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Gestion des ressources humaines, 3e édition: Typologies et comparaisons internationales
Gestion des ressources humaines, 3e édition: Typologies et comparaisons internationales
Gestion des ressources humaines, 3e édition: Typologies et comparaisons internationales
Livre électronique785 pages24 heures

Gestion des ressources humaines, 3e édition: Typologies et comparaisons internationales

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À propos de ce livre électronique

La présente édition de Gestion des ressources humaines a été revue, actualisée et resserrée. Tout en se concentrant sur l’essentiel des modèles et en conservant l’angle contextuel de la GRH, elle oriente l’étude vers le fil directeur de l’analyse de ses « systèmes ».

L’ouvrage présente l’évolution historique du concept et expose différents modèles théoriques de la GRH, en expliquant ses fonctions (recrutement, formation, organisation du travail, rémunération, évaluation). Les auteurs s’intéressent aux stratégies d’entreprises et au travail en équipe. Ils font appel aux modèles internationaux pour illustrer la diversité, mais aussi la cohérence d’ensembles des pratiques dans cinq pays : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Suède et le Canada. L’ouvrage montre comment ces pratiques se situent dans leur contexte historique et contemporain. Des études de cas du secteur automobile de chaque pays permettent de comprendre la variété des pratiques de GRH dans un secteur. Des concepts nouveaux sont ainsi situés dans leur contexte national, puis étudiés dans leur application internationale : le juste-à-temps, le Ringi, le Kaizen, les cercles de qualité, la réingénierie, etc. L’ouvrage met en relief la diversité des approches mais aussi l’importance des acteurs sociaux et de l’environnement de l’entreprise pour expliquer les systèmes de GRH. Il traite enfin des relations existant entre la GRH et la performance des organisations, ainsi que de la transférabilité des pratiques d’un pays à l’autre.

Cette nouvelle édition établit des liens entre les approches théoriques et les réalités de gestion dans des contextes qui parfois se ressemblent, parfois non, et qui génèrent des pratiques de GRH fondamentalement différentes. Elle intéressera tant les gestionnaires et les conseillers de ressources humaines que les syndicalistes et les employés confrontés à de nouvelles approches.
LangueFrançais
Date de sortie5 déc. 2019
ISBN9782760550674
Gestion des ressources humaines, 3e édition: Typologies et comparaisons internationales
Auteur

Diane-Gabrielle Tremblay

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à l’Université TÉLUQ et directrice de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) sur la gestion des âges et des temps sociaux.

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    Aperçu du livre

    Gestion des ressources humaines, 3e édition - Diane-Gabrielle Tremblay

    BIBLIOGRAPHIE

    PARTIE 1

    Évolution et approches de la GRH

    INTRODUCTION

    Le présent ouvrage invite à développer une vision de la gestion des ressources humaines (GRH). À travers l’étude comparative de pays choisis pour leur performance et leur diversité d’approche, il nous semble important de montrer que la GRH peut être multiforme et non pas une fonction standardisée de management. La GRH varie dans le temps et l’espace et accompagne de façon de plus en plus stratégique la mondialisation des entreprises et des économies nationales.

    Si la GRH a des implications importantes pour les entreprises, elle en a aussi pour ceux qui travaillent au sein de celles-ci et, ultimement, pour les États qui ne peuvent pas être indifférents à l’évolution du marché du travail. En proposant de comparer les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Suède et le Canada du point de vue de la gestion des ressources humaines, nous visons à introduire l’idée qu’il existe une pluralité d’approches possibles. Nous présentons ces cas nationaux comme des «modèles», non pas dans le sens de nouvelles recettes à suivre, mais comme des idéaux types où une certaine cohérence s’est développée entre les diverses fonctions de GRH. Ces modèles types sont un portrait stylisé des façons de faire dans ces pays et il va sans dire que toutes les entreprises au sein de ceux-ci, notamment les PME, ne se conforment pas toujours à la description que nous en ferons. Leur présentation montre que la compétitivité peut être atteinte de plusieurs façons. Toutefois, ces mêmes modèles présentent des pour et des contre tant du point de vue du gestionnaire que de ceux des employés et de la société. En présentant une variété de cas nationaux, nous pensons que ces connaissances peuvent contribuer à l’ouverture d’esprit et à l’analyse critique de la GRH, c’est-à-dire à la découverte de l’origine des pratiques et leurs conséquences sur les acteurs.

    La diversité découlant du caractère national n’est pas le seul objet d’intérêt, d’autant plus que l’on retrouve souvent plusieurs pratiques et modèles de GRH propres à l’histoire d’un pays donné. De ce fait, nous nous intéresserons aussi à l’évolution historique de la GRH, et nous verrons que cette fonction de gestion s’est beaucoup développée au cours du XXe siècle. On est ainsi passé d’une période où l’on traitait d’administration du personnel, qui se résumait essentiellement à la gestion de la paye, à une fonction plus complexe de GRH, qui renvoie à tout un éventail d’activités de plus en plus diversifiées et complexes, allant du recrutement à la sélection jusqu’à la formation, l’organisation du travail, la rémunération et l’évaluation.

    L’ouvrage se divise en trois grandes parties. Dans la première, nous présentons l’évolution historique et les différentes philosophies de GRH, en faisant un bref survol, à travers le temps, des transformations. Nous traitons ensuite du cadre conceptuel à l’aide des différents modèles théoriques qui peuvent permettre d’analyser le contexte d’intervention des décisions en matière de GRH. Nous définissons le concept de GRH, exposons le cadre de référence, y compris les acteurs, l’environnement et les critères de performance. Puis nous situons la GRH par rapport au système de relations industrielles, ainsi que par rapport aux concepts de marché interne et de marché externe. Enfin, nous étudions plus en détail les diverses fonctions de la GRH, à savoir principalement le recrutement, la sélection, le développement des compétences, l’organisation du travail, l’évaluation et la rémunération. Nous nous intéressons ensuite aux stratégies d’affaires, à celles possibles en matière de GRH et à leur incidence éventuelle sur la performance ou les résultats des entreprises.

