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La Chute: La folie de l’ego dans l’histoire humaine et l’avènement de la nouvelle conscience
La Chute: La folie de l’ego dans l’histoire humaine et l’avènement de la nouvelle conscience
La Chute: La folie de l’ego dans l’histoire humaine et l’avènement de la nouvelle conscience
Livre électronique542 pages8 heures

La Chute: La folie de l’ego dans l’histoire humaine et l’avènement de la nouvelle conscience

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À propos de ce livre électronique

La Chute est une recherche exhaustive qui renverse l’opinion générale
à propos de la nature humaine et de celle de la civilisation.
L’auteur s’appuie sur des preuves accumulées depuis les dernières
décennies qui indiquent que la civilisation préhistorique était non belliqueuse et égalitaire, au lieu d’être prompte à faire la guerre et brutale. Il n’est pas naturel que les êtres humains s’entretuent, que les hommes
oppressent les femmes, que chacun cherche à accumuler une grande richesse et du pouvoir, ou même que l’homme utilise la nature au point de la détruire. Les mythes à travers le monde d’un Âge d’or ou d’un paradis originel ont donc un fondement archéologique et factuel.
LangueFrançais
Date de sortie4 déc. 2013
ISBN9782897334291
La Chute: La folie de l’ego dans l’histoire humaine et l’avènement de la nouvelle conscience
Auteur

Steve Taylor

Steve Taylor is the founding pastor of Graceway Baptist Church (www.graceway.org.nz), in Ellerslie, New Zealand. He is completing a PhD on the emerging church and has a Masters in Theology in communicating the cross in a postmodern world. Steve receives requests to supply spirituality resources and to speak in UK and US.

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    Aperçu du livre

    La Chute - Steve Taylor

    www.laburbain.com

    AVANT-PROPOS

    Depuis plusieurs années, je suis fasciné par les peintures préhistoriques que l’on trouve dans plusieurs cavernes partout dans le monde et que j’ai visitées. J’ai toujours été surpris par l’absence de guerriers et d’images guerrières dans ces peintures. Dans ce livre remarquable, Steve Taylor explique cette absence. Selon lui, les mythes sur un âge d’or ou un paradis originel que l’on trouve partout dans le monde ont une base réelle et archéologique. Cependant, à un certain moment au cours de la préhistoire, quelque chose a mal tourné, c’est-à-dire quand la guerre, le système patriarcal, les inégalités sociales et autres développements similaires se sont répandus. Jusqu’à ce moment-là, les sociétés humaines étaient généralement pacifiques et égalitaires, et les individus ressentaient un bien-être psychologique et un lien avec le cosmos. Il ne s’agit pas simplement de conjectures ou de rêves en couleurs ; Taylor présente de nombreuses preuves pour soutenir ce qu’il affirme.

    La transformation a commencé vers 4000 av. J.-C., à la suite de changements climatologiques importants en Asie centrale et au Moyen-Orient. Ces changements ont rendu la vie plus difficile et ont provoqué un sens de l’individualité plus aigu parmi les habitants de ces régions. Taylor appelle ce phénomène « l’Explosion de l’ego », et affirme que c’est la différence fondamentale entre les descendants de ces peuples (comme les Européens ou les Américains d’aujourd’hui) et les peuples indigènes qui subsistent encore, comme les aborigènes d’Australie ou les Amérindiens. Selon lui, cette augmentation du sens de l’ego est la cause principale de la guerre, de la domination et de l’oppression sociale par les hommes, ainsi que de nombreuses autres caractéristiques, comme les religions théistes. Selon lui, l’histoire de l’humanité, au lieu d’être une progression continuelle (comme certains historiens voudraient le croire), est plutôt une dégénération.

    Après une analyse détaillée de la longue et triste succession de violences et d’oppressions qui parsèment l’histoire, Taylor réussit quand même à rester optimiste quant à l’avenir de l’humanité. Il existe selon lui plusieurs signes démontrant que nous sommes au tout début d’une nouvelle phase historique, phase que Taylor appelle l’ère trans-Chute. De récents développements, comme des relations plus égalitaires entre les hommes et les femmes et une image plus saine du corps humain et de la nature, font espérer pour l’avenir.

    Les idées de Taylor sont provocatrices, et toujours captivantes pour le lecteur. J’espère que ce livre important aura un grand public et saura toucher les gens et les institutions qui influencent les comportements et les opinions du public. Alors que l’existence même de l’humanité est menacée, Steve Taylor nous offre une voie tout à la fois visionnaire et pratique pour sortir du bourbier qui déforme la nature humaine.

    Dr Stanley Krippner

    Professeur de psychologie

    Saybrook Graduate School

    Californie

    INTRODUCTION

    Depuis 6000 ans, les êtres humains souffrent d’une espèce de psychose collective. Dans presque toute l’histoire, les êtres humains sont fous, à un degré ou à un autre.

    Cela semble incroyable, mais nous en sommes venus à accepter les conséquences de notre folie comme normales. La folie est partout, et plus personne ne sait ce qu’est un comportement sain et rationnel. Les pratiques les plus absurdes et les plus obscènes deviennent des traditions, et sont vues comme naturelles. Il devient « naturel » pour les êtres humains de s’entretuer, pour les hommes d’opprimer les femmes, pour les parents d’opprimer les enfants, pour de petits groupes de gens d’être extrêmement puissants et de dominer un grand nombre d’autres personnes. Il devient normal pour les gens de maltraiter le monde naturel au point de causer des désastres écologiques, de mépriser leur propre corps et de se sentir coupables d’avoir des désirs complètement naturels. Il devient « naturel » pour les êtres humains d’essayer d’accumuler une énorme fortune dont ils n’auront jamais besoin, et de poursuivre sans fin le succès, le pouvoir ou la célébrité. Il devient aussi « naturel » que, même s’ils réussissent à obtenir une fortune et un certain statut social, ils ne trouvent jamais aucune plénitude ou aucun contentement de toute façon, mais demeurent constamment insatisfaits.

