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La collaboration interorganisationnelle: Conditions, retombées et perspectives en contexte public
La collaboration interorganisationnelle: Conditions, retombées et perspectives en contexte public
La collaboration interorganisationnelle: Conditions, retombées et perspectives en contexte public
Livre électronique548 pages6 heures

La collaboration interorganisationnelle: Conditions, retombées et perspectives en contexte public

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage se consacre à des expériences de collaboration interorganisationnelle dans les administrations publiques québécoise et fédérale canadienne. Au nom de la diversité, il explore les efforts déployés par les organismes publics et leurs partenaires pour répondre à des enjeux aussi complexes qu’importants : la lutte anticorruption, la mutualisation des données géomatiques, la défense de l’intégrité des programmes publics, la cohérence des politiques publiques en équité en matière d’emploi, la réussite scolaire, la lutte contre les infections transmises sexuellement et par le sang, la protection de l’enfance et de la jeunesse, la prévention de l’adhésion aux gangs de rue, l’organisation de trajectoires de soins de santé et de services sociaux, le partage des infrastructures municipales et scolaires, l’élaboration de politiques régionales de développement social, l’occupation transitoire de bâtiments urbains vacants et la recherche d’emploi.

En offrant une multiplicité d’approches qui rendent compte de la variété des contextes et des formes que peut prendre la collaboration interorganisationnelle dans les administrations contemporaines, cet ouvrage collectif jette un éclairage nouveau sur les conditions de réussite des projets entrepris et sur les retombées qui en découlent. Grâce aux perspectives de réflexion qu’il permet d’entrevoir, il intéressera aussi bien les chercheurs et les étudiants que les gestionnaires, les analystes et les autres praticiens du domaine de l’administration publique.

LangueFrançais
Date de sortie22 sept. 2021
ISBN9782760555310
La collaboration interorganisationnelle: Conditions, retombées et perspectives en contexte public
Auteur

Michèle Charbonneau

Michèle Charbonneau détient un doctorat en administration des affaires de HEC Montréal. Professeure à l’ENAP, elle s’intéresse aux modes de pensée de la gestion publique et aux récits de vie des gestionnaires publics.

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    Aperçu du livre

    La collaboration interorganisationnelle - Michèle Charbonneau

    Introduction

    Christian Boudreau, André Bazinet et Michèle Charbonneau

    La collaboration interorganisationnelle est l’une des orientations stratégiques privilégiées par les administrations publiques. De nombreuses études qui ont traité de la collaboration interorganisationnelle au cours des trois dernières décennies ont permis de faire des gains pratiques et théoriques importants, mais peu d’entre elles ont porté précisément sur les contextes québécois et canadien. Or la gestion des administrations publiques demeure une pratique fortement contextualisée (Pollitt, 2015). De plus, les environnements des administrations publiques évoluent rapidement, complexifiant l’action publique. La pandémie de COVID-19 a rappelé en force, à elle seule, le rôle de l’État (Michaud, 2020) et la nécessité de multiplier les efforts de collaboration pour répondre aux enjeux publics contemporains (Touati, 2020). Pour ces raisons, il nous est apparu des plus pertinents de produire un ouvrage permettant d’examiner sous une multiplicité d’approches des expériences récentes de collaboration interorganisationnelle menées par des organisations publiques québécoises et fédérales. Dans le présent ouvrage, l’attention est donc concentrée sur une variété d’expériences collaboratives menées dans le contexte québécois et, dans quelques cas, dans le contexte fédéral canadien.

    Les études de cas proposées permettront ainsi d’apprécier les acquis en matière de collaboration interorganisationnelle et de tirer des leçons de ces expériences. Afin de mettre en relief d’importantes considérations théoriques en lien avec ces expériences, nous rappellerons dans la première section de l’introduction les principales raisons pour lesquelles les organisations publiques s’engagent dans des collaborations interorganisationnelles. La deuxième section de l’introduction abordera les enjeux et les conditions de réussite des relations de collaboration interorganisationnelle étudiés à ce jour. La troisième et dernière section présentera les cas à l’étude et les principales leçons qui se dégagent de chacun d’eux.

    1/ Le contexte de la collaboration interorganisationnelle

    1.1/ La gestion de problèmes épineux

    Les problèmes sociétaux actuels se révèlent complexes et difficiles à gérer par les autorités publiques. Rittel et Webber (1973) utilisent le terme wicked problems pour désigner ces problèmes épineux pour lesquels il n’y a pas de solution définitive permettant de les résoudre une fois pour toutes. Le mieux que l’on puisse faire est d’en atténuer les conséquences négatives en vue d’atteindre une situation jugée socialement acceptable (Rocan, 2018). Les causes de ces problèmes épineux sont multiples, tout comme les champs d’intervention et les leviers visant à redresser une situation problématique. L’itinérance, la pandémie, l’isolement social, le terrorisme, la traite d’êtres humains, la malnutrition, le racisme, la violence conjugale, la protection de la jeunesse, l’échec scolaire, la corruption et le vol d’identité ne sont que quelques exemples de problèmes complexes aux causes multiples et dont les solutions demeurent souvent partielles.

