts au postsecondaire. Devant la variété des types de textes (d’essais à articles scientifiques en passant par les récits de pratique et les textes d’opinion), nous avons entrepris de les analyser sous la loupe de l’évaluation située de manière à suivre notre intuition voulant que les professeurs en arts s’inscrivent davantage dans ce modèle. L’évaluation située est l’un des trois modèles de Vial (2012), les deux autres étant l’évaluation des produits ou l’évaluation comme mesure et l’évaluation des procédures ou des moyens. Chacun de ces modèles suppose une posture de l’évaluateur faite de principes clés, de théories et de dispositifs spécifiques. La perspective située de Vial (2012) suppose une évaluation des processus, des dynamiques et des dialogues pour donner du sens. À la lecture des écrits sur l’évaluation dans les disciplines artistiques, ces éléments de l’évaluation située ont émergé et la question suivante s’est imposée : est-ce que les pratiques d’évaluation des apprentissages en arts au postsecondaire décrites dans les écrits recensés correspondent à la perspective de l’évaluation située ? La pertinence de cet exercice de mise en correspondance réside dans l’hypothèse que le cadre de l’évaluation située pourrait rendre les pratiques évaluatives en arts moins paradoxales. Ultimement, nous pensons qu’une posture située de l’évaluateur peut contribuer à réduire les tensions que vivent plusieurs professeurs en arts lorsque vient le temps d’évaluer les apprentissages de leurs étudiants.

    2 / L’évaluation située

    2.1 / La perspective de l’évaluation située

    En milieu francophone, le concept d’évaluation située a été particulièrement développé par Vial (2012) et Mottier Lopez (Mottier Lopez, 2011, 2013, 2016), qui en proposent deux conceptions différentes, bien que complémentaires à certains égards. En milieu anglophone, déjà en 1997, Young, Kulikowich et Barab proposent cette expression pour relier l’apprentissage, la cognition et l’activité situés, alors que Cobb, et ses collaborateurs (1997) analysent le contexte de l’apprentissage sous l’angle de ses apports sociaux et culturels. Avant eux, des auteurs comme Bruce et Peyton (1992) et Bruce et Rubin (1993) traitaient d’évaluation située en lien avec la mise en place d’innovation technologique en classe. Ils y voyaient l’apprentissage comme un phénomène socioculturellement situé dans un contexte précis, un peu comme l’avaient fait Brown, Collins et Duguid (1989) pour décrire la cognition située. Une autre vision est celle de Sakui (2004), qui parle d’une théorie de l’évaluation située, avançant que plusieurs facteurs influencent les programmes, qu’ils doivent être pris en compte pour évaluer les acquis et que les professeurs sont les principaux concernés puisqu’ils interprètent et exécutent les programmes. L’évaluation située semble ici être vue sous un angle curriculaire et organisationnel en considérant le point de vue du corps professoral. Elle s’inscrit aussi dans la lignée de travaux sur la notion d’apprentissages situés, où ceux-ci sont en situation de médiation complexe et constante entre l’apprenant et le professeur (Mottier Lopez et Hoefflin, 2008). Quoi qu’il en soit, malgré les multiples voies que la perspective située peut prendre et pour simplifier, l’évaluation située est une activité indissociable des contextes, des situations et des dispositifs dans lesquels elle se déploie.

    Les travaux situationnistes qui nous intéressent ici sont ceux qui forcent un regard sur les apprentissages qui n’est plus uniquement centré sur l’apprenant, mais sur l’ensemble des acteurs (professeurs et autres apprenants au premier chef, le programme et l’institution), des dispositifs d’évaluation et des cultures présentes. Dans la perspective située, l’évaluateur s’intéressera surtout aux relations dynamiques coconstruites par l’activité individuelle et collective. Il cherchera à décrire les interactions et les processus qui permettent à l’évalué, tout autant qu’à lui-même, d’interroger les actions qu’il exécute et de déterminer des repères pour orienter ses actions et, conséquemment, pour s’autoréguler. Ce faisant, l’évaluation est vue davantage comme une pratique sociale et moins comme un geste technique ou comme un ensemble d’automatismes à reproduire (Mottier Lopez, 2006). Cette façon de concevoir l’évaluation est notamment issue des travaux de Lave (1988) sur l’apprentissage situé et les communautés de pratique pour qui l’apprenant est toujours inséré dans un contexte culturel et pour qui l’apprentissage s’oppose à une restitution de savoirs théoriques. L’ouverture à des objets autres que les savoirs transmis, comme les interactions ou les relations par exemple, constitue une caractéristique essentielle d’une optique située.

