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Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur: Tome 1
Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur: Tome 1
Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur: Tome 1
Livre électronique689 pages7 heures

Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur: Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Le présent ouvrage collectif traite de l’acte délicat d’évaluer les apprentissages dans les disciplines artistiques au collège et à l’université. Il explore les difficultés à concilier l’enseignement en arts, domaine visant une transformation intuitive de l’étudiant, et l’évaluation d’apprentissages prenant leur sens dans la subjectivité et la sensibilité. Œuvrant dans le milieu de l’ensei­gnement supérieur, aujourd’hui orienté sur l’étudiant et sur les stratégies qu’il utilise pour apprendre, les auteurs proposent une variété de regards pour documenter la richesse des pratiques évaluatives en arts. Des concepts clés en évaluation sont articulés autour de manières d’évaluer dans plusieurs disciplines – musique, arts visuels et plastiques, arts vivants, design, mode –, tant au Québec qu’en Europe. En proposant des pistes de réflexion et des moyens pour évaluer de même que pour pallier un manque d’écrits scientifiques et professionnels sur le sujet, cet ouvrage se veut un véhicule témoignant d’une réconciliation entre l’enseignement en arts au postsecondaire et l’évaluation des apprentissages. Grâce à quatre regards thématiques, il met en avant-plan des textes en évaluation qui s’adaptent aux arts et des textes en arts qui s’adaptent à l’évaluation. Cet ouvrage intéressera les professeurs, les pédagogues, les artistes et les étudiants en arts ainsi que les spécialistes en évaluation des apprentissages animés par l’incertitude, la créativité, la subjectivité et l’éphémère.
LangueFrançais
Date de sortie15 nov. 2017
ISBN9782760548244
Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur: Tome 1
Auteur

Diane Leduc

DIANE LEDUC est professeure au Département de didactique de l’UQAM et directrice de l’Observatoire sur les pratiques innovantes d’évaluation des apprentissages (OPIÉVA).

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    Aperçu du livre

    Regards sur l'évaluation des apprentissages en arts à l'enseignement supérieur - Diane Leduc

    Introduction

    Diane Leduc et Sébastien Béland

    En enseignement supérieur, l’évaluation des apprentissages est désormais marquée par un regard sur l’étudiant¹ et sur les stratégies qu’il utilise pour apprendre. Dimension fondamentale, et parfois difficile, dans le parcours de ce dernier et tâche exigeante pour les enseignants, l’évaluation impose actuellement un changement de culture important. De nos jours, elle sert à réguler le scénario pédagogique et elle n’est plus un moment distinct de l’enseignement, mais est plutôt une interaction dynamique et cohérente entre la démarche de l’enseignant et les apprentissages de l’étudiant (Laurier, Tousignant et Morissette, 2005 ; Louis et Bédard, 2015). Cette vision actuelle de l’évaluation pave la voie à un intérêt en recherche de plus en plus prononcé, mais aussi à des inquiétudes et à de vifs débats concernant son application en salle de classe.

    Le domaine des arts n’échappe pas à ces préoccupations. En effet, la tension entre l’évaluation et l’enseignement des arts est un vieux dilemme qui se manifeste aujourd’hui par des écueils comme une évaluation complexe du processus de création, des évaluations d’habiletés cognitives de haut niveau, un fort ancrage dans la tradition, des évaluations de nature expérientielle, des comportements évaluatifs réfractaires à la notation, des disparités de jugement soutenues par une subjectivité marquée. Comme dans toutes les disciplines, le contexte d’évaluation en arts a ses particularités dont deux nous apparaissent centrales dans le cadre de cet ouvrage. 1) Les apprentissages signifient peu sur le plan artistique s’ils ne sont pas incarnés dans l’idiosyncrasie et l’expérience personnelle de l’apprenant, d’où le fait qu’en arts, l’évaluation prenne souvent son sens dans la subjectivité et dans la sensibilité. 2) Une bonne partie des apprentissages en arts s’acquiert à travers un projet en atelier où l’étudiant, responsable de ses apprentissages, planifie et réalise une œuvre et développe des comportements reliés à une pratique professionnelle.

    Ces particularités se heurtent aux pressions grandissantes des différentes politiques et établissements postsecondaires pour rendre les évaluations plus objectives, équitables et transparentes. Ces pressions ont certainement des incidences sur les pratiques des enseignants en arts. En effet, ces derniers y voient des exigences administratives issues de théories éducatives à la mode qui ne reconnaissent pas la singularité des arts. Certains, rejetant l’idéologie objective de l’évaluation traditionnelle, voient en la remise de notes aux administrations pour la sanction des études, une standardisation qui peut appauvrir la qualité des évaluations et qui ne reflète pas toute la richesse de leur jugement professionnel. D’autres mentionnent une résistance à modifier leurs pratiques évaluatives en identifiant les critères (dits objectifs) et la tradition comme obstacles. D’ailleurs, pour certains enseignants en arts, l’utilisation de critères d’évaluation suscite des craintes comme celle de contraindre les étudiants à limiter la prise de risques artistiques ou encore celle d’évaluer uniquement ce qui est observable au détriment de l’originalité et de la singularité. Quant à la tradition, elle met en évidence la difficulté à concilier le processus de création artistique et le processus évaluatif qui ont deux logiques différentes. L’un vise une transformation personnelle et continue : trouver des mots justes, identifier des moyens précis pour évaluer une recherche intuitive ou quelque chose d’intangible comme la passion et l’imagination. L’autre offre un regard plus neutre, ponctuel, et vise à faire l’exercice de traduire une compréhension subjective d’un apprentissage réalisé par un étudiant en une description objective lui offrant une prise sur son cheminement. Bref, nous sommes là au cœur de l’éternel débat entre objectivité et subjectivité, débat toujours d’actualité et encore plus probant en arts à l’enseignement supérieur, où ces questions sont au cœur de l’évaluation des apprentissages.

