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Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités
Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités
Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités
Livre électronique361 pages4 heures

Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités

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Comment les temporalités en émergence dans le contexte de nos activités quotidiennes, professionnelles et sociales changent-elles notre rapport au travail? Comment, dans un univers de l’emploi dont les frontières se sont progressivement effacées, les espaces et les temps sociaux se recomposent-ils? Les auteurs du présent ouvrage proposent une réflexion critique à partir de la double exigence qui transforme sans cesse ces frontières. Il y a celle des milieux, soit celle des environnements des entreprises privées et organisations publiques avec les contraintes d’organisation que génèrent leurs activités. Il y a aussi le défi pour les travailleurs qui, pour s’affranchir de ces contraintes, doivent imaginer et expérimenter des formes de conciliation entre les temps du travail, de l’épanouissement professionnel, ainsi que les temps sociaux et familiaux.

Ce livre met en dialogue – pour tout lecteur issu du domaine de la sociologie, de l’entrepreneuriat, de l’économie, des sciences politiques ou autres – des enquêtes menées dans différents milieux du travail. Il va au-delà de la simple présentation de la variable temporelle et de ses incidences sur les réarrangements institutionnels et intuitifs des tâches dans les organisations; il tente de dresser un état des lieux des temporalités contemporaines qui ont progressivement reconfiguré l’emploi et les activités professionnelles telles qu’elles prennent forme aujourd’hui.

Fractionnement des temps professionnels, dilution des frontières traditionnelles des horaires, brouillage de temps sociaux autrefois cloisonnés, mais aussi espace de travail et espaces sociaux et familiaux: autant de variables dont la prégnance semble incontestable sur notre rapport au temps et au travail.

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à l’Université TÉLUQ et directrice de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) sur la gestion des âges et des temps sociaux.

Sid Ahmed Soussi est professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Centre de recherches sur les innovations sociales (CRISES) – axe travail et emploi.
LangueFrançais
Date de sortie22 janv. 2020
ISBN9782760552654
Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités
Auteur

Diane-Gabrielle Tremblay

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à l’Université TÉLUQ et directrice de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) sur la gestion des âges et des temps sociaux.

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    Aperçu du livre

    Le travail à l'épreuve des nouvelles temporalités - Diane-Gabrielle Tremblay

    Introduction

    Sid Ahmed Soussi et Diane-Gabrielle Tremblay

    Cet ouvrage s’intéresse à la remise en question des normes temporelles et aux reconfigurations de l’emploi et des activités du travail qu’elle entraîne. Il en examine les effets non seulement sur la réorganisation des tâches et la division du travail, mais aussi sur les parcours professionnels et de vie. Sa démarche propose une réflexion critique et multiforme sur les nouvelles temporalités relevées dans les espaces contemporains du travail. Au fil des dernières décennies, les dimensions temporelles ont beaucoup évolué ; ces nouvelles temporalités remettent en question les modalités d’exercice du travail et transforment les postes et l’emploi parfois en profondeur, en fonction de nouvelles formes de relation au temps ou des contraintes temporelles qui les conditionnent. L’ouvrage s’intéresse également à la remise en question de certaines normes d’emploi (p. ex. l’emploi « standard » rétribué par un salaire), du contrat type, des normes minimales de travail, des dispositifs de sécurité sociale et de l’assurance-chômage ou emploi, etc. Là aussi, les dernières décennies ont vu des changements considérables sur le plan de ce qu’il était convenu d’appeler l’emploi « standard », ou l’emploi type (D’Amours, Soussi et Tremblay, 2015 ; Castel, 2009).

    Si, comme au Québec par exemple, la Loi sur les normes du travail a ajouté des congés obligatoires à offrir aux salariés et augmenté le nombre de semaines de vacances après trois ans de travail, il y a par contre une certaine remise en question, parfois informelle, des normes d’emploi (Siino et Soussi, 2017 ; Tremblay, 2016, 2017a). Ainsi, en ce qui concerne les heures maximales de travail, celles-ci ne sont pas toujours respectées dans tous les secteurs, et ce, non seulement par les employeurs, mais souvent aussi par les travailleurs eux-mêmes, les professionnels surtout, qui acceptent que soient contournées ces normes (Tremblay, 2017a, 2017b).

