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Tiers-lieux: Travailler et entreprendre sur les territoires: espaces de co-working, fab labs, hack labs...
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Tiers-lieux: Travailler et entreprendre sur les territoires: espaces de co-working, fab labs, hack labs...
Livre électronique364 pages4 heures

Tiers-lieux: Travailler et entreprendre sur les territoires: espaces de co-working, fab labs, hack labs...

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À propos de ce livre électronique

Épiphénomènes d’une mutation sociétale, fruit de l’économie numérique, les tiers-lieux interpellent les décideurs publics territoriaux sur l’attitude à adopter, de l’intérêt bienveillant à une tutelle complète. L’ouvrage réunissant une équipe pluridisciplinaire de chercheurs présente un matériau empirique original sur cette réalité émergente, encore mal connue : celle de la multiplication des tiers-lieux dans les villes et hors des centres métropolitains. Il pose de nouvelles questions, encore peu traitées dans la littérature, en s’intéressant à la trajectoire sociale des fondateurs d’espaces de coworking, aux nouvelles manières des jeunes générations de travailleurs du numérique de conjuguer leurs aspirations de liberté et d’épanouissement dans les domaines professionnel et privé, ainsi qu’à leurs nouveaux rapports à la collaboration, au travail, au territoire, à la mobilité et aux questions écologiques.
LangueFrançais
Date de sortie6 nov. 2019
ISBN9782760552173
Tiers-lieux: Travailler et entreprendre sur les territoires: espaces de co-working, fab labs, hack labs...
Auteur

Diane-Gabrielle Tremblay

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à l’Université TÉLUQ et directrice de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) sur la gestion des âges et des temps sociaux.

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    Aperçu du livre

    Tiers-lieux - Diane-Gabrielle Tremblay

    [01]

    Introduction

    Gerhard KRAUSS et Diane-Gabrielle TREMBLAY

    L’économie du savoir et les transformations du numérique bouleversent nos modes de vie, et en particulier nos manières de travailler (Tremblay, 2015). Les réseaux sociaux s’en font un écho immédiat, relayés par les médias, pour finalement interpeller la réflexion et la recherche. Comment travaille-t-on aujourd’hui ? Et en particulier comment les nomades du numérique, travailleurs indépendants, startupers travaillent-ils ? Comment fonctionnent ces fameux tiers-lieux qui les regroupent, en les attirant, allant même jusqu’à les « couver » pour ceux spécialisés dans les startups ?

    Sociologues, géographes, gestionnaires et économistes, nous avons donc constitué une équipe franco-canadienne pour étudier ces nouveaux modes et lieux de travail, les tiers-lieux et en particulier les espaces de coworking. Après avoir créé l’événement et lancé la tendance dans les grandes villes ultra « connectées », ces nouveaux tiers-lieux et espaces de coworking ont essaimé sur l’ensemble des territoires. Cet « essaimage » territorial et en particulier le passage vers les zones périurbaines a retenu l’attention de plusieurs chercheurs dont les contributions sont réunies dans cet ouvrage. Pourquoi et comment peut-on décider aujourd’hui de travailler loin des centres-villes, créer une communauté de travail, installer un espace de coworking et le faire prospérer ?

    Est-ce un nouvel Eldorado pour des territoires en difficulté socioéconomique ? Une réelle chance ? Doit-on encourager, inciter, voire initier ces nouveaux lieux se demandent les acteurs publics au risque de les institutionnaliser et par là même de les vider de leur substance et de leur énergie individuelle et créatrice. Ou doit-on simplement les accompagner, les aider dans telle ou telle démarche ? Et dans quel but : créer des emplois, développer les réseaux, l’innovation et la créativité ? Autant d’objectifs mis en avant dans certains travaux soulignant l’intérêt des tiers-lieux et espaces de coworking.

    Un certain exode urbain se fait jour en France comme au Canada (tendance illustrée par l’émergence de nouveaux sites internet, blogs comme « Paris je te quitte », presse comme « Village », think tanks, médias dédiés proposant de l’aide et des informations pratiques spécialement à ce nouveau groupe cible), nourris par les aspirations des individus à vivre autrement : une réaction à la rudesse et aux limites du modèle jusque-là dominant de la vie active urbaine, en particulier dans les grandes métropoles.