    C’est sur cet échiquier en pleine mutation que ce volume se dépose en proposant divers regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur. Pour témoigner de pratiques évaluatives actuelles, ancrées dans le paradigme socioconstructiviste et dans les approches par compétences. Pour ouvrir la voie à de multiples façons de faire en enseignement des arts qui ne soient pas en contradiction avec ce qu’est l’évaluation, à savoir essentiellement un jugement de valeur, professionnel, concernant la progression de l’apprentissage d’un étudiant (Scallon, 2004). Pour faire de l’évaluation, non plus, comme le dit Allal (2013, p. 22), la « mal-aimée » des enseignants et des étudiants, mais en tant que pratique qui informe, qui soutient, qui motive et qui fait apprécier. Enfin, pour aider les enseignants en arts à assumer cette tâche complexe qui occupe une bonne partie de leur temps et dont ils sont les principaux responsables.

    À travers des regards multiples, cet ouvrage vise à fournir des moyens nécessaires à l’évaluation des apprentissages en arts aux niveaux collégial et universitaire. Il se veut un véhicule témoignant d’une réconciliation entre l’enseignement en art et l’évaluation des apprentissages. Dans l’ouvrage, cette réconciliation s’opère notamment par l’articulation de la théorie à la pratique, qui a orienté la conception de l’ouvrage, par les regards sur les rapports entre enseignement et évaluation, sujets à friction (Romainville, 2012) et par l’affirmation de la différence. À l’image des arts, nous valorisons la diversité des textes, aussi empiriques qu’impressionnistes, tant écrit au je qu’au nous. À l’image de l’évaluation, nous proposons un regard englobant fait d’évidences, de constats et d’appréciation. Au final, un ouvrage-objet qui met en avant-plan des textes en évaluation qui s’adaptent à l’art et des textes en arts qui s’adaptent à l’évaluation.

    Cet ouvrage s’adresse principalement aux enseignants en arts au postsecondaire. Les chercheurs en évaluation s’intéressant aux domaines artistiques devraient aussi y trouver des sources de réflexion et des pistes de recherche.

    1 / Conception de l’ouvrage

    L’ouvrage est conçu comme des regards qui guident et orientent les actions des enseignants en arts lorsqu’ils évaluent. C’est l’idée à laquelle renvoie l’image de la page couverture créée par Lino. Elle se compose de quatre types de regards allant du général, soit les théories en évaluation, jusqu’au particulier, soit les compétences spécifiques à évaluer.

    1.1 / Regards fondamentaux : autour de la subjectivité et de l’intentionnalité

    L’ouvrage s’ouvre avec des regards d’ordre théorique qui abordent quelques concepts clés en évaluation des apprentissages articulés autour du rapport objectivité-subjectivité. Denis Jeffrey et Lorna Boily lient l’objectivité et l’arbitraire à des principes éthiques. Tous deux insistent sur la part de responsabilité qui revient aux enseignants évaluateurs. Ensuite, François-Marie Gerard propose de viser, dans toute évaluation, une subjectivité maîtrisée et qui donne du sens en opposition à une subjectivité désignant le goût personnel. Ce que fait aussi Dina Zoe Belluigi, mais en l’insérant dans une problématique plus philosophique et en s’appuyant sur le concept d’auctorialité, qu’elle étudie à travers l’intentionnalité de l’étudiant et des enseignants et à travers les manières de l’interpréter. Par sa recherche, elle démontre toute la complexité de l’évaluation.

    1.2 / Regards déployés : de l’audition à la diplomation

    Ici, les regards sur l’évaluation se déploient de part et d’autre de la salle de classe. En amont, avec le chapitre d’Isabelle Mili sur une analyse des pratiques d’évaluation au moment des auditions et en aval, avec celui de Robert Harland et Phil Sawdon qui étudient les critères standardisés menant à la diplomation en arts au Royaume-Uni. Entre les deux, se trouve le chapitre d’Isabelle Héroux et de Laurence Lambert-Chan qui est une mise en relief de pratiques évaluatives dans différents programmes de formation musicale, de l’audition au récital. En fin de chapitre, on y trouve des propositions, faciles à mettre en pratique, pour évaluer dans des circonstances variées.

    1.3 / Regards croisés : entre la peur et le wow !

    Charles Hadji effectue un retour aux sources : que veut dire évaluer ? Inévitablement, il y est question de jugement de valeur qu’il suggère d’affronter par la voie de la légitimité et de la juste place de l’évaluation au sein de l’enseignement des arts. Il amène sur la voie de la coconstruction et de la discussion pour que l’évaluation ne soit plus à craindre. Crainte que Janey Gordon contourne avec son chapitre plutôt impressionniste sur les facteurs wow. Situant ses propos dans une vision sociale, elle aborde l’évaluation avec le regard d’une praticienne en arts visuels et médiatiques qui adapte ses stratégies évaluatives au contexte de son enseignement et à ses étudiants. Entre ces deux chapitres se trouve celui d’Angela Mastracci qui traite d’un des facteurs wow qu’est la créativité. Elle décrit une étude empirique sur la créativité qu’elle a réalisée et propose des critères pour aider les enseignants à évaluer.