    Sur le plan méthodologique, cet ouvrage a fait un choix délibéré : tous les chapitres qui y sont présentés reposent sur des recherches de terrain. Ce choix révèle l’importance, eu égard aux niveaux d’analyse, de l’orientation micro- et mésosociologique de ces travaux dont les perspectives sont ainsi mieux à même de mettre au jour les temporalités en émergence dans les milieux du travail des secteurs ou des catégories d’emploi enquêtés, ce qui a également permis de faire ressortir les écarts réels ou en cours par rapport aux normes en vigueur en matière de temps et d’horaires de travail.

    Sur le plan thématique, les objets ciblés par ces chapitres soulèvent tous la question du glissement des normes temporelles affectant les activités du travail. Le travail à plein temps continue d’être considéré comme LA norme, bien que la réalité s’en éloigne considérablement par le développement du temps partiel et des emplois à durée déterminée, contractuels et par projet, pour ne donner que ces exemples de formes re-temporalisées caractérisant les nouveaux types de relations d’emploi en expansion actuellement. Les chapitres examinent donc le régime temporel du travail actuel, les « débordements » du temps du travail sur les divers temps sociaux (personnels, familiaux, conviviaux et autres), la division des temps du travail sous ses formes salariée, non salariée et domestique, et d’autres thèmes apparentés. Ces questionnements mobilisent des variables comme l’âge, l’origine ethnique, le genre, ainsi que les autres rapports sociaux de domination reliés aux nouvelles structures – intégrées, éclatées ou en réseaux – dans lesquelles se déploient les stratégies de gestion des entreprises et des organisations des autres sphères d’activités, publiques et parapubliques notamment.

    Les temporalités contemporaines : un état des lieux

    Au-delà de la seule variable du temps et de ses incidences sur l’emploi et ses nouvelles figures, sur les réarrangements institutionnels et intuitifs des tâches dans les organisations, il s’agit ici de dresser un état des lieux global sur les incidences, à la fois conjoncturelles et structurelles, des temporalités contemporaines qui ont progressivement reconfiguré non seulement l’emploi, mais aussi les activités professionnelles et les tâches telles qu’elles se présentent aujourd’hui dans les espaces de travail et dans les organisations. Certes, une grande part des transformations du travail est liée directement aux technologies numériques et à leurs effets déterminants sur la gestion des processus dans les organisations et, plus globalement, sur la structure de l’emploi, mais il reste que l’un des symptômes sociaux et humains les plus prégnants à cet égard concerne notre rapport au temps, à la fois au travail et en emploi. Ces symptômes prennent des formes aussi diverses qu’inattendues : fractionnement des temps professionnels et occupationnels, dilution des frontières institutionnelles et traditionnelles des horaires tant dans les milieux organisationnels que dans les espaces privés, brouillage des temps sociaux autrefois nettement distincts, notamment sur la base de réarrangements individuels, parfois improvisés, mais souvent durables, alternant temps de travail et temps familial, mais aussi, et du même coup, espaces de travail et espaces sociaux et familiaux (Tremblay, 2019). Autant de variables dont la prégnance aujourd’hui apparaît incontestable sur notre rapport au temps et au travail. Comment caractériser ces variables ?

    Premièrement, ces variables portent à la fois sur les « temps courts » et sur les « temps longs ». Les premiers renvoient aux réarrangements des tâches par la répartition de leur réalisation dans un espace-temps éclaté : dans une même journée, mais dans des espaces multiples. « Emporter du travail chez soi » n’est plus seulement une question de « conciliation travail-famille ». Ces comportements relèvent le plus souvent d’injonctions organisationnelles ne laissant que peu de choix aux individus appelés à les incorporer dans leur rapport au temps de travail. D’où des « journées de travail » de plus en plus atypiques, à l’image des emplois où elles s’insèrent. Les seconds, les « temps longs », renvoient aussi bien à la généralisation de ces réarrangements quotidiens, mais désormais étalés dans la durée, qu’à la réorganisation de l’emploi et du poste de travail dans un contexte beaucoup plus global et durable et qui se traduit par une véritable redéfinition de la notion de ce que nous appelons encore un « emploi ». D’où les multiples interrogations auxquelles tentent de répondre les études rassemblées ici.