    Dans la deuxième partie, nous nous penchons plus précisément sur différents cas nationaux, qui permettent d’illustrer la diversité des approches en matière de GRH. Nous commençons par les États-Unis, pour passer ensuite à la GRH dans les entreprises japonaises, allemandes, suédoises et canadiennes. Ce faisant, nous tentons d’illustrer à la fois les pratiques traditionnelles de ces pays et les pratiques innovatrices ou les tendances actuelles qui y ont cours en matière de GRH.

    Enfin, dans la troisième et dernière partie, nous tentons d’évaluer le lien pouvant exister entre la GRH, d’une part, et le rendement, la performance ou la compétitivité des entreprises d’autre part. Il n’est pas facile d’établir un lien direct entre les pratiques de GRH et les résultats particuliers, mais nous présenterons quelques éléments ou pistes à explorer à cet égard. C’est sur ces considérations plus générales que nous terminerons notre exposé, qui vise surtout à mettre en évidence la diversité des pratiques ainsi qu’à susciter des interrogations au sujet de leur transférabilité et de leur incidence sur la performance ou les résultats des entreprises.

    SOMMAIRE

    1.1Les principaux défis

    1.1.1La concurrence et la performance

    1.1.2Le marché du travail

    La vision du travail et les philosophies de gestion

    Les relations industrielles et l’État

    1.2L’évolution historique du concept de GRH

    1.2.1L’administration du personnel

    Le taylorisme

    1.2.2La gestion du personnel

    L’approche sociotechnique

    Le groupe semi-autonome

    1.2.3La gestion des ressources humaines: une nouvelle ère de gestion

    L’approche participative

    Les approches critiques en gestion

    Conclusion

    CHAPITRE 1

    L’évolution du concept de gestion des ressources humaines

    La gestion des ressources humaines est généralement associée à la gestion du recrutement, de l’organisation du travail, de la rémunération et de la formation au sein d’une organisation. L’entreprise est traversée par une philosophie de gestion, pas toujours explicite, qui modèle les comportements au sein de l’organisation. Elle tente par le développement d’une stratégie propre de performer sur les marchés. La gestion des ressources humaines s’intègre toutefois à un contexte plus large que l’organisation elle-même. On peut donc concevoir la gestion des ressources humaines comme faisant partie d’un environnement à plusieurs facettes.

    Comme nous le verrons, l’organisation est traversée par les intérêts de différents groupes qui y sont présents et qui l’entourent. Les actionnaires, les gestionnaires, les employés, le gouvernement ou l’État, la communauté locale et les syndicats sont autant d’acteurs qui influent sur l’entreprise et dont les objectifs ne concordent pas toujours.

    De plus, l’environnement de l’organisation est constitué d’un système économique comportant différentes caractéristiques quant à l’état de la concurrence et des types de relations qui se tissent entre les organisations. Les relations de financement, d’approvisionnement en ressources et en main-d’œuvre ainsi que les clients (les caractéristiques du marché) constituent des éléments importants qui influent sur le type de gestion des ressources humaines. Cet environnement est également tributaire des lois et des valeurs sociales au sein d’un système de relations industrielles composé de normes juridiques qui régissent les relations employeur-employés et les règles des contrats collectifs de travail.

    L’évolution économique, politique et sociale de nos sociétés concourt aujourd’hui à ce que la gestion des ressources humaines soit perçue comme un facteur important de compétitivité pour les entreprises, mais également comme un enjeu pour les personnes et la société dans son ensemble. En effet, comme les technologies sont accessibles à toutes les entreprises, qu’il est difficile de se distinguer fortement sur le plan des coûts dans une économie donnée, et que les pays en développement sont souvent les plus concurrentiels sur le plan des prix, les économies développées sont pour la plupart forcées de s’orienter vers des stratégies de diversification de leurs produits et, surtout, d’innovation et de qualité des produits et services. Dans ce contexte, les ressources humaines prennent une plus grande importance puisque ce sont principalement elles qui sont à la source de l’innovation et de la qualité des produits et services. Dans ce premier chapitre, nous verrons que le concept de GRH a dû et devra encore s’adapter aux enjeux économiques, et ce, à l’échelle mondiale. Après un bref survol des principaux défis actuels et futurs, nous tracerons l’évolution historique du concept de gestion des ressources humaines selon différentes théories et philosophies qui ont influencé la gestion depuis le début du XXe siècle.

    1.1LES PRINCIPAUX DÉFIS

    Aujourd’hui, la mondialisation des économies pousse toujours plus loin les limites de la course à la productivité et à la performance des organisations. Résultant de la diminution des tarifs douaniers à la suite d’accords négociés au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des divers accords de libre-échange conclus dans plusieurs zones du globe, de la baisse des coûts du transport et des facilités de communication, la mondialisation des marchés signifie que l’on peut acheter presque n’importe quel produit ou service n’importe où dans le monde avec un minimum de contraintes. En outre, certains pays à bas coûts de main-d’œuvre comme la Chine ou l’Inde deviennent de plus en plus concurrentiels et exportent facilement à travers le monde. Certains secteurs profitent de cette ouverture des marchés et de la globalisation de la production, d’autres en souffrent, mais l’ensemble des entreprises cherchent des moyens d’augmenter leur performance pour se maintenir et croître dans ce contexte de concurrence accrue.

    Si l’on observe depuis quelques années des phénomènes de retour ou de relocalisation, la délocalisation des activités de production – qui ont quitté des pays développés pour aller vers des pays à moindres coûts – continue d’imposer des efforts aux entreprises des pays développés. Celles-ci doivent faire des choix entre innovation et qualité, ou réduction de coûts de main-d’œuvre et autres, pour tenter d’y faire face, et cela a évidemment des incidences fortes sur la main-d’œuvre et la qualité de l’emploi, entre autres. Ce sont ces choix que nous tenterons de mettre en évidence, l’innovation et la qualité étant les stratégies que nous soutenons en vue de favoriser une meilleure qualité de l’emploi. Ce sont ces stratégies que nous allons illustrer avec les cas des pays et des entreprises évoquées dans les chapitres 5 à 9.