    Dans cet ouvrage, nous commençons par définir et différencier les principales formes de tiers-lieux, dont les espaces de coworking qui nous intéressent plus particulièrement. Ensuite nous étudions plus précisément les espaces de coworking : un travail de démythification s’impose en effet aujourd’hui tant est encore grande la fascination pour le numérique et les nouvelles modalités de travail qu’il permet pour les travailleurs indépendants, télétravailleurs ainsi que pour les très petites entreprises (ou startups, entreprises en démarrage dans les secteurs des technologies de l’information ou du multimédia). L’ombre imposante des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) s’étendant jusque dans les campagnes et les territoires périurbains, il convient donc de s’intéresser aux transformations qui en découlent, ce que nous avons choisi de faire ici en menant une comparaison entre deux pays, soit la France et le Canada principalement, mais aussi en enquêtant sur deux villes allemandes, une petite commune et une ville universitaire, situées toutes deux dans le Bade-Wurtemberg, une région particulièrement prospère et densifiée (cf. Heidenreich et Krauss, 2004 ; Krauss, 2009).

    L’objectif est ici de poser un regard de sociologue, de géographe, de gestionnaire, d’économiste pour établir des constats et tenter d’avancer dans la compréhension de ces nouvelles réalités associées à l’évolution du monde du travail, mais aussi des conditions de travail, et des modes de mobilisation des compétences configurées ainsi en réseau, ou en mode collectif. Qui travaille en coworking, pourquoi, comment et sur quelle durée ? S’agit-il d’une transformation des conditions d’emploi et de travail qui perdurera ou d’un simple effet de mode ? Quels sont les enjeux socioéconomiques associés à ces nouvelles modalités de travail ? Contribuent-ils vraiment à l’innovation (Chesbrough, 2003, Fabbri et Charue-Duboc, 2016) ? Faudra-t-il surmonter la « tentation de l’État » : commande de rapports, puis prescriptions d’encadrements, de tutelles, labels, subsides au risque de la fuite de la créativité ? Sera-t-il possible d’adopter envers le tiers-lieu une attitude davantage bienveillante qu’intrusive, ou bien dégager une politique publique territoriale souple, attentive et optionnelle ?

    En France comme au Canada, au Québec, les décideurs de ces politiques publiques sont interpellés par ces nouvelles réalités, sous une pression constante démultipliée par la caisse de résonance des réseaux sociaux. Les entreprises traditionnelles comme les entreprises d’économie sociale et solidaire, ainsi que les acteurs publics (gouvernements, acteurs locaux ou municipaux) doivent faire face à cette mutation profonde du monde du travail, sur le plan de l’espace comme sur celui du temps de travail. Cette mutation renvoie à une aspiration légitime : vivre autrement, autre part, travailler autre part, autrement. Mais il faut analyser plus en profondeur pour comprendre les motivations de tous, car il existe une grande diversité de réalités, d’aspirations, qui peuvent varier notamment selon les villes et les régions (Loilier, 2010). Les politiques publiques tiennent-elles compte de ces évolutions de modalité et d’espace de travail ? Est-ce que les tiers lieux et espaces de coworking peuvent contribuer à désenclaver les territoires ? Constituent-ils un levier supplémentaire pour revoir les transports, les équipements, les infrastructures, et donc investir en conséquence ?

    Commençons donc par définir ce qu’est un tiers-lieu. Cafés, restaurants, places publiques, ils sont légion les ancêtres des tiers-lieux où l’on se rencontrait pour affaires sans avoir la contrainte d’un bureau et être cependant hors de chez soi. Les tiers-lieux aujourd’hui se définissent comme tels. Ils sont nombreux, très divers, emblématiques et étonnants pour certains. Cependant, afin de cerner au plus près le phénomène des tiers-lieux éloignés des grands centres urbains, nous nous sommes intéressés aux motivations et parcours de leurs fondateurs et usagers.