    Comment en effet définir et qualifier, dans ce contexte, les activités de nombreux travailleurs – cadres, professionnels, techniciens et autres – dont les « temps de travail » peuvent souvent être consacrés à exécuter des contrats renvoyant à des relations d’emploi les liant à plusieurs employeurs ou « donneurs d’ordres », que ce soit de façon concomitante ou alternée ?

    Que dire aussi des nouvelles formes de la saisonnalité au travail ? Cette variable de la saisonnalité (Morice, 2006) se situe à la frontière des « temps courts » et des « temps longs », car elle ne concerne pas seulement les « saisons agricoles ». De plus en plus de secteurs y font appel dans leur gestion du temps de travail comme en témoignent les définitions des postes de travail qu’ils ont à offrir ; c’est le cas des industries agroalimentaires, de la pêche et des produits de la mer, des services, etc. L’un des principaux corollaires de la saisonnalité du travail se manifeste aujourd’hui notamment par le recours accru au travail migrant temporaire, tant à l’échelle locale qu’internationale (Soussi, 2016). Outre les secteurs agricoles (Lamanthe, 2008), de nombreux autres y font appel de façon de plus en plus systématisée, comme dans les services, la restauration rapide et l’hôtellerie, entre autres. Ce phénomène de la saisonnalisation du travail se pose comme une tendance de plus en plus affirmée (Marshall, 1999). En substance, c’est la perspective critique développée par Marco Alberio et Diane-Gabrielle Tremblay dans leur analyse consacrée à la conciliation travail-famille dans l’industrie, hautement saisonnière, de la pêche.

    Deuxièmement, et au-delà de cette distinction entre temps courts et temps longs, il est possible d’appréhender ces variables à partir de leurs effets combinés sur trois plans : 1) sur le plan des individus et de leur rapport au travail dans la quotidienneté ; 2) sur le plan institutionnel, avec la réorganisation de l’emploi et les processus du travail mis en place dans les entreprises et les organisations contemporaines ; 3) sur le plan de la société et des régulations – ou de l’absence de régulation – par l’État et les différents acteurs locaux contribuant à l’action publique, comme dans le cas de l’encadrement juridico-administratif de la saisonnalité du travail (Gray, 2010).

    Ces trois niveaux d’analyse, micro-, méso- et macrosocioéconomiques, renvoient dans cet ouvrage à trois parties où chacune fait dialoguer au moins deux études autour de préoccupations convergentes.

    Partie 1 : L’autonomie, le contrôle et les normes temporelles

    La première partie aborde l’autonomie relative au travail, au regard de l’organisation productive et du contrôle des processus du travail. Mobilisant deux groupes de travailleuses distincts – le personnel navigant commercial (PNC) et les travailleuses œuvrant dans les organisations d’action communautaire autonome (ACA) –, elle montre comment évolue la remise en question des normes temporelles selon les parcours professionnels et les contextes organisationnels où ils se déploient, à l’image du secteur de l’aviation civile et de son personnel navigant commercial et de celui des milieux communautaires constamment tiraillés entre les limites de leurs ressources et l’amplitude des besoins qui alourdissent leurs cahiers des charges. Dans ce dernier secteur se pose de surcroît la question de l’action publique et des politiques publiques encadrant certains aspects institutionnels des activités de ce type d’employés et de leurs interférences sur les temporalités qui en résultent dans ce contexte marqué par des ressources limitées. Ces deux cas, emblématiques à bien des égards, révèlent chacun à sa manière toute la prégnance de ces variables du temps sur l’emploi et sur les nouvelles formes que prend notre rapport au travail.

    Le chapitre d’Anne Gillet et Diane-Gabrielle Tremblay analyse les questions relatives aux temps fragmentés du travail et des contraintes temporelles dans le secteur des transports aériens, à partir d’une recherche sur les conditions de travail du PNC, auprès des principales compagnies aériennes d’Europe (de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Portugal, de l’Espagne et des Pays-Bas) et du Canada. Ce secteur a beaucoup évolué au cours des dernières années, mais le travail de ce personnel navigant commercial (comprenant hôtesses de l’air, steward et chef de cabine) a fait l’objet de bien peu de recherches.