    1.1.1LA CONCURRENCE ET LA PERFORMANCE

    Le contexte de la concurrence a en effet évolué fortement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jusque vers les années 1970, les modes de production étaient caractérisés essentiellement par la fabrication de biens destinés à une consommation de masse. Mais une partie de cette production s’est délocalisée vers des pays où les coûts de main-d’œuvre étaient inférieurs. Simultanément, la saturation des marchés de produits de masse, c’est-à-dire les produits ou services fabriqués à grande échelle, a entraîné une réorientation de la concurrence. La recherche de nouveaux produits de masse (innovations dans la téléphonie cellulaire, services Internet divers, etc.) reste bien sûr toujours une activité importante des entreprises. Toutefois, pour la plupart de celles-ci, une spécialisation et une diversification des produits et services sont à l’ordre du jour, encore plus qu’hier. Dans ce contexte, les entreprises des pays développés cherchent à innover et à accroître la qualité de leurs produits et services pour se distinguer de leurs concurrents. En même temps, elles tentent de limiter la hausse des coûts et d’accroître leur rendement, mais elles semblent avoir épuisé les moyens traditionnels d’augmenter leur productivité. Les limites à la diminution des coûts et la plus grande importance de la qualité et de l’innovation sont des éléments qui les amènent à rechercher des gains de productivité ou des niches de marché du côté des innovations aussi bien organisationnelles, notamment la gestion des ressources humaines et l’organisation du travail, que technologiques.

    C’est ainsi qu’on en est venu à distinguer des stratégies concurrentielles différentes suivant les marchés visés et selon le niveau de développement économique des pays. D’une part, il y a des pays, surtout ceux à bas coûts de main-d’œuvre, qui peuvent encore tenter de demeurer concurrentiels principalement sur la base du faible coût de leur production, par exemple l’Inde, la Chine, l’Indonésie, les Philippines et nombre d’autres; leurs entreprises visent ce qu’il est convenu d’appeler une stratégie de minimisation des coûts ou des prix, fondée généralement sur une production de masse. D’autre part, il y a des pays où les coûts de main-d’œuvre sont plus élevés, mais dans lesquels le niveau de scolarité et de développement est aussi souvent plus élevé, de sorte que ces pays s’orientent plutôt vers une stratégie de qualité et de diversité des produits et services, vers des niches très pointues, souvent reliées à Internet et aux technologies de l’information (TI).

    Il s’agit là de deux stratégies concurrentielles opposées, deux grands idéaux types, et toutes les entreprises d’un pays ne souscrivent pas nécessairement à la même stratégie, bien qu’il y ait généralement une stratégie dominante, en quelque sorte imposée par le contexte économique et les coûts de la main-d’œuvre, et favorisée par le niveau d’éducation. Ainsi, certains secteurs peuvent avoir tendance à adopter plutôt une stratégie de qualité et de diversité (c’est le cas par exemple des secteurs de haute technologie, notamment les biotechnologies, les TI et Internet) alors que d’autres optent pour une stratégie de minimisation des coûts (les secteurs dits «mous» ou à bas coûts de main-d’œuvre comme le vêtement, l’alimentation, quoique même dans ces cas, les stratégies sont appelées à évoluer dans les pays développés, vers le design et la conception). Encore là, des entreprises peuvent avoir des stratégies différentes à l’intérieur d’un secteur, mais on observe souvent une dominante.

    1.1.2LE MARCHÉ DU TRAVAIL

    Le marché du travail est un autre des facteurs importants qui influent sur les stratégies de gestion des ressources humaines et l’organisation du travail, et que l’on peut classer au nombre des principaux défis organisationnels actuels. Encore là, les entreprises de divers secteurs et de pays différents sont confrontées à des situations différentes dans les marchés du travail nationaux. Par ailleurs, dans pratiquement tous les pays et secteurs, la structure du marché du travail s’est passablement transformée tant du côté de l’offre d’emploi par les entreprises que du côté des compétences dont disposent les travailleurs et de la demande de main-d’œuvre par les entreprises. La plus grande participation des femmes au marché du travail s’est faite parallèlement à la tertiarisation de l’économie et une pyramide d’âge inversée résultant du vieillissement de la population du baby-boom (explosion démographique des années 1945-1960) a sensiblement transformé le bassin de personnes disponibles sur le marché du travail. Aujourd’hui, la problématique de la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, ou conciliation emploi-famille¹, contribue à complexifier encore davantage les enjeux au sein des organisations.

    Dans ce contexte, les horaires et temps de travail ainsi que les lieux de travail ont changé. L’horaire de 9 à 17 heures, du lundi au vendredi, recule, alors que les horaires diversifiés, brisés, segmentés sur l’ensemble de la semaine, incluant le weekend, se développent. Les employés ne sont plus obligés de travailler sur les lieux de travail de leur employeur, mais peuvent le faire à domicile (télétravail) ou encore en de multiples lieux (en déplacement, dans les transports, à l’hôtel, chez le client, etc.), de sorte que l’on parle aujourd’hui de travail mobile (Thomsin et Tremblay, 2008, 2006; Tremblay et Genin, 2007). Aussi la gestion de ces nouvelles modalités d’organisation du travail suscite-t-elle des défis organisationnels importants.

    Pourtant, nombre de travaux en gestion présentent plutôt le beau côté des évolutions de l’emploi, négligeant souvent la dimension cachée des phénomènes. Ainsi, on mettra l’accent sur le développement des carrières nomades (boundaryless), sur l’accroissement de l’autonomie et les possibilités de se déplacer librement sur le marché du travail avec son portfolio de compétences. On négligera aussi la précarisation qui peut être associée à ces nouvelles mobilités, parfois choisies, mais souvent subies également (Tremblay, 2003).

    Depuis le début de la crise du milieu des années 1970 jusqu’à la montée du prix du pétrole en 2008, et la crise financière de 2009, l’économie internationale et le marché de l’emploi ont connu des problèmes importants dans de nombreux pays industrialisés. Cela contraste fortement avec les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale alors que divers pays développés se caractérisaient par une situation de quasi plein emploi, ou de faible chômage. On a d’ailleurs qualifié cette période de «trente glorieuses» (1945-1975). Assurément, c’était là une période de relative stabilité économique et d’enjeux organisationnels apparemment moindres que ceux auxquels nos économies sont confrontées aujourd’hui. Depuis les années 1970, l’introduction de nouvelles technologies qui rendent désuètes les compétences de certains salariés et la concurrence accrue par l’arrivée de nouveaux pays industrialisés font en sorte que le problème du chômage et la hausse de la précarité d’emploi deviennent extrêmement préoccupant dans plusieurs pays et les défis organisationnels associés au maintien de la performance des entreprises sont imposants.