    Rappelons brièvement les critères de définition d’un tiers-lieux tels qu’ils sont établis dans la littérature suite au travail conceptuel de Ray Oldenburg (Oldenburg, 2000, 1999), qui a lancé le débat d’abord à partir d’un angle d’analyse sociologique, traversant ensuite les frontières disciplinaires et inspirant notamment les travaux ultérieurs des géographes économistes, des aménageurs-urbanistes, des gestionnaires ou encore des économistes. Le tiers-lieu est théoriquement un espace de rencontre favorisant les échanges, la socialisation, la communication et les actions ou interactions réciproques (au sens de Georg Simmel), susceptible de faire émerger une communauté, basée sur des liens de complicité intellectuelle, mais sans pour autant supposer une similarité complète entre les membres. Comme nous le découvrirons à travers les différentes contributions de notre ouvrage, les exemples empiriques font apparaître une réalité bien plus contrastée.

    Le tiers-lieu est censé favoriser le partage entre les membres, grâce à sa « neutralité » (il ne se trouve ni à la maison ni dans les murs de l’entreprise), son « libre accès » à tous ses usagers potentiels et son rôle effectif dans la facilitation des rencontres et des échanges, tout en pérennisant l’utilisation récurrente par les mêmes usagers et les connaissances générées collectivement (Scaillerez et Tremblay, 2017a et b ; 2016a et b). Si notre ouvrage part du concept de tiers-lieu, englobant différentes formes, dont les fablabs et les hackerspaces (abordés notamment dans la contribution de Flavie Ferchaud) ou bien encore celles évoquées dans la contribution de Christine Liefooghe, les autres contributions centrent majoritairement l’analyse sur les espaces de coworking, comme forme particulière de tiers-lieu.

    En affirmant l’intérêt spécifique de cette nouvelle façon de travailler (et en particulier loin des grands centres urbains), il sera question pour notre équipe pluridisciplinaire et internationale de comprendre, d’interroger et non de produire des préconisations immédiates de structuration ou d’encadrement. L’espace de coworking étant bien le fruit d’« une société en mouvement perpétuel, liquide pour reprendre l’expression de Zigmunt Bauman » (Lévy-Waitz, 2018 : 3), a priori donc rétif à toute tutelle.

    Le coworking, notamment celui qui se pratique en dehors des grands centres urbains, n’est pas en effet – quoiqu’en dise Patrick Lévy-Waitz dans son préambule – « que la partie émergée de l’iceberg […] et le phénomène dont on parle le plus, car il semble parfaitement en phase avec la sociologie des journalistes et autres influenceurs » (Lévy-Waitz, 2018 : 4), mais il est bien, au milieu de toutes les propositions des tiers-lieux, la seule relevant de la nouveauté en termes d’organisation du travail et ce grâce à la révolution numérique.

    Une comparaison des études de cas traitées dans les différentes contributions révèle des caractéristiques propres à chaque pays, mais remet aussi en question certaines idées reçues sur les espaces de coworking. Ainsi, on découvrira par exemple que la question des tiers-lieux et des espaces de coworking semble plus « récupérée » par les politiques en France (cf. le rapport de Patrick Lévy-Waitz et ses 28 propositions ; Lévy-Waitz, 2018) que dans les autres pays étudiés (Canada et Allemagne), pour être mobilisée de façon plus offensive dans le cadre de politiques publiques. Comme le montre la contribution de Christine Liefooghe portant sur des exemples situés dans la région Haut-de-France, les acteurs publics conçoivent les tiers-lieux comme des outils au service du développement numérique, économique, social, voire écologique du territoire. Quant aux idées reçues sur les espaces de coworking, on met souvent en avant la diversité des usagers des tiers-lieux, ce qui serait source de créativité et d’innovation. Les contributions de Flavie Ferchaud et de Gerhard Krauss nuancent cette thèse et démontrent parfois le contraire : en effet, dans les cas concrets étudiés par ces auteurs, la majorité des projets sont bien des projets personnels, la fréquentation du tiers-lieu ne semblant pas favoriser l’émergence de collaborations concrètes (à quelques rares exceptions). En effet, pour qu’un tiers-lieu fonctionne conformément aux attentes qu’il suscite, en tant que « creuset de talents et d’innovation », il lui faudra opérer une sorte de décloisonnement : casser les noyaux ou bulles professionnelles des usagers pour en créer une plus dense et plus ouverte, une matière riche en réseaux, connexions, créativité, productivité. Il faudra ensuite dépasser un deuxième clivage plus latent, prégnant, celui du clivage sociologique : parcours, diplômes, études, origine sociale, statut social. On touche ici ensuite à un clivage spécifique au tiers-lieu hors centre métropolitain : le clivage territorial. Pour certains, en effet, ce « hors centre métropolitain » est un choix de vie (moins de transport, plus de nature), pour d’autres, un pis-aller (coût de la vie trop élevé dans le métropolitain, par exemple), entraînant une marginalisation subie ¹.