    1.4 / Regards appliqués : des compétences et des pratiques

    L’ouvrage se termine par des regards appliqués dédiés spécifiquement aux compétences en arts visuels et en danse. Le chapitre de Bernard-André Gaillot pose les bases en définissant la notion de compétences à partir d’un point de vue franco-européen et prenant appui sur la singularité des arts. Suivent les chapitres dirigés par Pierre Gosselin et Sylvie Fortin où la compétence à créer en arts visuels et en danse est étudiée, notamment à l’aide d’écritures créatives. S’inscrit en complément le chapitre de Martin Mainguy qui décrit comment l’utilisation d’un portfolio, à l’échelle d’un programme collégial québécois en arts visuels, peut faciliter l’évaluation des compétences. Enfin, le chapitre de Diane Leduc et Laurence Lambert-Chan clôt l’ouvrage en proposant des portraits de quatre écoles supérieures d’arts vivants élaborés à travers le prisme du processus d’évaluation des apprentissages.

    2 / Regard sur le futur

    Le sujet de l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur est loin d’être épuisé. Entre les regards demeurent des zones d’ombres, des angles morts. Les questions du rapport objectivité-subjectivité, d’évaluations complexes, d’évaluation de performances, de formation des enseignants à l’évaluation, d’évaluations expérientielles ne sont que quelques exemples d’aspects qui mériteraient une plus grande attention de la part des enseignants et des chercheurs, en arts comme en éducation. C’est la raison pour laquelle un tome 2 est déjà en préparation.

    Nous ne connaissons a priori des choses

    que ce que nous y mettons nous-mêmes.

    KANT, Critique de la raison pure, 1790

    PARTIE 1

     /

    REGARDS FONDAMENTAUX

    AUTOUR DE LA SUBJECTIVITÉ ET DE L’INTENTIONNALITÉ

    Les pires geôles ne sont pas bâties de pierres,

    mais de nos propres actes.

    SIMON ROY, 2014, p. 133

    Il y a ceci d’extraordinaire dans la vie d’un livre et de son auteur : dès que le livre est en marche, même encore indistinct dans les régions obscures de l’inconscient, déjà tout ce qui arrive à l’auteur, toutes les émotions, presque tout ce qu’il éprouve et subit concourt à l’œuvre, y entre et s’y mêle comme à une rivière, tout au long de sa course, l’eau de ses affluents. Si bien qu’il est vrai de dire d’un livre qu’il est une partie de la vie de son auteur en autant, bien entendu, qu’il s’agisse d’une œuvre de création et non de fabrication.

    GABRIELLE ROY, 1984, p. 229

    Chapitre 1

     /

    L’éthique de l’évaluation des apprentissages en arts

    Denis Jeffrey et Lorna Boily

    Résumé

    Comment évaluer, à l’aune de critères éthiques et esthétiques acceptables et reconnus, des productions scolaires en art ? Ce type d’évaluation peut contenir une grande part de subjectivité. C’est pourquoi il apparaît essentiel de proposer une réflexion approfondie à ce sujet. Dans la première section de ce texte, nous cernons quelques enjeux pédagogiques et esthétiques dans l’évaluation de l’enseignement en arts. La seconde section est dédiée à une conception générale de l’éthique des professeurs qui est suivie, en troisième section, d’une réflexion sur l’éthique de la responsabilité en enseignement. La quatrième section porte sur les enjeux éthiques liés à la tâche d’évaluer les apprentissages des étudiants en arts. Finalement, nous présentons des pistes de réflexion sur les liens entre les expériences de création et le sacré.

    Objectifs

    Cerner les enjeux éthiques et esthétiques dans l’évaluation d’une production scolaire en art.

    Saisir la dimension initiatique dans une production scolaire en art.

    Les autres animaux vivent dans un environnement, alors que nous habitons les mondes que nous créons. Cette formule met en évidence la préséance de l’imagination symbolique dans nos rapports au réel. Gilbert avait compris, à l’instar de Carl Gustav Jung et de Mircea Eliade, que nous pensons avec des symboles. La faculté de symboliser, soutenaient-ils, est le propre de l’homme. Leurs tissus recouvrent l’entièreté de nos idées. Les symboles définissent l’humain et nous nous définissons à travers les symboles. Sans eux, souligne Durand (1964), nous ne saurions dire qui nous sommes : « pour la conscience humaine, rien n’est jamais simplement présenté, mais tout est représenté. […] L’Homo sapiens n’est en définitive qu’un animal symbolicum » (p. 64). On ne peut échapper aux représentations à travers lesquelles nous percevons, cogitons et portons des jugements. Notre sensibilité esthétique n’est pas orpheline de ces représentations qui permettent de distinguer le beau du laid, mais aussi d’expérimenter l’émerveillement et le dégoûtant. En fait, cette approche durandienne sera la nôtre dans ce chapitre. Elle nous permet de soutenir que le beau n’est pas l’attribut intrinsèque d’une production artistique, mais qu’il est une construction issue de traditions esthétiques qui établissent des critères pour l’apprécier. À cet égard, le jugement sur une production artistique se cultive, s’affine et se raffine. Il n’est pas issu d’un savoir inné ou d’un savoir intuitif. Il n’existe pas d’instinct esthétique qui permettrait de reconnaître la valeur d’une œuvre, de l’apprécier et de la désirer. Le jugement esthétique doit être éduqué, et comme tout jugement, il touche à des dimensions affectives, narratives et réflexives. Dans ce chapitre, nous porterons notre regard sur l’éthique devant accompagner les professeurs qui assument des formations en arts.