    Dans ce contexte de mondialisation, d’innovation accélérée, de déqualification de plusieurs salariés et de chômage important en plusieurs lieux, les sciences de la gestion peuvent paraître un peu coupées du monde. En effet, maints travaux de nature prescriptive et normative proposent des pratiques d’excellence (best practices) qui font parfois fi des véritables enjeux organisationnels. L’intégration de personnes peu qualifiées, d’immigrants, de jeunes et de travailleurs vieillissants, la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales ou personnelles, les problèmes de motivation des salariés et de performance que vivent nombre d’organisations, les problèmes de santé et de sécurité au travail, les difficultés associées au travail en équipe, à la collaboration, à l’établissement de la confiance entre salariés et patrons, ne représentent que quelques défis organisationnels susceptibles de remettre en question certains écrits normatifs reposant sur les «best practices». C’est dans ce contexte que sont apparues les approches critiques en gestion, qui constituent aujourd’hui un groupe de recherche reconnu au sein de l’Academy of Management. Nous reviendrons plus loin sur ces approches critiques, après avoir fait un rapide historique des transformations du travail et des philosophies de gestion.

    La vision du travail et les philosophies de gestion

    Dans ce contexte de changements importants sur le marché du travail, soulignons qu’il y a eu des transformations notables du côté des individus; en effet, le niveau d’éducation et les attentes par rapport au travail augmentent constamment. On observe que les salariés souhaitent de plus en plus d’autonomie dans le travail². Cela exerce bien sûr des pressions pour modifier les modes de gestion traditionnels, mais ce contexte pourrait aussi être la source de nouvelles possibilités de décentralisation des responsabilités au sein de l’entreprise. Parallèlement, les entreprises ne sont pas imperméables aux pressions qu’exercent les syndicats et divers groupes de travailleurs pour démocratiser la vie au travail, et ce, dans un très grand nombre de pays industrialisés de longue date ou plus récemment.

    Ainsi, en Europe, les mouvements pour la démocratie industrielle sont légitimés par les succès de la gestion participative telle qu’on l’a observée en Suède, de sorte que certaines innovations sont aujourd’hui introduites dans des entreprises américaines et canadiennes. Le Japon a eu aussi une grande influence sur les pratiques actuelles en matière d’organisation du travail. Comme nous le verrons plus loin, des pratiques comme les cercles de qualité, le juste-à-temps, le travail en équipe et l’innovation continue se sont répandues au Japon et devant le succès de nombre d’entreprises japonaises au cours des dernières décennies, plusieurs autres entreprises de différents pays s’y sont intéressées. Nous verrons que c’est particulièrement le cas dans le secteur de l’automobile, dont nous traiterons dans les chapitres sur les divers pays, mais il faut reconnaître que c’est aussi le cas dans nombre d’autres secteurs comme l’électronique, les biotechnologies et l’ensemble des secteurs de haute technologie. Malheureusement, en ce qui concerne les méthodes d’innovation au Japon, nombre d’entreprises n’ont retenu que les méthodes lean et, surtout, ne les ont appliquées que partiellement, en mettant davantage l’accent sur la réduction des coûts et des ressources que sur la qualité et l’innovation³.

    En gros, on peut dire que les attitudes, les attentes et les comportements des salariés de même que les philosophies de gestion ont évolué dans plusieurs organisations et pays. La qualité de vie au travail (Jebli et Tremblay, 2015) et la qualité de l’emploi (Cloutier, Bernard et Tremblay, 2011) prennent de l’importance et les styles de gestion plutôt autoritaires se voient de plus en plus confrontés à des résistances dans la plupart des organisations et des pays.

    Conséquemment, les entreprises ne peuvent rester en marge des changements sociaux, économiques et politiques, elles doivent s’adapter. Qui dit changements dit ouverture d’esprit et souplesse. Les entreprises, grandes et petites, sont-elles capables de modifier leur stratégie de manière à répondre à un changement de philosophie du travail? Les gestionnaires peuvent-ils s’ouvrir à une plus grande participation et à une plus grande autonomie des employés, leur offrir une meilleure qualité de l’emploi et de vie au travail (Tremblay, 2018)? La recherche d’une plus grande flexibilité dans l’organisation devient un défi important pour les entreprises qui veulent progresser et s’adapter aux changements tant internes qu’externes. Or les principaux déterminants de la capacité d’adaptation reposent sur le potentiel humain, d’où l’importance accrue de la gestion des ressources humaines dans le contexte actuel. Pour les entreprises, ces changements peuvent être perçus comme des contraintes, mais, à notre avis, ils peuvent avoir le potentiel d’être une source de compétitivité. Toutefois, dans certaines organisations, une plus grande flexibilité recherchée est obtenue au prix d’une plus grande intensification et d’une plus grande précarité d’emploi (Tremblay, 2017d).

    Les relations industrielles et l’État

    La situation de l’emploi et du chômage touche tous les gouvernements de façon de plus en plus directe. Cela en amène certains à intervenir plus activement sur le marché du travail, et ce, pour diverses raisons: pour accroître la formation de la main-d’œuvre en vue de rendre les entreprises plus concurrentielles, pour assurer l’intégration des jeunes, le départ des travailleurs vieillissants ou, encore, pour promouvoir un niveau d’emploi élevé au sein de l’économie. Il y a ainsi des liens entre le mode de gestion de la main-d’œuvre dans les entreprises et les politiques d’emploi. Politique active de la main-d’œuvre en Suède, politique de formation en Allemagne, politique d’innovation, de qualité et d’une certaine sécurité d’emploi pour les employés au Japon, lesquelles viennent combler ce que l’on nomme des failles du marché⁴. Réciproquement, les politiques de l’emploi ont une incidence sur les choix que font les entreprises en matière de GRH⁵. Ainsi, il est clair que les réglementations sur les normes de travail et la négociation collective interviennent dans la définition de la gestion des ressources humaines des entreprises et que les pratiques de celles-ci ont un impact sur les problèmes auxquels doivent faire face les gouvernements qui se donnent une responsabilité particulière quant à l’emploi et, nécessairement, au développement économique.