    Plusieurs grandes parties constituent donc le présent ouvrage et traitent ainsi les diverses questions suscitées par le phénomène des tiers lieux et espaces de coworking. Nous commencerons par une partie regroupant des travaux qui traitent de la diversité des tiers-lieux avec coworking et qui s’intéressent plus particulièrement aux liens entre les caractéristiques du tiers-lieu (son emplacement géographique, son histoire, son fonctionnement, sa composition et les échanges internes entre ses membres) et les parcours de ses fondateurs et utilisateurs. La deuxième partie sera ensuite consacrée au tiers-lieu comme objet des attentions institutionnelles territoriales, parce que creuset supposé d’emploi, de créativité et d’innovation. Enfin, la troisième partie mettra l’accent sur le tiers-lieu comme expression d’une aspiration réelle à travailler, innover, se déplacer, s’organiser « autrement », sans que cet autrement soit toujours clairement défini. Il y sera question également de l’aspect concret du travail collaboratif prôné dans ces espaces de coworking, renvoyant à l’idée de travailler ensemble, dans un même lieu, en collaboration, un idéal de communauté se heurtant dans bien des cas à la réalité. Notre conclusion reprendra les principaux résultats des différentes contributions pour proposer une première évaluation de la réalité de ces espaces.

    Dans la partie consacrée à la diversité des tiers-lieux avec coworking et les trajectoires de leurs fondateurs et utilisateurs, la première contribution adopte donc une perspective sociologique pour appréhender la question des emplacements des espaces de coworking et des pratiques que l’on y observe. Et c’est dans la région du Bade-Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne) que Gerhard Krauss établit le cadre de son étude, cette région étant emblématique, économiquement parlant, d’une Allemagne prospère. Avec un chômage quasi inexistant (le taux de chômage tourne autour de 3 %), les espaces de coworking ne peuvent qu’y jouer un rôle marginal. Les espaces de coworking ne sont que faiblement intégrés dans l’environnement institutionnel régional, les pouvoirs publics sont peu impliqués, laissant la fondation des espaces de coworking aux initiatives privées, comme on l’observera aussi au Canada, dans les textes sur les provinces de l’Ontario (Dossou-Yovo) et du Québec (Scaillerez et Tremblay). Les deux espaces de coworking étudiés sont situés pour le premier dans une ville universitaire de 85 000 habitants et pour le deuxième dans une petite commune de 8 000 habitants. De petite taille (une dizaine de postes de travail), ils ne sont pas spécialisés dans un domaine d’activité particulier. Pour ce qui est de leur supposée dynamique de travail et de réseautage, on observe finalement dans leur cas très peu de collaborations concrètes entre leurs membres, chacun étant positionné sur un créneau spécifique et les interactions se limitant à un échange informel autour de problématiques transversales, anodines et conviviales. Ces communautés semblent en quelque sorte se suffire à elles-mêmes, en soignant l’entre-soi et la qualité de leur cadre de travail, plutôt que d’opter pour une ouverture planifiée et offensive vers l’extérieur à l’instar d’une entreprise classique.