    La gestion de ces problèmes dépasse le plus souvent les ressources disponibles au sein même de l’administration publique (p. ex. expertises, information, données, systèmes, infrastructures, budget). En raison de leur interconnexion avec d’autres problèmes, les problèmes épineux ne peuvent être résolus que par des efforts conjoints d’acteurs de divers secteurs et ordres de gouvernement (Emerson et Nabatchi, 2015). La complexité des problèmes et, plus largement, du fonctionnement de la société contemporaine contribuerait au resserrement des relations d’interdépendance entre les organisations (Pfeffer, 1981). Celles-ci seraient incitées à mettre en commun leurs ressources non seulement pour gérer des problèmes complexes, mais aussi pour réaliser et réviser leur mission ou pour saisir diverses occasions (Klijn, 2008; Rhodes, 1988).

    Quant aux gestionnaires et employés de l’État, ils doivent s’en remettre à des acteurs de divers ordres de gouvernement (international, national, régional et municipal) ainsi qu’à des acteurs non gouvernementaux (p. ex. entreprises, organismes à but non lucratif [OBNL], société civile, associations professionnelles, citoyens) afin de mobiliser les ressources permettant de s’attaquer de façon satisfaisante à des enjeux aux causes multiples et aux conséquences imprévisibles (Gray et Purdy, 2018). Kettl (2009) compare la collaboration interorganisationnelle à un pluralisme sous l’effet de stéroïdes où les frontières entre les secteurs (public, privé, associatif et sans but lucratif) et entre les ordres de gouvernement semblent plus que jamais perméables, les ressources et les capacités organisationnelles des uns complétant celles des autres. Quant à Milward et Provan (2000), ils utilisent la métaphore d’«Hollow State» pour illustrer le récent mouvement de retrait de l’État dans la prestation de certains services publics et la prise en charge de ces services par des acteurs non gouvernementaux, dont des entreprises, des OBNL, des groupes et des citoyens. Cela n’exempte pas pour autant l’État de sa responsabilité de coordonner et d’assurer la qualité, l’efficacité et l’efficience des services délégués à des partenaires non gouvernementaux, précisent Milward et Provan (2000).

    Dans un contexte de dispersion des ressources stratégiques, la collaboration interorganisationnelle apparaît comme une façon efficace de s’attaquer aux enjeux sociétaux complexes qui semblent faire fi des frontières des organisations, des secteurs et des ordres de gouvernement (Emerson et Nabatchi, 2015; Keast et Mandell, 2014). Par collaboration interorganisationnelle, nous entendons le processus par lequel diverses organisations font une mise en commun d’actions et de ressources (humaines, matérielles et immatérielles) dans le but de prendre en charge des problèmes ou de saisir des occasions qui les dépassent individuellement, de la prise de connaissance de la situation jusqu’à la mise en œuvre d’actions conjointes visant à évaluer et à améliorer cette situation. Autrement dit, la collaboration interorganisationnelle permet la création d’un réservoir de ressources habituellement dispersées au sein d’organisations diverses ainsi que la mobilisation de ces ressources dans la réalisation de projets communs (Emerson et Nabatchi, 2015; Thomson et Perry, 2006).

    1.2/ Une réponse à la fragmentation des programmes et des services

    Parallèlement à la diversification des partenariats, les gouvernements des pays industrialisés ont vu leur administration se fragmenter. En effet, depuis l’avènement de l’État providence, les gouvernements ont multiplié leurs programmes et services, tout comme les entités et les systèmes qui les gèrent, sans pour autant se soucier d’une cohérence d’ensemble (Boudreau et Bernier, 2017). C’est le cas du Québec. Alors qu’on y dénombrait un peu moins de 20 organismes publics en 1960, ce nombre est passé à 180 en 2013-2014, dont plus de 400 services publics offerts par plus de 80 ministères et organismes. Cette fragmentation des programmes et services s’est inscrite, entre autres, dans le mouvement d’«agencification» des organisations publiques inspiré de la nouvelle gestion publique (new public management) (Bouckaert, Peters et Verhoest, 2010; Kickert, 2010). Dans cette expansion morcelée de l’administration publique, l’autonomie des organisations publiques semble avoir été privilégiée au détriment de l’intégration de leur mission et de leurs opérations respectives, ce qui a contribué à la diversification des politiques, des programmes et des infrastructures (Bazinet, 2019; Boudreau et Bernier, 2017). Autrement dit, les organisations publiques ont eu jusqu’ici tendance à fractionner leurs services, leur mode de fonctionnement et leurs systèmes au fur et à mesure qu’elles déployaient leurs programmes ou lignes d’affaires (Boudreau, 2019; Boudreau et Bernier, 2017).