    Même si la valeur esthétique des productions d’art suscite de grands débats parmi les spécialistes, force est de constater que nous savons apprécier la qualité des tableaux de Léonard de Vinci, de Pablo Picasso et d’Alfred Pellan. Si nous sommes émus devant un Botticelli ou un Renoir, c’est parce que nous avons appris à reconnaître le génie de ces œuvres. Leur appréciation ne saurait dépendre que des sources innées du goût, car ce serait faire fi de longues traditions d’interprétation des œuvres d’art et de reconnaissance de la qualité du travail des artistes. Dans le cadre de formations en arts, les étudiants² doivent apprendre ces traditions qui leur fournissent des critères pour apprécier une production artistique. Ces traditions constituent des contenus objectifs d’enseignement qui ne sont pas si difficiles à évaluer. Mais si un professeur cherche à éveiller la sensibilité esthétique des étudiants ou s’il les oriente vers une expérience de création, alors l’évaluation devient un réel défi.

    En plus de demander une minutieuse préparation, les apprentissages issus de cette expérience subjective ne s’évaluent pas aussi aisément qu’un contenu objectif. Un professeur avisé pourra miser sur la coévaluation par laquelle il amène l’étudiant à raconter son expérience de création et à lui donner du sens. En première section de ce texte, nous présentons les enjeux éthiques et esthétiques dans l’évaluation d’une production académique en art. La seconde section est dédiée à une conception générale de l’éthique des professeurs qui est suivie, en troisième section, d’une réflexion sur l’éthique de la responsabilité en enseignement. La quatrième section porte sur les enjeux éthiques liés à la tâche d’évaluer les apprentissages des étudiants en arts. Finalement, nous présentons des pistes de réflexion pour saisir la dimension initiatique dans une production académique en art.

    1 / Le contexte de l’enseignement en arts

    L’évaluation des apprentissages, soit-elle formative ou sommative, produit un résultat devant être le plus objectif possible dans le sens où il est censé représenter la qualité du travail d’un étudiant. Le résultat devrait indiquer à l’étudiant son progrès, au professeur la valeur de son enseignement et à l’établissement d’enseignement une mesure sur la qualité du programme et de la formation. Même s’ils s’efforcent d’atteindre l’objectivité, les professeurs reconnaissent en général que leur jugement évaluatif compose avec leur subjectivité (Jeffrey, 2013). Au moment de l’évaluation, ils peuvent être fatigués, inattentifs, moins concentrés, et parfois exaspérés par des travaux brouillons. Le jugement évaluatif n’échappe pas aux changements d’humeur, à la baisse d’énergie ou à la lassitude. Un professeur peut être plus ou moins sévère selon qu’il commence ou termine ses corrections. En fait, tous les professeurs ont vécu des moments d’hésitation en évaluant le travail d’un étudiant. La note attribuée témoigne-t-elle de sa valeur réelle ? Est-elle trop basse ou trop haute comparée aux notes des autres étudiants ? En fait, est-elle équitable, impartiale, sans parti pris ? Les travaux devraient-ils être revus afin d’assurer l’équité dans la distribution des notes ?

    Les professeurs des différentes disciplines artistiques, à tous les niveaux d’enseignement, reconnaissent la complexité de la tâche pour évaluer le plus objectivement possible les productions des étudiants. Leur pouvoir discrétionnaire ne pourrait être remis en question, mais il doit être balisé par des valeurs de justesse, de probité, d’équité et d’impartialité. Soulignons, d’entrée de jeu, qu’il n’existe pas au Québec de procédures judiciaires pour contester la décision d’un professeur concernant une évaluation scolaire³. Un étudiant insatisfait peut néanmoins se plaindre aux plus hautes instances et s’inscrire dans une demande de révision de note s’il croit avoir été victime d’une erreur ou d’un traitement inéquitable. Un comité de révision peut maintenir, augmenter ou diminuer la note d’un étudiant. Tout de même, l’évaluation pratiquée par un professeur est un acte privé, autonome et discrétionnaire. Étant donné cette autorité professionnelle sur les processus d’évaluation, les étudiants doivent leur faire confiance. C’est en assumant leurs tâches avec professionnalisme que les professeurs maintiennent, et même rehaussent, cette confiance.