    La seconde contribution, rédigée par Guy Baudelle et Clément Marinos, étudie l’émergence des tiers-lieux situés hors métropole, en Bretagne, en s’appuyant sur une quinzaine d’espaces. Ils privilégient une démarche compréhensive, en analysant la trajectoire personnelle et professionnelle des fondateurs à travers la méthode des récits de vie. Leur recherche, s’appuyant sur des entretiens avec des fondateurs, montre que ces projets sont portés par des individus en situation d’intermédiarité multiple, les collectivités locales et leur projet de territoire intervenant au second plan, en soutien financier et matériel. Sur la quinzaine d’espaces étudiés en Bretagne, seuls cinq sont le résultat d’une initiative strictement institutionnelle, c’est-à-dire issue des collectivités locales et/ou de leurs opérateurs. Au niveau des individus et des fondateurs, le tiers-lieu semble par ailleurs correspondre à une étape intermédiaire dans le parcours de vie et la trajectoire professionnelle, le fondateur n’étant ni un novice ni un cadre expérimenté, mais se trouvant à un tournant de sa carrière où la création du tiers-lieu agit clairement comme un tremplin. Les auteurs montrent également que les villes moyennes intermédiaires entre rural et urbain permettent aux usagers d’accéder à des ressources matérielles, symboliques ou humaines. Ils suggèrent ainsi que le tiers-lieu est un intermédiaire important pour tous, y compris les fondateurs, un « lieu de passage » dans tous les sens du terme, c’est-à-dire une étape dans l’existence, un lieu d’affirmation et d’évolution espérée vers un meilleur statut, une meilleure situation.

    La deuxième partie de notre ouvrage débute avec une contribution de Clément Marinos, portant sur l’action publique locale face aux enjeux économiques territoriaux et les espaces collaboratifs de travail dans les villes petites et moyennes en Bretagne Sud. S’appuyant sur une série d’entretiens avec des fondateurs et animateurs de ces tiers-lieux, cette contribution analyse les rapports entre les collectivités locales et les espaces de travail collaboratif, permettant de distinguer différents types de soutien public, parmi lesquelles les formes les plus courantes de soutien sont la mise à disposition par la collectivité de locaux ou de diverses subventions de fonctionnement. L’investissement des collectivités se justifie par l’espoir d’un rôle de levier économique que les espaces de travail collaboratif pourraient jouer localement, et plus précisément pour la revitalisation des centres-villes et des centres bourgs. Mais il s’agit également plus simplement d’une contribution potentielle au rayonnement du territoire. L’enquête pointe aussi un autre aspect de l’action publique, bien connu pour d’autres champs politiques : l’intervention conjointe et pas toujours coordonnée de plusieurs strates politico-administratives au niveau du département et de la région, développant chacune des politiques en la matière, au risque, montrera l’auteur, de manquer leur but.

    Dans la contribution suivante, Anne-Laure Le Nadant et Clément Marinos s’intéressent au processus de création de tiers-lieux situés hors des centres urbains, dans le contexte particulier de la reconversion de friches industrielles. Leur étude de cas porte sur le projet de la Grande Halle, ancien atelier électrique de la Société Métallurgique de Normandie, situé à une dizaine de kilomètres de Caen (Normandie, France). Cette contribution enrichit la littérature émergente sur les tiers-lieux en montrant comment ces derniers peuvent être pensés par les acteurs publics et gérés pour expérimenter la ville et faire territoire. L’étude met en évidence l’importance pour la réussite du projet, d’une part, de la coconstruction entre le maître d’ouvrage, ici la Société d’économie mixte Normandie Aménagement, la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’usage, confiée à l’association Wip et, d’autre part, de l’implication des acteurs locaux dans le fonctionnement et l’animation du lieu. L’encastrement du tiers-lieu au sein de réseaux sociaux locaux semble ainsi jouer un rôle majeur dans son processus de création.