    Le but de ce livre est de découvrir d’où vient cette folie, et de voir si elle est vraiment naturelle chez les êtres humains. Nous étudierons plusieurs preuves qui suggèrent que les premiers êtres humains étaient beaucoup plus « sains » que nous. Et même, jusqu’à tout récemment, il existait beaucoup d’endroits dans le monde où le genre de comportement pathologique que je viens de décrire n’existait pas.

    Toute cette folie est le résultat d’un évènement que j’appelle la Chute — un changement de psychologie collective qu’ont subi des groupes importants il y a environ 6000 ans, à la suite d’un désastre environnemental qui a commencé au Moyen-Orient et en Asie centrale. Une nouvelle sorte d’êtres humains est alors apparue, et celle-ci avait un sens plus développé de l’individualité et une nouvelle façon de percevoir le monde et de faire l’expérience de la vie. D’une certaine façon, ce nouveau type d’êtres humains était une avancée, qui a permis des avancées technologiques, par exemple, et les civilisations sumériennes et égyptiennes (ainsi que plusieurs autres par la suite). Mais il a aussi fait naître des pathologies sociales comme la guerre, la domination masculine et les inégalités sociales.

    Nous verrons qu’avant la Chute, la vie humaine était apparemment plutôt plaisante et sans inquiétude, joyeuse même. Mais après la Chute, elle est devenue « difficile, brutale et courte », tellement remplie de misère qu’un nombre incalculable de générations n’ont pu l’endurer qu’en se convaincant qu’il s’agissait seulement d’un bref passage — à supporter autant qu’ils le pouvaient — avant de pouvoir atteindre un paradis éternel. Mais peut-être, et j’en discute dans la dernière section de ce livre, avons-nous maintenant accompli un cercle complet et redevenons-nous sains d’esprit. Depuis quelques siècles, et en particulier depuis le XVIIIe siècle, on peut voir par quelques signes qu’il y a une réémergence de toutes les caractéristiques qui existaient dans le monde avant la Chute. Il y a eu une réémergence de la démocratie et de l’égalité, du respect pour la nature et le corps humain, une conscientisation qu’il existe des réalités spirituelles essentielles dans le cosmos, etc. Ces caractéristiques ne sont peut-être pas encore dominantes comme le sont celles de la Chute, mais elles sont certainement en train de devenir de plus en plus fortes.

    Les années que j’ai mises à faire des recherches et à écrire ce livre ont été comme un voyage et m’ont beaucoup inspiré. Je n’aurais pas pu me rendre jusqu’au bout sans un grand nombre de guides. Je suis particulièrement reconnaissant envers Riane Eisler, Gerhard Lenski, Christopher Boehm, Robert Lawlor, Richard Heinberg, Brian Griffith, Elizabeth Baring et Jules Cashford, Richard Rudgley, Elman R. Service, Margaret Power et Christopher Ryan, sans parler des nombreux auteurs — en particulier dans le domaine de l’anthropologie — dont j’ai consulté les travaux. Je suis aussi reconnaissant envers Stanley Krippner et Christopher Ryan pour leurs nombreux commentaires sur mon manuscrit. Mais surtout, je suis reconnaissant envers James DeMeo, dont le livre Saharasia m’a donné la clé permettant de comprendre les causes environnementales de la Chute.

    Ce livre parle beaucoup de ce que nous avons perdu, mais aussi, je l’espère, de ce que nous pouvons faire pour le retrouver. Si vous ne retenez, chers lecteurs, qu’une chose de ce livre, j’espère que ce sera la compréhension que les choses n’ont pas besoin d’être comme elles le sont maintenant. Les derniers 6000 ans ont été un cauchemar schizophrénique dont on commence seulement à sortir. Si ce livre peut contribuer à ce processus, même d’une façon très minime, je serais plus que content.

    Première partie

    l’histoire de la chute

    1

    Qu’est-ce qui ne va pas avec les êtres humains ?

    Si des extra-terrestres nous observent depuis des milliers d’années, ils sont peut-être arrivés à la conclusion que les êtres humains sont le résultat d’une expérience scientifique qui a horriblement mal tourné. Ils ont peut-être émis l’hypothèse que d’autres extra-terrestres ont choisi la Terre pour faire une expérience et essayer de créer un être parfait doté d’une intelligence et d’une ingéniosité extraordinaires. Et ils ont bel et bien créé cet être, mais peut-être que l’équilibre des différents produits chimiques n’était pas tout à fait correct, ou peut-être que certains équipements de leur laboratoire se sont brisés à mi-chemin, car, bien que cette créature possède effectivement une intelligence et une ingéniosité extraordinaires, elle s’est aussi révélée être une espèce de monstre, avec des défauts aussi grands, sinon encore plus grands, que ses aptitudes.

    Supposez que vous deviez établir le bilan du genre humain, avec les réalisations positives d’un côté et les échecs et les problèmes de l’autre. Du côté positif, il y aurait les réalisations scientifiques et technologiques extraordinaires qui ont fait de nous l’espèce la plus prospère dans l’histoire de la Terre : les avancées de la médecine moderne, par exemple, qui ont permis de doubler notre espérance de vie, de réduire massivement les taux de mortalité infantile, de gérer les maladies qui transformaient en enfer la vie de nos ancêtres (comme les maux de dents, la surdité ou la myopie) et d’éradiquer les maladies qui les décimaient, comme la variole ou la tuberculose. Il y a ensuite nos réalisations dans les domaines de l’ingénierie et de la construction : les immeubles de 100 étages, les avions, les voyages spatiaux, les tunnels sous la mer. Et puis les incroyables avancées de la science moderne, qui nous ont permis de comprendre les lois physiques de l’univers ou comment la vie a évolué, de découvrir la structure chimique des êtres vivants et la structure physique de la matière.