    Attirés par des approches de gouvernance plus collaborative, comme le nouveau service public ou le whole-of-government, plusieurs gouvernements tentent aujourd’hui de renverser cette tendance à la fragmentation par des mesures d’encadrement institutionnel (lois, politiques, directives, normes) et par des tentatives de mutualisation des ressources et d’intégration des services (p. ex. services partagés, infrastructures communes, guichets uniques, portails gouvernementaux, services intégrés) qui font appel à des collaborations interorganisationnelles (Bourgault, 2004; Boudreau, 2019; voir aussi Boudreau dans le présent ouvrage). Par une mutualisation des ressources et par une intégration des services, les administrations publiques souhaitent améliorer la cohérence et l’efficacité des politiques qu’elles adoptent ainsi que l’efficience et la qualité des services dont elles ont la responsabilité.

    Depuis quelques années, le nombre et l’ampleur des projets de collaboration interorganisationnelle tendent à augmenter et à s’intensifier. L’avènement du numérique et, plus récemment, d’Internet accélère ce mouvement en rendant disponibles des infrastructures technologiques qui facilitent un échange quasi simultané de ressources (p. ex. données, information et connaissances) entre les organisations afin de favoriser l’intégration des services publics. La mise en commun de ressources et l’intégration de services s’inscrivent d’ailleurs au cœur des stratégies gouvernementales des 15 dernières années en matière de numérique (Nations Unies, 2014). Plusieurs administrations publiques locales, régionales et nationales partout dans le monde voient dans le numérique et ses réseaux, en particulier Internet, un puissant levier d’amélioration de l’efficacité des politiques, de l’efficience des opérations et de la qualité des services sous leur responsabilité. Dans ce contexte numérique, la collaboration interorganisationnelle se révèle un levier prometteur non seulement pour gérer des problèmes contemporains complexes, mais aussi pour mettre en commun des ressources, des services et des expertises dispersées en vue d’améliorer la performance des activités gouvernementales.

    2/ Les enjeux et les conditions de réussite de la collaboration interorganisationnelle

    2.1/ Vers une gouvernance collaborative hybride

    L’organisation bureaucratique peut s’avérer d’une efficacité redoutable pour assurer la gestion courante des services publics à grande échelle ou dite de masse (Boudreau, 2002; Weber, 1971). Cependant, la bureaucratie et sa gouvernance verticale se montrent moins efficaces, du moins sont-elles insuffisantes, quand il s’agit de gérer des enjeux sociétaux ou organisationnels complexes et imprévisibles qui supposent la collaboration d’un réseau d’acteurs compétents et autonomes (Ansell et Gash, 2008; O’Toole, 1997). Tout ne peut pas être coordonné centralement et planifié dans les moindres détails, particulièrement quand les acteurs organisationnels sont nombreux, qu’ils détiennent des ressources stratégiques et qu’ils n’ont pas de liens d’autorité clairs entre eux (Milward et Provan, 2000). Le réseau et sa gouvernance horizontale paraissent mieux adaptés que la bureaucratie pour favoriser la collaboration interorganisationnelle dans un contexte de mutualisation des ressources et d’intégration des services. La confiance, le dialogue, la négociation et les ajustements mutuels (logique réseau) semblent en effet plus appropriés que l’imposition de règles officielles et l’application de sanctions (logique bureaucratique) pour obtenir la collaboration de partenaires autonomes dans l’élaboration et la mise en œuvre d’actions conjointes (Agranoff et McGuire, 2001; Milward et Provan, 2000).

    Toutefois, la transformation qu’amène la collaboration interorganisationnelle va bien au-delà de la mise en place de mécanismes verticaux ou horizontaux de gouvernance: elle suppose aussi un changement de mentalité qui bouscule les normes de gestion actuelles encore fortement teintées de routines et réflexes bureaucratiques, particulièrement en administration publique (Bourgault, 2004). Habitués à «faire seul», à «faire soi-même» et à «se faire confiance», les organisations publiques et leurs gestionnaires doivent désormais accepter de «faire ensemble», de «faire faire» et de «faire confiance aux autres» (figure La collaboration interorganisationnelle pose aussi des défis d’imputabilité importants du fait qu’aucun partenaire n’est entièrement responsable des actions menées conjointement de sorte que tout le monde devient un peu responsable (Divay, 2016; Paquet, 2009). Les actions conjointes de partenaires autonomes se prêtent donc moins à une imputabilité verticale et plus à une imputabilité horizontale et, donc, partagée (Gray et Purdy, 2018).