    Idéalement, la gestion des ressources humaines devrait donc pouvoir faire converger les objectifs des entreprises, des individus et de la société. Cela n’est pas une idée nouvelle (Wren, 1987: 419), et la recherche d’une harmonie entre ces divers intérêts constitue l’un des objectifs de la gestion des ressources humaines. Toutefois, les aires de conflits sont nombreuses entre les besoins des organisations et ceux qui en font partie de près ou de loin, de sorte que cet objectif de convergence n’est pas facile à atteindre.

    Certains considèrent d’ailleurs que cet objectif ne peut jamais être atteint et que les intérêts des employeurs et des employés, comme ceux de l’État, sont foncièrement inconciliables. Cette thèse critique est rarement évoquée dans les écrits normatifs en gestion des ressources humaines, mais il nous paraît important de l’avoir à l’esprit afin de ne pas présenter une vision idéalisée des intérêts des employeurs et des employés. Cela nous semble important non seulement pour les analystes de la gestion des ressources humaines, mais aussi pour les gestionnaires eux-mêmes, qui gagnent à adopter une vision réaliste des convergences comme des divergences des intérêts humains dans le travail et à accorder une attention particulière aux facteurs qui contribuent à éloigner les acteurs des objectifs qui peuvent leur être communs ou qui sont tout au moins compatibles. Les sources de divergence sont tout aussi importantes que les sources d’harmonie pour assurer une bonne gestion des ressources humaines. Ainsi, une vision critique de la gestion des ressources humaines nous incite à éviter de présupposer qu’il y a harmonie des intérêts entre les acteurs. Dans cette perspective, des auteurs comme Beer et al. (1984), que nous évoquerons plus loin, nous conduisent à adopter une vision pragmatique qui postule que les intérêts des acteurs pourront être compatibles, mais à moyen ou long terme, et non pas dans l’immédiat.

    Ayant établi que la gestion des ressources humaines doit être abordée dans une perspective critique et évolutive, et non pas en considérant qu’il n’y a qu’une bonne façon de faire, applicable à tous les contextes (un «One Best Way»), voyons maintenant comment le concept de gestion des ressources humaines a évolué depuis le début du XXe siècle et essayons de comprendre comment certaines approches tendent à réduire l’écart entre les objectifs de l’entreprise et ceux des employés. Cette analyse des transformations successives du concept, en fonction de l’évolution historique, contribuera à façonner cette vision à la fois critique et évolutive que nous proposons ici.

    1.2L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DU CONCEPT DE GRH

    Le facteur humain a longtemps été sous-évalué dans les organisations et il a souvent été régi par les règles de l’offre et de la demande comme n’importe quelle autre marchandise, d’où l’expression «marché du travail». Cette vision instrumentaliste, où le salarié se conçoit comme un simple exécutant, a évolué depuis, et de différentes manières. Le facteur humain devient aujourd’hui, dans certaines grandes entreprises, une source de potentiel à explorer, à reconnaître et même une carte maîtresse dans les enjeux de la compétitivité. À l’instar de Petrella (1997), on pourrait préférer l’expression «gestion du potentiel humain».

    Toutefois, cette évolution n’est pas linéaire, et des allers-retours avec des outils plus sophistiqués sont possibles. Dans beaucoup de secteurs, selon l’état du marché du travail, la «ressource humaine» n’est pas à l’abri de la pensée néoclassique⁶.

    Il n’y a plus de cadres, d’employés, de travailleurs: tous, nous sommes devenus des ressources humaines à utilité temporaire et intérimaire […] Devenue ressource, la personne humaine n’est plus un sujet social ayant des droits, des envies, des besoins. Elle n’est plus qu’un coût pour l’entreprise à comparer aux autres ressources de l’entreprise selon les critères d’efficacité et de performance (en termes de rentabilité, de profit) fixés et évalués par ceux qui ont le pouvoir de direction et de contrôle de l’activité de production. Toute autre dimension ou valeur sociale, culturelle, humaine, politique, éthique est subordonnée aux critères d’efficacité et de performance économico-financières. Ces critères déterminent les cycles de vie des compétences humaines variant désormais entre trois et sept ans. Les compétences deviennent vite dépassées, inutiles. Nous sommes dès lors obligés de nous former, de nous recycler sans cesse. (Petrella, 1997: p. 34, 36).

    Notons que, pour notre part, nous retenons le terme de gestion des ressources humaines non seulement parce qu’il est plus répandu que gestion du potentiel, mais aussi parce que nous pensons possible de développer une gestion des ressources humaines qui tienne compte du potentiel, mais aussi de la situation présente des individus en emploi. Notre vision n’est aucunement subordonnée aux critères d’efficacité et de performance financière; au contraire, nous pensons qu’une véritable bonne gestion des ressources humaines repose justement sur la prise en compte du facteur proprement humain, des besoins des individus en emploi, notamment les besoins en matière de conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, et ce, tout au long de la vie, tant lorsque les gens ont de jeunes enfants que lorsqu’ils sont des travailleurs vieillissants souhaitant aménager leur temps de travail par exemple. Aussi, si la critique de Petrella nous semble tout à fait pertinente et utile à conserver à l’esprit, nous pensons possible d’intégrer cette vision dans la gestion des ressources humaines, quelle que soit l’appellation retenue pour qualifier cette fonction. Qui plus est, la prise en compte des particularités des individus a le potentiel de favoriser davantage l’efficacité organisationnelle.

    Depuis le début du siècle, certains facteurs ont influencé la manière de penser le rôle des gestionnaires responsables des ressources humaines. Bien que l’on associe généralement la GRH aux fonctions de recrutement, de formation, d’organisation du travail, de rémunération et d’évaluation, celles-ci se sont modifiées au rythme de plusieurs influences: besoins des entreprises, rôle des syndicats et réglementation gouvernementale, évolution des marchés et du développement technologique. C’est à cette évolution que nous nous intéressons maintenant.

    On peut subdiviser les approches de GRH en trois grandes périodes ou trois grands «âges», que nous verrons successivement:

    –l’administration du personnel;

    –la gestion du personnel, y compris l’approche sociotechnique;

    –la gestion des ressources humaines.