    Il faudrait aussi tenir compte dans le côté positif des réalisations magnifiques de la créativité humaine. Les symphonies de Mahler ou de Beethoven, les chansons des Beatles ou de Bob Dylan, les romans de Dostoïevski ou de D. H. Lawrence, les poèmes de Wordsworth ou de Keats, les peintures de Van Gogh : d’une certaine façon, ces œuvres sont aussi impressionnantes qu’un immeuble immense ou une grande découverte scientifique, sinon plus. Il faudrait aussi mettre la sagesse et les connaissances des grands philosophes et des grands psychologues qui nous ont permis de comprendre notre propre psyché et notre difficile situation en tant qu’êtres vivants conscients.

    Et si, comme le croient certains scientifiques, le véritable but de la vie pour tous les êtres vivants est de survivre et de se reproduire, alors le genre humain a eu beaucoup de succès de ce côté-là aussi. Les analyses de l’ADN suggèrent que tous les êtres humains vivant aujourd’hui descen-dent d’un groupe de quelques centaines à un millier d’individus ayant quitté l’Afrique il y a 125 000 ans. Et donc, en seulement 125 000 ans, ce groupe d’êtres humains a atteint le chiffre effarant de 5 milliards.

    Mais il semble que ce soit une loi de la nature qu’un progrès important dans un domaine doive être contrebalancé par un manque de progrès dans un autre domaine. Les grands talents, apparemment, viennent toujours avec de grandes déficiences. Voyez les grands artistes, comme Van Gogh ou Beethoven, dont le prix du génie était l’instabilité mentale, la dépression et le manque d’aisance en société. Ou encore le type même du scientifique dans la lune qui oublie d’attacher ses lacets et ne peut jamais se souvenir du nom de ses petits-enfants. Le génie, semble-t-il, a toujours un prix.

    La meilleure illustration de cette loi n’est pas un individu quelconque, mais toute notre espèce, parce que le côté brillant des réalisations du genre humain est contrebalancé par un côté sombre, horrible et déprimant.

    LE CÔTÉ SOMBRE DE L’HISTOIRE HUMAINE : LA GUERRE

    En plus d’être l’espèce la plus prospère de l’histoire de la Terre, l’être humain est aussi de loin la plus destructrice et la plus violente. Il est impossible de lire un livre d’histoire, peu importe la période historique, sans être choqué par ce que l’historien Arnold Toynbee appelle « l’horrible impression de vice qui se manifeste dans les affaires humaines¹ ». Pour la plupart des historiens, l’histoire commence avec les civilisations de l’Égypte et de Sumer, qui sont apparues vers 3500 av. J.-C. Et à partir de cette époque, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire est principalement un catalogue de guerres sans fin : conflits à propos de frontières, attaques éclair pour rassembler des esclaves ou des victimes pour les sacrifices, invasions pour gagner de nouveaux territoires ou augmenter la gloire d’un empire. Mais en fait, ces raisons extérieures pour se battre ne sont pas vraiment significatives, puisque la véritable cause est le besoin intérieur de conflits qu’ont toujours ressenti les êtres humains.

    Selon certaines personnes, la guerre est quelque chose de « naturel », soit à cause de certaines substances chimiques (comme le niveau élevé de testostérone chez les hommes, ou le niveau très bas de sérotonine), soit parce que nous possédons des « gènes égoïstes » qui sont déterminés à survivre à tout prix et qui nous présentent les autres individus ou les autres groupes comme des rivaux qu’il faut combattre pour l’obtention des ressources. Mais il y a deux faits importants qui contredisent ce point de vue.

    Le premier est que la guerre est complètement inconnue parmi les autres animaux. Certains primates ont parfois un comportement agressif, comme les gorilles ou les chimpanzés, mais même eux sont loin d’avoir un comportement guerrier comme c’est le cas pour les êtres humains. Leur comportement légèrement guerrier semble se produire uniquement lorsque leur mode de vie naturel ou leur habitat est dérangé. C’est apparemment le cas chez les chimpanzés de Gombe, en Tanzanie, qui ont été étudiés par la célèbre primatologue Jane Goodall. Ils ont été à la base de l’hypothèse du « mâle démoniaque », selon laquelle les primates mâles — y compris les êtres humains — sont génétiquement programmés pour être violents et meurtriers². Cependant, il est maintenant clair que la violence des chimpanzés de Gombe est le résultat de perturbations sociales et environnementales causées par les êtres humains. Comme le mentionne Margaret Power dans son livre The Egalitarians, les premières études de Goodall sur les chimpanzés montrent une absence de violence³. Ce n’est que plus tard, après que leurs habitudes alimentaires aient été perturbées, qu’ils ont commencé à être agressifs. De récentes études effectuées sur d’autres groupes de chimpanzés dans leur environnement naturel montrent qu’ils sont extrêmement pacifiques⁴. Comme l’a fait remarquer le psychologue Erich Fromm : « Si les êtres humains avaient environ le même degré d’agressivité ‘‘inné’’ que des chimpanzés vivant dans leur habitat naturel, nous vivrions dans un monde plutôt pacifique⁵. »