    FIGURE 1.1 / Normes de gestion selon les modes de gouvernance

    Source: Boudreau (2019, p. 55).

    Bien que le contexte actuel d’interdépendance organisationnelle favorise le recours à une gouvernance horizontale et collégiale adaptée à la dynamique des réseaux, cette gouvernance ne vient pas pour autant remplacer la gouvernance verticale. Plutôt que d’éliminer le mode d’organisation bureaucratique, affirment McGuire et Agranoff (2011; 2014), les réseaux se superposent aux hiérarchies des organisations partenaires en facilitant les interconnexions et l’échange de ressources entre elles. Ainsi, «les réseaux permettent aux organisations publiques de travailler ensemble, mais ils ne remplacent pas nécessairement les hiérarchies¹» (McGuire et Agranoff, 2014, p. 153). Pour Scharpf (1994), les réseaux opèrent en silence et dans l’ombre des hiérarchies. Ainsi, il est plus juste de parler de la coexistence de deux modes de gouvernance complémentaires que de la substitution de l’un par l’autre.

    Loin d’être un obstacle à la collaboration interorganisationnelle, une coordination centrale peut même en être un élément facilitateur, particulièrement quand le réseau de partenaires est étendu et que les projets traînent en longueur. Une telle coordination peut donner de la stabilité et de la rapidité au processus de décision ainsi que de la cohérence à la démarche de collaboration (Provan et Milward, 1995; Milward et Provan, 1998; Provan et Kenis, 2008). Le fait de formaliser des règles de fonctionnement et de centraliser certaines opérations, ressources et décisions à l’intérieur d’une entité de coordination permet d’éviter d’interminables discussions, échanges et négociations entre les partenaires sur le déroulement du projet et sur ses règles de fonctionnement. Une telle entité de coordination peut aussi trancher dans le cas d’impasses, comme elle peut proposer l’adoption de règles d’opération et d’infrastructures technologiques communes qui facilitent la mutualisation des ressources et l’intégration des services.

    La gouvernance verticale et la gouvernance horizontale tendent donc à s’appuyer l’une sur l’autre et à s’entremêler, particulièrement quand il est question de projets de collaboration interorganisationnelle en administration publique. Ainsi, la gouvernance des projets multipartenaires, communément appelée «gouvernance collaborative», se distingue par son caractère hybride. Pour Agranoff et McGuire (2003), la gouvernance collaborative est un lieu où convergent des mécanismes hiérarchiques et horizontaux, et ce, à l’intérieur d’un même projet. Selon Emerson et Nabatchi (2015), tous les projets de collaboration interorganisationnelle comportent une certaine dose de formalisation qui permet de structurer la mise en œuvre d’activités conjointes et de faciliter l’échange de ressources entre les organisations (voir aussi Ansell et Gash, 2008). Dans cette gouvernance hybride, les gestionnaires habiles sauront tirer profit, d’une part, de la stabilité et de l’efficacité décisionnelle de la hiérarchie, voire de la bureaucratie, notamment par une standardisation des procédures et une centralisation des infrastructures et, d’autre part, de la flexibilité et de la capacité innovatrice du réseau, tout en tenant compte de l’autonomie des partenaires et de l’imprévisibilité des projets (Boudreau et Bernier, 2017).

    La gouvernance collaborative amène les administrations publiques à élargir leurs rôles et à revoir leurs relations interorganisationnelles. L’État n’agit plus seulement comme un gestionnaire de programme et un prestataire de services, mais aussi comme un entremetteur ou catalyseur auprès d’acteurs non gouvernementaux qui viennent lui prêter main-forte dans la mise en œuvre des politiques et des services publics (Gray, 1998; Gray et Purdy, 2018). Si les autorités gouvernementales ont tendance à partager leur pouvoir décisionnel et à impartir une portion de leurs programmes et services, elles ont toujours un rôle stratégique important à jouer dans l’élaboration des politiques et des normes gouvernementales ainsi que dans la gestion des programmes et services publics; la gestion de la pandémie de COVID-19 nous le rappelle avec insistance. Les projets de collaboration interorganisationnelle étant souvent mis en place par les gouvernements, l’un des enjeux de gouvernance peut consister à s’assurer que les organismes publics ne prennent pas le contrôle de la démarche au point où les autres acteurs du projet deviennent de simples exécutants, privant l’État de l’expertise et de la capacité d’innover des partenaires (Emerson et Nabatchi, 2015; Gray et Purdy, 2018).