    Les évaluations peuvent avoir un effet important sur l’avenir des étudiants (Lemay, 2000). Cela constitue un truisme de dire que ces derniers craignent l’arbitraire, surtout lorsqu’un professeur émet une note sans la justifier par des commentaires éclairants. Par souci d’objectivité, nombre de professeurs demandent aux étudiants de participer à l’évaluation de leurs travaux. Or, ceux-ci ne sont pas toujours à l’aise avec l’autoévaluation parce qu’il est difficile de porter un jugement honnête et circonspect sur son propre travail. En revanche, les étudiants seraient moins embarrassés par une coévaluation à la fois écrite et orale – par le truchement du cahier réflexif ou du portfolio pour inscrire les étapes de réalisation d’un travail dans lequel l’étudiant et le professeur consignent leurs échanges – dans la mesure où il y a entente sur des critères à l’aune desquels sera menée l’évaluation. L’expérience montre que ces critères peuvent être de divers ordres : esthétiques, pédagogiques, didactiques et éthiques. L’ordre pédagogique ne touche pas uniquement les performances ou les compétences, mais également des procédures que les étudiants doivent suivre à la lettre : préparation, utilisation et rangement du matériel, gestion des comportements, respect des consignes, etc. Et puis, au terme d’un atelier de création, chacun doit nettoyer les outils utilisés et se laver les mains.

    Les professeurs peuvent initier les étudiants à des valeurs esthétiques à travers des réalités qu’ils connaissent comme le tag, la murale, la pochette de disque, la bande dessinée ou les illustrations de livres. Quels que soient les objets artistiques étudiés, les étudiants doivent connaître des critères reconnus par les traditions en arts pour les apprécier, mais surtout pour les juger dans une perspective critique. En effet, porter un « jugement critique » signifie précisément établir son point de vue à l’aune de critères établis et reconnus par une communauté de spécialistes. En fait, la connaissance approfondie de critères établis pour porter un jugement critique sur des productions artistiques est aussi importante que la connaissance des productions artistiques elles-mêmes. En l’absence de critères, le jugement risque la régression sur le plan de l’opinion personnelle ou du goût rudimentaire. L’opinion personnelle peut cependant servir d’entame pour amorcer l’étude d’une œuvre, mais, en elle-même, l’opinion ne se discute pas. Le professeur doit amener les étudiants à passer du niveau des goûts et des opinions personnels, émanant de l’affectivité, à la narration, puis à la réflexivité. Le niveau narratif est déjà plus raffiné que celui de l’affectivité, car il demande une démarche intellectuelle plus élaborée fondée sur le récit de l’étudiant au sujet de ses expériences esthétiques. Le niveau réflexif, quant à lui, permet d’émettre un jugement qui prend en compte des critères établis et se démarque par la qualité de sa justification. C’est pourquoi l’enseignement de critères historiques, sociaux, politiques et esthétiques, à l’aune desquels les étudiants peuvent émettre des jugements réfléchis, est didactiquement incontournable. De plus, les jugements élaborés à partir de critères sont certes discutables, mais ils sont évaluables.

    L’évaluation doit porter sur l’ensemble du processus d’apprentissage des étudiants, et non seulement sur leurs productions, réalisations et performances finales. Plus qu’en d’autres matières, la pédagogie dans les disciplines artistiques est fortement individualisée. Les professeurs en arts encadrent jusqu’à trente-cinq étudiants (et parfois plus), travaillant simultanément sur trente-cinq projets différents à l’aide de trente-cinq processus de création divergents qui mèneront à trente-cinq évaluations distinctes. On comprend que pour ces professeurs, l’évaluation constitue une véritable corvée, surtout qu’ils doivent prendre en charge des classes de plusieurs niveaux d’enseignement. Il ne fait pas de doute que les tâches d’évaluation, additionnées à celle de gestion de classe, sont colossales. Une étude de Kuster (2010) à cet égard révèle que les problématiques liées à l’évaluation et à la gestion de classe sont de première importance pour les enseignants en arts du niveau secondaire. D’autres recherches (Huberman, 1989 ; Boutin, 2003 ; Gervais, 1999 ; Martineau et Gauthier, 1999) montrent que les enseignants débutants du secondaire ont le sentiment qu’ils ne sont pas bien préparés pour diriger leur classe et pour évaluer les apprentissages. Ce sentiment pourra être accentué chez les enseignants en arts, étant donné leurs nombreux défis. Partant de ce sentiment partagé par les enseignants novices, des chercheurs (Norman et Feiman-Nemser, 2005) considèrent que la formation des enseignants ne contribue pas suffisamment au développement d’habiletés pratiques comme la gestion de classe et l’évaluation des apprentissages. De leur côté, Lenoir et Tochon (2004) relatent que les actions éducatives des enseignants débutants reposent sur l’improvisation parce qu’ils se sentent dépassés par leurs nombreuses responsabilités. Il n’est pas déraisonnable d’extrapoler ces résultats pour l’enseignement postsecondaire étant donné que les professeurs des établissements collégiaux et universitaires ne sont pas nécessairement formés pour assumer les compétences pédagogiques associées à l’évaluation. Comme pour nombre d’enseignants, ils apprennent de leurs propres expériences.

    En somme, plusieurs chercheurs (Gauthier et al., 1997 ; Tardif et Lessard, 2000) émettent des doutes sur la capacité des enseignants débutants – et cela vaut pour tous les niveaux d’enseignement – à mener des évaluations avec compétence. Ils devront pourtant apprendre rapidement à se débrouiller pour être à la hauteur de leurs tâches, mais sans faire trop de faux pas ni prendre trop de mauvais plis. Puisque l’évaluation constitue un grand défi, alors on peut considérer qu’elle demande aux professeurs une attention éthique particulière.