    Mais la plupart des autres espèces sont encore plus pacifiques que les primates. Bien sûr, plusieurs animaux tuent d’autres espèces pour se nourrir, mais à part cela, comme le fait remarquer J. M. G van der Dennen dans son livre The Origins of War : « les génocides, les massacres, la cruauté et le sadisme… sont virtuellement absents du monde animal⁶. » À part tuer des proies et parfois l’infanticide, le seul type de violence que l’on trouve parmi les animaux est ce que van der Dennen appelle « un comportement agonistique interindividuel ritualisé » — en d’autres mots, une agression entre les membres d’un groupe, habituellement pour une question de dominance ou de reproduction. Mais même ici, les véritables combats sont assez rares. En fait, la plupart des animaux font beaucoup d’efforts pour éviter un véritable conflit. Comme l’a fait remarquer la zoologiste Glenn Weisfeld : « En général, l’animal commence par menacer son opposant, par exemple en sifflant, en vocalisant ou en montrant les dents. Il n’attaque qu’en dernier recours⁷. » Et même si un combat a lieu, les animaux ont aussi des signaux d’apaisement, ou des postures de soumission (comme lorsqu’un chien se met sur le dos), qui mettent fin immédiatement au combat avant qu’un des animaux se fasse tuer. L’être humain est l’une des rares espèces à ne pas avoir cette inhibition instinctive contre le fait de tuer, et la seule espèce à pratiquer l’agression collective et la conquête d’autres groupes. Pour reprendre les termes d’Eric Fromm, alors que l’agression animale est « bénigne et défensive », ne se produisant que lorsque la survie est menacée, et dépassant rarement les menaces et les mises en garde, l’agression humaine est « maligne »⁸.

    La deuxième raison est que, loin d’être « aussi vieille que l’humanité », la guerre est en fait un développement historique relativement récent (du moins par rapport à toute notre histoire en tant qu’espèce). La plupart des gens croient encore que les premiers êtres humains étaient des « sauvages » primitifs beaucoup plus agressifs et guerriers que les êtres humains d’aujourd’hui, mais les découvertes archéologiques et ethnographiques qui s’accumulent depuis quelques décennies démontrent que ce n’est pas le cas. Je ne ferai pas les détails de ces découvertes ici, puisque c’est l’un des thèmes principaux du prochain chapitre, mais la plupart des scientifiques sont d’accord pour dire que les êtres humains supposément « primitifs » ne connaissaient pas l’agression entre groupes et que même l’agression entre individus dont parle van der Dennen était assez rare. Van der Dennen a examiné les données recueillies sur plusieurs centaines de peuples « primitifs » et a découvert que la majorité d’entre eux étaient très peu guerriers, la guerre étant « absente ou surtout défensive », alors que les autres ne connaissaient « apparemment que des guerres ritualisées ou très peu violentes⁹. » Un autre anthropologue, R. Brian Ferguson, a aussi écrit : « Les données actuelles indiquent que la guerre en tant qu’activité récurrente est un développement relativement récent dans l’histoire, qui a commencé lorsque nos ancêtres ont quitté la phase de simples nomades chasseurs-cueilleurs¹⁰. »

    Comme nous le verrons, la guerre semble n’avoir commencé que vers 4000 av. J.-C. Depuis, par contre, comme pour rattraper le temps perdu, les êtres humains ont transformé de grandes parties de la planète en champs de bataille permanents. Jusqu’au XIXe siècle, les pays européens étaient en guerre avec au moins un de leurs voisins presque une année sur deux. Entre 1740 et 1897, il y a eu 230 guerres et révolutions en Europe et les pays étaient au bord de la faillite à cause de leurs aventures militaires. À la fin du XVIIIe siècle, le gouvernement français dépensait les deux tiers de son budget sur l’armée et la Prusse en dépensait 90 %¹¹. La guerre est devenue un peu moins fréquente pendant les XIXe et XXe siècles, mais uniquement à cause de l’incroyable puissance technologique à la disposition des pays, qui avait pour résultat de terminer les guerres plus rapidement. Dans les faits, le nombre de morts causé par les guerres a augmenté de façon importante. Alors que seulement 30 millions de personnes ont été tuées pendant les différentes guerres de 1740 à 1897, on estime qu’entre 5 et 13 millions de personnes sont mortes pendant la Première Guerre mondiale, et 50 millions de personnes sont mortes pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Et, bien sûr, en plus des guerres entre différents groupes, il y a toujours eu des conflits à l’intérieur des groupes. Les conflits internes ont été aussi violents que les conflits externes. Les membres de la classe dirigeante se sont continuellement battus les uns contre les autres pour le pouvoir, les groupes religieux se sont continuellement battus pour leurs croyances, et les paysans opprimés se sont fréquemment rebellés contre les classes dirigeantes. Il y avait tellement de conflits internes dans l’Empire romain que devenir empereur était presque se condamner à une mort prématurée, et généralement horrible. Sur 79 empereurs, 31 ont été assassinés, 6 ont été forcés de se suicider et plusieurs autres sont disparus dans des circonstances suspectes après des querelles avec un ennemi. En ce qui concerne les conflits entre classes, les historiens ont estimé que dans la Chine médiévale, il y avait une révolte importante de paysans presque chaque année, et qu’en Russie, de 1801 à 1861, il y a eu 1467 révoltes¹².

    LE SYSTÈME PATRIARCAL

    On peut dire, je crois, que trois points importants caractérisent les sociétés humaines depuis le début de l’histoire (bien que, comme nous le verrons plus tard, cela ne s’applique pas à tous les peuples sur Terre sans exception). Premièrement, la guerre ; deuxièmement, le système patriarcal, c’est-à-dire la domination masculine ; et troi-sièmement, l’inégalité sociale.