    1.2.1L’ADMINISTRATION DU PERSONNEL

    L’administration du personnel correspond à la première période. On peut considérer qu’elle fait surtout partie du passé des organisations, mais certaines en sont encore là aujourd’hui. L’administration du personnel s’est développée historiquement en rapport avec la croissance de la taille des entreprises. Effectivement, à mesure qu’une entreprise gagne en ampleur, le besoin se fait sentir d’affecter une personne à un poste donné, voire de créer un service au sein de l’entreprise, dont la vocation sera d’administrer les opérations comptables ou autres touchant le contrat de travail. L’administration du personnel n’était au début du XXe siècle qu’une branche de la science administrative. Les employés y étaient considérés comme des «ayants droit» à un salaire et à certains avantages sociaux en matière de congés, de régimes de retraite, d’assurances diverses, etc. La taille de l’entreprise, l’étendue des réglementations gouvernementales, ainsi que la complexité des conventions collectives de travail exigeaient donc un personnel spécialisé pour «administrer» ces questions.

    Cette façon de gérer le personnel correspond à une philosophie de gestion basée sur une perception du travailleur comme étant un individu mû par des motivations économiques surtout. La relation d’emploi entre l’employeur et l’employé est essentiellement une relation économique où un salaire est perçu en échange de l’accomplissement de certaines tâches. Dans ce contexte, la principale stratégie de l’entreprise consiste à minimiser les coûts.

    Dans cette perspective, l’employé était donc considéré comme un appendice à la machine, aussi remplaçable que la machine elle-même. L’employé devenait interchangeable à tout moment sur le marché du travail: c’est ce que l’on a appelé la «mobilité parfaite». L’organisation du travail était alors rationalisée autour des principes du taylorisme où chaque opération se voyait réduite à sa plus simple expression. Les coûts, en fait de formation, étaient minimes, car la technologie utilisée n’était pas très complexe et l’employé n’assumait pas de responsabilité autre que sa tâche précise. Le superviseur répartissait le travail à effectuer. Aidé par l’ingénieur, il était l’expert chargé de contrôler les méthodes de travail et de faire en sorte que chaque employé s’y conforme. Selon Frederick W. Taylor (1971), qui a analysé l’organisation du travail au début du siècle, l’individu est considéré comme un être paresseux et erratique. McGregor (1985) qualifiera cette vision de «théorie X» de la gestion.

    La théorie X repose sur trois principes:

    –généralement, les individus éprouvent un dédain profond pour le travail et ils l’éviteront si possible;

    –parce qu’ils n’aiment pas le travail, la plupart des gens doivent être forcés, contrôlés, dirigés et menacés de pénalités pour qu’ils fournissent un effort approprié en vue de l’atteinte des objectifs de l’organisation;

    –généralement, les individus préfèrent être dirigés, veulent éviter les responsabilités, ont peu d’ambition et recherchent la sécurité avant tout (McGregor, 1985: 33-34).

    Pour McGregor, évidemment, ces principes qui sont à la base de beaucoup de théories de gestion ne rendent pas compte d’autres aspects importants de la motivation des personnes. Selon McGregor qui reprend Argyris (1957), ce type de gestion est axé sur le contrôle et le dirigisme; il «correspond davantage aux capacités et aux caractéristiques d’un enfant que d’un adulte». La théorie X minimise, par exemple, les motivations d’estime de soi concernant l’autonomie, la quête d’accomplissement et d’acquisition de compétences et de connaissances, de même que les motivations relatives au statut en matière d’appréciation, de reconnaissance et de respect. En revanche, la théorie X surestime les motivations économiques. En effet, la satisfaction des besoins que permet le salaire, la principale reconnaissance de l’effort, ne peut être faite qu’en dehors des lieux de travail. Il n’est donc pas surprenant, selon McGregor, que le travailleur veuille minimiser le temps passé au travail puisqu’il est largement perçu ou vécu comme une punition⁷. En conséquence, si l’argent reçu ne réussit pas à combler les besoins supérieurs des individus, et si c’est là la seule rétribution du travail, les revendications pour augmenter le salaire croîtront toujours.

    La capacité des entreprises d’organiser le travail de cette façon tire ses sources d’un certain «contrat implicite», appelé parfois le «compromis fordiste», sur lequel nous reviendrons, où les droits de propriété confèrent une autorité quasi absolue d’organiser le travail en échange d’un salaire. Le fordisme, ainsi nommé en référence à Henry Ford, le fabricant d’automobiles, est en quelque sorte un prolongement du taylorisme.

    Le taylorisme

    Le taylorisme se veut un mode scientifique d’organisation du travail: il n’y a qu’une seule manière rationnelle d’organiser le travail et le travailleur doit s’adapter! Les Américains parlaient de «One Best Way» pour faire référence à cette façon idéale et rationnelle d’organiser le travail. Dans l’organisation tayloriste, le travail est parcellisé; les postes sont très étroitement définis, avec des fonctions délimitées et aux frontières précises. C’est là une méthode traditionnelle pour concevoir l’organisation du travail. Cette structure délimite du même coup les aires de responsabilité et de prise de décision. Chaque poste ayant un nombre défini de tâches, la hiérarchisation des postes de travail facilite l’unité de direction. On associe habituellement cette structure à une philosophie bureaucratique de fonctionnement.

    En 1911, Frederick Winslow Taylor (1856-1915) publie aux États-Unis un ouvrage intitulé La direction scientifique des entreprises. Selon lui, on peut effectivement employer des méthodes dites «scientifiques» pour rationaliser l’organisation du travail. Il s’agit d’observer, de classifier et d’analyser les tâches pour en tirer des lois qui deviendront la meilleure pratique (la fameuse «One Best Way»). Ainsi, la méthode de Taylor donnera un rôle prépondérant à l’expert pour définir les tâches et les enseigner aux employés qui devront s’y conformer à la lettre. L’expertise remplace donc la négociation sur les lieux de travail et Taylor espère ainsi éliminer les aires de conflits. Toutefois, cette communication à sens unique élimine du même coup les aires de coopération (voir à ce sujet Bernoux, 1985: 53-66). Selon Taylor, le groupe de travail incite à la flânerie. Il faudra donc que le travail soit organisé de manière individuelle et que l’ouvrier soit payé à la pièce. Pour celui-ci, il en résultera en une augmentation importante de la productivité qui permettra d’augmenter les salaires afin de diminuer les conflits sociaux.