    2 / L’éthique et la confiance mutuelle

    Même si les éthiques⁴ sont plurielles, toutes s’intéressent aux régulations des libertés individuelles (Canto-Sperber, 2001). Dans les sociétés démocratiques comme le Canada, nous jouissons de plusieurs libertés que ne connaissaient pas les générations antérieures. Pensons, notamment, à la liberté acquise par les femmes d’accéder à tous les programmes universitaires. Nos chartes de droits, qui n’ont pas encore un demi-siècle d’existence, ratifient des libertés individuelles qui touchent notamment aux convictions religieuses, à l’expression des idées et à l’orientation sexuelle. Nous possédons des libertés qui font l’envie d’individus qui habitent dans des pays qui tolèrent le racisme, le sexisme et l’homophobie. Mais ces libertés chèrement acquises ont des assises fragiles. Elles doivent être protégées par des institutions démocratiques. En même temps, chaque individu doit apprendre à les connaître, à les utiliser avec sagesse et à les assumer. Une liberté ne pourrait conférer un pouvoir absolu à un individu. Par exemple, on ne pourrait user de sa liberté d’expression sans considérer autrui. Nous jouissons tous des mêmes libertés. Nos libertés commencent là où celles des autres commencent, et s’arrêtent là où celles des autres s’arrêtent. Nous sommes tous libres en même temps. Nous sommes tous égaux en dignité. C’est pourquoi nous devons apprendre à partager nos libertés avec autrui. C’est en ce sens que l’éthique concerne les régulations des libertés individuelles. Si les libertés n’étaient pas régulées, les plus forts pourraient abuser des plus faibles.

    Les conceptions de l’éthique se singularisent habituellement par leur position sur : 1) La reconnaissance des libertés individuelles ; 2) L’éducation des individus au sujet de ces libertés ; 3) Leurs limitations. Une éthique propose des maximes, des valeurs, des normes, des devoirs, des règles qui signalent aux individus que leurs libertés ne sauraient être sans limites. À côté de l’éthique, les libertés individuelles sont limitées par diverses autres règles issues des mœurs, des us et coutumes, du droit, des pouvoirs politiques et de la religion. Or, les règles de l’éthique se distinguent des autres du fait qu’elles s’établissent sur la reconnaissance de l’autonomie morale⁵ des individus et sur la confiance qu’on leur accorde. Cette confiance s’appuie sur une gageure ou une présomption que chacun a appris à bien se conduire⁶. À cet égard, nous présumons que nous pouvons leur faire confiance. Par exemple, nous présumons que la personne que nous rencontrons dans la rue ou sur un site web ne nous veut pas de mal. Il y a là une gageure, car nous ne pouvons jamais en avoir la totale certitude. Mais nous préférons y croire, sinon la vie en société serait intenable. Nous préférons d’emblée faire confiance aux individus. Lorsqu’une personne que vous fréquentez depuis quelques semaines vous déclare son amour, vous prenez le risque de la croire. Nous présumons que le serveur au restaurant ne va pas abuser de notre confiance en nous trompant sur le coût du repas. Nous présumons que le chauffeur de taxi ne prend pas de détours pour augmenter son gain. Bien évidemment, le niveau de confiance pourra varier selon les situations, les contextes et les personnes en présence. Mais nous devons reconnaître que la confiance mutuelle est préalable aux relations éthiques émancipatrices. Lorsque les liens de confiance sont brisés, alors l’éthique tend à devenir contraignante, et même oppressante. La méfiance s’installe, les positions se contractent, les communications deviennent plus acerbes, chacun se surveille.

    Les étudiants, en début d’année scolaire, présument qu’ils peuvent faire confiance à leurs professeurs. Les professeurs présument que leurs étudiants se conduiront selon les normes éthiques de l’établissement. Lorsque la confiance règne, les régulations éthiques s’imposent d’elles-mêmes. Les étudiants s’attendent à ce que les professeurs agissent avec bienveillance et équité, et ces derniers s’attendent à ce que les étudiants ne trichent pas, ne mentent pas et ne les trompent pas. Lorsqu’on ne se fait plus confiance, par contre, les régulations éthiques ne suffisent plus. Il faut alors faire appel aux régulations politiques et juridiques.

    Les règles de l’éthique se sont constituées historiquement autour de deux grandes orientations : 1) les règles qui encadrent le « savoir-vivre-ensemble » (civisme, civilité, politesse, sécurité, etc.) dans des établissements justes et 2) les règles qui encadrent les conduites individuelles. La première orientation touche aux questions de justice, alors que la seconde concerne la vie bonne (Ricœur, 1990). Or, le thème de la confiance est commun à ces deux orientations, et peut même servir de critère pour différencier les éthiques contraignantes et les éthiques émancipatrices. Habituellement, les tenants des éthiques contraignantes accordent peu de confiance aux individus, alors que les tenants des éthiques émancipatrices leur accordent une grande confiance. L’éthique humaniste⁷, dans laquelle nous nous inscrivons, se veut émancipatrice. Elle est fondée sur l’égale valeur des êtres humains en dignité et sur la confiance mutuelle. C’est une éthique qui reconnaît aux individus beaucoup de libertés et de responsabilités. Elle est aux antipodes des éthiques contraignantes qui sont arrimées sur des logiques de domination des individus. Ces dernières cherchent à limiter leurs libertés, à contrôler leur agir et même à les asservir. Elles se justifient en s’appuyant sur la difficulté, sinon l’impossibilité, de faire confiance aux individus. Par conséquent, ces éthiques se servent de la méfiance pour légitimer l’assujettissement, l’asservissement et l’oppression.