    Les féministes me critiqueront peut-être déjà si je dis que le « genre humain » a toujours fait la guerre. Dans les faits, seulement la moitié du genre humain a fait des guerres, puisque la guerre a toujours été une occupation presque exclusivement masculine. Et dans un sens, les hommes se sont toujours battus contre les femmes aussi. En plus d’être un catalogue de guerres sans fin, l’histoire est marquée par une oppression continuelle et brutale des femmes par les hommes.

    Il a été suggéré (par le sociologue Steven Goldberg, par exemple, dans son livre The Inevitability of Patriarchy¹³ que le système patriarcal, c’est-à-dire la domination des femmes par les hommes, est inévitable lui aussi, à cause du niveau plus élevé de testostérone chez les hommes, ce qui les rend beaucoup plus agressifs et leur donne davantage un esprit de compétition que les femmes. Mais dans les faits, encore une fois, ce point de vue est contredit par le fait que le système patriarcal est un développement historique relativement récent. Les œuvres d’art, les pratiques funéraires et les conventions culturelles des sociétés humaines allant du paléolithique au début du néolithique (c’est-à-dire l’âge de pierre ancien au début de l’âge de pierre nouveau) ne présentent aucun indice de domination masculine¹⁴. Les femmes avaient apparemment un rôle aussi important que les hommes dans cette société, ainsi que les mêmes libertés et les mêmes droits. Il semble que plusieurs de ces sociétés étaient « matrilinéaires » et « matriarcales », c’est-à-dire que les biens étaient transmis par les femmes et que les hommes mariés allaient vivre dans la famille de l’épouse. En outre, dans certaines cultures, les enfants prenaient le nom de leur mère et non de leur père. Nous verrons aussi que plusieurs peuples « primitifs » ont des pratiques similaires et aucune tradition de domination masculine.

    Comme la guerre, le système patriarcal semble être apparu vers 4000 av. J.-C. Encore aujourd’hui, dans plusieurs endroits dans le monde, le statut des femmes est à peine plus élevé que celui des esclaves. Dans presque toutes les sociétés en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, les femmes étaient incapables d’avoir une influence sur la vie politique, religieuse et culturelle de leurs sociétés. On tenait pour acquis qu’elles en étaient incapables, puisqu’elles étaient, pour reprendre les termes du philosophe misogyne Schopenhauer : « infantiles, stupides et imprévoyantes […] quelque chose entre un enfant et un homme¹⁵. » Souvent, les femmes ne pouvaient rien posséder, ni hériter de terres et de fortunes, et elles étaient traitées comme des biens elles-mêmes. Dans certains pays, les prêteurs d’argent et les collecteurs d’impôts pouvaient les confisquer pour aider à rembourser une dette (c’était une pratique courante au Japon, par exemple, à partir du VIIe siècle). En Assyrie, la punition pour un viol était de passer la femme du violeur au mari de la victime, qu’il pouvait utiliser comme bon lui semble¹⁶.

    Encore plus affreux, certaines cultures pratiquaient ce que les anthropologues appellent le meurtre rituel de la veuve (ou le suicide rituel de la veuve), c’est-à-dire que les femmes étaient tuées (ou devaient se tuer) peu après la mort de leur mari. C’était une pratique courante en Inde et en Chine jusqu’au XXe siècle, et il y a encore quelques cas isolés aujourd’hui. En Inde, la femme d’un Brahman se jetait (ou était jetée) dans le feu funéraire de son mari. Selon la tradition hindoue, lorsque le mari meurt, la femme devient incomplète et vicieuse ; elle est repoussée par la société et ne peut pas se remarier. Par conséquent, la femme choisit parfois volontairement le suttee, qu’elle considère comme une meilleure option.

    En Europe et en Amérique du Nord, nous sommes habitués à un certain degré d’égalité entre les hommes et les femmes, mais ailleurs, les femmes sont encore de véritables esclaves. Dans plusieurs pays, particulièrement au Moyen-Orient, les femmes vivent recluses dans certaines pièces, et ne peuvent sortir de leur demeure que si elles sont accompagnées par un membre masculin de leur famille. Si une fille non mariée a une relation sexuelle, même si elle est violée, elle risque d’être assassinée par un membre masculin de la famille. En Arabie Saoudite, les femmes doivent porter une robe noire, l’abaya, qui les recouvre complètement, à l’exception d’une fente pour les yeux. Il leur est interdit de conduire une voiture ou de monter à bicyclette, et elles peuvent être lapidées à mort pour adultère, alors qu’un homme peut avoir jusqu’à quatre femmes.

    En plus de cette oppression institutionnalisée, les femmes ont continuellement dû subir des violences physiques. Dans plusieurs cultures, l’adultère, une relation sexuelle avant le mariage et l’avortement étaient punis par la mort. En Chine, on rendait les femmes difformes et infirmes en liant fortement leurs pieds, en partie parce que les hommes considéraient cela comme érotique et en partie parce que, comme l’a écrit un savant adepte de Confucius, cela « empêchait de courir ici et là de façon barbare¹⁷. » Battre sa femme semble avoir été courant partout ; il semble même que l’on considérait la chose comme nécessaire. On voyait les femmes comme des créatures émotives et indisciplinées auxquelles il fallait apprendre une certaine retenue par la violence.