    La troisième contribution de cette deuxième partie orientera ensuite l’attention sur l’importance des imaginaires collectifs dans la fabrique des politiques publiques. Son auteur, Christine Liefooghe, part du constat que le concept de tiers-lieu se popularise et se diffuse des grandes villes vers les territoires des villes moyennes et petites, voire le monde rural. Les porteurs d’initiatives privées ou associatives, ainsi que les acteurs politiques des territoires placent leur espoir dans le changement économique et sociétal initié par les nouveaux usages des technologies qui se cristallisent notamment dans ces tiers-lieux. Christine Liefooghe souligne que la notion de tiers-lieu porte une forte charge utopique, non seulement pour les fondateurs, mais également pour les politiques publiques, et plus généralement pour tous les protagonistes. Dans sa contribution, elle étudie les imaginaires de ces derniers, en les confrontant pour les projets de création de tiers-lieux dans les villes moyennes. Parmi les questions qu’elle pose, mentionnons : Quels sont les imaginaires mobilisés ? Comment les élus font-ils de la notion de tiers-lieu un objet politique à des fins de développement socio-économique ? Quels sont leurs attendus et quels modèles d’usage de ces nouveaux espaces de travail mobilisent-ils ? À quelle échelle la politique s’élabore-t-elle et est-elle mise en œuvre ? Comment les politiques mobilisent-ils les acteurs privés ou associatifs pour porter les projets de création de tiers-lieux ? Finalement, l’auteure interroge le bien-fondé d’une intervention de politique publique, institutionnelle dans un domaine fortement marqué par l’individualisme propre aux projets créatifs, entrepreneuriaux et innovants, quel que soit le territoire concerné.

    Pour sa part, Priscilla Ananian expose ensuite la problématique transposée au Canada, mais aussi aux États-Unis, et rappelle dans la quatrième et dernière contribution de cette deuxième partie que la rhétorique sur l’innovation et les territoires est soutenue par des phénomènes de reterritorialisation des activités économiques dans les villes nord-américaines, dont l’émergence de quartiers d’innovation et d’espaces de coworking. Ces phénomènes sont souvent étudiés à partir des perspectives de la géographie économique et de la perspective managériale mais elle note qu’ils interpellent également les études urbaines dans la mesure où l’insertion de ces activités économiques en milieu urbain soulève de multiples enjeux, notamment des enjeux d’aménagement urbain. Basé sur le Quartier de l’innovation de Montréal et cinq autres quartiers (Mars Discovery District à Toronto ; False Creek Flats à Vancouver ; Fulton Market District à Chicago ; South Lake Union à Seattle et South Waterfront à Portland), sa recherche permet de constater que plus le quartier d’innovation est consolidé, moins il y a d’espaces de coworking présents ; par contre, les secteurs en transition qui se trouvent en processus de transformation, de revitalisation ou de planification urbaine concentrent davantage de tiers-lieux en raison de loyers abordables et de la disponibilité des espaces. L’article met en évidence les enjeux d’aménagement accentués par les référentiels de développement urbain et de développement économique à l’échelle des quartiers.

    La troisième partie du présent ouvrage est consacrée au tiers-lieu comme expression d’une aspiration réelle à travailler, se déplacer, s’organiser et éventuellement innover, le tout autrement. Cette partie débute par une étude portant sur les espaces de coworking au Québec. Cette enquête, réalisée dans de grandes agglomérations, de petites villes et des villes moyennes, dont certaines sont situées dans des régions peu urbanisées, s’intéresse aux façons de travailler et de collaborer autrement, et à leur association possible aux communautés de pratique. Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay rappellent que, dans le contexte de l’économie du savoir, on s’intéresse à diverses formes de collaboration et d’apprentissage, en particulier à des modes comme les communautés de pratique. Pour nombre de personnes travaillant dans l’économie du savoir notamment, il faut acquérir des savoirs et connaissances sans cesse renouvelés, et souvent développer ses réseaux pour ce faire (Tremblay, 2004 a et b). Dans ce contexte, les espaces de coworking peuvent constituer des lieux et réseaux pertinents pour le développement des connaissances, et on peut les apparenter à des communautés de pratique. Les auteurs ont donc rapproché les deux formes de collaboration et de coopération en contexte de travail. Scaillerez et Tremblay ont utilisé une méthode qualitative reposant sur l’étude approfondie de dix cas (sur une trentaine que compte la recherche) et ont montré que le développement de la collaboration en contexte de coworking n’est pas automatique, et que ces espaces peuvent en quelque sorte suivre le même développement que les communautés de pratique : plusieurs espaces en sont au stade de développement de la confiance et commencent à développer des échanges, pour éventuellement développer des activités ou affaires ensemble. Comme ces espaces de coworking sont au Québec relativement récents, il est difficile de considérer qu’ils soient très bien établis.