    Soulignons enfin, pour préciser notre conception émancipatrice de l’éthique, que la liberté de conscience (pouvoir penser et agir autrement) est la condition cognitive de la vie morale. L’activité morale suppose une liberté de conscience qui, peu à peu, affirme et défend ses valeurs et ses convictions d’une manière responsable. La moralité, c’est-à-dire la capacité d’agir moralement, consiste à établir un choix, une décision ou une action sur un critère moral et à en assumer la responsabilité. L’autonomie morale, pour le dire brièvement, renvoie à la capacité de l’individu de trouver des ressources en lui-même pour agir avec dignité et responsabilité. L’individu moralement autonome n’attend pas qu’on lui dise ce qu’il peut faire de bien, il en prend l’initiative.

    En matière de développement cognitif, l’acquisition de la liberté de conscience, de l’autonomie morale et de la capacité de responsabilité sont préalables à la reconnaissance des libertés individuelles (expression, pensée, conviction, association, déplacement, travail, etc.). On ne pourrait reconnaître à des enfants des libertés individuelles pour lesquelles ils ne pourraient être responsables. La liberté de conscience est un acquis dans l’évolution de l’Homo sapiens, mais son apprentissage et son usage sont des phénomènes culturels (Ogien, 2011). En effet, nous ne naissons pas avec une claire connaissance de notre pouvoir d’agir librement et de nos responsabilités. Cette connaissance nous est transmise au cours de notre éducation et chacun de nous en expérimente le cadre et les limites. Les enfants doivent donc être socialisés et éduqués aux libertés individuelles reconnues par leur société. Cette possibilité de se voir confier des libertés individuelles entraîne de facto des responsabilités. Dans toutes les sociétés humaines, les enfants deviennent complètement responsables de leurs actes lorsqu’ils atteignent l’âge adulte ou lorsqu’ils passent avec succès, selon les rites traditionnels, des épreuves initiatiques. Avant l’âge de la maturité, on leur reconnaît peu de libertés individuelles puisqu’ils ne sont pas encore aptes à les assumer. En fait, on les déclare autonomes moralement lorsqu’ils sont réputés capables d’assumer les libertés reconnues aux individus de leur société.

    En somme, nous inscrivant dans une tradition humaniste, notre éthique émancipatrice présuppose, au point de vue sociopolitique, la confiance mutuelle, et au point de vue cognitif, la liberté de conscience et l’autonomie morale de chaque individu. Une telle éthique, plutôt que de contraindre, invite chacun à se conduire avec dignité et d’une manière responsable dans la conduite de sa vie. Nous verrons plus loin comment cette éthique de la responsabilité convient aux professions de l’enseignement. Les professeurs, dans le cadre d’une telle éthique, sont invités – et non pas contraints – à se conduire de manière à conserver la confiance des étudiants.

    3 / L’éthique de la responsabilité

    Une éthique de la responsabilité peut prendre plusieurs orientations (Genard, 1999). Nous en retenons deux – une orientation optative et une orientation cognitive⁸ – que nous exposons brièvement. Une éthique de la responsabilité pour les professeurs présuppose d’abord une orientation optative (d’opter) définie comme ce qu’il est souhaitable de faire. L’orientation optative s’appuie sur des valeurs morales choisies qui inspirent et guident les professeurs. Définissons d’abord la valeur morale avant de souligner comment elle devient une norme éthique qui encadre les professions de l’enseignement. Une valeur est un bien moral ou un idéal moral. Elle indique une manière de se conduire qui est désirable, enviable ou préférable. Par exemple, l’équité est un bien moral désirable qui peut inspirer les conduites des professeurs dans les situations d’évaluation. Une éthique de la responsabilité ne pourrait pourtant pas contraindre un professeur à l’équité, mais elle peut les appeler à se conduire avec équité. La première orientation de l’éthique de la responsabilité prend le sens d’inviter les professeurs à prendre en compte les valeurs morales qui guident leurs conduites professionnelles. Une telle éthique ne peut forcer les professeurs à se conformer à des valeurs de bienveillance, de générosité, de franchise et d’équité, mais elle les sollicite et les encourage à aiguiller leurs conduites à l’aune de celles-ci.

    Dans le giron d’une éthique de la responsabilité, aucune valeur ne prime une autre et chacune doit être appréciée dans les contextes d’enseignement et dans les situations éducatives. Par exemple, un professeur pourrait être déchiré entre deux valeurs comme l’égalité des chances et la performance. Il lui revient alors de prendre une position et de la justifier. Un professeur se montre responsable lorsqu’il peut rendre compte de ses décisions et de ses actions. Partager ses décisions avec ses pairs représente un grand défi dans les milieux d’enseignement où on discute peu d’éthique. Aussi, on doit considérer que les valeurs n’ont pas le même sens pour tous les professeurs. En fait, une valeur doit inconditionnellement être définie dans son contexte. Par exemple, la valeur solidarité peut servir à justifier des actes moraux ou immoraux. Pensons notamment à la solidarité dans le crime et à la solidarité des djihadistes de l’État islamique. Comment différencier cette solidarité de celle des personnes vouées à la cause des migrants ? À bien des égards, rendre compte de ses décisions implique pour un professeur de définir ses valeurs afin de leur donner un poids moral.