    2.2/ Un processus d’apprentissage collectif

    Pour Keast et Mandell (2014), la collaboration interorganisationnelle va bien au-delà du partage d’information et de la coordination d’opérations courantes entre des organisations. Elle implique aussi une exposition des organisations participantes et de leurs membres (ci-après partenaires) à une diversité de points de vue et d’intérêts afin d’y dégager une compréhension mutuelle² et riche du problème (ou de l’occasion), de s’entendre sur une terminologie commune, de trouver et d’adopter de nouvelles façons de travailler ensemble et de développer une vision commune et des solutions innovantes à partir de réflexions et d’actions conjointes. La collaboration interorganisationnelle est donc le fruit d’un long apprentissage collectif qui s’acquiert au fur et à mesure que les partenaires apprennent à se connaître, à se respecter, à s’apprécier et à se faire confiance dans l’interprétation du problème et dans sa prise en charge (Boudreau et Bernier, 2017).

    Pour Emerson et Nabatchi (2015), la collaboration interorganisationnelle et ses mécanismes se comparent à un régime où les partenaires conviennent entre eux d’une «théorie commune du changement» qui précise et régularise à long terme (ou institutionnalise) les actions à entreprendre. La construction d’un tel système d’actions collectives présuppose dans l’esprit des partenaires une ouverture à changer leur façon d’appréhender les problèmes et de travailler au contact des autres partenaires et de leur cadre d’interprétation et d’action. «En s’exposant à différents cadres (frames), les partenaires ont la possibilité de construire un cadre hybride commun qui recombine les logiques existantes et qui remodèle les attentes concernant les résultats du partenariat», affirment Gray et Purdy (2018, p. 115). Les incitations auprès des partenaires à collaborer et à revoir leur façon de travailler peuvent émaner d’obligations légales ou réglementaires et d’autres directives gouvernementales, comme elles peuvent aussi émerger d’une prise de conscience collective d’un problème à régler ou d’une occasion à saisir, comme c’est souvent le cas.

    Le développement d’une collaboration interorganisationnelle est une démarche qui peut être exigeante en temps et en efforts pour les partenaires (Bardach, 1998; Huxham et Vangen, 2005; Koppenjan et Klijn, 2004). Et, une fois développée, la collaboration interorganisationnelle ne peut pas être mise sur le «pilote automatique» (Rocan, 2018). Elle requiert des efforts soutenus et des adaptations continues dans les façons de faire (p. ex. pratiques, règles et procédures) et, parfois, dans les façons d’être (p. ex. valeurs et identité) et dans les missions (p. ex. champs d’intervention et clientèles) des partenaires. «S’entendre collectivement sur des arrangements qui satisfont plusieurs partenaires implique d’importantes négociations», soutient Gray (1989, p. 229). Qui plus est, ces négociations doivent demeurer respectueuses pour ne pas compromettre la collaboration interorganisationnelle (Bardach, 1998; Gray et Purdy, 2018).

    La collaboration interorganisationnelle ne peut donc être tenue pour acquise. Elle s’appuie sur des relations de confiance qui, elles, se construisent graduellement à partir d’expériences concluantes et d’interactions répétées entre des personnes qui agissent de bonne foi (Boudreau et Bernier, 2017; Gulati, 1995; Podolny et Page, 1998). La confiance peut être définie comme le sentiment de voir l’autre se comporter de manière fiable et prévisible, surtout lorsque le potentiel d’opportunisme est présent (Zaheer, McEvily et Perrone, 1998). Véritable lubrifiant de la collaboration, la confiance se bâtit et s’institutionnalise au fur et à mesure que les partenaires apprennent à travailler ensemble, à se connaître (p. ex. forces, faiblesses, valeurs, pratiques, règles, mission) et à faire la démonstration qu’ils peuvent être dignes de confiance (Emerson et Nabatchi, 2015). Cependant, gagner la confiance ne suffit pas. Encore faut-il l’entretenir, la nourrir (Agranoff et McGuire, 2001). En effet, les partenaires doivent être régulièrement rassurés sur la bonne volonté des autres partenaires à l’aune de leurs conduites respectives (Emerson et Nabatchi, 2015). La confiance nécessaire à la collaboration peut être durement acquise et facilement compromise (Boudreau et Bernier, 2017). À défaut de l’instauration d’un climat de confiance mutuelle et de relations de réciprocité, les partenaires ont tendance à s’en tenir à une conception stéréotypée, sinon péjorative, de ce que font les autres, de leurs intentions et de l’utilité de leurs contributions, ce qui entraîne une collaboration interorganisationnelle minimale ou de façade (Agranoff, 2007).