    Pour l’employeur, l’administration du personnel n’est alors pas très différente de la gestion des stocks. Le recrutement peut se borner à vérifier le dossier criminel et l’état de santé de l’employé, les besoins de formation sont minimaux ainsi que les compétences exigées. La fonction «personnel» est donc une opération comptable. Le gestionnaire a une fonction de contrôle et applique largement des éléments incitatifs négatifs au travail: salaires selon les standards de productivité établis, pénalités pour le travail mal fait, menace de congédiement. En somme, l’administration du personnel est une vision instrumentaliste de l’organisation et des personnes qui la composent.

    La relation d’emploi qui découle de cette vision implique une relation de pouvoir. Le pouvoir de l’entreprise est plus grand lorsqu’elle fait face à un marché du travail où il y a abondance de main-d’œuvre, lorsqu’elle utilise une technologie standard pour des produits relativement standards, quand elle peut définir des postes de travail simples et lorsqu’elle rencontre peu de résistance de la part des employés ou de leur organisation syndicale. À mesure que ces conditions se modifient, de nouvelles formes de relation d’emploi et de gestion deviennent nécessaires.

    Engendrée par la croissance du nombre d’employés et la diversification de la technologie, la complexité des activités des entreprises pousse les gestionnaires à intégrer les fonctions relatives au personnel (recrutement, formation, rémunération, organisation du travail) de façon plus systématique. La croissance des entreprises, la multinationalisation des opérations, la syndicalisation, la course à la productivité et la segmentation du marché du travail par type de compétence ont incité les entreprises à accorder plus d’importance à la gestion de leur personnel.

    La démocratisation de la société sur les plans de l’éducation, de la santé, des assurances collectives et de la protection sociale à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale entraîne des attentes élevées envers le travail. C’est au milieu de ces importants changements que la crise du travail survient. L’autorité des gestionnaires s’amenuise à mesure que les outils de contrôle, que constituaient l’éthique du travail ou l’influence du clergé, deviennent moins efficaces et que la dépendance extrême envers la relation d’emploi s’amenuise. Le management scientifique, fondé sur l’idée que le monde était ordonné comme une machine, sous-estimait la capacité des individus de se soustraire aux contrôles, si serrés fussent-ils. Précisions que le taylorisme a été conçu dans un contexte où les travailleurs n’étaient pas organisés et où l’État n’intervenait pas.

    L’indifférence des employés à l’égard des objectifs de l’organisation commençait à perturber les processus de production des entreprises et s’exprimait par de faibles motivations au travail, de l’absentéisme et une très forte mobilité sur le marché du travail. Était-il possible que cette indifférence reflète celle des entreprises envers leurs ressources humaines? Une deuxième période s’ouvre à partir des années 1930: de l’administration on passe à la gestion du personnel, une transition qui modifiera progressivement les façons de faire jusqu’à aujourd’hui.

    1.2.2LA GESTION DU PERSONNEL

    L’administration du personnel limitant la relation d’emploi à une relation économique a tôt fait sentir ses limites, en fait autour de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs phénomènes concourent alors à ce que le facteur humain dans l’organisation soit pris en considération. Après 1945, le marché du travail est proche du plein emploi partout dans les pays industrialisés.

    L’État-providence se développe et une certaine «décommodification⁸» de la main-d’œuvre, ou une plus grande diversification des sources de revenus des salariés, fait en sorte que les mécanismes traditionnels de contrôle négatif au sein des entreprises deviennent de moins en moins efficaces. L’aliénation des employés, imputable à une organisation du travail qui rend les tâches monotones, individualisées et insignifiantes, commence à entraîner un phénomène d’absentéisme, de roulement de personnel et de baisse de productivité. À mesure que les entreprises procèdent à des investissements plus importants en machinerie, toute perturbation de la production est coûteuse. Le travail est de moins en moins considéré simplement comme un gagne-pain et le mécontentement face à la vie au travail engendre la syndicalisation et des revendications de droit d’expression et autres droits dans l’entreprise (démocratie industrielle). Les entreprises devront donc chercher des moyens de rétablir la paix sociale, et ce sera surtout au sein d’une nouvelle école de pensée basée sur les relations humaines qu’elles trouveront leur inspiration.

    Ce sont les expériences à l’usine de General Electric de Hawthorne qui inaugurent une nouvelle ère de gestion du personnel en y introduisant des concepts sociopsychologiques. L’entreprise n’est maintenant plus seulement un lieu de travail, elle devient également un milieu social.

    Cette nouvelle approche de gestion s’est manifestée un peu par hasard. L’équipe de chercheurs de Hawthorne avait pour mandat de tester certaines hypothèses concernant l’effet de l’éclairage des lieux de travail sur la productivité. Les résultats furent pour le moins décevants, car la productivité des employés ne suivait pas le rythme des changements de conditions d’éclairage et, pire, la productivité continuait d’augmenter même lorsque la luminosité était diminuée à l’équivalent d’un clair de lune! Les employés qui avaient choisi de participer à l’expérience avaient été placés dans une aire de travail distincte. Selon les chercheurs, certaines conditions propres à l’expérimentation expliqueraient en fait la plus grande productivité des travailleurs. Par ordre d’importance, l’augmentation de la productivité a été attribuée: à l’organisation en petits groupes; au type de supervision; au salaire plus élevé; à la nouveauté créée par l’expérimentation; et à l’attention reçue de la part des dirigeants et des observateurs durant cette période (Wren, 1987: 238).

    Mayo est celui qui fera connaître l’expérience de Hawthorne⁹. Il fondera l’école des «relations humaines», animé par l’idée que le milieu de travail est devenu aliénant et qu’on a trop accordé d’importance au système technique de l’entreprise et pas assez au fait que les individus ont toujours évolué au sein d’un milieu social. La faible motivation des travailleurs viendrait donc du fait qu’ils ont d’autres besoins que celui dit physiologique (ou besoins de base), soit le simple besoin d’être payé, ceux de manger et de se reposer ou celui de sécurité (au travail et de la continuité du lien d’emploi). Il existerait alors non seulement des motivations extrinsèques liées à la valorisation du travail en matière de salaire mais aussi des motivations intrinsèques liées aux conditions dans lesquelles se réalise le travail. Le plaisir d’accomplir une tâche au sein d’un milieu social agréable refait surface comme élément de motivation.