    Dans la contribution suivante, Angelo Dossou-Yovo, Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay ont cherché à déterminer les facteurs qui peuvent inciter à la collaboration entre les utilisateurs par le biais d’une méthodologie qualitative reposant sur l’analyse de plusieurs cas au Québec (7) et en Ontario (5). L’analyse comparative des facteurs associés aux espaces de coworking en milieu urbain montre des différences essentiellement associées au rôle du gestionnaire et de l’animateur dans la stimulation de la collaboration entre utilisateurs. En effet, cet élément semble plus important dans les espaces de coworking lorsque le gestionnaire ou l’animateur joue un rôle d’intermédiaire dans l’initiation de rencontres et de collaborations entre utilisateurs. Certains gestionnaires ou animateurs organisent aussi des événements au sein de l’espace et ceci permet également de nourrir la collaboration. Les résultats sont ainsi utiles non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les fondateurs, les gestionnaires et les agents de développement économique. En effet, ils permettent de mieux comprendre les éléments qui facilitent la collaboration dans les espaces de coworking, celle-ci étant souvent recherchée pour développer de nouveaux produits, services ou innovations pour les petites entreprises, ou pour développer de nouveaux contacts et obtenir de nouveaux contrats pour les travailleurs indépendants.

    Pour sa part, Flavie Ferchaud a pu mettre au jour des mécanismes relatifs « à une quête de l’entre-soi, dont la spécificité est de rassembler des acteurs qui se ressemblent. Cet entre-soi est corrélé avec des pratiques de repli, voire de fermeture résultant de stratégies pour écarter celles et ceux qui ne leur ressemblent pas ». Elle constate ainsi le même phénomène que Gerhard Krauss dans son étude menée en Allemagne. Alors que l’on souligne souvent l’ouverture aux autres dans les espaces de coworking et la possibilité de bénéficier de nouveaux réseaux et collaborations, l’étude de Flavie Ferchaud démontre au contraire une relative fermeture sociale de la communauté plutôt qu’une ouverture, un constat paradoxal démontré par un questionnaire en ligne où 50 % des réponses portent sur des valeurs de partage, des échanges, des rencontres, de l’entraide, de la bienveillance, de la tolérance et de l’ouverture.

    Enfin, l’article d’Angelo Dossou-Yovo traite de l’impact des espaces collaboratifs dans le processus entrepreneurial dans les petites entreprises. Plus particulièrement, il aborde les rôles joués ainsi que les dynamiques en jeu dans la mobilisation et l’accumulation des ressources entrepreneuriales. À notre connaissance, aucun des travaux antérieurs de recherche sur les espaces collaboratifs n’a été réalisé sur leur impact dans le processus entrepreneurial. Il ressort de nos résultats que les espaces collaboratifs sont à l’origine de plusieurs éléments déclencheurs que les entrepreneurs utilisent comme levier pour prendre des décisions et poser des actions qui leur permettent d’accéder aux ressources nécessaires à la poursuite du processus entrepreneurial. Avec les résultats de ces travaux franco-canadiens sur les tiers-lieux, leur diversité, leurs complexités et leur lien avec le processus entrepreneurial, il sera possible pour les décideurs de politiques publiques d’orienter et d’affiner leurs actions sur leurs territoires. Enfin, les gestionnaires de ces espaces collaboratifs pourront appréhender différemment leurs missions en cernant davantage le profil de leurs usagers.

    Ces contributions contrastées à l’image des tiers-lieux étudiés expriment les histoires et les parcours d’individus, fondateurs et usagers et permettent donc de mieux comprendre le phénomène, et surtout d’illustrer la diversité des motivations des individus qui s’y retrouvent. Kaléidoscope sociétal, le tiers-lieu appelle un regard pluridisciplinaire et donc des approches différenciées les unes des autres avec un point commun essentiel : le paradoxe d’un lieu appelé à la fois à créer du réseau et cependant en proie parfois au renfermement, à l’isolement et à l’autocentrisme. On peut s’interroger sur

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