    La confiance agirait aussi comme un mécanisme de coordination dans les relations de collaboration interorganisationnelle en limitant les comportements opportunistes ou imprévisibles (Bachmann et Zaheer, 2008), tout en incitant les partenaires à prendre des risques dans un contexte d’incertitudes (Gambetta, 1988). En l’absence d’interactions directes et d’expériences de première main, les partenaires peuvent s’en remettre à la réputation des organisations ou à la crédibilité de leurs membres sur la base d’information ou de relations indirectes (p. ex. référence ou évaluation par les pairs). Ainsi, la réputation institutionnelle et la crédibilité individuelle peuvent favoriser l’obtention de la confiance nécessaire à la collaboration interorganisationnelle à défaut d’appuyer celle-ci sur la base d’expériences et d’interactions antérieures (Gulati et Gargiulo, 1999). À ce propos, occuper une position centrale dans un réseau de partenaires peut procurer une réputation favorable qui, à son tour, peut offrir des avantages dans les relations interorganisationnelles (Kenis et Oerlemans, 2008).

    La collaboration interorganisationnelle renvoie non seulement à une volonté de travailler ensemble et d’échanger des ressources, mais aussi à une capacité d’agir collectivement dans la réalisation de projets multipartenaires. Les partenaires doivent, en effet, se doter d’une capacité d’action conjointe qui peut s’appuyer sur des composantes non officielles (p. ex. normes, routines, confiance, capital social, valeurs) ainsi que sur des structures et des arrangements officiels (p. ex. comités, groupe de travail, procédures [grounded rules], principes directeurs, ententes, structures décisionnelles, rôles et responsabilités) qui permettent d’encadrer la collaboration interorganisationnelle et de coordonner de façon fluide les interactions entre les partenaires dans le temps et dans l’espace (Bardach, 1998; Emerson et Nabatchi, 2015; Milward et Provan, 2000; 2006). Une fois le projet de collaboration terminé, les capacités qui ont été créées peuvent être réactivées et mobilisées à d’autres moments et dans d’autres projets, moyennant certaines adaptations (Jones et Lichtenstein, 2008).

    2.3/ Des freins à la collaboration interorganisationnelle

    La collaboration interorganisationnelle apparaît comme un exercice exigeant et risqué dont le retour sur l’investissement n’est habituellement pas immédiat. Or les partenaires sont susceptibles de connaître une baisse de motivation à collaborer lorsque les avantages anticipés ne se réalisent pas à court terme, qu’ils sont difficilement perceptibles ou qu’ils vont à l’encontre de leurs intérêts ou valeurs. Plusieurs partenaires peuvent alors succomber à une forme d’inertie collaborative qui se traduit par un engagement minimal dans le projet (Gray et Purdy, 2018; Vangen et Huxham, 2014). Diverses causes expliquent cette lourdeur décisionnelle et cette menace de désengagement relatives à la collaboration interorganisationnelle.

    Tout d’abord, il est plus rapide de prendre une décision seul qu’en groupe. Ce raisonnement ne s’applique pas qu’aux individus, mais aussi aux organisations. Un réseau de partenaires ne dispose pas de la même efficacité décisionnelle qu’une organisation qui travaille seule. Qui plus est, les organisations les plus lentes ont tendance à imposer le rythme aux autres (Boudreau et Bernier, 2017).

    Dans un projet de collaboration interorganisationnelle, les négociations entre les partenaires peuvent être d’autant plus longues que les personnes qui prennent part à ces négociations (ci-après représentants) ont tendance à retourner régulièrement auprès de leur organisation respective pour signaler les progrès et pour faire approuver les décisions prises collectivement. L’efficacité décisionnelle d’un projet multipartenaires dépend, dans une certaine mesure, de la marge de manœuvre des représentants à négocier et à décider au nom de leur organisation (Vangen et Huxham, 2014) ainsi que de la confiance qu’ils suscitent auprès des autres représentants (Bardach, 1998).

    Au départ, les partenaires et leurs représentants sont principalement animés par leurs propres intérêts (personnels et organisationnels), affirment Emerson et Nabatchi (2015). Au fur et à mesure que les intérêts des partenaires se trouvent satisfaits, les représentants se montrent plus disposés à travailler ensemble. Il reste que pour les gestionnaires, l’organisation d’origine demeure la priorité, quelles que soient les étapes du projet, soutiennent McGuire et Agranoff (2014). Quant au niveau d’engagement des représentants, il est fonction des exigences et de la capacité de leur organisation respective à collaborer et à s’ajuster (Emerson et Nabatchi, 2015). Il ne faut donc pas s’étonner de voir que la volonté des partenaires et de leurs représentants à collaborer puisse être timide et fragile lors des phases initiales d’un projet.