    Les auteures traitent, d’une part, des dimensions temporelles associées à l’exercice du travail des membres du PNC (règles, temps de travail, horaires de travail, espace et conditions de travail) et, d’autre part, des ressources dont le PNC dispose pour gérer son rapport multiforme à des activités de travail marquées par des normes de temporalité dont les nombreuses contraintes affectent directement la gestion des temps sociaux de ce personnel, et tout cela, dans un contexte de diversification et d’intensification des contraintes techniques matérielles et organisationnelles sans cesse changeant. Les deux auteures ont pu constater que l’activité du PNC se déroule dans un cadre de plus en plus contraignant, par exemple au regard des prescriptions du travail (fortes procédures/ consignes techniques) ainsi que sur le plan temporel (horaires de travail décalés, évolutifs, imposés à l’aide d’un logiciel). Cela en lien avec une organisation de plus en plus complexifiée, d’un trafic aérien intensifié, de règles techniques de sûreté/sécurité au travail en constante adaptation, et des normes de service commercial en vol qui se diversifient.

    Suivant l’hypothèse qui est posée, plusieurs processus sociaux ont été mis en œuvre par les membres du PNC pour « résister » aux contraintes particulières du métier et aux conditions de travail rendues plus difficiles. Ainsi, diverses ressources sont sollicitées : le collectif de travail, soit l’équipage à bord de l’avion, y compris le chef de cabine, sa motivation individuelle à exercer ce métier et, enfin, l’aide de la famille ou du réseau de relations personnelles, en particulier pour la conciliation travail-famille.

    Les syndicats ont par ailleurs une forte présence dans certaines compagnies et vont notamment se préoccuper des conditions d’emploi et de travail, incluant la durée du travail et sa comptabilisation particulière. Ainsi, pour faire face aux contraintes techniques, temporelles et organisationnelles du métier et à leurs évolutions, le PNC peut compter sur des ressources de natures et d’influences diverses. Ce chapitre fait ressortir les caractéristiques d’un métier soumis à des contraintes qui se traduisent par des conditions de travail atypiques, souvent difficiles, une division et un contrôle du travail particuliers et une autonomie au travail limitée, ce à quoi s’ajoute la remise en question des normes temporelles associées au travail dans le contexte de réduction des temps d’escale, comme des changements dans les rapports agent de bord-passagers.

    Pour les auteures, la « mobilité » (au sens de transport, déplacement…) est l’activité même du PNC. Il effectue un « travail de mobilité(s) » : d’une part, de/pour soi, car la mobilité nécessite une organisation personnelle (gestion de son emploi du temps de vie privée, conciliation travail, vie familiale et personnelle) et, d’autre part, des/pour les clients, qu’il doit transporter en toute sécurité… Surtout en Europe (moins au Canada, en raison de la taille du pays), les PNC s’inscrivent en outre dans une mobilité pendulaire de type domicile-travail, habitant rarement tout près de leur base d’affectation.

    Les PNC considèrent leurs conditions de travail comme étant de plus en plus pénibles (intensification et diversification du travail, conditions physiques d’exercice, avec, et de façon durable et récurrente, une fatigue quasi constante et des problèmes de santé), bien qu’ils disposent de plusieurs ressources qui rendent la situation plus « supportable » : le soutien des collectifs de travail (équipage, y compris l’encadrement, en vol), la motivation personnelle et l’intérêt du métier, enfin, certains éléments liés à l’articulation avec la vie privée ou familiale.

    En effet, si les contraintes temporelles sont considérables dans les premières années, la situation s’améliore lorsque les membres du PNC acquièrent de l’ancienneté. Après quelques années (et selon les compagnies aériennes), ils peuvent indiquer leurs préférences d’horaires, sans toutefois pouvoir toujours obtenir les horaires souhaités. De leur côté, les syndicats des PNC centrent leur action sur la question des conditions de travail et de pénibilité du travail, et notamment des horaires de travail.

    C’est donc au sein même de l’activité professionnelle et dans le « hors-travail » que les ressources sont mobilisées pour articuler temps sociaux et temps de travail afin d’assumer, conformément aux normes exigées, les fonctions dont le PNC a la charge. Nous observons en quelque sorte ici la construction d’un système social et organisationnel permettant de rendre supportables les contraintes du travail et ses effets. Si ce système est perturbé ou fait défaut, et même s’ils aiment leur métier, certains membres du PNC vivent alors des phases de dégradation de leur santé, conduisant parfois à des arrêts de travail (dépression, épuisement professionnel…). Certains décident de s’en éloigner (temps partiel, développement d’une activité professionnelle complémentaire ou retour aux études pour un enrichissement/développement personnel autre) et d’autres quittent définitivement l’entreprise (démission avec changement de métier).