    Cependant, il n’existe peut-être aucun meilleur symbole du peu de valeur de la vie d’une femme et de la domination des hommes que la pratique très répandue qui consistait à tuer les bébés filles. C’était courant en Europe jusqu’au siècle récent. On estime que la population européenne, au cours du IXe siècle, par exemple, était en moyenne de trois hommes pour deux femmes, surtout à cause de l’infanticide. Au XIVe siècle, le taux était encore plus élevé, avec 172 hommes pour 100 femmes¹⁸. Un autre scientifique a estimé qu’au XIXe siècle, en Chine, dans certains districts, jusqu’au quart des filles étaient tuées à la naissance¹⁹. Et il n’existe probablement aucun signe plus grand de l’hostilité et de la méfiance des hommes envers les femmes que toutes ces femmes européennes tuées en tant que « sorcières » — meurtres sanctionnés par l’état — au cours du XVe siècle.

    LES INÉGALITÉS SOCIALES

    Mais ce n’est pas seulement une question de domination des femmes par les hommes. Les hommes se sont toujours dominés et opprimés les uns les autres. Le troisième point important qui caractérise les sociétés humaines depuis des milliers d’années est une énorme inégalité et la présence de castes et de classes rigides, chacune ayant un degré très différent de fortune et de statut social.

    Encore une fois, comme nous le verrons au chapitre 2, l’inégalité et l’oppression sociales semblent avoir été absentes des premières sociétés humaines. Nous verrons d’ailleurs au chapitre 4 qu’il existe aujourd’hui plusieurs sociétés indigènes qui sont égalitaires, sans caste ni classe, distribuant la nourriture et les biens de façon égale et prenant des décisions de façon démocratique. Mais depuis 4000 av. J.-C., l’histoire est essentiellement le récit de l’oppression brutale de la grande majorité des êtres humains par une minuscule minorité de privilégiés. Un des premiers systèmes de classes au monde a été inventé par un peuple appelé les « Indo-Européens » — ancêtres des Romains, des Grecs, des Celtes, et de la plupart des Européens et des Américains d’aujourd’hui. Lorsqu’ils sont apparus au Moyen-Orient et en Asie centrale au cours du quatrième millénaire av. J.-C., ils étaient déjà divisés en trois classes : les prêtres, les guerriers et les dirigeants, et les producteurs de biens économiques (par exemple les marchands, les fermiers et les artisans). Lorsqu’ils ont émigré vers d’autres terres et ont conquis les peuples qui les habitaient, ils ont ajouté une nouvelle classe à leur structure sociale, celle des peuples qu’ils avaient conquis, et qui à partir de ce moment ont été opprimés et exploités sans merci²⁰. Un système social similaire s’est créé à Sumer au cours du troisième millénaire av. J.-C. La majorité des biens appartenait à un petit groupe d’hommes (les femmes évidemment ne pouvaient rien posséder), et un système de classes a été créé dans lequel, comme l’a noté l’historienne Harriet Crawford, la famille royale et les prêtres « dirigeaient un grand nombre d’hommes et de femmes qui travaillaient pour un salaire constitué de nourriture et autres biens essentiels, et qui apparemment n’étaient pas libres de partir ni de posséder leurs propres terres²¹ ».

    C’est une structure sociale similaire qui a fonctionné en Europe, au Moyen-Orient et en Asie pour la plus grande part de notre histoire. La minorité de privilégiés peut ne représenter qu’un ou deux pour cent de la population d’un pays, et néanmoins, c’est elle qui possède la plupart des richesses et des terres, et qui prend les décisions politiques, économiques et juridiques. Selon le sociologue Gerhard Lenski, les classes dirigeantes de ce qu’il appelle les « sociétés agraires avancées » — qui ont dominé l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient de 1000 av. J.-C. environ jusqu’au XIXe siècle — avaient un revenu équivalent à plus de la moitié du revenu total du pays²². En Angleterre, vers la fin du XIIIe siècle, par exemple, le revenu moyen d’un noble était environ 200 fois celui d’un paysan ordinaire, et celui du roi était 24 000 fois celui d’un paysan ordinaire. De la même façon, dans la Chine du XIXe siècle, le revenu d’un aristocrate était 10 000 fois celui d’une personne ordinaire²³.

    En plus de posséder la plus grande part de la fortune et des terres de leurs pays, les classes dirigeantes possédaient souvent les paysans qu’ils dirigeaient. Ce système basé sur les serfs était courant partout en Europe, particulièrement en Europe de l’Est et en Russie, et signifiait que la grande majorité des gens étaient en fait des esclaves, qui ne pouvaient se marier ou même quitter la propriété qu’avec la permission du propriétaire. Dans la Russie du XIXe siècle, par exemple, le Tsar possédait plus de 27 millions de serfs, et les nobles en possédaient parfois jusqu’à 300 000. Les serfs pouvaient être obligés de faire la guerre à tout moment, abandonnant ainsi leur ferme et forçant leur famille à mourir de faim. Plusieurs seigneurs profitaient de ce que les historiens appellent par euphémisme le droit du seigneur : le « droit », pour un seigneur, de coucher avec l’épouse d’un serf pendant la nuit de noces²⁴.

    Mais même lorsque les paysans étaient officiellement libres et louaient leur terre, leur situation était générale-ment à peine meilleure. Les propriétaires les exploitaient si brutalement, avec des loyers élevés, des taxes, des taux d’intérêt énormes, des dîmes, des amendes et des « cadeaux » obligatoires, qu’ils étaient obligés de donner au moins la moitié, et parfois encore plus, de la valeur des biens qu’ils produisaient²⁵. Et donc, alors que leurs maîtres vivaient dans le luxe et les loisirs, les paysans vivaient dans une pauvreté abjecte et parfois même mouraient de faim.

    D’autres formes plus directes de mauvais traitements étaient courantes aussi. Les paysannes étaient souvent violées par les propriétaires, et les membres d’une famille étaient souvent séparés si le propriétaire avait besoin d’un d’entre eux ailleurs. Les paysans pouvaient aussi être punis brutalement pour des crimes insignifiants — voler un œuf ou un pain, par exemple, était souvent puni par la mort.