    Par ailleurs, les projets de collaboration interorganisationnelle peuvent mettre en exergue des divergences profondes entre des partenaires dans la compréhension et la prise en charge d’un problème à gérer ou d’une occasion à saisir. Ces projets peuvent aussi mettre en opposition des traits culturels, des pratiques organisationnelles et des intérêts ou objectifs propres à chacun des partenaires qui se révèlent difficilement conciliables. Les divergences peuvent être plus fréquentes quand la collaboration interorganisationnelle engage des partenaires de divers secteurs ou ordres de gouvernement (Vangen et Huxham, 2014). Comme nous l’avons indiqué, ces divergences peuvent être exacerbées par la présence d’une vision stéréotypée des autres partenaires compte tenu d’une méconnaissance de ce que les autres font et d’une méfiance, conjuguées à une vision magnifiée de ce que l’on fait et de la façon dont on le fait (Gray, 2008; Gray et Purdy, 2018).

    Rappelons que la collaboration interorganisationnelle incite les partenaires à apporter des ajustements dans leur propre organisation. Or ces ajustements ne vont pas de soi, surtout lorsqu’ils bousculent des éléments bien ancrés dans l’organisation et intégrés au cœur de son fonctionnement, de sa mission et de sa culture, comme ses routines, ses clientèles et ses valeurs (Emerson et Nabatchi, 2015; Gray, 2008). Rappelons aussi que l’héritage d’une fragmentation administrative et d’un cloisonnement technologique et terminologique freine encore aujourd’hui la capacité de plusieurs organisations publiques à collaborer et à ajuster leurs façons de travailler en vue de mutualiser leurs ressources et d’intégrer leurs services (Boudreau et Bernier, 2017). Des pratiques, des systèmes et une terminologie utilisés de façon récurrente depuis de nombreuses années dans une organisation ne se changent pas du jour au lendemain au simple contact d’autres partenaires. Les ajustements mutuels nécessaires à la collaboration interorganisationnelle prennent du temps, le temps que les partenaires conviennent entre eux de règles de fonctionnement, de normes de conduite et de stratégies d’action (Emerson et Nabatchi, 2015; Gray et Purdy, 2018).

    Un dernier frein à la collaboration interorganisationnelle que nous abordons dans cette introduction réside dans la tendance que peuvent avoir des gestionnaires publics à vouloir exercer une mainmise sur leurs propres ressources, autre trait persistant dans les administrations publiques. En effet, certains gestionnaires, sinon plusieurs, se montrent peu enclins à collaborer s’ils doivent se départir de ressources stratégiques traditionnellement sous leur contrôle. À l’inverse, ils peuvent se montrer disposés à coopérer si les arrangements ou les ententes interorganisationnelles permettent une mutualisation de leurs ressources stratégiques sans pour autant qu’ils perdent la mainmise sur celles-ci. L’organisation qui met à la disposition d’autres organisations des ressources stratégiques peut même voir son pouvoir d’influence s’accroître à la condition qu’elle continue à exercer un contrôle sur ces ressources mutualisées dont dépendent d’autres organisations pour fonctionner (Pfeffer et Salancik, 1978).

    2.4/ De bonnes pratiques de gestion collaborative

    Dans la mesure où la collaboration interorganisationnelle est le résultat d’un processus de construction conjointe et d’apprentissage collectif, les bonnes pratiques de gestion collaborative doivent être abordées avec prudence. Comme dans le cas des problèmes complexes, il apparaît en effet hasardeux de proposer des prescriptions détaillées et des recommandations définitives quant aux pratiques de gestion à adopter dans un contexte de collaboration interorganisationnelle (Rocan, 2018). «La collaboration est trop complexe et idiosyncratique pour des remèdes normatifs précis», affirment Hibbert, Huxham et Ring (2008, p. 405). La gestion en situation de collaboration interorganisationnelle est plutôt le fruit d’une démarche sur mesure (managerial craftmanship) (Bardach, 1998). Pour Bardach (1998), elle prend la forme d’un assemblage d’arrangements et de stratégies qui s’échafaudent au fil des interactions et des négociations entre des partenaires qui développent un intérêt à travailler ensemble.

    Selon Agranoff et McGuire (2001), la collaboration interorganisationnelle s’appuie sur des pratiques de gestion qui ont peu à voir avec la gestion conventionnelle d’une organisation selon une logique à prédominance hiérarchique. Sans trop nous aventurer sur le terrain des pratiques exemplaires de la collaboration interorganisationnelle, nous pouvons néanmoins aborder certaines pratiques en matière de gestion collaborative. Une première pratique consiste à choisir les bons partenaires et leurs représentants. Pour Gray et Purdy (2018), le choix des partenaires doit tenir compte de leurs capacités et motivations à prendre part à des actions conjointes dans un esprit de collaboration. Les ressources que possèdent les partenaires, y compris les compétences et les connaissances, doivent aussi être considérées dans ce processus de sélection qu’Agranoff et McGuire (2001) nomment «activation».