    Le collectif de travail, même éphémère, a une grande importance dans le secteur du transport aérien, à la fois pour la sécurité, la fiabilité des horaires et la qualité des services, soit les deux éléments fondamentaux sur lesquels les compagnies et leur personnel sont évalués. Le fonctionnement du collectif, en lien avec son encadrement (une même équipe finalement), est crucial, car certaines décisions découlant d’éléments issus du travail en collectif à partir de mécanismes de coconstruction comportent des enjeux vitaux de sûreté, de sécurité et de santé. C’est ainsi qu’on peut parler d’une certaine forme de régulation sociale et du travail.

    Dans un tout autre registre, mais avec des préoccupations comparables pour une certaine autonomie au travail, dans le chapitre suivant, Mylène Fauvel et Yanick Noiseux se donnent pour objectif de documenter la précarisation des conditions de travail et les pratiques de gestion dans le mouvement d’ACA. Leur étude s’intéresse aux temporalités en vigueur – et vécues – dans le mouvement d’action communautaire, et plus largement aux conditions de travail… et à la précarité qui en découle.

    Là également les résultats proviennent d’une enquête de terrain fondée sur une longue série d’entretiens individuels et un échantillonnage couvrant plusieurs régions du Québec et un large spectre d’organisations communautaires.

    Les auteurs partent du constat que c’est le manque de ressources qui cantonne les organismes communautaires dans un rôle d’« employeurs pauvres » (Pinard, 2018, p. 239). Ils disent : « Néanmoins, les enjeux liés aux conditions de travail dans le secteur sont souvent subordonnés à la lutte pour le rehaussement du financement, voire invisibilisés par cette lutte. » Mais parallèlement, ils font valoir que ce constat tend malgré tout à évoluer en ce sens et que, « dans les dernières années, tant les États généraux du communautaire (CTROC, 2015) que la Commission populaire de l’action communautaire (RQ-ACA, 2016) ont pointé du doigt l’amélioration des conditions de travail comme un enjeu important pour faire reconnaître à sa juste valeur l’ACA auprès des instances gouvernementales ».

    D’autres initiatives en cours ont poussé les auteurs à dresser un état des lieux des conditions de travail dans le mouvement d’action communautaire autonome, mais en s’intéressant aux temporalités vécues dans cet univers et, plus largement, aux conditions de travail et aux formes de précarité qu’elles peuvent entraîner. Ils décrivent ainsi la précarité que vivent les travailleuses, ses formes ainsi que les mécanismes qui y contribuent, c’est-à-dire les temporalités imposées par les bailleurs de fonds, les choix de gestion qui l’accentuent, les nombreux dilemmes opposant les conditions de travail au maintien et à l’amélioration des services et activités de l’organisme, les stratégies mises en œuvre par les travailleuses pour supporter cette précarité et les limites, individuelles et collectives, de cette acceptation.

    Cette réflexion sur les conditions de travail met en contexte l’un des principaux aspects du travail des organismes d’ACA, soit la flexibilité d’horaire. Les auteurs décrivent ensuite les pratiques de contrôle du temps dans les organismes d’ACA, notamment le fonctionnement des « banques d’heures », et précisent dans quelles conditions cet outil de gestion est perçu par les travailleuses comme un moyen permettant d’améliorer leurs conditions de travail. Ils se penchent ensuite sur les limites liées à la flexibilité des horaires en abordant notamment les problèmes posés par la conciliation travail-famille-vie personnelle ainsi que les conséquences qu’a cette flexibilité pour les travailleuses non permanentes. Les auteurs proposent finalement une réflexion sur le temps long et les enjeux de rétention et de roulement de personnel dans ce secteur de l’action communautaire autonome.

    Notons cependant que, au-delà de leur caractère central, ces enjeux doivent leur émergence d’abord à un constat préalable et problématique pour les groupes communautaires : pour plusieurs représentants d’organismes communautaires autonomes, l’augmentation du salaire minimum à 15 $ pose un véritable problème. Tout en reconnaissant la nécessité d’augmenter le salaire minimum, ils savent bien qu’ils ne peuvent s’engager à offrir un tel taux horaire à leurs propres employées compte tenu de la précarité et de l’instabilité de leur situation financière. C’est dire si la question des temporalités prend ici une dimension particulière, ancrée qu’elle est à la fois dans l’organisation du travail d’action communautaire et dans la gestion collective et… autonome des ressources de ces organismes.