    2.2 / Quelques composantes clés de l’évaluation située selon Vial (2012)

    Dans la réalisation de nos travaux sur l’évaluation des apprentissages dans les disciplines artistiques (Leduc et Béland, 2017), nous avons été interpellés par le concept d’évaluation située en consultant les travaux de Vial, notamment son volume Se repérer dans les modèles de l’évaluation (2012). Précisons d’entrée de jeu que ce qui suit ne constitue que des points de repère pour examiner notre corpus d’écrits et ne se veut nullement une synthèse des travaux de Vial ni des autres travaux sur la perspective située. Nous avons choisi de demeurer fidèles à ce travail de Vial (2012) d’abord par défi – puisque sa pensée est complexe, n’est pas toujours simple à suivre, mais est si riche – puis parce que son apport théorique nous apparaît incontournable. Dans son volume, il décrit trois grands modèles en évaluation (p. 15) :

    L’évaluation des produits ou l’évaluation comme mesure, c’est-à-dire qui s’intéresse aux rapports de causalité, et consiste à situer les effets sur une échelle de mesure, à sélectionner, à comparer, etc.

    L’évaluation des procédures ou des moyens, soit évaluer pour atteindre des cibles, pour guider, conseiller, pour aider à la réussite, pour contrôler les procédures, pour rendre cohérent et engager.

    L’évaluation des processus, des dynamiques et des dialogues, c’est-à-dire évaluer « pour l’intelligibilité de ce qu’on fait » (p. 15) et pour questionner l’agir professionnel.

    Chacun de ces modèles suppose une posture de l’évaluateur faite de principes clés, de théories et de dispositifs spécifiques. Pour traiter les écrits sur l’évaluation dans les disciplines artistiques, nous avons utilisé le modèle de l’évaluation située de Vial (2012), dont nous vous présentons ici les principales composantes. Notez cependant que notre réflexion sur l’évaluation située puise aussi, dans une moindre mesure, dans les travaux de Mottier Lopez (2006, 2011 ; Mottier Lopez et Hoefflin, 2008), qui propose une approche différente de celle de Vial (2012), mais néanmoins complémentaire. Ce que nous proposons dans ce chapitre est conséquemment un travail de condensation de ce que nous comprenons de la pensée de Vial (2012), pour qui évaluer en situation c’est : problématiser, dialectiser, accompagner et contrôler une posture.

    Évaluer en situation

    Vial définit la situation ainsi : « un épisode avec un début et une fin, découpé dans une durée qui le dépasse […] qui est un fragment d’une activité » (p. 370), l’activité comportant les actions réalisées et organisées en actes et un ressenti de l’acteur engagé dans ladite activité. La situation est donc un épisode représentatif de l’objet à évaluer, où peuvent être repérés l’agir et les habiletés professionnelles. Elle est toujours liée à l’histoire du praticien, ici l’étudiant, et assujettie à sa temporalité. Évaluer en situation correspond conséquemment à accompagner l’étudiant à saisir le sens de l’action qu’il accomplit, en tenant compte du contexte et en convoquant des savoirs (sociaux, théoriques, pratiques, réflexifs, etc.), pour qu’il arrive à se situer dans son cheminement. Il est possible d’y voir quelques similitudes avec les propositions d’autres auteurs. Par exemple, pour Shaw et ses collègues (1997), la situation correspond principalement aux interactions entre l’évalué, l’évaluateur et les savoirs, mais ils ne précisent pas si ce sont ces interactions qui devraient être

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