    Il peut être souhaitable de considérer un grand nombre de partenaires dans un projet de collaboration interorganisationnelle pour assurer une diversité de points de vue et, ainsi, enrichir la compréhension du problème et sa résolution (Gray et Purdy, 2018). Cependant, des partenaires trop nombreux peuvent alourdir la démarche d’un projet de collaboration interorganisationnelle en limitant la capacité du groupe à travailler efficacement ensemble, surtout quand les partenaires disposent d’une importante marge d’autonomie et qu’ils ne partagent pas les mêmes intérêts et valeurs (Gray, 2008). Il peut alors être commode de sélectionner un groupe plus restreint de représentants de partenaires pour participer aux instances où le projet est négocié et décidé (Gray et Purdy, 2018).

    Cependant, une sélection restreinte de représentants comporte le risque de voir des partenaires moins puissants être exclus des négociations et des décisions. Fréquentes dans les projets de collaboration interorganisationnelle, les inégalités ou asymétries de pouvoir entre les partenaires tendent à se refléter dans les structures décisionnelles et dans les schèmes d’interprétation du problème, et ce, parfois de façon invisible pour les partenaires (Lotia et Hardy, 2008). Le défi consiste alors à trouver un juste équilibre entre, d’une part, la diversité des partenaires et leur inclusion effective dans la gouvernance du projet et, d’autre part, l’efficacité du processus de négociation et de décision. Un autre défi, tout aussi important, consiste à placer la bonne personne au bon endroit dans la réalisation du projet (Emerson et Nabatchi, 2015). À ce propos, il peut être prudent d’assurer une certaine redondance quant à la présence de partenaires stratégiques dans les instances afin d’éviter que la mémoire institutionnelle soit compromise lorsqu’un représentant quitte le projet.

    Lorsque la collaboration est volontaire et que les partenaires potentiels ne se connaissent pas (ou peu), les responsables du projet doivent redoubler d’efforts s’ils veulent persuader ces partenaires de joindre le projet et de s’engager dans des actions conjointes. Ils doivent créer chez les partenaires le besoin, voire l’urgence, d’agir collectivement (Emerson et Nabatchi, 2015; Gray et Purdy, 2018). Ils doivent aussi s’assurer que des partenaires importants ne mettent pas un terme à leur collaboration pour faire cavalier seul et, du coup, fragiliser le projet (Agranoff et McGuire, 2001; Boudreau et Bernier, 2017). Ce n’est pas tout de sélectionner des partenaires et de les garder dans le projet, encore faut-il les mobiliser pour qu’ils s’engagent collectivement et qu’ils apprennent à travailler ensemble. «Se réunir est un début; rester ensemble est un progrès; travailler ensemble est un succès» (Henry Ford, cité dans Emerson et Nabatchi, 2015, p. 57). Pour ce faire, les responsables du projet doivent, dans une certaine mesure, amener les partenaires à se décentrer de leurs intérêts corporatifs ou personnels pour se recentrer sur des intérêts communs au projet (Boudreau et Bernier, 2017). Comme nous l’avons mentionné, la collaboration interorganisationnelle présuppose que les partenaires s’entendent sur une vision du problème et sur des règles de fonctionnement ainsi que sur des actions à entreprendre et sur un échéancier pour améliorer la situation.

    Diverses mesures peuvent être déployées pour favoriser une collaboration interorganisationnelle engagée et efficace (Hibbert, Huxham et Ring, 2008). L’une d’elles consiste à créer des espaces, physiques ou virtuels, permettant des échanges transparents et des dialogues libres et respectueux entre les partenaires. Ces espaces de communications (officiels et non officiels) peuvent servir de lieux où les partenaires s’expriment ouvertement, négocient entre eux et se familiarisent avec les réalités des autres partenaires (Gray et Purdy, 2018). Dans ces espaces, les discussions autour du problème et de sa prise en charge sont susceptibles d’être constructives si elles reposent sur des données pertinentes et probantes, lesquelles peuvent être détenues et diffusées par les partenaires eux-mêmes (Gray, 2008; Gray et Purdy, 2018).

    Pour minimiser les inévitables tensions entre les partenaires, il peut être prudent de sélectionner des partenaires qui ont l’habitude de travailler ensemble avant d’étendre la participation à d’autres partenaires, du moins au début d’un projet, ce qui permet ainsi de profiter dès le départ de la présence d’un capital de collaboration (Emerson et Nabatchi, 2015). Il peut aussi être opportun de commencer

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