    Il faut dès lors convenir avec les auteurs que « le mouvement d’action communautaire autonome est marqué par la précarité des conditions de travail et le temps de travail se présente à la fois comme source de pression (longues heures, surcharge) et d’avantages (flexibilité). De trop nombreuses travailleuses endurent quotidiennement la pauvreté ».

    La reconfiguration des temporalités du travail est ici tributaire d’une flexibilisation, à la fois appréciée et subie par les travailleuses à qui elle permet de répondre en partie aux besoins auxquels elles font face, de concilier travail-famille et d’avoir le sentiment d’accomplir leur travail de leur mieux… le tout dans un contexte de surcharge de travail conjuguant en permanence menace d’épuisement professionnel et détérioration des conditions de travail. Force est d’admettre, de concert avec les auteurs, que « les organismes d’action communautaire autonome ne peuvent plus faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur leurs pratiques de gestion ainsi que sur les conditions de travail et d’emploi qu’ils peuvent offrir. Ce faisant, ils pourront mieux lutter contre l’appauvrissement de leurs propres travailleuses et se prémunir contre la pénurie de main-d’œuvre, qui peut compromettre la pleine réalisation de leurs missions ».

    Partie 2 : Des temporalités traditionnelles bousculées par les technologies

    Les travaux de la deuxième partie sont axés sur les paramètres organisationnels et institutionnels des rapports sociaux du travail, à partir de deux cas emblématiques de secteurs d’activité que tout semble séparer – secteur primaire et secteur tertiaire –, mais qui ont en commun le fait d’avoir des temporalités convergentes et en pleine mutation. Il y a d’abord un secteur économique « traditionnel », celui de la pêche, où la saisonnalité est particulièrement prégnante, mais où les anciennes structures du tissu familial tendent à changer, même si c’est au prix d’une certaine continuité sociologique eu égard aux rapports de genre, comme le montre ce chapitre. Il y a ensuite, et à une distance temporelle remarquable, le secteur des technologies de l’information (TI) et des entreprises de développement informatique. Dans ce secteur, paradoxalement, les effets de l’action publique en matière de « congés parentaux » ont encore du mal à modifier un rapport au travail profondément ancré dans des milieux censés porter toutes les mutations en cours dans le monde du travail. C’est ce qui est observé dans les milieux de haute technologie et d’emplois aux activités numérisées et dont une grande partie se déploie dans des espaces de travail ouverts, où les mentalités seraient ouvertes aux changements… Qu’en est-il vraiment ?

    Le chapitre de Marco Alberio et Diane-Gabrielle Tremblay s’intéresse à la conciliation travail-famille dans un secteur rarement étudié de ce point de vue, soit celui de la pêche, et surtout un secteur caractérisé par une forte saisonnalité et des horaires de travail atypiques. Les auteurs se penchent sur la situation des pêcheurs de la Gaspésie, au Québec. La pêche est un secteur souvent qualifié de « mature », mais il est actuellement l’objet de transformations importantes, ce qui permet d’étudier les effets des changements économiques, sociaux, politiques, environnementaux, technologiques et organisationnels sur le travail, le rapport au travail, ainsi que sur le temps de travail et l’ensemble des temporalités sociales liées à cette activité de travail particulière. Cette étude montre, d’une part, comment les pêcheurs et leurs conjointes abordent les enjeux temporels – temps sociaux et de travail problématiques – et la conciliation entre le travail de pêche et la vie familiale ou personnelle, et, d’autre part, comment ces transformations façonnent les nouvelles configurations des acteurs impliqués : l’État, le marché et les familles/communautés.

    L’enquête prend acte de deux constats. En premier lieu, que la phase postindustrielle actuelle se caractérise par une importante fragmentation des institutions sociales telles que le marché (y compris celui de l’emploi) et la famille. En second lieu, et dans le contexte de réduction du rôle de l’État et des mécanismes de régulations sociales, que, d’une part, la participation des femmes au marché du travail a augmentés, dépassant ainsi le modèle du « gagne-pain masculin » et que, d’autre part,

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