    Pour Maslow (1987), des besoins satisfaits ne motivent plus. C’est dire qu’une fois rassemblées les conditions matérielles appropriées (salaire et environnement) pour le travail, les individus satisfaits de ces conditions éprouvent d’autres besoins. Toujours selon Maslow, les motivations à travailler sont hiérarchisées (figure 1.1). Si avec l’établissement de conditions appropriées de travail on évite l’insatisfaction, ces conditions sont nécessaires mais non suffisantes pour motiver le personnel au travail. Il faut alors penser à combler d’autres besoins, précisés dans l’échelle de Maslow.

    FIGURE 1.1 – ÉCHELLE DES BESOINS DE MASLOW

    Cette hiérarchie des besoins fonde alors une perspective différente de la gestion du personnel. Pour l’école des relations humaines, un lien étroit est établi entre le style de direction ou de supervision, le moral des employés et la productivité. Selon Mayo par exemple, le simple fait d’écouter les plaintes et d’avoir une attitude empathique permet de résoudre plusieurs problèmes liés au moral des employés. Leurs problèmes ne sont pas toujours reliés directement au travail mais parfois aux problèmes auxquels ils font face en dehors du travail. L’idée novatrice à cette époque est d’intégrer les besoins des individus à ceux des organisations (Morgan, 1999: 36).

    Pour résumer les différences entre les deux approches, le tableau 1.1 présente les caractéristiques de l’administration et celles de la gestion du personnel.

    Avec le temps, le travail est devenu quelque peu moins monotone grâce à un élargissement et à un enrichissement des tâches. En fait, dès 1776, Adam Smith prévient les gestionnaires que la division et la spécialisation des tâches pourraient avoir des effets négatifs sur les employés malgré les avantages économiques que cette forme d’organisation du travail peut engendrer (Wren, 1987: 283). Chez IBM aux États-Unis par exemple, rapporte Wren (1987: 183), dans les années 1960, les employés étaient largement satisfaits du niveau de rémunération et de la sécurité d’emploi mais très insatisfaits de l’organisation du travail qui n’offrait que peu d’occasions de rencontres avec les collègues en raison de l’affectation à des tâches trop étroitement définies.

    TABLEAU 1.1 – DIFFÉRENCES ENTRE L’ADMINISTRATION ET LA GESTION DU PERSONNEL

    L’élargissement des tâches fait référence à l’affectation de l’employé à des tâches plus étendues, comme assurer le fonctionnement de deux machines au lieu d’une seule par exemple, une réforme susceptible de briser la monotonie du travail et de réduire le temps d’attente au sein d’un poste de travail. Ainsi, une plus grande place a été faite à la communication et à la consultation, aux activités sociales ainsi qu’à la reconnaissance du travail fait par l’employé. La bureaucratie de l’entreprise s’est progressivement humanisée, mais l’école des relations humaines ne prête pas beaucoup attention à l’organisation du travail, qu’elle voit de façon plutôt déterminée par la technologie.

    En ce sens, Herzberg (1959) propose une autre approche concernant la motivation et la participation connue sous le concept d’«enrichissement des tâches». Modifiant la pyramide des besoins de Maslow, Herzberg propose de séparer plus nettement les besoins dits physiologiques ou de base (conditions de travail, type de supervision, système de rémunération) des besoins «motivationnels» (reconnaissance, accomplissement, responsabilité, avancement, croissance personnelle et développement des compétences). L’idée de Herzberg est de recomposer les tâches afin qu’elles deviennent davantage signifiantes pour les employés. L’enrichissement des tâches fait référence à l’affectation à des tâches plus variées qui impliquent plus de contrôle sur différents paramètres du travail à faire (rythme, qualité) ou davantage de responsabilités, sous la forme de collecte de données ou de prise de décision par exemple. L’enrichissement des tâches a été introduit pour les mêmes raisons que l’élargissement, mais il permet en outre à l’employé d’acquérir de l’influence, de développer des habiletés diversifiées et de favoriser un plus grand nombre de contacts humains. Ce faisant, l’enrichissement des tâches a un effet de responsabilisation plus grand envers les tâches à faire et a souvent été vu comme un facteur de motivation.

    Par exemple, chez AT & T au début des années 1960, au lieu de répondre aux plaintes des clients par une lettre standard, les employés ont obtenu le droit d’écrire et de signer leur propre lettre et ont assumé des responsabilités accrues dans certains cas (Beer et al. 1984: 160). On observe ce genre de situation de plus en plus, et un nouveau concept appelé le «job crafting» – où l’employé, responsable des résultats, réorganise sa tâche comme il l’entend – est même apparu dans le monde anglo-saxon surtout (Tims et Bakker, 2010; Mansour et Tremblay, 2018).

    Par ailleurs, la rotation des tâches a été une manière de contourner la redéfinition des tâches. En effet, au lieu de modifier les tâches spécialisées, on permute les employés d’un poste à l’autre, ce qui permet de briser la monotonie du travail et d’éviter, dans bien des cas, l’apparition de maladies professionnelles dues à la répétition de mouvements. En pratique, la rotation est une occasion d’apprentissage d’un ensemble assez varié de tâches et permet d’instaurer la polyvalence des employés. La rotation exige davantage d’efforts de formation, mais elle assure plus de souplesse dans l’affectation à des tâches. Le remplacement d’un employé absent, par exemple, ne pose pas un problème insurmontable lorsque d’autres employés ont la compétence voulue pour faire son travail. Simplifier les tâches en poussant encore plus loin leur division est une manière de contourner l’investissement accru de formation car cela permet une rotation plus rapide au sein du groupe de travail et facilite le recours à des travailleurs en dehors de l’entreprise.

    L’analyse des postes de travail dans le sens d’un enrichissement des tâches a été depuis systématisée par Hackman (1977), qui définit cinq dimensions des tâches:

    –la variété des compétences mises en œuvre au travail;

    –la complétude du travail, c’est-à-dire si le travail comporte un ensemble complet de tâches où l’on peut reconnaître le produit final;

    –la signification du travail, à savoir si le travail a un impact important sur la vie ou le travail des autres;

    –l’autonomie au travail, soit le degré d’indépendance et la possibilité de déterminer le rythme et les méthodes de travail;

    –la rétroaction à l’égard du travail, à savoir si l’employé obtient des informations claires à propos de son rendement.

    Selon Hackman et

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