    Cela étant dit, aucun professeur ne peut se passer d’une constellation de valeurs, traduites sous forme de normes éthiques, qu’il partage avec ses pairs. Ces valeurs pourront orienter ses pratiques et le motiver à agir avec responsabilité. Dans les faits, une norme éthique est fondée sur une valeur qui exprime un idéal partagé par un groupe de professionnels. Parmi les normes les plus importantes des professions de l’enseignement, soulignons celles-ci : le respect inconditionnel des étudiants, le professionnalisme (agir avec compétence), la discrétion, la distance professionnelle, la confidentialité, la loyauté et l’intégrité morale. Dans les diverses situations éducatives, un professeur est invité à conserver une juste distance affective et sociale avec ses étudiants. De plus, il fait preuve de discrétion et montre une loyauté à l’égard de son employeur.

    Toutefois, la réalité du travail enseignant entraîne de multiples situations à propos desquelles plane une certaine ambiguïté sur le choix de la meilleure conduite. Un professeur peut être déchiré par un dilemme, par exemple attribuer une bonne note sur la production d’un étudiant afin de le motiver, alors que le travail mérite l’échec. Il apprend alors à composer avec les normes de sa profession qui ne sont pas des modes d’emploi ou des directives applicables à toutes les situations. C’est le sens de l’orientation cognitive d’une éthique de la responsabilité. Lorsqu’il rencontre une situation dilemmatique, il lui revient de prendre une décision éclairée dont il pourra expliquer les termes. L’orientation cognitive est aussi importante que l’orientation optative. Alors que la première propose des valeurs pour guider l’action, la seconde propose plutôt des outils réflexifs – à l’instar de méthodes de résolution de dilemmes – qui lui permettent d’analyser une situation problématique, de prendre la meilleure décision et de la justifier. En agissant de manière responsable, c’est-à-dire en rendant compte de leurs pratiques, les professeurs montrent qu’on peut leur faire confiance. L’orientation cognitive de l’éthique de la responsabilité implique donc, pour les professeurs, de se rapporter au monde des valeurs tout en considérant les contextes et la singularité des situations réelles de classe. Si la valeur est du côté du souhaitable, l’orientation cognitive est du côté de la réflexibilité (Giddens, 2004).

    Un professeur en position d’autorité, autonome pédagogiquement et reconnu pour ses nombreuses responsabilités, possède certes de grandes libertés de décision et d’action, mais celles-ci ne pourraient être illimitées. C’est pourquoi les pratiques enseignantes sont régulées par des normes sociales, politiques, juridiques et éthiques. Nous avons souligné que la régulation éthique se distingue des autres du fait qu’elle est fondée sur l’autonomie des individus et la confiance mutuelle. Plus que pour les autres régulations, elle les convoque à assumer leurs décisions de manière responsable afin de conserver la confiance des étudiants et du public. Dans le cadre de l’enseignement collégial et universitaire, la responsabilité invite les professeurs à expliquer leurs actes et leurs décisions à l’aune des normes éthiques et des savoirs établis de leur profession. Du latin respondere, c’est-à-dire « répondre de » et « se porter garant », le concept de responsabilité signifie en premier lieu « rendre compte de ses actes ». La responsabilité désigne la capacité d’assumer ses choix devant autrui. En fait, les professeurs sont appelés à rendre compte de leur travail. Cela signifie, en réalité, que les professeurs doivent être capables d’expliquer clairement et convenablement aux étudiants, aux membres de la direction de leur établissement et au public pourquoi ils choisissent telle activité pédagogique plutôt qu’une autre, pourquoi ils interviennent en gestion de classe de telle manière plutôt que d’une autre manière et pourquoi ils évaluent les productions des étudiants à partir de tels ou tels critères. Ils doivent donc être capables de porter un éclairage professionnel sur leurs pratiques. En somme, la responsabilité appelle les professeurs à s’engager à agir en tout temps d’une manière responsable pour conserver la confiance de tous.

    4 / L’éthique dans l’évaluation des apprentissages

    Les pratiques évaluatives sont intrinsèquement liées à l’ensemble du processus éducatif. Elles sont même devenues, souligne Hadji (1989, 1997), une véritable obsession dans les établissements scolaires. Avec la gestion de classe, l’évaluation constitue la tâche enseignante la plus pénible, et c’est celle qui soulève le plus de questions d’ordre éthique. En effet, comment un professeur peut-il être assuré que son jugement évaluatif est juste, honnête et équitable ? Après des heures à évaluer des productions d’étudiants, comment peut-il être certain de la justesse de son jugement ? Toutes les enquêtes menées sur l’évaluation de travaux d’étudiants par des professeurs débutants ou chevronnés montrent que l’objectivité est un idéal impossible à atteindre (Merle, 1998).

    Il ne sert à rien ici de relever les fautes professionnelles volontaires dans les tâches évaluatives, car elles sont déjà suffisamment connues (Jeffrey, 2013). Nous osons espérer que tous les professeurs agissent toujours dans l’intérêt des étudiants, même si nous savons bien que les traditions éducatives en évaluation connaissent plusieurs

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