    Tout ceci était uniquement possible parce que, tout comme plusieurs hommes ne considéraient pas les femmes comme étant vraiment humaines, les classes dirigeantes considéraient leurs sujets comme des créatures barbares et sous-humaines qui ne méritaient pas de sympathie ou d’égalité. Les documents légaux de l’Angleterre médiévale donnent même aux enfants des paysans le nom de « portée », et dans certains registres de propriétés d’Europe, d’Asie et d’Amérique, les paysans sont dans la même catégorie que le bétail²⁶.

    Que se passe-t-il donc avec les êtres humains ? Nous sommes tellement habitués à ce genre de pathologie sociale qu’il est difficile d’apprécier à quel point ces patholo-gies pourraient sembler étranges et même complètement folles pour un observateur impartial. Après tout, pourquoi l’histoire humaine devrait-elle être une si terrible succession de violences et d’oppressions ? Pourquoi les êtres humains devraient-ils avoir ce besoin insatiable de créer des conflits et de dominer et opprimer les autres ? Et pourquoi, par conséquent, la vie de la plupart des êtres humains qui ont vécu ces derniers milliers d’années aurait-elle dû être si terrible et si pleine de misère ? La vie doit-elle vraiment être si terrible ? Il n’est pas surprenant que Bouddha ait conclu que « la vie est souffrance ». Il n’est pas surprenant non plus que les gens qui devaient endurer des conditions de vie si terribles aient eu besoin de se consoler par la foi en une magnifique vie après la mort.

    LE CÔTÉ SOMBRE DE LA PSYCHÉ HUMAINE

    Mais tout ceci, bien qu’absolument terrible en soi, ne représente que la moitié de l’histoire. Pour être plus précis, c’est la moitié extérieure. Jusqu’à présent, nous avons vu ce que l’on pourrait appeler la souffrance sociale, celle que les êtres humains s’infligent les uns les autres. Mais le genre humain paie aussi un autre prix pour son intelligence et sa créativité.

    Il y a une autre sorte de souffrance, laquelle est en nous : la souffrance psychologique. Cette partie de notre vie est tellement normale qu’en général, nous n’avons même pas conscience qu’elle est là. Mais d’une certaine façon, elle est aussi dangereuse que la guerre ou l’oppression sociale. En fait, dans un certain sens, elle est encore plus dangereuse, car c’est elle qui, pour une grande part, comme nous le verrons plus tard dans ce livre, produit les problèmes extérieurs.

    Les extra-terrestres qui nous observent ont probablement remarqué qu’il semble y avoir aussi un problème avec les êtres humains en tant qu’individus. Ils se demandent peut-être pourquoi les êtres humains trouvent si difficile d’être heureux. Pourquoi tant d’entre eux semblent souffrir d’un malaise psychologique quelconque (dépression, drogues, problèmes d’alimentation, automutilation, etc.) ou sinon passent tant de temps à être opprimés par l’anxiété, l’inquiétude ou un sentiment de culpabilité ou de regret, et des émotions négatives comme la jalousie et l’amertume. Ou, plus généralement, pourquoi tant d’entre eux semblent incapables de demeurer dans un état de contentement, veulent être heureux, mais n’y arrivent jamais, et ressen-tent l’impression générale de rater leur vie, comme si le monde les avait trahis d’une manière ou d’une autre.

    Nos cousins les animaux ne semblent pas avoir ce genre de problèmes. Ils ne se suicident pas (sauf dans certains cas de surpopulation), ne prennent pas de drogues et ne se mutilent pas. Ils ne semblent pas s’inquiéter à propos de l’avenir ni se sentir coupables du passé. Comme le grand poète américain Walt Whitman l’a écrit à propos des animaux, en les comparant favorablement aux êtres humains : « Ils ne s’inquiètent pas ni ne se plaignent de leur condition, ils ne restent pas éveillés toute la nuit en pleurant sur leur vice… Pas un seul n’est respectable ou malheureux sur toute la Terre²⁷. »

    Le bonheur est un état subjectif, et il est impossible de savoir avec certitude si quelqu’un est en train d’en faire l’expérience. Mais il est probable que les premiers êtres humains, tout comme les « primitifs » qui ont sur-vécu jusqu’à aujourd’hui, avaient une psyché plus unifiée et paisible que nous, et vivaient dans un état relatif de contentement. Plusieurs anthropologues ont été surpris par la sérénité et le contentement apparents des « primitifs ». Elman R. Service a dit, par exemple, à propos des Esquimaux de Copper, dans le Grand Nord canadien : « Les Esquimaux ont le cœur léger et joyeux, un optimisme plein d’humour, qui charme les étrangers vivant avec eux²⁸. » L’anthropologue anglais Colin Turnbull a vécu trois ans avec les Pygmées en Afrique centrale dans les années 1950, et il les décrit comme étant sans inquiétude, n’ayant aucun des malaises psychologiques ressentis par les peuples « civilisés ». Pour eux, écrit-il, la vie était quelque chose de magnifique, pleine de joie, et sans aucun souci²⁹. » De la même façon, Jean Liedloff, auteure de Le Concept de continuum, décrit les Indiens tauripans d’Amérique du Sud comme étant « les gens les plus heureux que j’ai vus de ma vie³⁰. » (Au chapitre 4, nous verrons d’autres faits qui suggèrent que les « primitifs » en général n’ont pas une souffrance psychologique aussi grande que la nôtre.)

    Mais à un certain moment, une énorme transformation semble avoir eu lieu. Une espèce de boîte de Pandore semble s’être ouverte dans l’esprit humain.

    LES SYMPTÔMES DU MÉCONTENTEMENT

    En y regardant de plus près, nos extra-terrestres seraient convaincus par quelques faits qu’il y a un problème avec la psyché humaine. Par exemple, une espèce d’insatisfaction nerveuse fondamentale semble être en nous, laquelle nous empêche de ne rien faire (ou du moins rend la chose très difficile) ou d’être dans une situation où rien d’extérieur ne peut fixer notre attention. Il y a 350 ans, le philosophe et mathématicien français Pascal a écrit que « tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir rester seul dans une chambre³¹. » De nos jours, bien sûr, rester dans notre chambre n’est plus un problème, pourvu qu’on ait une télévision, un ordinateur ou une radio pour y porter notre attention.

    Souvenez-vous par exemple de ce que vous avez fait hier. Il est probable que, pour la plus grande part de votre temps éveillé, vous ayez fixé votre attention à l’extérieur de vous-même. Vous avez peut-être lu un journal ou écouté la radio pendant que vous déjeuniez, et écouté la radio dans votre voiture en vous rendant à votre travail (ou lu un journal dans le train). Pendant les huit ou neuf heures qui ont suivi, votre attention a surtout été occupée par les tâches de votre emploi, et en partie occupée par les conversations que vous avez eues avec vos collègues. Vous avez peut-être encore écouté la radio (ou lu le journal) en retournant chez vous, et vous avez passé votre soirée à regarder la télévision, à lire un livre, à parler avec des amis ou à jouer à un sport quelconque (ou une combinaison de ces derniers et d’autres activités). Il n’y a probablement eu que quelques moments pendant lesquels la parade de stimuli extérieurs a cessé et votre attention n’était plus occupée de cette façon : peut-être 10 minutes pendant que vous attendiez votre train, quelques minutes pendant que vous attendiez que l’eau dans la bouilloire se mette à bouillir, pendant que vous étiez aux toilettes, ou une dizaine de minutes pendant que vous étiez dans votre lit le soir avant de vous endormir.

    Les extra-terrestres seraient stupéfaits des efforts que nous faisons pour ne jamais être inactifs ou seuls avec nous-mêmes. Ils verraient les femmes au foyer qui passent l’aspirateur, époussettent leurs bibelots et nettoient leurs fenêtres chaque matin, et les riches hommes d’affaires qui travaillent encore 60 heures par semaine alors qu’ils auraient pu prendre leur retraite depuis longtemps. Mais peut-être surtout, ils seraient stupéfaits de cette habitude qui consiste à regarder la télévision. Si on nous posait la question, la plupart d’entre nous diraient probablement que c’est pour nous détendre, pour nous divertir ou pour nous informer à propos du monde, et c’est vrai que dans une certaine mesure, la télévision fait tout cela. Mais il est probable que la raison principale pour laquelle tant de gens passent tant de temps à regarder la télévision est que c’est ce qu’on a inventé de mieux pour que notre attention se porte à l’extérieur de nous-mêmes.

    Encore une fois, cette façon de vivre est tellement normale pour nous qu’il est facile d’oublier à quel point elle pourrait sembler absurde à un observateur objectif. Pourquoi ces êtres humains doivent-ils toujours faire, et sont apparemment incapables de simplement être ? Pourquoi passent-ils en moyenne 25 heures par semaine assis dans une pièce à regarder une boîte sur laquelle bougent des images, et essaient tellement de remplir tous les autres moments de leur vie avec une activité ou une distraction quelconque ?

    C’est comme si nous avions peur de nous-mêmes, comme s’il y avait quelque chose dans notre psyché auquel nous ne voulions pas faire face. Et cette peur n’est certainement pas sans fondements. Il existe certaines situations dans nos vies ou il devient très difficile de porter notre attention à l’extérieur de nous-mêmes, et nous souffrons alors grandement. C’est l’une des raisons pour lesquelles le chômage peut avoir un effet si terrible sur les gens, les rendant frustrés et déprimés. Selon les études psychologiques, les gens au chômage ont un taux de dépression, de suicide, d’alcoolisme et de dépendance aux drogues plus élevé, ainsi que davantage de problèmes de santé et un taux de mortalité plus élevé³². Les gens à la retraite ont des problèmes similaires. Selon les études qui ont été faites, bien que la retraite commence par une courte phase de contentement pendant laquelle la personne se sent libre, cette phase est rapidement suivie par une période de désenchantement pendant laquelle la personne se sent vide, a une faible estime d’elle-même et se sent déprimée³³.

    Évidemment, ces problèmes ont probablement plusieurs causes — le manque d’affirmation et de contacts sociaux, par exemple, ainsi que des problèmes d’argent —, mais il est probable que la cause principale est simplement le manque d’activité, le fait que lorsque nous sommes au chômage ou à la retraite, nous n’avons plus ces huit ou neuf heures d’activités et de distraction automatiques chaque jour. Et par conséquent, notre attention n’est plus portée à l’extérieur de nous-mêmes ; elle est portée à l’intérieur, et nous confrontons alors une espèce de disharmonie ou d’insatisfaction fondamentale qui se trouve dans notre psyché. C’est probablement aussi la raison pour laquelle les vedettes rock ou les vedettes de cinéma, par exemple — dont la profession implique de grandes périodes d’inactivité ou dont la si grande richesse fait qu’ils n’ont plus besoin de travailler — ont si souvent des problèmes de drogue et d’autres malaises psychologiques. Malgré leur fortune et leur célébrité, ils sont aussi vulnérables aux effets de l’inactivité que n’importe qui.

    De la même façon, les études du psychologue américain Mihaly Csikszentmihalyi montrent que le moment de la semaine où les gens qui vivent seuls sont les plus malheureux

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